R. c. Bernier (1997-08-27), Cour d'appel, dossier 200‑10‑000189‑949
Quatre éléments peuvent être pertinents pour répondre à la question dans le contexte du jugement de première instance: (1) les différentes parties du corps touchées revêtent toutes un caractère sexuel indéniable; (2) les gestes reprochés à l'intimé n'ont pas été motivés par la recherche d'un plaisir ou d'une gratification sexuelle personnelle; (3) les gestes reprochés ne sont pas empreints d'hostilité ni de violence physique proprement dite; (4) les gestes ont été posés publiquement dans un contexte où l'intimé "riait, s'amusait, dérangeait et taquinait".
Les composantes n'en sont pas précisées. Dans l'affaire R. c. Chase, la Cour suprême tente toutefois de formuler une définition large du concept d'agression sexuelle. Elle le fait avec la réserve suivante:
Dans tous les arrêts mentionnés, on a reconnu qu'il était nécessaire d'adopter un point de vue plus large et qu'il était difficile de le formuler. Je serais d'accord pour dire qu'il serait difficile et probablement mal avisé de tenter de donner une définition précise et exhaustive de la nouvelle infraction d'agression sexuelle à ce stade-ci de son élaboration, mais il me semble nécessaire de tenter de régler certaines considérations qui peuvent aider les tribunaux à mettre au point en fonction de chaque cas particulier une définition pratique de l'infraction.
Après cette mise en garde, le juge McIntyre propose la définition suivante:
L'agression sexuelle est une agression, au sens de l'une ou l'autre des définitions de ce concept au par. 244(1) du Code criminel (maintenant 265(1) C.cr.), qui est commise dans des circonstances de nature sexuelle, de manière à porter atteinte à l'intégrité sexuelle de la victime. Le critère qui doit être appliqué pour déterminer si la conduite reprochée comporte la nature sexuelle requise est objectif: «Compte tenu de toutes les circonstances, une personne raisonnable peut-elle percevoir le contexte sexuel ou charnel de l'agression"»
Instruite de ces propos, j'estime que le jugement dont appel comporte, en ce qui a trait à la première question, deux erreurs de droit qui ont eu pour effet de dénaturer le crime d'agression sexuelle.
a) L'absence de caractère "hostile" de l'agression
Le premier juge indique que la preuve ne révèle pas le caractère hostile propre à une agression et qu'il ne peut, pour cette raison, conclure à la culpabilité de l'intimé. Les attouchements reprochés auraient été posés dans un contexte qui s'apparente beaucoup plus à une mauvaise plaisanterie qu'à la violence.
Une agression suppose-t-elle nécessairement le recours à la force physique ou à une forme quelconque d'hostilité physique? N'existe-t-il pas des situations où un agresseur n'a pas besoin d'utiliser sa force pour porter atteinte à l'intégrité physique ou sexuelle de sa victime?
Comme l'indique son appellation, l'agression sexuelle (sexual assault) exige d'abord et avant tout une agression (assault). Ce terme est défini au paragraphe 265(1) C.cr., tandis que le paragraphe 265(2) prévoit que cette définition s'applique à tous les types d'agressions sexuelles:
Le sous-paragraphe 265(1)a) stipule que l'emploi intentionnel de la force, directement ou indirectement, est nécessaire pour commettre une agression. Toutefois, le terme force souffre d'imprécision. Quel degré de force est requis pour constituer une agression? S'agit-il d'une force physique extrême ou négligeable?
À cet égard, la Common law a adopté une approche souple pour définir la force. Les auteurs Smith et Hogan adoptent la notion de "intentional touching... without consent and lawful excuse":
An assault is an act by which D, intentionally or recklessly, causes P to apprehend immediate and unlawful personal violence (...). But "violence" here includes any unlawful touching of another, however slight, for, as Blackstone wrote:
"the law cannot draw the line between different degrees of violence, and therefore prohibits the first and lowest stage of it; every man's person being sacred, and no other having a right to meddle with it, in any the slightest manner."
As Lane LCJ put it:
"An assault is any intentional touching of another person without the consent of that person and without lawful excuse. It need not necessarily be hostile, or rude, or aggressive, as some of the cases seem to indicate."
Selon cette définition, tout toucher intentionnel sans excuse légitime est donc une agression.
D'ailleurs dans un contexte d'agression sexuelle, l'agression qui revêt un caractère sexuel ne présente pas toujours le caractère hostile d'une agression au sens commun du terme. De fait, la composante agression de l'agression sexuelle provient plutôt de l'absence de consentement de la victime en regard du toucher:
In indecent assaults D's attitude to P will frequently not be "hostile" in the ordinary sense, but unduly affectionate! "Hostile", it is submitted, cannot mean more than against the will of P.
Dans l'affaire Boucher c. La Reine, notre Cour indique qu'elle rejette la proposition qui veut que l'agression sexuelle se limite aux situations où la victime avait été l'objet d'un acte de violence.
L'utilisation de la force n'est qu'un facteur parmi d'autres pour déterminer si la conduite reprochée comporte une connotation sexuelle. La Cour suprême a clairement indiqué sa position dans Chase:
La partie du corps qui est touchée, la nature du contact, la situation dans laquelle cela s'est produit, les paroles et les gestes qui ont accompagné l'acte, et toutes les autres circonstances entourant la conduite, y compris les menaces avec ou sans emploi de la force, constituent des éléments pertinents.
Finalement, dans l'affaire R. c. Pitt, la majorité de la Cour d'appel de l'Ontario a refusé d'ordonner un nouveau procès suite à la directive du premier juge concernant la notion de force dans un contexte d'agression sexuelle:
Force simply means physical contact. There can be force without any violence. In other words, this ingredient is proved if you are satisfied, beyond a reasonable doubt, that Roderick Pitt, the accused, touched C.B., the victim.
Plus tard, la Cour suprême confirmait la majorité.
Je conclus que le premier juge s'est mal dirigé en droit. La culpabilité de l'intimé ne dépendait pas d'une preuve susceptible d'établir le caractère hostile de l'agression. L'intimé a utilisé la force au sens des articles 271 et 265 du Code en se livrant volontairement à des attouchements à caractère sexuel sur des bénéficiaires sachant qu'ils n'y consentaient pas ou encore, qu'ils n'étaient vraisemblablement pas en mesure de consentir, élément sur lequel je reviendrai plus tard.
b) L'intention criminelle
À l'instar des anciennes infractions de viol et d'attentat à la pudeur, pour des raisons de politique sociale, afin d'éviter de faire échouer l'objet de la nouvelle disposition, la Cour suprême, dans Chase, s'est dite d'avis que le crime d'agression sexuelle ne requérait qu'une intention générale. Aussi, il est suffisant que l'accusé ait sciemment effectué un toucher à connotation sexuelle, sachant que la victime n'y consentait pas ou n'était pas en mesure de donner un consentement valide.
Le but recherché par l'agresseur n'est rien de plus qu'un facteur pertinent à considérer pour déterminer si la conduite reprochée comporte la nature sexuelle requise par le libellé de l'article 271 C.cr. Le juge McIntyre écrit, dans Chase:
L'intention ou le dessein de la personne qui commet l'acte, dans la mesure où cela peut ressortir des éléments de preuve, peut également être un facteur à considérer pour déterminer si la conduite est sexuelle. Si le mobile de l'accusé était de tirer un plaisir sexuel, dans la mesure où cela peut ressortir de la preuve, il peut s'agir d'un facteur à considérer pour déterminer si la conduite est sexuelle. Toutefois, il faut souligner que l'existence d'un tel mobile constitue simplement un des nombreux facteurs dont on doit tenir compte et dont l'importance variera selon les circonstances.
Comme la preuve de la recherche par l'agresseur d'une gratification sexuelle n'est pas un élément essentiel de l'infraction, exiger une preuve de motivation sexuelle aurait pour effet de transformer l'infraction d'agression sexuelle en une infraction d'intention spécifique. Que la motivation de l'agresseur se retrouve dans la recherche d'un plaisir sexuel, dans le désir d'infliger des souffrances à autrui, celui d'humilier ou de ridiculiser la victime, ne change rien au caractère criminel de sa conduite.
Or, en l'espèce, tous les éléments de l'infraction sont présents. Le juge de première instance a repoussé la défense d'accident. La preuve révèle que l'intimé s'est volontairement livré à des attouchements sur les organes sexuels des bénéficiaires dont il avait la charge. Il a touché aux seins de l'une et aux testicules des autres. La connotation sexuelle des gestes reprochés ne fait aucun doute. Compte tenu de toutes les circonstances, une personne raisonnable est en mesure de percevoir le contexte sexuel des attouchements. Saisi de la preuve de la commission de l'infraction, le juge ne dispose pas d'un pouvoir discrétionnaire qui lui permet d'acquitter l'appelant au motif que les gestes sont anodins ou ne sont posés que pour jouer. La plus ou moins grande gravité des gestes ne peut être prise en considération qu'à l'étape de la peine
lundi 31 août 2009
dimanche 30 août 2009
L'identification n'est rien d'autre qu'une opinion
R. c. Rodrigue, Cour du Québec , dossier numéro 760-01-017129-005 (2001-09-25)
[59] La Défense prétend que l'identification n'est qu'une question d'opinion et en tant que telle n'a aucune force probante. Elle cite l'auteur Jacques Fortin en pages 536 et 537 de son volume intitulé "La Preuve Pénale". Le Tribunal juge approprié de reproduire les propos du Juge Fortin.
"Identification en tant qu'opinion.
L'identification n'est rien d'autre qu'une opinion et en tant que telle n'a aucune force probante au-delà des faits sur lesquels le témoin la fonde. La Cour d'Appel de Colombie Britannique a bien exprimé cette idée dans l'arrêt BROWN & ANGUS. Si on rationalise l'assertion "c'est lui", on s'aperçoit qu'elle est une opinion et non une affirmation d'un fait. Tout ce qu'un témoin peut dire, c'est qu'en raison du souvenir qu'il a gardé d'une personne, au regard d'un fait quelconque, il pense que cette personne est bien celle-là. Un témoin reconnaît une personne à travers une certaine personnalité qu'elle a prise à ses yeux. Cette personnalité se reflète dans ses caractéristiques de la personne qui, une fois associée avec quelque chose dans l'esprit du témoin, amène ce dernier à s'en souvenir d'une manière particulière. À moins que le témoin puisse témoigner avec certitude des caractéristiques et du quelque chose qui a éveillé et éclairé sa mémoire, et l'a amené à reconnaître la personne, l'identification qui se borne à l'affirmation "c'est lui", ne peut en soi être davantage qu'une vague description générale et ne peut être considérée comme fiable dans toute une sphère d'activités où la certitude est indispensable."
[60] Le Tribunal est bien au fait qu'il doit être extrêmement prudent lorsque la preuve de la Poursuite se fonde sur l'identification de l'accusé par un tiers. Ainsi dans la cause de PROULX c. LA REINE, 1992, Rapports de Jurisprudence du Québec, page 2047, la Cour d'Appel rappelait que la mise en garde énoncée dans l'arrêt LA REINE c. TURNBULL, 1976, 3 ALLERS, 49, et le Tribunal se réfère à la page 2067 de l'affaire Proulx.
Les composantes essentielles de cette mise en garde comprennent d'abord une directive quant à la faiblesse inhérente à la preuve de l'identification, ensuite des éclaircissements sur la nécessité d'une telle mise en garde. Enfin, l'instruction spécifique au jury d'examiner soigneusement les conditions dans lesquelles l'identification a été faite. De plus, il ne suffit pas que le juge informe un jury de la nécessité de montrer la prudence en abordant cette preuve. Il faut encore que le juge établisse le lien entre cette nécessité et les faits de l'espèce, attirant l'attention du jury particulièrement sur toute entrave matérielle aux observations et aux souvenirs des témoins oculaires ainsi que sur toute procédure irrégulière d'identification susceptible de fausser le résultat. La valeur probante d'une preuve d'identification visuelle peut être partiellement ou totalement détruite par l'utilisation des moyens d'identification préjudiciables. L'emploi de tels moyens en l'espèce exige de la part du juge un avertissement approprié."
[61] Dans l'affaire dont le Tribunal est saisi, il apparaît clair que l'identification par parade photographique s'est effectuée d'une façon conforme aux règles de l'art. Il y a plus, non seulement deux (2) témoins, principales victimes aux chefs 3 et 4, ont-elles reconnu la physionomie de l'accusé mais bien plus, contrairement aux prétentions de la Défense, elles ont noté un signe distinctif, soit les profonds sillons partant du nez pour se rendre près des commissures des lèvres.
[62] Il s'agit d'une preuve directe doublée d'une preuve indirecte, soit l'existence d'empreintes digitales. À ce sujet, le même auteur Fortin, dans son volume intitulé "La Preuve Pénale", exposait ce qui suit en page 536:
"Il va sans dire que la Poursuite doit prouver que l'accusé est l'auteur de l'infraction qu'on lui reproche. Cette obligation se traduit complètement par la peuve de l'identité de l'accusé. Celle-ci peut être établie par une preuve indirecte de nature scientifique ou non. Par exemple, un relevé d'empreintes digitales sur les lieux du crime, appuyé par l'opinion d'un expert qu'il s'agit de celles de l'accusé, est une preuve indirecte de l'identité. Mais l'identité peut aussi faire l'objet d'une preuve directe comme c'est le cas lorsqu'on demande à un témoin s'il identifie l'accusé comme étant l'auteur du crime".
[59] La Défense prétend que l'identification n'est qu'une question d'opinion et en tant que telle n'a aucune force probante. Elle cite l'auteur Jacques Fortin en pages 536 et 537 de son volume intitulé "La Preuve Pénale". Le Tribunal juge approprié de reproduire les propos du Juge Fortin.
"Identification en tant qu'opinion.
L'identification n'est rien d'autre qu'une opinion et en tant que telle n'a aucune force probante au-delà des faits sur lesquels le témoin la fonde. La Cour d'Appel de Colombie Britannique a bien exprimé cette idée dans l'arrêt BROWN & ANGUS. Si on rationalise l'assertion "c'est lui", on s'aperçoit qu'elle est une opinion et non une affirmation d'un fait. Tout ce qu'un témoin peut dire, c'est qu'en raison du souvenir qu'il a gardé d'une personne, au regard d'un fait quelconque, il pense que cette personne est bien celle-là. Un témoin reconnaît une personne à travers une certaine personnalité qu'elle a prise à ses yeux. Cette personnalité se reflète dans ses caractéristiques de la personne qui, une fois associée avec quelque chose dans l'esprit du témoin, amène ce dernier à s'en souvenir d'une manière particulière. À moins que le témoin puisse témoigner avec certitude des caractéristiques et du quelque chose qui a éveillé et éclairé sa mémoire, et l'a amené à reconnaître la personne, l'identification qui se borne à l'affirmation "c'est lui", ne peut en soi être davantage qu'une vague description générale et ne peut être considérée comme fiable dans toute une sphère d'activités où la certitude est indispensable."
[60] Le Tribunal est bien au fait qu'il doit être extrêmement prudent lorsque la preuve de la Poursuite se fonde sur l'identification de l'accusé par un tiers. Ainsi dans la cause de PROULX c. LA REINE, 1992, Rapports de Jurisprudence du Québec, page 2047, la Cour d'Appel rappelait que la mise en garde énoncée dans l'arrêt LA REINE c. TURNBULL, 1976, 3 ALLERS, 49, et le Tribunal se réfère à la page 2067 de l'affaire Proulx.
Les composantes essentielles de cette mise en garde comprennent d'abord une directive quant à la faiblesse inhérente à la preuve de l'identification, ensuite des éclaircissements sur la nécessité d'une telle mise en garde. Enfin, l'instruction spécifique au jury d'examiner soigneusement les conditions dans lesquelles l'identification a été faite. De plus, il ne suffit pas que le juge informe un jury de la nécessité de montrer la prudence en abordant cette preuve. Il faut encore que le juge établisse le lien entre cette nécessité et les faits de l'espèce, attirant l'attention du jury particulièrement sur toute entrave matérielle aux observations et aux souvenirs des témoins oculaires ainsi que sur toute procédure irrégulière d'identification susceptible de fausser le résultat. La valeur probante d'une preuve d'identification visuelle peut être partiellement ou totalement détruite par l'utilisation des moyens d'identification préjudiciables. L'emploi de tels moyens en l'espèce exige de la part du juge un avertissement approprié."
[61] Dans l'affaire dont le Tribunal est saisi, il apparaît clair que l'identification par parade photographique s'est effectuée d'une façon conforme aux règles de l'art. Il y a plus, non seulement deux (2) témoins, principales victimes aux chefs 3 et 4, ont-elles reconnu la physionomie de l'accusé mais bien plus, contrairement aux prétentions de la Défense, elles ont noté un signe distinctif, soit les profonds sillons partant du nez pour se rendre près des commissures des lèvres.
[62] Il s'agit d'une preuve directe doublée d'une preuve indirecte, soit l'existence d'empreintes digitales. À ce sujet, le même auteur Fortin, dans son volume intitulé "La Preuve Pénale", exposait ce qui suit en page 536:
"Il va sans dire que la Poursuite doit prouver que l'accusé est l'auteur de l'infraction qu'on lui reproche. Cette obligation se traduit complètement par la peuve de l'identité de l'accusé. Celle-ci peut être établie par une preuve indirecte de nature scientifique ou non. Par exemple, un relevé d'empreintes digitales sur les lieux du crime, appuyé par l'opinion d'un expert qu'il s'agit de celles de l'accusé, est une preuve indirecte de l'identité. Mais l'identité peut aussi faire l'objet d'une preuve directe comme c'est le cas lorsqu'on demande à un témoin s'il identifie l'accusé comme étant l'auteur du crime".
L'intention criminelle dans le cadre d'une accusation de voies de fait
R. c. Robert, 2000 CanLII 21499 (QC C.M.)
Dans le cas d'agression, il s'agit d'une offense d'intention générale. Il suffit que l'accusé ait sciemment effectué l'acte reproché, sachant que la victime n'y consentait pas.
Dans l'arrêt R. c. Gilles Boyer, la Cour d'appel du Québec s’est prononcée sur la mens rea de la façon suivante :
« L'appelant, avec deux autres comparses, a volé une chaise dans un hôtel. Il a été déclaré coupable de vol et une sentence de $25 d'amende et de 8 jours de prison lui a été imposée. Il en appelle, tant de la déclaration de culpabilité que de la sentence, prétextant qu'il ne s'agit que d'une plaisanterie envers le propriétaire de l'hôtel et qu'il y a donc absence de mens rea. »
Les juges Bélanger et Mayrand s'expriment ainsi en maintenant la condamnation :
« La mens rea est l'intention de poser les actes constituant les éléments de l'actus reus, ou l'insouciance déréglée envers ces actes. L'existence d'un esprit malhonnête en général, en plus d'une intention rattachée aux éléments de l'infraction n'est pas requise quoique sa constatation révèle habituellement la mens rea. Celui qui a posé volontairement les actes qui constituent un vol s'en rend coupable si sa seule défense est que son mobile était la plaisanterie. La gravité de l'infraction est atténuée. »
Le juge André Massé de la Cour municipale de Montréal s'est prononcé dans le même sens, dans l'arrêt R. c. Vincent Arciresi décision confirmée par le juge Jean-Guy Boilard de la Cour supérieure. Le juge Massé s'exprimait ainsi :
« La manière intentionnelle s'infère de la présomption de fait que "toute personne est censée avoir voulu les conséquences naturelles et probables de ses actes ". Dans les cas d'agression, il s'agit d'offense d'intention générale. Il suffit que l'accusé ait eu l'intention de poser l'acte constitutif de l'offense. Il n'est pas nécessaire de faire la preuve de l'intention d'en rechercher les conséquences. »
Le juge André Sirois de la Chambre de la jeunesse, a, lui aussi, émis les mêmes commentaires:
« Compte tenu de la notion de voies de fait (art. 265(l) C.Cr.), tout toucher intentionnel, sans excuse légitime, est une agression. L'intégrité physique de toute personne est sacrée et doit être respectée. C'est pourquoi on ne peut employer la force, si minime soit-elle, contre une personne sans excuse légitime ou sans son consentement. »
Dans le cas d'agression, il s'agit d'une offense d'intention générale. Il suffit que l'accusé ait sciemment effectué l'acte reproché, sachant que la victime n'y consentait pas.
