dimanche 18 novembre 2018

Consentir un privilège ou un avantage à un témoin collaborateur de justice est acceptable

Boucher c. R., 2006 QCCA 668 (CanLII)

Lien vers la décision

[106]      Bien sûr, toute personne citée comme témoin doit déposer et dire la vérité.  Mais le délateur, qui a bien souvent participé aux activités criminelles qui sont reprochées à l’accusé, est dans une situation fort différente du témoin ordinaire.
[107]      En conséquence, on ne peut permettre qu'un délateur témoigne sans protection.  Comme cette protection ne peut être assurée par un privilège protégeant son identité, l’État doit recourir à d'autres mesures comme l'octroi d'une nouvelle identité, le relogement, etc.
[108]      Dans R. c. Thresh, [2003] J.Q. n° 11326 (C.A.), la Cour, sous la plume du juge Proulx, approuve le dépôt en preuve d’une telle entente afin, notamment, que le tribunal puisse veiller à la bonne administration de la justice dans le cadre d’un exercice qui doit être transparent :
[28] Appliquant ce principe au cas à l’étude, j’estime que c’est fondamentalement une question de transparence dans le traitement des témoins-délateurs qui légitime la preuve du contrat de délation en interrogatoire principal.  Il n’y a pas si longtemps, les conditions de l’entente entre l’État et le délateur étaient gardées secrètes, si bien que toutes les spéculations sur l’intérêt du témoin étaient possibles.  Pourtant, comme l’avait souligné le juge McIntyre dans l’arrêt Palmer c. La Reine 1979 CanLII 8 (CSC)[1980] 1 R.C.S. 759, p. 779, il est de la responsabilité des tribunaux de s’assurer qu’en accordant une protection à ce type de témoin, on ne fera rien qui puisse influencer les témoins à charge, nuire de quelque façon au procès ou entraîner un déni de justice.  Pour ma part, je crois qu’il serait assez paradoxal d’exiger du ministère public une totale transparence dans ses ententes avec les délateurs et de ne pas lui permettre de mettre cartes sur table si ce délateur témoigne.  Le contraire laisserait croire au juge des faits, si seule la défense pouvait y référer, que la transparence est à sens unique.
[29] Au Québec, il semble que le dépôt en preuve de ce contrat par le ministère public est une pratique courante.  L’article 9 de la directive TEM-3 du 9 octobre 1991 oblige même les substituts du Procureur général à le faire; l’article 2 de la même directive indique que le substitut ne peut recourir au témoignage d’un témoin repenti que s’il existe une entente écrite conclue entre ce témoin et le comité de contrôle.  […]
[31] Pour conclure sur ce premier volet de la discussion, j’estime que le dépôt en preuve du contrat de délation lors de l’interrogatoire principal ne visait qu’indirectement à rehausser la crédibilité du délateur Bastien et se justifiait par d’autres objectifs légaux : 1) faire la preuve de transparence à l’égard des ententes prises avec le témoin, 2) anticiper toute question en contre-interrogatoire de nature à mettre en doute cette transparence, 3) éviter de présenter au jury une image déformée du témoin.
[109]      L’entente en cause prévoit par ailleurs des obligations qui ne visent pas spécifiquement la protection de Gagné, singulièrement l’engagement du procureur général d’ordonner l'arrêt de la procédure concernant une accusation de meurtre et de  faire au tribunal certaines observations en faveur de Gagné.  Il ne s'agit pas d'obligations qui visent à assurer la protection du témoin; elles visent plutôt à assurer sa collaboration.
[110]      De tels engagements ne sont pas pour autant illégaux et de nature à ternir l'administration de la justice.  La protection de la société requiert que le ministère public fasse des choix pour le bien commun.  Les tribunaux doivent évidemment demeurer vigilants afin de détecter toute tentative par la poursuite d’influencer un témoignage.  (R. c. Palmer, précité)
[111]      Dans R. c. Heng, [1995] A.Q. n° 427 (C.A.), le juge Rothman écrit :
[29] It is clear that Turcotte received very favourable treatment for his cooperation with the police and for the evidence he was to give at appellant’s trial.  Tacitly at least, the police accepted his refusal to identify the 3 men who hired him.  And in the end, after giving his evidence at appellant’s trial, Turcotte himself received a suspended sentence.
[30] There is no doubt that, in certain cases, the Crown must rely on informers and co-conspirators to provide evidence implicating an accused person in the commission of a crime.  Sometimes this involves an agreement of favourable treatment for a witness; it may also involve arrangements for the protection of the witness and his or her family.  The courts must, however, be vigilant to assure that these arrangements do not influence the evidence of witnesses or undermine the integrity of the trial.
[112]      Consentir un privilège ou un avantage à un témoin est donc acceptable mais les tribunaux doivent veiller à ce que ces avantages ne constituent pas une incitation directe au parjure comme, notamment, la promesse d’une rémunération à la condition que le témoignage entraîne une condamnation.  (R. c. Xénos, [1991] A.Q. n° 2200, (C.A.))

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