dimanche 4 mars 2018

Détermination de la peine en matière de trafic de cocaïne et de crack

R. c. Moreira, 2011 QCCA 1828 (CanLII)

Lien vers la décision

[18]           L'auteur Clayton C. Ruby présente une revue de la jurisprudence concernant les peines attribuées à travers le Canada pour les infractions en matière de stupéfiants. On constate que ces peines varient énormément en fonction de la nature de la drogue en question. Par exemple, en matière d'héroïne, « [i]t is not uncommon for trafficking sentences to begin at the one – to two – year mark where the offender is not an addict and had no prior record ». En comparaison, il explique que les infractions reliées à la cocaïne étaient généralement considérées comme étant moins graves, mais que cela change, entre autres, en raison du crack, un dérivé de la cocaïne :
Cocaine was once regarded by courts as a drug that is somewhat more serious than marijuana but less serious than heroin. However, due to the existence of crack cocaine and intravenous cocaine users, this attitude appears to be changing. More recent sentences for cocaine seem on par with those imposed for heroin possession or trafficking.
[Soulignage ajouté]
[19]           Le dérivé de la cocaïne que l'on appelle crack ou cocaïne-base serait d'une grande dangerosité et les infractions qui y sont liées entraîneraient des peines importantes. Ainsi, « [o]ffenders caught trafficking even minor amounts may be exposed to incarceration despite mitigating factors ».
[20]           Cette Cour a déjà traité des nombreux risques associés au trafic du crack. Dans l'arrêt R. c. Dorvilus, le juge Baudouin, s'exprimant au nom d'une cour majoritaire, décrivait ainsi les dangers reliés à cette drogue :
Le crack crée chez l'usager une sensation intense et très rapide, mais de courte durée, et une dépendance forte et pratiquement immédiate. C'est une drogue dont l'usage se propage à grande vitesse à l'heure actuelle surtout chez les enfants et chez les jeunes, parce qu'elle est bon marché par rapport à la cocaïne en poudre ou à l'héroïne. Une "roche" de crack se vend en effet entre 10 $ et 15 $ alors que 25 $ à 40 $ sont nécessaires à l'achat d'un quart de gramme de cocaïne en poudre.  On note aussi qu'elle provoque chez l'usager en manque, de l'agressivité et des tendances à la paranoïa.
[21]           Il concluait également à la nécessité pour les tribunaux d'adopter une attitude sévère à l'égard des trafiquants de crack :
[…] les tribunaux ont le devoir de se montrer sévères et non complaisants en matière de trafic de crack, eu égard surtout au fait que la substance crée une grande dépendance et une dépendance quasi-immédiate, qu'elle est une drogue bon marché à la portée donc de la bourse des enfants et des adolescents.
[22]           Il effectue par la suite une revue de la jurisprudence afin de présenter l'éventail des peines attribuées en matière de trafic de crack. Outre une affaire où l'accusé avait été détenu de manière préventive dans des conditions difficiles, toutes les peines mentionnées variaient entre 6 et 54 mois d'emprisonnement. En conséquence, le juge Baudouin décida de confirmer la peine d'emprisonnement de deux ans moins un jour qui avait été attribuée par le juge de première instance.
[23]           Ainsi, tel que l'intimé l'admet dans son mémoire, la peine de 90 jours d'emprisonnement à purger de manière discontinue imposée par le premier juge se situe clairement à l'extérieur de la fourchette établie par la jurisprudence pour le type d'infraction que l'intimé a commise. Il faut donc évaluer si l'application des principes de détermination de la peine justifiait en l'espèce de s'écarter de cette fourchette.
[24]           L'arrêt majoritaire de cette Cour dans R. c. Lafrance constitue un bel exemple de la possibilité pour un juge de « prononcer une sanction qui déroge de la fourchette établie » à laquelle le juge LeBel faisait référence dans l'arrêt Nasogaluak.
[25]           L'arrêt Lafrance portait justement sur l'appel d'une peine discontinue de 90 jours d'emprisonnement infligée à un accusé ayant plaidé coupable aux infractions de trafic et de possession de cocaïne en vue d'en faire le trafic. L'accusé en était également à sa première infraction et il avait lui aussi commis cette infraction grave dans un esprit de lucre.
[26]           Alors que le juge en chef Bisson, dissident, proposait d'intervenir afin de remplacer la peine retenue par le premier juge par une peine de 9 mois d'emprisonnement, le juge LeBel, alors à la Cour d'appel, et la juge Otis concluaient plutôt au rejet de l'appel.
