Lien vers la décision
[68] On peut résumer les principes de la théorie de l'identification issus de la common law comme suit :
1. L’application de la théorie de l’identification a pour effet d’imputer à une personne morale la mens rea et l’actus reus de son âme dirigeante et, donc, d’entraîner sa responsabilité.
2. Il peut y avoir plusieurs âmes dirigeantes au sein d’une même personne morale et chacune de ces âmes dirigeantes peut être associée à une sphère d’activités ou à un territoire précis.
3. Afin de déterminer si un employé constitue une âme dirigeante, on ne considère pas le titre de l’employé, mais bien les fonctions qu’il exerce et les responsabilités qui lui incombent dans le champ d’activités qui lui a été délégué.
4. La notion d’âme dirigeante n’inclut désormais plus seulement les hauts dirigeants et le conseil d’administration d’une personne morale.
5. L’âme dirigeante est la personne qui a la capacité d’exercer un pouvoir décisionnel sur les questions de politique générale de la personne morale, plutôt que celle qui ne fait que mettre en œuvre ces politiques dans un cadre opérationnel.
6. Ne permettent pas de faire échec à l’application de la théorie de l’identification :
a) Le fait qu’il n’ait pas été expressément ordonné à un employé de commettre l’acte criminel en question;
b) Le fait qu’il n’y ait pas eu de délégation expresse d’autorité à l’employé ayant commis l’infraction;
c) Le fait que le conseil d’administration ou les membres de la direction de la compagnie n’étaient pas au courant des activités en cause;
d) Le fait que des instructions expresses ou implicites interdisant les actes illégaux précis ou toute conduite en général aient été données;
e) Le fait que l’âme dirigeante ait agi, en partie, frauduleusement envers la compagnie qui était son employeur;
f) Le fait que l’âme dirigeante ait agi, en partie, pour son propre avantage.
7. Constitue un moyen de défense et fait échec à l’application de la théorie de l’identification le fait que l’âme dirigeante ait agi entièrement dans son propre intérêt et ait visé principalement à frauder la compagnie qui était son employeur.
Les modifications législatives du 31 mars 2004
[69] La Loi modifiant le Code criminel (responsabilité pénale des organisations) a été adoptée et ses dispositions, à l’exclusion d’une seule, sont entrées en vigueur le 31 mars 2004.
[70] Ces modifications législatives viennent apporter deux changements importants au Code criminel : l'ajout des notions de « cadre supérieur », d'« organisation » et d'« agent » prévu à l'article 2, ainsi que l'ajout de l'article 22.2 qui traite de la responsabilité des organisations pour les infractions de mens rea et qui, contrairement à la jurisprudence antérieure, n'utilise plus les termes « âme dirigeante » ou « alter ego », mais plutôt « cadre supérieur ».
[73] À ce jour, aucune décision jurisprudentielle n’a défini la portée de l’article 22.2 C.cr. Le droit de la responsabilité des sociétés, tel qu’élaboré par la common law, a-t-il été seulement codifié par ces modifications législatives ou a-t-il été modifié?
[74] Dans l’affaire Ontario Power Generation, le juge devait décider d’un cas de responsabilité par négligence. C’est donc l’article 22.1 C.cr. et non pas l'article 22.2 C.cr. qui devait être appliqué s'il avait été en vigueur au moment des faits reprochés. Dans cette décision, le juge a mentionné, en obiter, qu’il était d’avis que le projet de loi C-45 avait modifié les principes de responsabilité d’une personne morale établis par la common law.
[75] Il semble partager l'avis exprimé par les auteurs Archibald, Jull et Roach à l'effet que les modifications apportées au Code criminel par la Loi L.C. 2003, c. 21 (projet de loi C-45) ont eu pour effet de changer de façon fondamentale le droit de la responsabilité des personnes morales. Ces modifications ont aboli le concept d'âme dirigeante élaboré par la common law pour le remplacer par « a much wider statutory distinction that attributes the fault of a corporation's senior officer to the corporation ».
