R. c. Beaudoin, 2010 QCCS 4536 (CanLII)
LA LOI ET L'ANALYSE
[33] La Cour suprême du Canada, dans la cause Handy, 2002 CSC 56 (CanLII), [2002] 2 R.C.S. 908, au paragr. 55 dit que :
« 55. La preuve de faits similaires est donc présumée inadmissible. Il incombe à la poursuite de convaincre le juge du procès, selon la prépondérance des probabilités, que, dans le contexte de l’affaire en cause, la valeur probante de la preuve relative à une question donnée l’emporte sur le préjudice qu’elle peut causer et justifie ainsi sa réception.
[34] Au paragr. 47, on lit que :
« 47. […] La valeur probante l’emporte sur le préjudice du fait que la force des circonstances similaires écarte toute coïncidence ou autre explication tendant à innocenter l’accusé. »
[35] Dans The Law of Evidence in Canada par Sopinka, Lederman et Bryant, à la page 477, les auteurs nous disent que :
« Similar fact evidence is admissible if it is relevant to an issue in the case other than a relevance that derives simply from showing the party is a bad person and its probative value outweighs the prejudice to the party that may arise from the admission of such evidence. »
[36] Dans Arp c. R. 1998 CanLII 769 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 339 au paragr. 40, la Cour suprême du Canada dit que :
« 40. […] Comme l'a souligné le juge Sopinka dans R. c. D. (L.E.), 1989 CanLII 74 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 111, aux pp. 127 et 128, une preuve d'actes antérieurs répréhensibles comporte trois dangers potentiels : (1) le jury peut conclure que l'accusé est une « mauvaise » personne qui est vraisemblablement coupable de l'infraction qu'on lui reproche; (2) le jury peut punir l'accusé pour son inconduite antérieure en le déclarant coupable de l'infraction qui lui est imputée; (3) le jury peut tout simplement s'embrouiller parce que son attention se trouve détournée de l'objet premier de ses délibérations, et substituer son verdict sur une autre question à un verdict sur la question qu'il est appelé à juger. Comme il s'agit de dangers très réels pour l'accusé, la preuve d'une propension ou disposition est écartée en tant qu'exception à la règle générale suivant laquelle tout élément de preuve pertinent est admissible. »
[37] Dans Handy, au paragr. 26, la Cour a dit que la preuve de faits similaires :
« 26. […] ne constitue donc qu’une preuve circonstancielle des questions que le jury était appelé à trancher. À l’instar de toute preuve circonstancielle, son utilité dépend entièrement de la validité des inférences qu’il étaye, dit-on, relativement aux questions en litige. »
[38] La Cour a ajouté au paragr. 27 que :
« 27. La contestation relative à l’admissibilité de la preuve de faits similaires porte entièrement sur la question des inférences. […] Dans quels cas sont-elles si inéquitables qu’elles doivent être écartées pour des raisons de politique judiciaire et de présomption d’innocence? »
[39] Pour [paraphraser] Handy au paragr. 31, en discutant la règle générale d'exclusion, et pour le faire applicable à la présente cause, on peut dire que :
[…] En général, l’exclusion vise à interdire l’utilisation de la preuve de moralité en tant que preuve circonstancielle d’une conduite, c’est-à-dire pour inférer des faits similaires que l’accusé avait une propension ou une prédisposition à accomplir le type d’actes reprochés et qu’il est donc coupable de l’infraction. Le jury risque d’être embrouillé par la multiplicité des faits et d’accorder plus de poids qu’il est logiquement justifié de le faire au témoignage de [témoins de faits similaires] (« préjudice par raisonnement ») ou de déclarer l’accusé coupable en raison de sa mauvaise personnalité (« préjudice moral »).
[40] La Cour a affirmé au paragr. 37 que :
« 37. La raison de politique générale justifiant l’exclusion de la preuve de propension ou de prédisposition est la suivante : bien que, dans certains cas, elle puisse être pertinente, la propension inférée de faits similaires peut aussi retenir indûment l’attention du juge des faits. Elle risque sérieusement de causer un préjudice, de détourner l’attention du jury et d’entraîner un délai excessif, et ces inconvénients l’emportent presque toujours sur sa valeur probante. En général, la propension de l’accusé ne devrait pas faire partie de la preuve qui pèse contre lui. Elle est exclue nonobstant la règle générale voulant que tout élément de preuve pertinent soit admissible. »
[41] Comme l'affirme le juge Cory dans Arp au paragr. 48 :
« 48. […] lorsqu'une preuve de faits similaires est produite pour prouver un fait en litige, pour décider de son admissibilité le juge du procès doit apprécier le degré de similitude des faits reprochés et déterminer si l'improbabilité objective d'une coïncidence a été établie. Ce n'est que dans ce cas que la preuve aura une valeur probante suffisante pour être admissible. »
[42] Le Tribunal ne trouve pas que ceci est le cas dans la présente affaire.
