Lien vers la décision
[29] On pourrait discuter longuement si exiger un test de dépistage d’une personne qu’on soupçonne raisonnablement d’avoir de l’alcool dans son organisme constitue une conduite plus attentatoire de l’État que le fait de lui demander de souffler au visage d’un policier.
[30] Le Tribunal estime que ces deux méthodes sont acceptables lorsqu’un agent de la paix a des soupçons raisonnables de croire qu’une personne interceptée a de l’alcool dans son organisme.
[31] Tant la Cour d’appel du Québec que la Cour suprême ne semblent pas partager l’opinion du premier juge :
Quant aux effets de l’atteinte sur les droits de l’appelant, ceux-ci sont sans signification réelle dans la mesure où le test A.D.A. ne constitue pas une preuve permettant d’établir la culpabilité de l’appelant pour les infractions mentionnées au paragraphe a) et b) de l’article 253 (1) C. cr.
La procédure d’enquête en deux étapes prévue au par. 254(2) et (3) et le test ALERT lui-même se veulent à la fois utiles pour le policier et sans inconvénient pour les conducteurs.
[32] La question fondamentale à laquelle le Tribunal doit répondre est la suivante : les policiers ont-ils sommé l’intimé de se soumettre à un test de dépistage alors qu’ils s’appuyaient sur un ensemble de faits objectivement discernables, pour reprendre les termes exacts de la Cour suprême.
[33] Alors que la poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable que la personne à qui la demande est formulée a conduit ou eu la garde du véhicule, l’ordre donné, en vertu de l’art. 254 (2) C. cr., ne requiert pas de l’agent que ses soupçons portent sur d’autres éléments que celui de la présence d’alcool dans l’organisme.
[34] Pour qu’existent des soupçons raisonnables, il faut une constellation de faits, objectivement identifiables, amenant une personne à soupçonner l’existence d’un fait. C’est l’opinion du juge Doherty de la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. Simpson qui établit qu’il faut :
[…] un ensemble de faits objectivement discernables donnant à l’agent qui exerce la détention un motif raisonnable de soupçonner que la personne détenue est criminellement impliquée dans l’activité faisant l’objet de l’enquête.
[35] En 1997, dans l’affaire R. c. Pearce, la Cour d’appel de Terre-Neuve écrit à ce sujet :
The standard for articulable cause is clearly not as high as that of reasonable and probable grounds to believe an offence has been committed. It must, however, be more than a subjective hunch.
[Soulignement ajouté]
[36] L'absence d'une odeur d'alcool ne sera donc pas forcément déterminante. En effet, c'est l'ensemble des symptômes qui pourra constituer les soupçons raisonnables.
[37] Bien que les soupçons auxquels réfère le paragraphe 254 (2) du Code criminel ont trait à la présence d’alcool dans l’organisme de la personne qui conduit, et non pas à la commission d’une infraction prévue à l’article 253, même en l’absence d’une odeur d’alcool, l’effet combiné de symptômes de conduite avec les capacités affaiblies peut constituer des soupçons raisonnables permettant de sommer une personne détenue de se soumettre à un appareil de détection approuvé ou à des tests de coordination physique.
[38] Le juge Cory, dans Bernshaw précité écrit:
« […] En termes fort simplifiés, on peut dire que la première étape offre un moyen de découvrir les conducteurs dont les facultés sont affaiblies. C'est un examen préliminaire visant à déterminer si un conducteur peut constituer un danger pour le public à cause de l'alcool qu'il a consommé […]»
[39] Le juge Isabelle de la Cour supérieure écrit dans R. c. Lemieux :
[55] Il est donc bien reconnu par la jurisprudence que c'est l'ensemble de la preuve des faits objectivement identifiables qui doit être considéré par le juge de première instance pour conclure que l'agente de la paix avait des raisons de soupçonner la présence d'alcool dans l'organisme de la personne qui conduisait un véhicule à moteur. De plus, ces faits doivent avoir une corrélation avec la consommation d'alcool.
[Soulignement ajouté]
[40] Le standard de soupçons raisonnables est bien distingué par la Cour suprême dans l’arrêt Chehil précité :
Ainsi, bien que les motifs raisonnables de soupçonner, d’une part, et les motifs raisonnables et probables de croire, d’autre part, soient semblables en ce sens qu’ils doivent, dans les deux cas, être fondés sur des faits objectifs, les premiers constituent une norme moins rigoureuse, puisqu’ils évoquent la possibilité — plutôt que la probabilité — raisonnable d’un crime […].
Les soupçons raisonnables étant une affaire de possibilité, plutôt que de probabilité, il s’ensuit nécessairement que les policiers soupçonneront raisonnablement, dans certains cas, des personnes innocentes d’être des criminels. […]
Les soupçons raisonnables doivent être évalués à la lumière de toutes les circonstances. L’appréciation doit prendre en compte l’ensemble des faits objectivement discernables qui donneraient à l’enquêteur un motif raisonnable de soupçonner une personne d’être impliquée dans le type d’activité criminelle sur lequel porte l’enquête. L’appréciation doit s’appuyer sur des faits, être souple et relever du bon sens et de l’expérience pratique quotidienne (voir R. c. Bramley, 2009 SKCA 49 (CanLII), 324 Sask. R. 286, par. 60). Les soupçons raisonnables du policier ne sauraient être évalués isolément (voir Monney, par. 50.)
Un ensemble de facteurs ne suffira pas à justifier des soupçons raisonnables lorsqu’ils équivalent simplement à des soupçons « généraux », puisque la fouille [traduction] « viserait un tel nombre de personnes censément innocentes qu’elle se rapprocherait d’une mesure subjective administrée aléatoirement » (United States c. Gooding, 695 F.2d 78 (4th Cir. 1982), p. 83).
[Soulignement ajouté]
[41] Le Tribunal réfère au paragraphe 16 du présent jugement et il lui apparaît clair que la constellation de faits évoquée par le témoin va beaucoup plus loin qu’une simple intuition ou un simple pressentiment, en anglais, « hunch », comme le mentionne le juge Doherthy dans l’arrêt Simpson précité.
[42] Rappelons que dans Bernshaw, la Cour suprême affirme que l’article 254 (2) du C. cr. permet à un policier de faire subir un test de dépistage « lorsqu’il a simplement des raisons de soupçonner la présence d’alcool ».
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