[27]           Dans ses motifs, le juge LeBel s'attardait à rejeter la théorie du starting point retenue dans d'autres provinces et selon laquelle la jurisprudence aurait défini des minimums absolus concernant la peine attribuable à certaines infractions. Il reconnaît que les tribunaux ont imposé des peines sévères en matière de stupéfiant, mais il considère que le juge a le pouvoir de s'en écarter si les facteurs individuels de l'accusé, par exemple ses possibilités de réadaptation, le justifient :
Clémente, la sentence du premier juge ne paraît pas illégale. Elle repose sur un pari raisonné et justifié par la preuve disponible voulant que Lafrance soit sorti de sa période criminelle. Pour le juge Poirier, il ne pose plus un risque pour la société, dans l'avenir. Il refait sa vie.
[28]           L'importance de l'objectif de réinsertion sociale des délinquants dans cette affaire apparaît encore plus clairement des motifs de la juge Otis. Elle écrit :
Une fois reconnues les dévastations sociales engendrées par les stupéfiants et les drogues et l'adéquation trop fréquente entre l'usage de ces substances et la commission des infractions contre la personne et les droits de propriété, il coule de source que le message de dissuasion et de neutralisation, en regard de ces crimes, doit être porté haut et fort.
Mais il arrive que le juge, à qui incombe le devoir de déterminer la peine, nourisse la conviction sincère que la fonction utilitaire de la sentence, soit la prévention par la dissuasion, ait plus de chances d'atteindre son accomplissement par la mise en oeuvre de la fonction individuelle de la sentence, soit la réhabilitation.
[Soulignage ajouté]
Et plus loin :
Si, dans les infractions reliées au trafic et à la possession pour fins de trafic des stupéfiants, le critère de la dissuasion générale constitue une considération de première importance, il n'en reste pas moins que le critère de la réadaptation, lorsqu'il fait l'objet d'une démonstration particulièrement convainquante, pourra devenir prééminent lors de la détermination de la peine.
[Soulignage ajouté]
[29]           Dans Lafrance, une telle démonstration avait été faite. L'agent de probation avait préparé une évaluation positive de l'accusé en le décrivant comme « une personne autonome et pourvu d'une bonne maturité » et le juge de première instance avait déclaré « [croire] à la réhabilitation possible de l'accusé ».
[30]           Appliquant ce raisonnement aux faits de l'espèce, il est évident qu'une telle démonstration convaincante n'a pas été effectuée. Bien au contraire, le rapport de l'agente de probation, loin d'être favorable à l'intimé, conclut à son immaturité et à son potentiel de récidive. En théorie, il aurait été possible pour le juge de rejeter les conclusions du rapport présentenciel. Or, il a plutôt décidé d'en reprendre de longs passages dans le libellé de son jugement. En particulier, il conclut lui aussi à l'immaturité de l'intimé et il retient même cet élément comme une circonstance aggravante. Il est vrai qu'il ne fait aucun commentaire sur les conclusions de l'agente de probation concernant le potentiel de récidive de l'intimé, mais il ne les rejette pas non plus. De toute façon, en pratique, aucun autre élément de preuve n’aurait pu justifier une telle conclusion.
[31]           Dans ce contexte, le résultat de l'affaire Lafrance n'est pas applicable en l'espèce. Le premier juge n'était pas justifié de s'écarter de la fourchette des peines applicables aux infractions de trafic de stupéfiant et notamment de trafic de crack.
[32]           Une question délicate est toutefois celle de déterminer la sentence qui conviendrait. Tel que mentionné ci-dessus, le juge a lui-même établi la liste des circonstances atténuantes et des circonstances aggravantes applicables en l'espèce. On pourrait même y ajouter, suivant le sous‑paragraphe a)(iv) de l'article 718.2 C.cr., le fait que selon le rapport présentenciel les infractions perpétrées « ont nécessité une association avec un milieu criminalisé et organisé ». Manifestement, il semble y avoir beaucoup plus de facteurs aggravants que de facteurs atténuants.
[33]           Dans ce contexte, une peine de 24 mois d'incarcération ferme est appropriée. Il s'agit en effet d'une peine qui se situe à l'intérieur de la fourchette des peines applicables aux trafiquants de crack, qui, rappelons-le, reçoivent généralement des peines plus sévères que les trafiquants de cocaïne. La peine imposée par cet arrêt doit néanmoins tenir compte des 25 fins de semaines ou 50 jours que l'intimé a purgé en application de la peine infligée par le premier juge.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire

Le processus que doit suivre un juge lors de la détermination de la peine face à un accusé non citoyen canadien

R. c. Kabasele, 2023 ONCA 252 Lien vers la décision [ 31 ]        En raison des arts. 36 et 64 de la  Loi sur l’immigration et la protection...