jeudi 16 mai 2013

Revue de la jurisprudence applicable à la demande de remise par le juge Gilles R. Pelletier

R. c. Din, 2008 CanLII 75866 (QC CM)

Lien vers la décision

[10] Le droit applicable lors d’une demande de remise est bien connu; la Cour suprême du Canada l’a circonscrit il y a maintenant plus de 50 ans dans l’affaire Darville (R. c. Darville, (1957) 116 C.C.C. 113 (CSC). Le pouvoir d’accorder ou de refuser une demande de remise participe de la discrétion judiciaire. Le Tribunal doit, dans son exercice, faire montre de pertinence, de sagesse, d’une attitude et de motifs judicieux.

[11] Si la discrétion de refuser (ou d’accepter) une remise est exercée judiciairement et judicieusement, les tribunaux supérieurs n’interviendront pas (R. c. Manhas, 1980 CanLII 172 (CSC), [1980] 1 R.C.S. 591, [1980] A.C.S. 16).

[12] Modulés régulièrement par les tribunaux d’appels et appliqués quotidiennement par les tribunaux d’instance, les critères de base établis à l’arrêt Darville transcendent le temps. Pour obtenir une remise au motif de l’absence d’un témoin, la partie qui demande la remise doit remplir trois conditions. Elle doit ainsi établir :

[12.1] que le témoin absent est en mesure de rendre un témoignage pertinent;

[12.2] que des moyens raisonnables ont été mis à exécution pour s’assurer de la présence physique de ce témoin;

[12.3] qu’il est probable, si la remise est accordée, que le témoin se présentera à la prochaine occasion devant le tribunal.

[13] Seule la deuxième condition pose problème dans notre affaire. Dans Darville, où la Cour suprême rejette unanimement l’appel du défendeur condamné par le juge d’instance qui avait refusé la demande de remise, le juge Cartwright qui écrit des motifs personnels énonce comme suit cette condition :

« that the party applying has been guilty of no laches or neglect in omitting to endeavour to procure the attendance of these witnesses »

[14] L’absence du témoin essentiel dans notre affaire découlant manifestement du mode de signification retenu par la poursuite pour s’assurer de sa présence, qu’en est-il du mode d’assignation choisi, soit la poste ordinaire?

[15] Adopté en 1995, soit près de huit ans après l’adoption initiale du Code de procédure pénale (L.R.Q.c. C-25.1), l’article 20.1 de cette loi prévoit :

« 20.1. La signification d'un acte d'assignation peut en outre être faite par l'envoi de l'acte par courrier ordinaire ou, lorsque le témoin peut être ainsi rejoint, par télécopieur ou par un procédé électronique. Lorsque le témoin est un agent de la paix, l'assignation peut aussi être faite au moyen d'un avis qui lui est transmis de la manière convenue entre le poursuivant et l'autorité de qui relève cet agent. »

[16] Concernant plus particulièrement l’envoi postal, la Loi sur les postes (S.R.C. 1970, ch. P-14) prévoyait jadis, à l’article 41, qu’un envoi postal devenait la propriété de son destinataire dès sa mise à la poste. Les tribunaux ont ainsi eu à plusieurs reprises l’occasion d’écrire quant aux conséquences juridiques de cet article, plus particulièrement en termes de suffisance du délai de préavis d’une réclamation (Montréal (Ville de) c. Vaillancourt, 1976 CanLII 205 (CSC), [1977] 2 R.C.S. 849; Union internationale c. Mannix, [1975] C.A. 766).

[17] Visiblement conscient que ce texte ne cadrait plus avec la réalité contemporaine de l’époque, cette disposition est abandonnée, dans le cadre d’une réorganisation totale du service des postes comprenant création d’une société d’état fédérale et l’adoption d’une toute nouvelle loi. Le texte de l’article 2 de la Loi sur la Société canadienne des postes (L.R.C. (1985), ch. C-10) énonce maintenant, quant à la partie qui nous concerne :

Présomption

(2) Pour l’application de la présente loi, le destinataire d’un envoi est censé en avoir reçu livraison si s’est effectuée, selon les modalités de distribution habituellement appliquées à son égard, l’une des opérations suivantes :

a) remise de l’envoi à son lieu de résidence ou de travail ou à son établissement;

b) remise de l’envoi dans sa boîte postale, dans sa boîte aux lettres rurale ou en tout autre endroit affecté au même usage;

c) remise de l’envoi entre ses mains ou entre celles d’une personne apparemment autorisée par lui à en recevoir livraison, notamment un domestique ou un mandataire.

