mercredi 6 août 2014

La pertinence (tant dans son volet logique de dans son volet juridique)

R. c. Mysliakovskaia, 2013 QCCS 3425 (CanLII)


[19]        Contrairement à la matérialité, la pertinence n’est pas une notion juridique.  Le droit ne définit pas ce qu’est la pertinence. Celle-ci fait plutôt appel à la logique et à l’expérience humaine. Sera considéré comme pertinent tout moyen de preuve de nature à établir ou à rendre probable l’existence ou la non-existence d’un fait en litige. Pour qu’un fait soit pertinent à un autre, il doit exister entre ceux-ci une connexité qui permet d’inférer l’existence de l’un en raison de l’existence de l’autre.
i)  Le volet logique

[20]        Comme l’expose le juge Sopinka dans R. c. Mohan, la pertinence comporte à la fois un volet logique et un volet juridique. Sera considérée logiquement pertinente toute preuve à ce point liée au fait concerné qu’elle tend à l’établir.

[21]        En 1999, l'honorable juge Charron, siégeant alors à la Cour d'appel de l'Ontario, décrivait ainsi le critère de la pertinence logique :
« Relevance is a matter to be decided by the trial judge as a question of law. It involves the determination of the logical relationship between the proposed evidence and a fact in issue in the trial. The logical relevance of the evidence is determined by asking the following question:
a)   Does the proposed [ … ] evidence relate to a fact in issue in the trial?
b)   Is it so related to a fact in issue that it tends to prove it?
If the answer to both these questions is yes, the logical relevance of the evidence has been established …  »

[22]        Dans R. v. Watson, l’honorable juge Doherty propose la définition suivante de ce concept :
« Relevance as explained in these authorities requires a determination of whether as a matter of human experience and logic the existence of "Fact A" makes the existence or non-existence of "Fact B" more probable than it would be without the existence of "Fact A". If it does then "Fact A" is relevant to "Fact B". As long as "Fact B" is itself a material fact in issue or is relevant to a material fact in issue in the litigation then "Fact A" is relevant and prima facie admissible. »

[23]        La pertinence n’implique aucune idée de certitude. De fait, il n’existe aucun seuil de pertinence requis pour que la preuve soit admissible. Si la preuve soumise est de nature, logiquement et par l'expérience humaine, à établir l’existence ou la non- existence d’un fait, elle doit être considérée pertinente. Comme le souligne le juge en chef Dickson dans R. c. Corbett :
« [ … ] les règles fondamentales du droit de la preuve comportent un principe d'inclusion en vertu duquel il est permis de produire en preuve tout ce qui sert logiquement à prouver un fait en litige, sous réserve des règles d'exclusion reconnues et des exceptions à celles-ci. Pour le reste, c'est une question de valeur probante. La valeur probante d'un élément de preuve peut être forte, faible ou nulle. En cas de doute, il vaut mieux pécher par inclusion que par exclusion et, à mon avis, conformément à la transparence de plus en plus grande de notre société, nous devrions nous efforcer de favoriser l'admissibilité, à moins qu'il n'existe une raison très claire de politique générale ou de droit qui commande l'exclusion. »

[24]        En somme, les éléments ne constituant pas une preuve logique d’un fait à prouver ne doivent pas être admis. Par contre, tout ce qui est probant doit être admis,  à moins de devoir être exclu pour un autre motif.

