dimanche 5 juillet 2015

Le statut juridique et les devoirs de l’élu municipal

Prud'homme c. Prud'homme, [2002] 4 RCS 663, 2002 CSC 85 (CanLII)

Lien vers la décision

18                              Malgré l’apparition précoce des institutions municipales au Québec, les droits et les devoirs de l’élu municipal ne font toujours pas l’objet de dispositions législatives précises et regroupées. Les quelques obligations imposées à l’élu municipal par les lois pertinentes, loin de brosser un tableau complet de sa situation juridique, constituent pour la plupart des applications particulières d’un devoir général de veiller honnêtement et loyalement aux affaires de la municipalité.  Ainsi, les lois prévoient son obligation de voter, son droit à la rémunération, son obligation de déclarer ses intérêts pécuniaires, son devoir de loyauté qui l’oblige à s’abstenir de voter en cas de conflit d’intérêts, etc.  (Voir J. Tremblay, « La responsabilité de l’élu municipal et sa protection contre certaines pertes financières : récents développements », dans Développements récents en droit municipal (1998), 155, p. 157.)

19                              Face aux difficultés créées par le silence du législateur, les tribunaux québécois ont tenté de définir le statut juridique de l’élu municipal pour identifier ses droits et ses devoirs.  Ainsi, selon les circonstances, l’élu municipal a tantôt été qualifié de mandataire des citoyens, tantôt de représentant, législateur, officier ou fiduciaire.  Parfois, il a même été décrit comme un employé momentané. (Voir C. Jean, « Responsabilité civile délictuelle : la chasse aux élus et aux officiers municipaux est-elle ouverte? », dans Développements récents en droit municipal (1989), 183, p. 210; J.-F. Gaudreault-Desbiens, « Le traitement juridique de l’acte individuel fautif de l’élu municipal, source d’obligations délictuelles ou quasi délictuelles. Un essai de systématisation critique du droit positif québécois » (1993), 24 R.G.D. 469, p. 475-482.)

20                              Le caractère ambigu du statut juridique de l’élu municipal résulte de sa situation de représentant à la fois de la municipalité et de ses propres électeurs. Ce double rôle oblige à l’occasion l’élu à choisir entre les meilleurs intérêts de la municipalité, d’une part, et les revendications de ses électeurs, d’autre part (I. MacF. Rogers, Municipal Councillors’ Handbook (6e éd. 1993), p. 3).  En définitive, ce sont les circonstances qui détermineront quels intérêts l’élu favorisera.  Parfois, il pourra se voir contraint de justifier son choix.  Pour ce faire, il devra s’en rapporter à ses devoirs et, au besoin, établir une hiérarchie entre eux, en conservant toujours le souci primordial de l’intérêt général de la municipalité (Gaudreault-Desbiens, loc. cit., p. 484).



21                              De façon générale, l’élu municipal est un administrateur de la corporation municipale (art. 47 de la Loi sur les cités et villes, L.R.Q., ch. C-19, et art. 79 du Code municipal du Québec, L.R.Q., ch. C-27.1).  À ce titre, ses droits et ses devoirs sont ceux d’un mandataire.  Aussi, dans le cadre de sa participation à l’action législative ou administrative du conseil, il n’est pas personnellement responsable de ses actes à moins qu’il n’ait agi frauduleusement ou avec une négligence grossière équivalant à une faute lourde.  Il n’est pas non plus responsable des actes ultra vires de la municipalité, sauf mauvaise foi ou intention de nuire de sa part (Jean, loc. cit., p. 211; I. MacF. Rogers, The Law of Canadian Municipal Corporations (2éd. (feuilles mobiles)), p. 214.16). Toutefois, hors du cadre de l’action collégiale du conseil, l’élu municipal demeure en principe personnellement responsable de son acte individuel fautif.

22                              Les tribunaux ont retenu la responsabilité personnelle de l’élu municipal non seulement pour une violation de ses obligations légales, mais aussi pour un manquement aux devoirs « inhérents » à sa charge.  À titre d’exemples, la jurisprudence a reconnu que l’élu municipal avait le devoir de promouvoir le respect de l’ordre public, de ne pas favoriser ses intérêts privés aux dépens de ceux de la municipalité, de s’assurer du contrôle et de la sécurité des archives et des documents municipaux, de superviser et de suivre les travaux municipaux, de s’informer des détails importants de l’administration municipale, de choisir judicieusement les employés de la ville et de s’assurer de l’intégrité de son service de police.  Plus particulièrement, des jugements ont reconnu l’existence d’un devoir de divulguer les informations susceptibles d’affecter la bonne administration des affaires publiques.  Dans un esprit de systématisation, ces devoirs inhérents peuvent tous être considérés comme des applications particulières d’un devoir général de veiller aux intérêts et à la bonne administration des affaires de la municipalité (Gaudreault-Desbiens, loc. cit., p. 484-485).



23                              Quoique sommaire, ce bref survol permet de conclure que la relation qui existe entre l’élu municipal et les différents acteurs de la vie municipale lui confère un statut juridique hybride.  À la fois promoteur des intérêts subjectifs de ses électeurs et défenseur des intérêts objectifs de la municipalité, l’élu doit souvent faire des choix difficiles que lui imposent des devoirs importants et parfois conflictuels.  Ses fonctions l’obligent à justifier ces choix dans le cadre d’un organisme à fonction délibérative. Ainsi, au cours des débats du conseil ou des organismes municipaux, il doit expliquer et défendre ses options.  Il doit aussi les exposer et les justifier publiquement devant ses commettants ou certains d’entre eux.  Son droit et même son obligation de parole constituent un aspect important de l’exercice de ses fonctions d’administrateur municipal.

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