dimanche 4 mars 2018

Comment apprécier la demande d’échantillon d’haleine au moyen de l’ADA devant être fournie « immédiatement » et l'exercice du droit à l'avocat

R. c. Duval, 2016 QCCQ 4881 (CanLII)

Lien vers la décision

[38]   L’article 254(2)b) du Code criminel prévoit que la demande d’échantillon d’haleine au moyen de l’ADA doit être fournie « immédiatement ».
[39]   À ce sujet, l’honorable Sophie Bourque dans Gaétani mentionne :
36.       L'exigence d'immédiateté est bicéphale : elle s'adresse tant à l'agent de la paix qui doit formuler un ordre de fournir un échantillon d'haleine immédiatement lorsqu'il acquiert des soupçons quant à la présence d'alcool dans l'organisme du conducteur, qu'au conducteur qui doit immédiatement obtempérer à cet ordre, obligation qui justifie qu'il ne puisse communiquer avec un avocat avant de s'exécuter.( Voir Bernshaw).
37.       Lorsque l'exigence d'immédiateté imposée à l'un et l'autre s'exécute de façon simultanée, le respect de l'art. 254(2)b) C.cr. ne pose aucun problème. C'est le cas lorsque l'agent de la paix a en sa possession un ADA fonctionnel dans son véhicule patrouille.
(…)
39.       Si l'exigence d'immédiateté n'est pas respectée par l'agent de la paix, alors la prise d'un échantillon d'haleine constitue une fouille abusive contraire à l'article 8 de la Charte et il peut s'en suivre une exclusion du résultat du test de détection et possiblement du test d'alcoolémie.
(…)
41.       Par contre, lorsque l'agent de la paix n'est pas en possession d'un ADA, provoquant ainsi un délai d'attente pour l'arrivée de l'appareil, la situation est différente. Cette difficulté opérationnelle peut devenir une difficulté constitutionnelle, lorsque l'attente de l'ADA rendant impossible la simultanéité des obligations de l'un et de l'autre crée potentiellement une occasion réaliste pour le conducteur détenu de consulter un avocat durant cette attente. Si une telle occasion existe et que l'agent de la paix n'informe pas le conducteur de son droit de consulter un avocat et ne lui facilite pas une telle communication, alors l'ordre donné ne respecte pas le caractère d'immédiateté et il pourrait avoir une violation des articles 8 et 10b) de la Charte et une exclusion possible de la preuve recueillie (Voir R c. Côté 1992 CanLII 2778 (ON CA)[1992] O.J. No.7 (C.A.Ont.) et Woods et R . v. George 2004 CanLII 6210 (ON CA)2004 CanLII 6210).
(Nos soulignements)
[40]   Cette position de la juge Bourque est également celle adoptée par son collègue le juge Brunton dans Cling. Le juge Chapdelaine dans Salvail démontre qu’il s’agit de l’état de la jurisprudence depuis plusieurs années, en reprenant les propos du juge Fish dans Woods:
25.       Dans l'arrêt Woods, le juge Fish précise que :
-  l'exigence d'immédiateté prévue au paragraphe 254(2) du Code criminel est inextricablement liée à l'intégrité constitutionnelle de cette disposition. Elle justifie les fouilles, perquisitions et saisies abusives, la détention arbitraire et l'atteinte au droit à l'assistance d'un avocat, malgré les articles 89 et 10 de la Charte (par. 29);
-  il y a exigence d'immédiateté implicite relative à l'ordre du policier de fournir un échantillon d'haleine et exigence d'immédiateté explicite en ce qui a trait à l'obéissance à l'ordre susmentionné (par. 14).
[41]   L’arrêt Quansah établit les principes applicables qui ont été traduits ainsi par le juge Marco LaBrie dans Lauzier :
108.    La Cour d'appel de l'Ontario, dans R. c. Quansah, après avoir passé en revue la jurisprudence, et après avoir réitéré les raisonnements des arrêts ThomsenGrantCôtéBernshawGeorgeWoods, résumait sommairement en cinq paragraphes l'état du droit sur la question de l'exigence d'immédiateté de l'article 254(2) Code criminel. La Cour résumait l'état du droit comme suit :
"En somme, je conclus que l'exigence d'immédiateté de l'article 254(2) nécessite que les tribunaux prennent en considération les cinq éléments suivants :
Premièrement, l'analyse de l'exigence d'immédiateté doit toujours tenir compte du contexte. Les tribunaux doivent garder à l'esprit l'intention du Parlement d'établir un équilibre entre l'intérêt public à éliminer la conduite avec facultés affaiblies et la nécessité de protéger les droits individuels garantis par la Charte.