[25]        Ces considérations nous amènent à traiter de la pertinence juridique.
ii)  Le volet juridique

[26]        Dans Mohan, l’honorable juge Sopinka traite ainsi de ce second volet de la pertinence :
« [ … ] Bien que la preuve soit admissible à première vue si elle est à ce point liée au fait concerné qu'elle tend à l'établir, l'analyse ne se termine pas là. Cela établit seulement la pertinence logique de la preuve. D'autres considérations influent également sur la décision relative à l'admissibilité. Cet examen supplémentaire peut être décrit comme une analyse du coût et des bénéfices, à savoir "si la valeur en vaut le coût." Voir McCormick on Evidence (3e éd. 1984), à la p. 544. Le coût dans ce contexte n'est pas utilisé dans le sens économique traditionnel du terme, mais plutôt par rapport à son impact sur le procès. La preuve qui est par ailleurs logiquement pertinente peut être exclue sur ce fondement si sa valeur probante est surpassée par son effet préjudiciable, si elle exige un temps excessivement long qui est sans commune mesure avec sa valeur ou si elle peut induire en erreur en ce sens que son effet sur le juge des faits, en particulier le jury, est disproportionné par rapport à sa fiabilité. Bien qu'elle ait été fréquemment considérée comme un aspect de la pertinence juridique, l'exclusion d'une preuve logiquement pertinente, pour ces raisons, devrait être considérée comme une règle générale d'exclusion (voir Morris c. La Reine, 1983 CanLII 28 (CSC), [1983] 2 R.C.S. 190). Qu'elle soit traitée comme un aspect de la pertinence ou une règle d'exclusion, son effet est le même. [ … ] »

[27]        Ainsi, une preuve logiquement pertinente peut néanmoins être exclue lorsque sa valeur probante est surpassée par son effet préjudiciable, lorsqu’elle exige un temps excessivement long sans commune mesure avec sa valeur ou lorsqu’elle peut induire en erreur le juge des faits en raison du caractère disproportionné de son effet par rapport à sa fiabilité.

[28]        Dans l’arrêt Wray, la Cour suprême avait reconnu le pouvoir du juge d’instance d’écarter « une preuve fortement préjudiciable à l’accusé et dont la recevabilité tient à une subtilité, mais dont la valeur probante à l’égard de la question fondamentale en litige est insignifiante ».

[29]        Ce critère fut interprété par certains comme limitant ce pouvoir discrétionnaire aux seuls cas où la preuve était extrêmement préjudiciable à l’accusé et de valeur probante modeste.

[30]        Cette interprétation restrictive fut expressément rejetée en 1989 par l’honorable juge La Forest, avec l’approbation du juge en chef Dickson, dans R. c. Potvin. On y confirma en termes généraux le pouvoir discrétionnaire du juge d’instance d’écarter la preuve si, à son avis, l’effet préjudiciable de cette dernière l’emporte considérablement (« substantially ») sur sa valeur probante.

[31]        Quelques années plus tard, la Cour d’appel de l’Ontario insista plus particulièrement sur l’importance de l’effet préjudiciable lorsque l’élément de preuve contesté est présenté par la défense :
« A finding that evidence is relevant does not determine its admissibility. Relevant evidence will be excluded if it runs afoul of a specific exclusionary rule, or if a balancing of its probative value against its prejudicial effect warrants its exclusion: R. v. Corbett, supra; R. v. Bevan,1993 CanLII 101 (SCC), [1993] 2 S.C.R. 599 at p. 614, 82 C.C.C. (3d) 310 at p. 326; R. v. Terry, Supreme Court of Canada, released May 30, 1996 [now reported 36 C.R.R. (2d) 21, 106 C.C.C. (3d) 508] at pp. 13-14 [pp. 30-31 C.R.R.]. Where the evidence found to be relevant is offered by the defence in a criminal case, it will be excluded under the second of these exclusionary rules only where the prejudice substantially outweighs the probative value: R. v. Seaboyer, supra, at p. 611 S.C.R., p. 391 C.C.C.; R. v. Arcangioli, 1994 CanLII 107 (SCC), [1994] 1 S.C.R. 129 at p. 140, 87 C.C.C. (3d) 289 at p. 297. »

[32]        Avant de recourir à son pouvoir discrétionnaire d’écarter le rapport médical soumis par madame Mysliakovskaia, le Tribunal devra donc s’assurer que ce document comporte un effet préjudiciable l’emportant considérablement (substantially) sur sa valeur probante.

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