lundi 16 avril 2018

La véritable question est de savoir si ces motifs sont objectivement vérifiables et subjectivement probants pour que l’agent de la paix ait les motifs raisonnables de soupçonner la présence d’alcool chez les personnes interpellées

Khosla c. R., 2016 QCCS 3748 (CanLII)

Lien vers la décision

[26]        L’appelant, tout comme en première instance, plaide que les motifs pour ordonner qu’il fournisse l’échantillon d’haleine aux fins d’analyse à l’aide d’un appareil de détection approuvé étaient insuffisants. Il ajoute même qu’il s’agit tout au plus des soupçons généraux tributaires de l’heure où il a été interpellé. Il va plus loin en ajoutant :
[64] Conclure autrement dans le présent dossier reviendrait à permettre aux policiers d’ordonner à tout conducteur ou à tout individu potentiellement en situation de garde et contrôle de son véhicule qui dénote des symptômes de fatigue tout à fait normaux aux petites heures du matin d’être détenu de façon prolongée sur le bord de la route et d’être contraint de s’auto-incriminer en fournissant un échantillon d’haleine dans un appareil de détection approuvé.
Reprenant ainsi ce qu’il avait affirmé en première instance :
« Il n’y a aucun juge au Canada – je vous le dis de même parce que j’en ai lu beaucoup et je suis convaincu qu’il n’y a aucun juge au Canada qui a déjà, dans le fond, accepté que ce genre de symptômes là, aussi minimes que ce soit, soient entérinés et qu’on passe à autre chose ou qu’il n’y a pas de violation – c’est clair qu’il y a une violation de la Charte selon moi. »
[27]        Les motifs qui ont amené la policière Dicaire à ordonner que l’appelant fournisse l’échantillon d’haleine à l’aide de l’appareil autorisé sont résumés dans son témoignage du 11 février 2014 à la page 12, lorsqu’elle témoigne :
R.            Non, c’est ça. On essayait de lui poser des questions puis il essayait de ne pas vraiment répondre à nos questions. Et on n’a pas perçu d’odeur d’alcool, sauf qu’il y a des sortes d’alcool qu’on ne ressent pas comme la vodka. Alors, avec le fait que l’élocution était lente, son regard, il avait les yeux rouges puis que les paupières étaient lourdes, on s’entend que ça fait quand même douze (12) ans que je suis policière, donc, c’est des éléments pour moi qui peuvent faire croire que la personne est en état ….. qu’il a consommé de l’alcool. Alors, on a dit bien, vu qui… on n’est pas…. t’sais, on n’a pas tous les motifs, on va lui faire passer de l’ADA.
[28]        Le Tribunal convient qu’il ne s’agit pas là de motifs pour conclure à une intoxication extrême. Mais telle n’est pas la question à laquelle il faut répondre. La véritable question est de savoir si ces motifs sont objectivement vérifiables et subjectivement probants pour que l’agent de la paix ait les motifs raisonnables de soupçonner la présence d’alcool chez les personnes interpellées.
[29]        Ce premier moyen de détection a été reconnu par la Cour suprême dans R. c. Bernshaw , lorsque le juge Cory mentionne :
                        Pour remédier à ce problème, le législateur a adopté un régime législatif en deux étapes, respectivement les par. 254(2) et (3) du Code criminel, comme moyen de vérifier si les facultés des conducteurs sont affaiblies. En termes fort simplifiés, on peut dire que la première étape offre un moyen de découvrir les conducteurs dont les facultés sont affaiblies. C'est un examen préliminaire visant à déterminer si un conducteur peut constituer un danger pour le public à cause de l'alcool qu'il a consommé. À la seconde étape, il s'agit de déterminer précisément l'alcoolémie du conducteur. C'est seulement à cette seconde étape que l'on examinera si l'alcoolémie est supérieure à la limite établie, auquel cas la personne a commis une infraction criminelle.