[43] Le Tribunal est du même avis que l'Ontario Court of Appeal dans Candale, 205 C.C.C. (3d) 167 au paragr. 10 quand elle dit que :
« […] As did the court in Blake art para 71, I "conclude that the probative value of proposed discreditable evidence failed to outweigh the risk of prejudice it created and therefore, that is was not admissible". »
[44] D'admettre en preuve les faits similaires que la Couronne demande d'être déclarés admissibles, aurait comme effet de seulement démontrer que l'accusé est une sorte de personne qui a la propension à commettre des crimes, et donc qu'il est plus probable qu'il a commis le crime dont il est accusé dans la présente cause.
[45] Le Tribunal est d'avis que la preuve de faits similaires peut être logiquement connectée à la présente accusation portée contre l'accusé, mais sa force probante est insuffisante pour l'emporter sur son effet préjudiciable.
[46] L'ensemble des circonstances dans lesquelles l'accusé a agi dans les incidents de faits similaires n'est pas la même que l'on remarque dans l'infraction reprochée. En conséquence la preuve de faits similaires ne peut pas être admise pour aider les jurés à décider le fait en litige, ou la question soulevée, c'est-à-dire de décider si oui ou non, la fin illégale de vol a existé antérieurement à l'homicide.
[47] Après avoir pris en considération les similarités et les différences entre la présente affaire et la preuve de faits similaires que la Couronne demande qu'elles soient déclarées admissibles en preuve, le Tribunal est d'avis que la valeur probante de la preuve de faits similaires dans la présente cause n'emporte pas sur son effet préjudiciable.
[48] De plus, le Tribunal est d'avis que :
« […] les différences majeures peuvent atténuer la force probante et, en accentuant la confusion et le détournement d’attention du jury, aggraver le préjudice susceptible d’être causé. » (Voir Handy, paragr. 127)
[49] La Couronne ferait témoigner 12 témoins pour présenter sa cause dans la présente affaire.
[50] La Couronne a informé la Cour que si la preuve de faits similaires est déclarée admissible, elle appellera jusqu'à 30 témoins additionnels pour prouver ces faits similaires.
[51] Le Tribunal est aussi d'avis que le paragr. 144 de Handy, [modifié], est applicable à la présente affaire :
[Une] principale question en litige ici [devient] le fait d’empêcher les membres du jury de bien se concentrer sur l’accusation elle-même, aggravé par le temps passé à examiner des allégations de multiples épisodes impliquant [de nombreuses] victimes dans des circonstances différentes, plutôt que la seule infraction reprochée.
[52] Le Tribunal est donc d'avis que la preuve de faits similaires est inadmissible. Le Ministère public ne s'est pas acquitté du fardeau qu'il lui incombe d'établir, selon la prépondérance des probabilités, que la valeur probante de cette preuve l'emporte sur son effet préjudiciable manifeste.
[53] Les circonstances de la présente affaire sont tellement différentes des faits similaires, qu'il serait dangereux de permettre aux jurés d'utiliser les faits similaires pour inférer que l'accusé a commis la fin illégale de vol, antérieure à l'homicide.
QUESTION D'IDENTITÉ
[54] Le Tribunal remarque que la question soulevée par la preuve de faits similaires peut aussi affecter la question de l'identité de l'assassin, mais qu'il n'y a pas le degré de similarité, ou un ensemble de ressemblances significatives nécessaires entre les faits similaires et la présente cause, sur la question d'identité, pour que les faits similaires soient admis en preuve.
[55] Sur la question d'identité, j'adopte comme mien ce que l'honorable juge Brunton a dit dans R. c. Croteau, 2004 CanLII 28351 (QC CS), [2004 CanLii 28351 (Qc C.S.)] au paragraphe 154 quand il dit que :
« [154] Les éléments qu'on retrouve dans le présent dossier et qui sont similaires à ceux des actes similaires sont d'ordre général. Il est impossible de conclure sur une balance de probabilités, objectivement, que les actes posés dans le présent dossier ont été accomplis par la même personne qui a commis les actes similaires proposés. On ne retrouve pas une marque ou signature singulière caractérisant une série de similitudes importantes, tel qu'exigé par la Cour suprême dans l'arrêt Arp … »
[56] De plus, comme le dit l'Ontario Court of Appeal dans Backhouse, 194 C.C.C. (3d) 1 au paragr. 170 :
« 170. In this case, there was neither a unique trade mark or signature nor a series of significant similarities. »
[57] Le Tribunal est d'avis que la preuve de faits similaires que la Couronne veut mettre en preuve a une très faible valeur probante sur la question de l'identité de l'auteur du meurtre dans la présente affaire. La preuve pourrait seulement démontrer que l'accusé est un individu dangereux qui a une propension ou disposition à commettre des actes criminels, et qu'il est une « mauvaise personne ». Admettre ces faits en preuve risquerait que le jury punisse l'accusé pour son inconduite antérieure, malgré toutes les directives appropriées qu'il recevrait quant à l'utilisation qu'il peut faire de la preuve de faits similaires.
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