[76] Le Tribunal partage ce point de vue. La responsabilité des personnes morales, anciennement basée sur la faute d’une de leurs âmes dirigeantes, est désormais fondée sur la faute d’un de leurs « cadres supérieurs ». Et la responsabilité pénale de ce « cadre supérieur » pourra être imputée à l’« organisation ».
[77] La dichotomie qui existait entre « élaboration » et « mise en œuvre » des politiques est supprimée. Désormais, une personne peut être considérée comme « cadre supérieur » et engager la responsabilité d’une organisation dans les deux cas, soit en ayant un rôle important dans l’élaboration des orientations de l’organisation, soit en assurant la gestion d’un important domaine d’activités de l’organisation.
L'intention du législateur
[78] Les propos de Paul Harold Macklin, secrétaire parlementaire du ministre de la Justice et Procureur général du Canada, rapportés dans le Hansard, laissent voir que l’intention du législateur était de faire en sorte que les actes d’un cadre intermédiaire (middle manager) puissent être considérés comme ceux de l’organisation. Comme exemple d’agent assurant la gestion d’un « important domaine d’activités », M. Macklin mentionnait « le gestionnaire d’un secteur comme les ventes, la sécurité, la commercialisation et le gestionnaire d’une entité de l’entreprise comme une région, un magasin ou une usine […] ».
[79] La lecture de l'article 22.2 permet les constats suivants. Il peut exister plusieurs cadres supérieurs au sein d’une même organisation. Un cadre supérieur peut être associé à une sphère d’activité ou à un territoire précis, tout comme le voulait la théorie de l'identification. Cet article indique que l’on doit, afin de déterminer si un employé est un cadre supérieur, considérer les fonctions qu’il exerce et les responsabilités qui lui incombent dans le champ d’activités qui lui a été délégué. Il découle de cela que la notion de cadre supérieur n’inclut pas seulement les hauts dirigeants et le conseil d’administration d’une compagnie.
[80] De même, l'article 22.2 ne permet pas d’exclure la responsabilité d’une organisation aux motifs que :
- l'acte criminel visé n'a pas été expressément ordonné par un cadre supérieur ou un agent;
- il n'y a pas eu autorisation expresse d'autorité au cadre supérieur ou à l'agent ayant commis l'infraction;
- le conseil d'administration ou les membres de la direction ou de l'organisation n'étaient pas au courant des activités en cause;
- des instructions expresses ou implicites interdisant les actes illégaux précis ou toute conduite en général aient été données;
- le cadre supérieur ait agi, en partie, frauduleusement envers l’organisation;
- le cadre supérieur ait agi, en partie, pour son propre avantage.
[81] De plus, cet article permet également de conserver le moyen de défense reconnu par la Cour suprême dans l’affaire Canadian Dredgeet d’exclure la responsabilité pénale d’une organisation lorsque le cadre supérieur fautif a agi entièrement dans son propre intérêt.
L'introduction du critère de l'importance
[82] Une autre nouveauté dans la définition de « cadre supérieur » est le critère de l’importance. Pour être considérée comme « cadre supérieur », une personne doit jouer un rôle important dans l’élaboration des politiques d'une organisation ou encore assumer la gestion d’un important domaine d’activités de celle-ci.
[83] Déterminer ce que constitue un « rôle important » ou un « important domaine d'activités » est une question de fait obligeant le tribunal à examiner, à travers l'ensemble de la preuve présentée, l'intégralité de la structure organisationnelle et des activités de la corporation.
[84] Afin de déterminer si une personne est un cadre supérieur, le Tribunal peut examiner non seulement le titre de la personne dans l'entreprise, mais aussi les fonctions qu'elle exerce et l'étendue de ses responsabilités. Il doit aussi mesurer l'importance du secteur d'activités que la personne gère au nom de la compagnie.
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