Deuxièmement, l'agent(e) doit formuler un ordre promptement, dès qu'il ou elle soupçonne raisonnablement la présence d'alcool dans l'organisme de la personne qui a conduit. Par conséquent, l'exigence d'immédiateté débute dès l'existence des soupçons raisonnables.
Troisièmement, le terme "immédiatement" implique un ordre prompt et l'obtempération immédiate, quoique, dans certaines circonstances inhabituelles, une interprétation plus souple puisse être adoptée. En fin de compte, le délai écoulé entre la formation de soupçons raisonnables, la formulation de l'ordre et la réponse de la personne détenue d'obtempérer ou non, ne doit pas être plus long que ce qui est raisonnablement nécessaire pour permettre à l'agent de s'acquitter de son devoir en conformité avec l'article 254(2) du Code criminel.
Quatrièmement, l'exigence d'immédiateté doit tenir compte de l'ensemble de toutes les circonstances. Celles-ci peuvent comprendre un délai raisonnablement nécessaire lorsque les tests d'haleine ne peuvent être effectués sur-le-champ en raison de la non-disponibilité immédiate d'un ADA, ou lorsqu'un court délai est nécessaire pour s'assurer de la fiabilité du résultat obtenu lors d'un test de dépistage immédiat par un ADA, ou lorsqu'un court délai est nécessaire en raison de préoccupations (légitimes de sécurité clairement exprimées) de sécurité légitimes et clairement exprimées. Il ne s'agit-là que d'exemples de délais qui n'excèdent pas ce qui est raisonnablement nécessaire pour permettre à l'agent(e) de s'acquitter de son devoir. Tout délai qui n'est pas ainsi justifié ne respecte pas l'exigence d'immédiateté.
Cinquièmement, une des circonstances dont il faut tenir compte est celle de savoir, si le policier pouvait, de façon réaliste, respecter l'obligation de mettre en application les droits du détenu prévus à l'alinéa 10b) de la Charte avant d'exiger l'échantillon. Si oui, l'exigence d'immédiateté n'est pas respectée." [traduction]
(Références omises)
[42]   Conformément aux principes constitutionnels établis par la Cour suprême dans l’arrêt Suberu, lorsque la détention est nécessaire, celle-ci doit être de la plus courte durée possible.
[43]   À défaut, les autres droits constitutionnels de l’accusé en seront affectés, dont celui d’être informé sans délai de son droit à consulter un avocat.
[44]   Le droit à l’avocat prévu à l’alinéa 10b) de la Charte comprend deux principaux volets dont le premier est d’en être promptement informé. Dans Bartle, le juge Lamer mentionnait :
Il est maintenant bien établi que l'al. 10b) exige que la personne mise en état d'arrestation ou en détention (la "personne détenue") soit promptement informée de son droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat.
[45]   Il est également important de rappeler l’objet de ce droit fondamental :
 L'objet du droit à l'assistance d'un avocat que garantit l'al. 10b) de la Charte est de donner à la personne détenue la possibilité d'être informée des droits et des obligations que la loi lui reconnaît et, ce qui est plus important, d'obtenir des conseils sur la façon d'exercer ces droits et de remplir ces obligations: R. c. Manninen, 1987 CanLII 67 (CSC)[1987] 1 R.C.S. 1233, aux pp. 1242 et 1243. Cette possibilité lui est donnée, parce que, étant détenue par les représentants de l'État, elle est désavantagée par rapport à l'État. Non seulement elle a été privée de sa liberté, mais encore elle risque de s'incriminer. Par conséquent, la personne "détenue" au sens de l'art. 10 de la Charte a immédiatement besoin de conseils juridiques, afin de protéger son droit de ne pas s'incriminer et d'obtenir une aide pour recouvrer sa liberté: Brydges, à la p. 206; R. c. Hebert, 1990 CanLII 118 (CSC)[1990] 2 R.C.S. 151, aux pp. 176 et 177; et Prosper. L'alinéa 10b) habilite la personne détenue à recourir de plein droit à l'assistance d'un avocat "sans délai" et sur demande. Comme l'a dit notre Cour dans l'arrêt Clarkson c. La Reine, 1986 CanLII 61 (CSC)[1986] 1 R.C.S. 383, à la p. 394, le droit à l'assistance d'un avocat prévu à l'al. 10b) vise à assurer le traitement équitable dans le processus pénal des personnes arrêtées ou détenues.

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