R. c. Chaplin, [1995] 1 RCS 727, 1995 CanLII 126 (CSC)
30 Contrairement aux cas susmentionnés, il arrive parfois ‑‑ comme en l'espèce ‑‑ que le ministère public nie l'existence de renseignements que l'on prétend pertinents. Du moment que le ministère public affirme avoir rempli son obligation de produire, on ne saurait le contraindre à justifier la non‑divulgation de renseignements dont il ignore ou nie l'existence. Le ministère public n'est donc tenu de rien faire d'autre tant que la défense n'a pas établi des motifs sur lesquels le juge qui préside peut se fonder pour conclure à l'existence d'autres renseignements qui sont peut‑être pertinents. Par pertinence, il faut entendre qu'il y a possibilité raisonnable que ces renseignements puissent aider l'accusé à présenter une défense pleine et entière. L'existence des renseignements faisant l'objet de contestation doit être assez clairement établie non seulement pour en révéler la nature, mais aussi pour permettre au juge qui préside de décider qu'ils pourront satisfaire au critère applicable aux renseignements que le ministère public est tenu de produire, lequel critère est énoncé dans les passages précités des arrêts R. c. Stinchcombe et R. c. Egger.
31 Bien que l'obligation incombant à la défense, qui, comme je l'ai indiqué, consiste à établir «un fondement», participe d'une charge de présentation, je préfère ne pas la qualifier ainsi parce que, dans bien des cas, on pourra s'en acquitter non pas par la production d'éléments de preuve ou par la démonstration de leur existence, mais par les observations orales de l'avocat, sans qu'il soit besoin d'un voir‑dire. J'évite en conséquence les termes «vraisemblance», «question réelle», et autres, employés dans certaines décisions, car ces termes conviennent mieux à la description d'une véritable charge de présentation. La production d'une preuve de vive voix ainsi que la tenue d'un voir‑dire peuvent toutefois s'imposer lorsque le juge qui préside est dans l'impossibilité de régler la question en se fondant sur les observations de l'avocat.
32 Outre qu'elle est nécessaire sur le plan pratique pour que les débats puissent avancer ‑‑ ce dont je traite précédemment ‑‑, l'obligation pour la défense d'établir un fondement à sa demande de divulgation sert à empêcher des demandes qui reposent sur la conjecture et qui sont fantaisistes, perturbatrices, mal fondées, obstructionnistes et dilatoires. Dans les affaires d'écoute comme en l'espèce ceci est particulièrement important. Il faut en effet distinguer les recherches à l'aveuglette et la conjecture d'avec les demandes légitimes de divulgation. La divulgation systématique de l'existence de tables d'écoute concernant une personne qui est déjà inculpée, mais qui fait l'objet d'écoute électronique dans le cadre d'enquêtes criminelles en cours relativement à d'autres infractions soupçonnées, nuirait à la capacité de l'État de faire enquête sur un large éventail de crimes complexes qui seraient difficiles à détecter par d'autres moyens, soit, notamment, le trafic de stupéfiants, l'extorsion, la fraude et le délit d'initié: R. c. Duarte, 1990 CanLII 150 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 30, à la p. 44. En règle générale, l'écoute électronique n'est efficace que si elle se fait à l'insu des personnes sur lesquelles porte l'enquête. C'est ce qui est implicitement reconnu dans les dispositions de la partie VI du Code qui traitent du secret, soit les art. 187 et 193, qui s'appliquent jusqu'à la fin de l'enquête, et l'art. 196, qui prévoit un avis différé de l'existence d'une table d'écoute.
33 Dès lors que la défense s'acquitte de son obligation exposée ci‑dessus d'établir un fondement, il incombe au ministère public de justifier sa persistance dans la non‑divulgation. L'obligation du ministère public est identique à son obligation initiale qu'énonce l'arrêt R. c. Stinchcombe, précité, et que précise l'arrêt R. c. Egger, précité. D'une manière générale, si la question ne peut se régler sans recourir à une preuve de vive voix, il faut donner au ministère public l'occasion de présenter des preuves pertinentes. Dans les cas où il s'agit de renseignements confidentiels, il peut convenir que le juge du procès ordonne le huis clos, ou bien qu'il inspecte lui‑même les renseignements en question en procédant notamment de la façon prévue au par. 37(2) de la Loi sur la preuve au Canada. Pour ce qui est des affaires d'écoute électronique, la marche à suivre pour protéger les renseignements confidentiels est exposée dans l'arrêt R. c. Garofoli, 1990 CanLII 52 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1421, à la p. 1460.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire