R. c. Marakah, 2017 CSC 59
[49] Ma position ne mène pas non plus forcément à la conclusion selon laquelle les messages textes envoyés par des prédateurs sexuels à des enfants ou par des personnes violentes à leur conjoint ne seront pas admis en preuve. Trois scénarios peuvent se présenter.
[50] Dans le premier scénario, la victime, ses parents ou une autre source de renseignements signalent aux policiers l’existence de messages textes offensants ou menaçants sur un appareil. À supposer que l’art. 8 entre en jeu lorsque les policiers prennent connaissance de messages textes divulgués par un tiers (voir R. c. Orlandis‑Habsburgo, 2017 ONCA 649, par. 21-35 (CanLII)), les policiers peuvent éviter une atteinte s’ils obtiennent un mandat au préalable. Comme l’affirme la Cour dans Cole, « le conseil scolaire avait légalement le droit d’informer la police de sa découverte de documents illicites dans l’ordinateur portatif », ce qui « aurait sans aucun doute permis à la police d’obtenir un mandat pour fouiller l’ordinateur afin d’y trouver les documents illicites » (par. 73). De même, les victimes d’exploitation par Internet ont légalement le droit d’en informer les policiers, ce qui permet habituellement à ces derniers d’obtenir un mandat. Les policiers sauront qu’ils ne doivent pas lire les messages textes en question avant d’obtenir un mandat. Dans ce scénario, il n’y a aucune violation de l’art. 8 et les messages textes sont admis en preuve.
[51] Dans le deuxième scénario, les policiers prennent connaissance, pour quelque raison que ce soit, d’un message texte offensant ou menaçant sans avoir obtenu une autorisation judiciaire préalable. Suivant l’ensemble des circonstances, l’accusé peut avoir une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard du message texte et, partant, avoir qualité pour soutenir qu’il y a lieu de l’écarter. La qualité pour agir ne confère que la possibilité de faire valoir son point de vue. Cela ne veut pas dire pour autant que l’argument de l’accusé sera retenu ou que la recherche du message texte sera jugée contraire à l’art. 8. Bien qu’une fouille ou perquisition sans mandat soit présumée abusive au sens de l’art. 8, la Couronne peut établir, selon la prépondérance des probabilités, que la fouille était autorisée par la loi, que la loi elle‑même n’a rien d’abusif et que la fouille n’a pas été effectuée d’une manière abusive (voir R. c. Collins, 1987 CanLII 84 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 265, p. 278).
[52] Le troisième scénario se présente lorsqu’une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée à l’égard des messages textes et une violation de l’art. 8 sont établies dans le deuxième scénario. Cela n’emporte pas exclusion de la preuve. La Couronne peut soutenir que la preuve devrait être admise en application du par. 24(2).
[53] Mon collègue le juge Moldaver « entrevoi[t] » diverses autres « conséquences inquiétantes pour l’application de la loi et l’administration de la justice pénale » (par. 180). On laisse entendre que les contestations fondées sur l’art. 8 prolongeront le temps qu’il faut pour instruire des procès et qu’elles risquent de rompre l’« équilibre » entre l’intérêt de l’État à une application efficace de la loi et les attentes des particuliers en ce qui concerne le respect de leur vie privée (ibid.). Si de telles craintes se concrétisent, et quand elles se concrétiseront, il appartiendra aux tribunaux d’y répondre. Rien dans le dossier ne laisse croire que le système de justice ne peut s’adapter aux difficultés engendrées par la reconnaissance de la possibilité que certaines conversations par message texte fassent intervenir l’art. 8 de la Charte. On ne conteste pas non plus que, lorsqu’il s’agit d’examiner une conversation électronique, l’intérêt de l’État à une application efficace de la loi est supplanté par « les droits sociétaux à la protection de la dignité, de l’intégrité et de l’autonomie de la personne » (Plant, p. 293). Quel que soit l’intérêt des forces de l’ordre à jouir d’un accès illimité aux messages textes de particuliers, le respect de la vie privée à l’égard des conversations électroniques mérite une protection constitutionnelle. Cette protection ne doit pas être refusée à la légère.
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