Dans l'arrêt R. c. Gilles Boyer, la Cour d'appel du Québec s’est prononcée sur la mens rea de la façon suivante :
« L'appelant, avec deux autres comparses, a volé une chaise dans un hôtel. Il a été déclaré coupable de vol et une sentence de $25 d'amende et de 8 jours de prison lui a été imposée. Il en appelle, tant de la déclaration de culpabilité que de la sentence, prétextant qu'il ne s'agit que d'une plaisanterie envers le propriétaire de l'hôtel et qu'il y a donc absence de mens rea. »
Les juges Bélanger et Mayrand s'expriment ainsi en maintenant la condamnation :
« La mens rea est l'intention de poser les actes constituant les éléments de l'actus reus, ou l'insouciance déréglée envers ces actes. L'existence d'un esprit malhonnête en général, en plus d'une intention rattachée aux éléments de l'infraction n'est pas requise quoique sa constatation révèle habituellement la mens rea. Celui qui a posé volontairement les actes qui constituent un vol s'en rend coupable si sa seule défense est que son mobile était la plaisanterie. La gravité de l'infraction est atténuée. »
Le juge André Massé de la Cour municipale de Montréal s'est prononcé dans le même sens, dans l'arrêt R. c. Vincent Arciresi décision confirmée par le juge Jean-Guy Boilard de la Cour supérieure. Le juge Massé s'exprimait ainsi :
« La manière intentionnelle s'infère de la présomption de fait que "toute personne est censée avoir voulu les conséquences naturelles et probables de ses actes ". Dans les cas d'agression, il s'agit d'offense d'intention générale. Il suffit que l'accusé ait eu l'intention de poser l'acte constitutif de l'offense. Il n'est pas nécessaire de faire la preuve de l'intention d'en rechercher les conséquences. »
Le juge André Sirois de la Chambre de la jeunesse, a, lui aussi, émis les mêmes commentaires:
« Compte tenu de la notion de voies de fait (art. 265(l) C.Cr.), tout toucher intentionnel, sans excuse légitime, est une agression. L'intégrité physique de toute personne est sacrée et doit être respectée. C'est pourquoi on ne peut employer la force, si minime soit-elle, contre une personne sans excuse légitime ou sans son consentement. »
La contrainte / seule la conduite volontaire entraîne l’imputation de la responsabilité criminelle
R. c. Ruzic, [2001] 1 R.C.S. 687, 2001 CSC 24
Sous réserve d’un contrôle de conformité avec la Constitution, le législateur conserve le pouvoir de limiter ou d’éliminer complètement l’accès à un moyen de défense en matière criminelle. Les tribunaux doivent se demander si la limitation de l’accès au moyen de défense respecte les droits garantis par la Charte. Le tribunal saisi du moyen d’inconstitutionnalité n’est pas tenu de faire preuve d’une retenue particulière en ce qui concerne les moyens de défense prévus par la loi. La détermination des cas dans lesquels il convient d’excuser une personne qui a adopté un comportement par ailleurs criminel met certes en jeu certaines valeurs, mais les moyens de défense prévus par la loi ne justifient pas une plus grande retenue du seul fait qu’ils résultent de jugements moraux complexes.
Bien que le caractère involontaire au sens moral n’annule ni l’actus reus ni la mens rea d’une infraction, il s’agit d’un principe qui, à l’instar du caractère involontaire au sens physique, mérite d’être protégé par l’art. 7 de la Charte. Un principe de justice fondamentale veut que seule la conduite volontaire — le comportement qui résulte du libre arbitre d’une personne qui a la maîtrise de son corps, en l’absence de toute contrainte extérieure — entraîne l’imputation de la responsabilité criminelle et la stigmatisation que cette dernière provoque. Priver une personne de sa liberté et la marquer du stigmate de la responsabilité criminelle contreviendrait aux principes de justice fondamentale dans le cas où aucun choix réaliste ne s’offrait à elle.
L’article 17 du Code viole l’art. 7 de la Charte puisqu’il permet de déclarer criminellement responsables des individus qui ont agi involontairement. Cet article prévoit que le moyen de défense fondé sur la contrainte ne peut être invoqué que par quelqu’un qui a commis une infraction sous l’effet de menaces de mort immédiate ou de lésions corporelles proférées par une personne présente lors de l’infraction. Le sens ordinaire de l’art. 17 a une portée très restrictive. L’expression « présente lorsque l’infraction est commise », conjuguée au critère d’immédiateté, indique que l’auteur des menaces doit se trouver sur les lieux du crime ou encore à tout autre endroit où il lui sera possible de mettre ses menaces à exécution immédiatement si la personne qu’il menace refuse d’obtempérer.
En pratique, des menaces de préjudice sont rarement considérées comme immédiates si leur auteur n’est pas physiquement présent sur les lieux du crime. Les exigences d’immédiateté et de présence, prises ensemble, excluent nettement les menaces de préjudice futur. Même si l’art. 17 peut viser les menaces contre des tiers, les critères d’immédiateté et de présence entravent toujours considérablement l’accès à ce moyen de défense dans le cas de prises d’otages ou d’autres situations impliquant des tiers. La portée trop limitative de l’art. 17 viole l’art. 7 de la Charte. Le ministère public n’a pas tenté devant notre Cour de justifier les exigences d’immédiateté et de présence dans le cadre d’une analyse fondée sur l’article premier et il ne s’est donc pas acquitté de l’obligation qui lui incombe en vertu de cette disposition. Quoi qu’il en soit, ces exigences ne satisferaient probablement pas au critère de proportionnalité requis par une analyse fondée sur l’article premier. En particulier, ces exigences ne semblent pas porter le moins possible atteinte aux droits que l’art. 7 garantit à l’accusée.
L’article 17 du Code n’a jamais complètement remplacé le moyen de défense de common law fondé sur la contrainte, qui peut toujours être invoqué par la personne qui a participé à une infraction. Le moyen de défense de common law échappe désormais aux restrictions d’immédiateté et de présence et paraît donc s’accorder davantage avec les valeurs de la Charte. Comme notre Cour l’a réitéré dans l’arrêt Hibbert, les règles de common law sur la contrainte reconnaissent qu’un accusé soumis à une contrainte ne possède pas seulement des droits, mais a également des obligations envers autrui et la société. L’accusé assume, envers les autres êtres humains, l’obligation fondamentale d’adapter sa conduite en fonction de la gravité et de la nature des menaces proférées. Le droit applicable comporte une exigence de proportionnalité entre les menaces proférées et l’acte criminel à accomplir, évaluée en fonction de la norme à la fois objective et subjective de la personne raisonnable qui se trouve dans une situation similaire.