[18] Par conséquent, l’envoi d’une assignation par la poste, au lieu de travail ou de résidence de son destinataire, en l’absence de la preuve de l’une des opérations mentionnées à la loi, ne crée pas de présomption de livraison.

[19] Peut-on ainsi, tout en respectant la loi, soit en utilisant la poste régulière pour la signification d’une assignation à un témoin, commettre quand même une négligence?

[20] Comment la jurisprudence traite-t-elle ce manifeste imbroglio?

[21] Le 13 septembre 2004, la Cour d’appel rend deux décisions où, sur division, elle reçoit l’appel du ministère public consécutif à deux décisions de la Cour du Québec rendues le même jour et où des demandes de remises de la poursuite avaient été refusées par le tribunal d’instance au motif que les témoins assignés l’avaient été par poste ordinaire. Dans chacune, le juge Dalphond rédige l’opinion majoritaire, et le juge Hilton inscrit une forte dissidence.

[22] Dans G.(J.C.) (R. c. G.(J.C.), REJB 2004-70445, 2004 CanLII 66281 (QC CA), (2005) 189 C.C.C. (3d) 1), le juge Dalphond estime que la fugue du jeune témoin de chez ses parents deux jours avant la tenue du procès est un événement imprévisible auquel une assignation par huissier n’aurait probablement rien changé. Dans V.(M.) (R. c. V.(M.), REJB 2004-70446, 2004 CanLII 60132 (QC CA), (2005) 189 C.C.C. (3d) 230), où la poursuite n’était pas en mesure d’informer le tribunal si le témoin défaillant avait ou non été assigné, le juge Dalphond maintient quand même l’appel, mais ajoute la mise en garde suivante :

« [29] Before concluding, I urge the Crown office to reconsider the procedure it uses to secure the attendance of key witnesses before trial. Serving a subpoena by ordinary mail may represent a significant cost reduction but it has inherent limits, as this case shows, which call for additional follow up procedures in order to avoid acquittals and appeals. Failure to improve the current procedure could be considered in the future as a form of institutional negligence by the Crown office. »

[23] Les fortes dissidences du juge Hilton se traduisent par cet extrait du paragraphe 60 dans G.(J.C.) :

« ...having determined that the Crown had not prosecuted the case with sufficient diligence by failing to take more appropriate steps to ensure the presence at trial of its only witness, he (i.e. le juge d’instance) refused to grant a postponement. Such a decision can hardly be criticized when the Crown did not even have an attestation that a subpoena had been sent by ordinary mail, and its counsel merely affirmed, without any supporting evidence, that one had been sent. When the Crown offered no evidence, the trial judge acquitted the accused. This is precisely what happened in Bissonnette, which was rendered over three years earlier than the judgment under appeal in this case, yet the Crown continues with an imprudent practice that has already been judicially discredited. » (nos soulignements)

[24] Sur la gravité des accusations portées contre le défendeur, le juge Hilton établit que ce facteur est une lame à deux tranchants – Gravity however is a two-way street – écrit-il. Si l’accusation est sérieuse, elle commande que la poursuite soit d’autant plus vigilante dans l’assignation de son témoin principal. Le caractère sérieux des chefs d’accusation pèse d’autant plus lourd sur les épaules de l’accusé, poursuit-il (paragr. 58).

[25] Quant au fait qu’il s’agissait d’une première demande de remise, le juge Hilton est lapidaire :

« [59] (...) No party, be it the Crown or the accused, is entitled to a postponement simply because one has not been previously requested, as if somehow such a request was analogous to the peremptory challenge of a juror which must be granted as a matter of course. Any application for a postponement must stand or fall on its merits, and for no other reason. » (nos soulignements)

[26] Ces deux fortes dissidences du juge Hilton et la mise en garde du juge Dalphond au paragraphe 29 de V.(M.) ont plus tard trouvé écho dans la jurisprudence. Dans Mendoza (R. c. Mendoza, 2006 QCCQ 12234 (CanLII), 2006 QCCQ 12234), décision de la Cour du Québec du 17 novembre 2006, notre collègue, l’honorable Martin Vauclair, constate que l’assignation d’un témoin par la poste régulière, bien que légale, est tout de même périlleuse, et qu’elle devient négligente lorsqu’on ne lui adjoint aucune mesure de suivi avant la veille du procès.

[27] Le tribunal y écrit :

« [22] (…) Les efforts déployés par Me P… sont louables, mais ils sont aussi l’aboutissement d’un traitement qui ressemble à une négligence perçue comme telle, il y a maintenant deux ans, par la Cour d’appel du Québec (…). »

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