21 Les appareils de détection ALERT sont simplement des instruments approuvés par le législateur qui sont utilisés au cours de la première étape. Ces appareils offrent un moyen de détection rapide. Les conducteurs qui le subissent sont ensuite classés en deux groupes: ceux qui ont de l'alcool dans leur organisme et ceux qui n'en ont pas ou qui en ont peu. Dans ce régime législatif, le législateur a reconnu la nécessité d'établir un équilibre entre les préoccupations opposées que sont la précision du test et l'absence d'inconvénient  pour l'ensemble du grand public visé. Le test ALERT utilisé comme instrument d'enquête cause manifestement beaucoup moins d'inconvénients à un conducteur que l'alcootest. Le conducteur qui échoue au test ALERT n'encourt pas de responsabilité criminelle mais peut se voir contraint de subir le test plus exact prévu au par. 254(3) du Code criminel.
22 C'est l'alcootest qui permet d'établir la responsabilité criminelle. Comme on pouvait s'y attendre, des procédures détaillées, exposées à l'art. 258, régissent l'administration de ce test. Cette disposition prévoit que les échantillons d'haleine  doivent être prélevés dès qu'il est matériellement possible de le faire après la perpétration de l'infraction. Le premier échantillon doit être prélevé dans les deux heures de la perpétration de l'infraction. Un intervalle d'au moins 15 minutes doit s'écouler avant le deuxième test et chacun des autres par la suite. Cette procédure permettra à la police de suivre et d'observer l'accusé et de s'assurer de l'exactitude du résultat.
[30]        D’autre part, dans R. c. Mackenzie on indique la façon dont doivent être analysés, par le juge d’instance, les motifs sur lesquels se fonde l’agent de la paix pour se former des soupçons raisonnables :
Les soupçons raisonnables doivent être examinés à la lumière de l'ensemble des circonstances. Les caractéristiques qui s'appliquent globalement aux personnes innocentes et les comportements susceptibles d'éveiller les soupçons sous un angle ou sous l'autre -  par exemple, le fait que le suspect ait regardé ou non le policier - ne permettent pas de conclure, à eux seuls, à l'existence de soupçons raisonnables, même s'ils peuvent revêtir une certaine valeur lorsqu'ils s'inscrivent dans un ensemble de facteurs.
[72]      Il n'y a pas lieu d'écarter les facteurs disculpatoires, communs, neutres ou équivoques lors de l'examen de l'ensemble. Néanmoins, on ne saurait dire qu'il n'est pas satisfait au critère des soupçons raisonnables si les facteurs y donnant naissance peuvent admettre une explication innocente. C'est une question de possibilités, non pas de probabilités. Les faits indiquent-ils objectivement la possibilité d'un comportement criminel compte tenu de l'ensemble des circonstances? Dans l'affirmative, il est satisfait à l'élément objectif du critère. Dans la négative, l'analyse prend fin.
[73]      L'examen de la question de savoir si un ensemble particulier de faits donne lieu à des soupçons raisonnables ne saurait se muer en un exercice scientifique ou métaphysique. Le bon sens, la flexibilité et l'expérience pratique quotidienne sont les mots d'ordre qui doivent guider cette analyse qui s'effectue du point de vue d'une personne raisonnable munie des connaissances, de la formation et de l'expérience de l'enquêteur.
[74]      Incidemment, il existe plusieurs façons de décrire une même notion. Les soupçons raisonnables signifient des « motifs raisonnables de soupçonner » par opposition aux « motifs raisonnables de croire » (Kang-Brown, par. 21 et 25, le juge Binnie, et par. 164, la juge Deschamps). Dans le contexte des soupçons raisonnables, par « motifs raisonnables » on entend des motifs raisonnables de croire qu'une personne pourrait être impliquée dans une infraction donnée, et non qu'elle l'est. Comme le fait observer la juge Karakatsanis dans Chehil, en définitive, même si les deux notions doivent se fonder sur des faits objectifs qui résistent à un examen indépendant, « les premiers constituent une norme moins rigoureuse, puisqu'ils évoquent la possibilité - plutôt que la probabilité -  raisonnable d’un crime.  

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