On doit s’attendre à ce que l’accusé démontre un certain courage et oppose une résistance normale aux menaces proférées. Les menaces doivent viser l’intégrité de la personne. De plus, elles doivent priver l’accusé de tout moyen de s’en sortir sans danger, selon la norme de la personne raisonnable placée dans une situation similaire.
À l’avenir dans les cas d’utilisation du moyen de défense de common law fondé sur la contrainte, le juge du procès devrait donner au jury des directives claires sur ses éléments constitutifs, dont la nécessité d’un lien temporel étroit entre les menaces et le préjudice que l’on menace de causer. L’attention du jury devrait être également attirée sur la nécessité de procéder à une appréciation à la fois objective et subjective du critère du moyen de s’en sortir sans danger.
Sous réserve d’un contrôle de conformité avec la Constitution, le législateur conserve le pouvoir de limiter ou d’éliminer complètement l’accès à un moyen de défense en matière criminelle. Les tribunaux doivent se demander si la limitation de l’accès au moyen de défense respecte les droits garantis par la Charte. Le tribunal saisi du moyen d’inconstitutionnalité n’est pas tenu de faire preuve d’une retenue particulière en ce qui concerne les moyens de défense prévus par la loi. La détermination des cas dans lesquels il convient d’excuser une personne qui a adopté un comportement par ailleurs criminel met certes en jeu certaines valeurs, mais les moyens de défense prévus par la loi ne justifient pas une plus grande retenue du seul fait qu’ils résultent de jugements moraux complexes.
Bien que le caractère involontaire au sens moral n’annule ni l’actus reus ni la mens rea d’une infraction, il s’agit d’un principe qui, à l’instar du caractère involontaire au sens physique, mérite d’être protégé par l’art. 7 de la Charte. Un principe de justice fondamentale veut que seule la conduite volontaire — le comportement qui résulte du libre arbitre d’une personne qui a la maîtrise de son corps, en l’absence de toute contrainte extérieure — entraîne l’imputation de la responsabilité criminelle et la stigmatisation que cette dernière provoque. Priver une personne de sa liberté et la marquer du stigmate de la responsabilité criminelle contreviendrait aux principes de justice fondamentale dans le cas où aucun choix réaliste ne s’offrait à elle.
L’article 17 du Code viole l’art. 7 de la Charte puisqu’il permet de déclarer criminellement responsables des individus qui ont agi involontairement. Cet article prévoit que le moyen de défense fondé sur la contrainte ne peut être invoqué que par quelqu’un qui a commis une infraction sous l’effet de menaces de mort immédiate ou de lésions corporelles proférées par une personne présente lors de l’infraction. Le sens ordinaire de l’art. 17 a une portée très restrictive. L’expression « présente lorsque l’infraction est commise », conjuguée au critère d’immédiateté, indique que l’auteur des menaces doit se trouver sur les lieux du crime ou encore à tout autre endroit où il lui sera possible de mettre ses menaces à exécution immédiatement si la personne qu’il menace refuse d’obtempérer.
En pratique, des menaces de préjudice sont rarement considérées comme immédiates si leur auteur n’est pas physiquement présent sur les lieux du crime. Les exigences d’immédiateté et de présence, prises ensemble, excluent nettement les menaces de préjudice futur. Même si l’art. 17 peut viser les menaces contre des tiers, les critères d’immédiateté et de présence entravent toujours considérablement l’accès à ce moyen de défense dans le cas de prises d’otages ou d’autres situations impliquant des tiers. La portée trop limitative de l’art. 17 viole l’art. 7 de la Charte. Le ministère public n’a pas tenté devant notre Cour de justifier les exigences d’immédiateté et de présence dans le cadre d’une analyse fondée sur l’article premier et il ne s’est donc pas acquitté de l’obligation qui lui incombe en vertu de cette disposition. Quoi qu’il en soit, ces exigences ne satisferaient probablement pas au critère de proportionnalité requis par une analyse fondée sur l’article premier. En particulier, ces exigences ne semblent pas porter le moins possible atteinte aux droits que l’art. 7 garantit à l’accusée.
L’article 17 du Code n’a jamais complètement remplacé le moyen de défense de common law fondé sur la contrainte, qui peut toujours être invoqué par la personne qui a participé à une infraction. Le moyen de défense de common law échappe désormais aux restrictions d’immédiateté et de présence et paraît donc s’accorder davantage avec les valeurs de la Charte. Comme notre Cour l’a réitéré dans l’arrêt Hibbert, les règles de common law sur la contrainte reconnaissent qu’un accusé soumis à une contrainte ne possède pas seulement des droits, mais a également des obligations envers autrui et la société. L’accusé assume, envers les autres êtres humains, l’obligation fondamentale d’adapter sa conduite en fonction de la gravité et de la nature des menaces proférées. Le droit applicable comporte une exigence de proportionnalité entre les menaces proférées et l’acte criminel à accomplir, évaluée en fonction de la norme à la fois objective et subjective de la personne raisonnable qui se trouve dans une situation similaire.
On doit s’attendre à ce que l’accusé démontre un certain courage et oppose une résistance normale aux menaces proférées. Les menaces doivent viser l’intégrité de la personne. De plus, elles doivent priver l’accusé de tout moyen de s’en sortir sans danger, selon la norme de la personne raisonnable placée dans une situation similaire.
