R. c. D'Aragon, 2000 CanLII 9990 (QC CA)
[7] La contestation origine d'une demande visant à obtenir des renseignements concernant un témoin de la poursuite, protégés par le privilège de l'indicateur de police. Il est bien établi que le droit à la divulgation de la preuve ne saurait éclipser le privilège de l'indicateur de police à moins que l'inculpée démontre la nécessité de faire exception à ce privilège.
[8] En l'espèce, c'est par mégarde que dans les documents remis par le ministère public, l'intimée a appris que l'un des principaux témoins à charge était un indicateur de police. Il est admis que dans le dossier qui nous concerne, ce témoin n'a pas agi comme indicateur. Par ailleurs, l'intimée, en se fondant notamment sur l'enquête préliminaire, a convaincu le premier juge que la «fiabilité» ou la crédibilité de ce témoin était à ce point entachée, qu'il était nécessaire, pour assurer sa défense pleine et entière, de faire exception au privilège et de lui donner accès aux «rapports de rencontres sources». Ces rapports, colligés par des policiers, ont trait aux activités de l'indicateur dans d'autres dossiers et contiennent donc des renseignements sur des transactions criminelles impliquant des tiers.
[9] Dans un premier temps, le premier juge a ordonné au ministère public de lui remettre ces rapports, sujet à une révision de ces documents pour éviter de communiquer des détails susceptibles de mettre en cause la sécurité de l'indicateur. À cette fin, il a obtenu du ministère public la version intégrale des rapports et la version expurgée proposée par le ministère public. Aucune de ces versions n'a été remise à l'intimée, cette question devant être débattue en présence de l'intimée mais sans qu'elle y participe.
[10] Dans un second temps, et en conclusion de sa révision des documents, le premier juge n'a pas retenu la version expurgée proposée par le ministère public et a ordonné la divulgation de nombreux autres extraits de ces rapports. Compte tenu de cette décision, le ministère public a indiqué qu'il n'entendait pas remettre ces renseignements à l'intimée. En conséquence, le juge a ordonné l'arrêt des procédures qui, dans les circonstances, constituait le seul remède utile, ce qu'a d'ailleurs concédé le ministère public.
[11] Dans l'arrêt Leipert, précité, la Cour suprême du Canada a indiqué la procédure qui doit être suivie dans le cadre d'une requête d'un inculpé pour la divulgation de renseignements privilégiés lorsqu'il invoque l'exception concernant ce que la Cour décrit comme «la démonstration de l'innocence», (expression qui mériterait d'être révisée.) Je formulerais comme suit les étapes de cette procédure:
(1) C'est à l'inculpé qu'incombe le fardeau d'établir qu'il existe un motif de conclure que sans la divulgation demandée, son «innocence» sera en jeu.
(2) Si l'existence de ce motif est établie, le tribunal pourra alors examiner l'information en cause pour déterminer si elle est effectivementnécessaire pour l'inculpé: cet examen se tient ex parte.
(3) Si le tribunal conclut que la divulgation est nécessaire, il ne devra révéler que les renseignements essentiels pour assurer une défense pleine et entière.
(4) Avant de divulguer les renseignements à l'inculpé, le tribunal doit donner au ministère public l'opportunité de décider s'il entend ou non permettre que de fait ces renseignements soient divulgués; ce n'est que si le ministère public y consent que les renseignements pourront être communiqués conformément à l'ordonnance. Dans le cas contraire, le tribunal décide du remède approprié.
[12] En l'espèce, après avoir pris connaissance à huis clos des versions intégrale et expurgée remises au juge du procès, il me paraît manifeste que même en tenant pour acquis que l'intimée avait franchi la première étape procédurale, c'est à tort que le premier juge ne s'est pas rendu à la demande du ministère public. En effet, il a erré en concluant que les renseignements pouvaient effectivement être nécessaires pour l'inculpée [étape (2)]: la version proposée par le juge est constituée d'éléments qui ne présentent aucune pertinence dans le dossier actuel et ne peuvent être considérés «essentiels» pour l'inculpée. En ce sens, je conclus que le premier juge a erré en ordonnant la divulgation de renseignements protégés par le privilège de l'indicateur.
[13] Par ailleurs, en ce qui a trait à la version expurgée remise par le ministère public au juge du procès, il n'y a pas lieu d'en disposer, cette Cour ayant été informée à l'audition que l'intimée en avait reçu copie à la suite de la divulgation volontaire de la part de l'appelante, depuis le jugement rendu en première instance.
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