R. c. Ghazi, 2020 QCCS 1108
[120] Pour qu’un plaidoyer de culpabilité soit éclairé, l’accusé « doit être au courant de la nature des allégations faites contre lui, ainsi que des effets et des conséquences de son plaidoyer »[58]. L’accusé doit plus spécifiquement avoir connaissance des conséquences pénales du plaidoyer « et de ses conséquences indirectes juridiquement pertinentes »[59].
[121] Dans l’arrêt Wong, la Cour suprême établit un cadre d’analyse en deux volets distincts pour l’annulation d’un plaidoyer non éclairé[60]. En vertu de celui-ci, l’accusé doit d’abord démontrer qu’il « a été mal informé au sujet de renseignements pouvant avoir des conséquences suffisamment graves »[61]. Il doit ensuite prouver que « ce manque de renseignement donne lieu à un préjudice »[62].
[122] En l’absence de préjudice, l’accusé ne pourra être autorisé à retirer son plaidoyer, et ce, même s’il est établi qu’il a été mal informé quant à une conséquence juridiquement pertinente[63]. Par ailleurs, une erreur de jugement quant aux conséquences de son plaidoyer n’est pas suffisante pour en justifier la révocation[64].
[123] La question qui consiste à déterminer si un accusé n’est pas informé — c’est-à-dire si les renseignements dont il n’était pas au courant font partie de ceux qu’il devait connaître pour inscrire un plaidoyer éclairé— doit être évaluée objectivement[65].
[124] Si l’accusé était représenté au moment où il a plaidé coupable, la cour pourra, sauf circonstances exceptionnelles — par exemple, une allégation de représentation ineffective de l’avocat —, présumer que son procureur a pris les mesures nécessaires pour s’assurer qu’il comprenait la nature et les conséquences de son plaidoyer de culpabilité[66].
[125] La question du préjudice doit quant à elle être évaluée subjectivement[67]. La décision de plaider coupable appartient à l’accusé personnellement et non à un accusé raisonnable ou à une personne s’apparentant à l’accusé[68]. Au bout du compte, c’est la décision de l’accusé de plaider coupable ou de subir un procès qui importe, et non la question de savoir si quelqu’un d’autre aurait jugé cette décision téméraire ou insensée[69].
[126] L’accusé qui souhaite retirer son plaidoyer de culpabilité au motif que celui-ci n’était pas éclairé est donc tenu de démontrer l’existence d’un préjudice subjectif. Pour se décharger de ce fardeau, il doit établir la possibilité raisonnable (1) qu’il aurait enregistré un plaidoyer différent ou (2) qu’il aurait plaidé coupable, mais à d’autres conditions[70].
[127] En ce qui concerne le premier type de préjudice, il se présentera des situations où l’accusé n’aura que peu ou pas de chances d’avoir gain de cause à son procès, et où le fait de « choisir de subir son procès [ne sera] pour lui qu’une tentative de dernier recours »[71]. Cependant, de faibles chances d’avoir gain de cause au procès ne signifient pas forcément que l’accusé n’est pas sincère lorsqu’il affirme qu’il aurait enregistré un plaidoyer différent[72].
[128] Quant au deuxième type de préjudice, le fait que l’accusé aurait plaidé coupable, mais à d’autres conditions, suffira à établir l’existence d’un préjudice si la cour conclut que l’accusé aurait insisté pour que son plaidoyer de culpabilité soit assorti de ces conditions et si celles-ci auraient dissipé la totalité ou une partie des effets négatifs de la conséquence juridiquement pertinente[73].
[129] Cependant, la possibilité qu’un plaidoyer soit assorti de conditions différentes n’est pas, en soi, automatiquement suffisante[74]. Un plaidoyer de culpabilité ne peut être retiré que si l’accusé affirme de façon crédible qu’à l’étape de la négociation menant au plaidoyer, il aurait insisté pour que celui-ci soit assorti d’autres conditions, en l’absence desquelles il n’aurait pas plaidé coupable[75]. Bref, l’accusé « doit formuler une façon d’agir clairement différente de celle qu’il a suivie […], et il doit convaincre la cour de l’existence d’une possibilité raisonnable qu’il aurait agi de cette façon »[76].
[130] L’accusé n’a cependant pas à prouver l’existence d’un moyen de défense valable[77]. Imposer à l’accusé le fardeau de démontrer « la voie menant à son acquittement » pour lui permettre de retirer son plaidoyer irait à l’encontre de la présomption d’innocence et de la nature intrinsèquement subjective de la décision de plaider coupable[78].
[131] Pour la même raison, le cadre d’analyse de l’assistance ineffective de l’avocat n’est pas pertinent pour statuer sur le préjudice[79]. Ce dernier cadre d’analyse « porte essentiellement sur la source de l’information erronée (ou incomplète) plutôt que sur l’information erronée elle-même »[80]. Or, la source d’une information erronée n’est pas pertinente « lorsque vient le temps d’examiner si cette information a donné lieu à un préjudice »[81]. Cela ne signifie cependant pas que la preuve que l’accusé a été privé de son droit à l’assistance effective d’un avocat ne sera jamais pertinente pour statuer sur une demande de retrait de plaidoyer de culpabilité. En effet, l’accusé peut faire la démonstration que son plaidoyer n’était pas informé en raison de l’assistance ineffective de son avocat[82].
[132] Le fait que l’analyse du préjudice soit subjective vis-à-vis de l’accusé n’empêche toutefois pas la cour d’apprécier objectivement la crédibilité de la prétention subjective avancée par celui-ci[83]. Le tribunal n’a en effet pas à accepter automatiquement la prétention de l’accusé[84].
[133] À l’instar de toute autre question relative à la crédibilité, la prétention de l’accusé quant à savoir quel aurait été son choix subjectif et pleinement informé s’apprécie en fonction de circonstances objectives[85]. Le tribunal doit donc analyser attentivement la prétention de l’accusé et considérer la preuve objective permettant de « mettre à l’épreuve la véracité de cette prétention au regard d’une norme de possibilité raisonnable »[86].
[134] Parmi les facteurs dont le tribunal peut tenir compte pour statuer sur cette question figurent « la solidité du dossier du ministère public, les concessions ou déclarations faites par le ministère public au sujet de son dossier (notamment s’il s’est montré disposé à présenter une recommandation conjointe ou à réduire l’accusation à celle d’une infraction moindre et incluse) et tout moyen de défense pertinent que l’accusé pourrait faire valoir »[87]. Par ailleurs, si l’accusé était représenté au moment où il a plaidé coupable, le tribunal pourra tenir compte de la version des faits de son procureur de l’époque pour évaluer sa crédibilité[88].
[135] Évidemment, l’examen de la prétention de l’accusé ne se fonde pas uniquement sur les circonstances objectives concomitantes au plaidoyer de culpabilité, puisque celles-ci pourraient ne pas témoigner des préférences propres à l’accusé[89]. Il s’ensuit que le tribunal doit également « mettre à l’épreuve la véracité des affirmations de l’accusé comme telles »[90]. Le tribunal pourrait conclure à juste titre que les « préférences exprimées par un accusé sont crédibles et qu’elles établissent une possibilité raisonnable de préjudice » en se fondant exclusivement sur l’affidavit (ou le témoignage) de l’accusé et « sur le fait que ce dernier ne s’est pas compromis lors de son contre-interrogatoire »[91].
Aucun commentaire:
Publier un commentaire