À l’avenir dans les cas d’utilisation du moyen de défense de common law fondé sur la contrainte, le juge du procès devrait donner au jury des directives claires sur ses éléments constitutifs, dont la nécessité d’un lien temporel étroit entre les menaces et le préjudice que l’on menace de causer. L’attention du jury devrait être également attirée sur la nécessité de procéder à une appréciation à la fois objective et subjective du critère du moyen de s’en sortir sans danger.
Aider et encourager / quelqu’un qui agit pour le compte d’un acheteur de stupéfiants peut être jugé comme ayant participé à l’infraction de trafic
R. c. Greyeyes, 1997 CanLII 313 (C.S.C.)
25. Peut‑on conclure que la personne qui agit à titre de mandataire d’un acheteur de stupéfiants, ou qui aide un acheteur à acquérir des stupéfiants, participe à l’infraction de trafic au sens du par. 21(1) du Code, en aidant ou en encourageant à vendre des stupéfiants? À mon avis, il faut répondre qu’il est effectivement possible de conclure que cette personne a participé à l’infraction.
26. Les termes «aider» et «encourager» sont souvent utilisés ensemble pour déterminer si des personnes ont participé à une infraction. Bien que leur sens soit semblable, ce sont des concepts distincts: R. c. Meston (1975), 28 C.C.C. (2d) 497 (C.A. Ont.), aux pp. 503 et 504. Aider, au sens de l’al. 21(1)b), signifie assister la personne qui agit ou lui donner un coup de main: Mewett & Manning on Criminal Law (3e éd. 1994), à la p. 272; E. G. Ewaschuk, Criminal Pleadings & Practice in Canada (2e éd. 1987 (feuilles mobiles)), à la p. 15‑7, par. 15:2020 (publié en mai 1997). Encourager, au sens de l’al. 21(1)c), signifie notamment inciter et instiguer à commettre un crime, ou en favoriser ou provoquer la perpétration: Mewett & Manning on Criminal Law, op. cit., à la p. 272; Criminal Pleadings & Practice in Canada, op. cit., à la p. 15‑11, par. 15:3010 (publié en décembre 1996).
28. Dans l’arrêt Meston, précité, la Cour d’appel de l’Ontario s’est demandé si un acheteur de drogue aide ou encourage le vendeur. Dans cette affaire, l’accusation de trafic résultait de la vente d’environ trois quarts de livre de marijuana. Le juge Martin a convenu, au nom de la cour, qu’en principe la conduite d’un acheteur qui encourage la vente d’une substance qu’il sait qu’il est illégal pour le vendeur de vendre relève du sens ordinaire du mot «encourage» utilisé au par. 21(1)c) du Code. Par conséquent, l’acheteur devrait être participant à l’infraction de vente.
29. Cependant, le juge Martin a ensuite examiné l’arrêt de notre Cour Poitras c. La Reine, 1973 CanLII 156 (C.S.C.), [1974] R.C.S. 649. Les motifs de cet arrêt l’ont convaincu qu’un acheteur ne devrait pas, du seul fait de l’achat qu’il a effectué, être considéré comme ayant participé à l’infraction de trafic. À la page 507, le juge Martin renvoie au passage suivant des motifs de dissidence du juge Laskin (plus tard Juge en chef), tiré de la p. 655 de l’arrêt Poitras:
. . . vu que la possession d’un stupéfiant est une infraction, et qu’il incombe à l’accusé qui nie sa culpabilité à une accusation portée en vertu de l’art. 4, par. 2, d’établir qu’il n’était pas en possession du stupéfiant pour en faire le trafic (voir l’art. 8 de la Loi), il y aurait, à mon avis, incongruité à transformer un simple acheteur en un trafiquant en ayant recours à l’art. 21 du Code criminel pour suppléer au manque de définition.
Il a ensuite conclu qu’il ressortait implicitement des motifs que le juge Dickson (plus tard Juge en chef) avait rédigés au nom des juges majoritaires, dans l’arrêt Poitras, que lui aussi acceptait que la personne qui achète un stupéfiant n’en fait pas, pour autant, le trafic. Je suis d’accord avec cette conclusion.
30. Les dispositions de la Loi sur les stupéfiants qui ont trait à la possession d’un stupéfiant permettant de prétendre que l’acheteur est dans une situation exceptionnelle et ne devrait pas être considéré comme ayant participé à l’infraction de trafic simplement en raison de l’achat qu’il a fait. Le mot «trafic» défini à l’art. 2 de la Loi s’entend notamment de la fabrication, de la vente, du transport, de la livraison et de la distribution, mais non de l’achat, d’un stupéfiant. Cependant, le par. 3(1) de la Loi prévoit que la possession d’un stupéfiant constitue une infraction. En outre, bien qu’il ait été jugé que la disposition portant inversion du fardeau de la preuve contrevient à l’al. 11d) de la Charte (voir R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (C.S.C.), [1986] 1 R.C.S. 103), le fait que le par. 8(2) soit allé jusqu’à prévoir que l’accusé visé par une conclusion de possession d’un stupéfiant a la charge de démontrer qu’il n’avait pas l’intention d’en faire le trafic, présente un intérêt historique quant à l’intention du Parlement. Le Parlement a établi un régime législatif clair concernant la culpabilité des personnes impliquées dans l’achat de stupéfiants. Comme le juge Martin l’a conclu dans l’arrêt Meston, précité, à la p. 507:
[traduction] Si l’acheteur qui a encouragé la vente d’un stupéfiant à lui‑même ne peut être déclaré coupable de trafic, ce doit être parce que la Loi sur les stupéfiants révèle l’intention du législateur qu’un simple acheteur n’encoure aucune responsabilité quant à l’infraction de trafic commise par le vendeur.
