R. c. Quan, 2016 QCCQ 170 (CanLII) |
Lien vers la décision
[39] Il y a lieu dans un premier temps de rappeler la norme d’intervention lorsqu’on demande à un tribunal d’examiner le comportement de la poursuite dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire.
[40] À cet effet, récemment, dans l’arrêt Anderson, la Cour suprême du Canada vient justement de préciser ce qu’englobe le pouvoir discrétionnaire de la poursuite et les circonstances pouvant en justifier l’examen et le contrôle.
[41] Parlant pour la Cour, le juge Moldaver mentionne spécifiquement que le pouvoir de procéder par voie de mise en accusation directe fait partie de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la poursuite (para. 44).
[42] Il rappelle cependant que l’exercice de ce pouvoir ne permet pas au poursuivant de se libérer de ses obligations constitutionnelles (para. 45).
[43] Bien que ce pouvoir ne soit pas à l’abri de toute surveillance, le juge Moldaver rappelle que les tribunaux doivent faire preuve de grande déférence envers l’exercice de celui-ci et s’abstenir de le remettre en cause systématiquement. Cette déférence permet le respect du principe du partage des pouvoirs de notre système démocratique et garantit l’efficacité du système de justice criminelle et pénale, ce pouvoir se prêtant particulièrement mal à l’exercice du contrôle judiciaire (para. 46).
[44] Pour ces raisons, le pouvoir discrétionnaire de la poursuite ne doit faire l’objet d’une intervention judiciaire que dans les seuls cas où il y a abus, c'est-à-dire lorsqu’il est démontré que la conduite du poursuivant est inacceptable et compromet sérieusement l’équité ou l’intégrité du système de justice (para. 50 et 51). Le fardeau de faire la preuve d’un tel comportement par prépondérance, reposant sur les épaules du requérant (para. 52).
[45] Qu’en est-il en l’espèce?
[46] La défense a bien précisé qu’elle ne reproche aucune mauvaise foi ou malhonnêteté au poursuivant, plaidant plutôt que le motif invoqué par la poursuite pour justifier le dépôt d’un acte d’accusation direct n’étant pas l’un des motifs énoncés dans la ligne directrice du SPPC, elle a donc été illégitimement privée de l’enquête préliminaire, ce qui amène une violation de ses droits justifiant la réparation demandée.
[47] Le Tribunal n’est pas de cet avis. La ligne directrice du SPPC mentionne dans la section Énoncé de principe qu’il pourra y avoir dépôt d’un acte d’accusation direct que dans des circonstances impliquant des violations graves de la loi et lorsqu’il est dans l’intérêt public de procéder ainsi.
[48] Elle énonce, entre autres circonstances, qu’il est dans l’intérêt public de déposer un acte d’accusation direct lorsque le droit de l’accusé d’être jugé dans un délai raisonnable pourrait être compromis ou lorsqu’il est nécessaire d’accélérer les procédures afin de maintenir la confiance du public dans l’administration de la justice.
[49] À première vue, les circonstances du présent dossier en mai 2013 pouvaient permettre à la poursuivante de considérer qu’il était dans l’intérêt public de procéder par acte d’accusation direct. Les procédures avaient commencé deux ans auparavant, la question des honoraires retardait toujours le dossier, les délais s’étiraient.
[50] Il n’y a donc pas lieu, en l’absence de preuve prépondérante d’abus, de pousser plus loin l’examen de l’exercice de la discrétion de la poursuivante.
[51] Lors de ses représentations, la défense a mis beaucoup d’emphase sur l’utilité de l’enquête préliminaire, ce qui n’est pas contesté en l’instance.
[52] Elle a abondamment plaidé la décision de Guimond de la Cour supérieure par laquelle l’acte d’accusation direct avait été cassé. Cependant, cette décision fut renversée en appel, justement parce que la preuve d’abus de la part de la poursuivante n’avait pas été faite.
[53] Accepter la proposition de la défense, que même en l’absence d’abus, de mauvaise foi ou de malhonnêteté, lorsqu’un acte d’accusation direct ne respecte pas les lignes directrices il doit être cassé car privant alors de façon illégitime la défense de l’enquête préliminaire, serait aller à l’encontre des enseignements de la Cour suprême dans Anderson.
[54] Dans un premier temps, il faut se rappeler qu’en soi, l’utilisation d’un acte d’accusation direct ne contrevient pas à l’article 7 de la Charte (R. c. Ertel (1987) 1987 CanLII 183 (ON CA), 35 C.C.C.(3d) 398 (OCA)) et que le droit à la tenue d’une enquête préliminaire n’est pas un principe de justice fondamentale (R. c. Arviv (1985) 1985 CanLII 161 (ON CA), 19 C.C.C.(3d) 395 (OCA)). Simplement plaider qu’une enquête préliminaire aurait été utile n’est pas un argument suffisant.
[55] Au surplus, en l’instance, la démonstration de l’atteinte aux droits constitutionnels des accusés est insuffisante.
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