Une observation semblable est faite dans le texte utile Criminal Pleadings & Practice in Canada, op. cit., à la p. 15‑9, par. 15:2090 (publié en mai 1997):
[traduction] Il semble que l’acheteur de drogue, bien qu’il se trouve, en fait, à aider ou à encourager le vendeur, n’aide pas ou n’encourage pas, en droit, le vendeur, c’est‑à‑dire le trafiquant de drogue, étant donné que l’acheteur commet l’infraction distincte (lorsqu’il achète la drogue) de possession simple de drogue ou de possession de drogue en vue d’en faire le trafic. [En italique dans l’original.]
31. Il ne fait sûrement aucun doute que la personne qui achète un stupéfiant doit aider le vendeur à réaliser la vente. Sans l’acheteur, il ne saurait y avoir de vente du stupéfiant. Cependant, le Parlement a choisi d’aborder la question de la culpabilité des acheteurs d’une façon différente. Dès qu’une personne entre en possession d’un stupéfiant, elle peut être accusée de possession ou de possession en vue du trafic. Pourtant, il est clair que la définition de «trafic» ne s’applique pas à elle. Elle ne peut pas non plus, du seul fait de l’achat, être déclarée coupable d’avoir aidé ou encouragé à commettre l’infraction de trafic. Le Parlement a défini d’autres infractions dont l’acheteur peut être accusé en raison de l’achat qu’il effectue.
32. Il faut souligner que le législateur n’a prévu à l’égard de ceux qui aident l’acheteur ou qui agissent pour son compte, aucune intention semblable à celle prévue à l’égard des acheteurs. Le trafic de la drogue, de par sa nature même, est une entreprise qui implique et dépend de nombreux «intermédiaires». Si l’exception qui s’applique aux acheteurs était également appliquée aux mandataires de l’acheteur, ceux-ci pourraient alors échapper à toute responsabilité. Il ne devrait pas en être ainsi. Il n’y a tout simplement aucune raison d’appliquer l’exception concernant les acheteurs à ceux qui aident ou encouragent des acheteurs dans le cadre d’une vente illégale. Les activités du mandataire d’un acheteur ou d’une personne qui aide un acheteur à acquérir des stupéfiants relèvent certainement de la définition des mots «aider» ou «encourager» que l’on trouve au par. 21(1) du Code. En réunissant la source d’approvisionnement et l’acheteur éventuel, ces personnes aident évidemment à la vente de stupéfiants. Agir comme porte‑parole d’un acheteur a pour effet d’aider l’acheteur et le vendeur à conclure un marché. Il s’ensuit que le mandataire d’un acheteur ou la personne qui aide l’acheteur à acquérir la drogue peuvent être déclarés, à bon droit, coupables d’avoir participé à l’infraction de trafic, au sens du par. 21(1) du Code.
33. Ce point de vue est appuyé par l’arrêt Poitras, précité. Dans cette affaire, un agent d’infiltration de la GRC s’était adressé à Poitras pour lui demander deux grammes de haschich. Poitras avait répondu qu’il s’en allait en chercher à une maison située près de là, et avait accepté l’argent de l’agent d’infiltration. Une vingtaine de minutes plus tard, une connaissance qui avait présenté l’agent d’infiltration à Poitras et qui avait assisté à la conclusion du marché a livré le haschich à l’agent d’infiltration dans un bar local. Poitras a été accusé d’avoir fait le trafic de haschich ou d’avoir aidé au trafic de haschich. Le juge du procès a déclaré l’accusé non coupable pour le motif que la preuve pouvait autant laisser croire que l’accusé avait agi seulement pour le compte du policier qui avait acheté le haschich, que laisser croire qu’il avait participé au trafic. Il avait donc un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé.
34. Le juge Dickson a conclu, au nom de la Cour à la majorité, que le juge du procès avait commis une erreur dans son raisonnement. Il a fait remarquer que, même s’il se pouvait que Poitras ait agi pour le compte du policier, cela ne l’empêchait pas d’être coupable de trafic ou d’avoir aidé à commettre l’infraction de trafic. Il a fait observer ce qui suit, à la p. 653:
On a soutenu pour l’appelant que le mot «acheter» ne figure pas dans la définition de «trafic» dans la Loi sur les stupéfiants; par conséquent, un simple acheteur ne trafique pas et un mandataire de l’acheteur s’abrite sous la même couverture. Je ne suis pas d’accord. On ne peut pas appliquer dans ce contexte les règles du droit civil concernant le «mandat». Le «mandat» ne sert pas à rendre non criminel un acte auquel s’attacheraient autrement des conséquences criminelles. Même si l’on pouvait dire que l’appelant était un «mandataire» du gendarme Arsenault pour les fins de la responsabilité civile, ses activités peuvent néanmoins équivaloir à faire le trafic de stupéfiants ou à aider à un tel trafic
La Cour à la majorité était ainsi disposée à accepter qu’il est possible de conclure que quelqu’un qui a agi pour le compte d’un acheteur a aidé au trafic de stupéfiants.
35. En résumé, quelqu’un qui agit pour le compte d’un acheteur de stupéfiants peut être jugé comme ayant participé à l’infraction de trafic, au sens du par. 21(1) du Code. Il en est ainsi parce que cette personne aide à la perpétration d’une infraction en amenant l’acheteur au vendeur. Sans cette intervention ou aide, la vente n’aurait jamais lieu. Il n’y a rien dans la Loi sur les stupéfiants, dans les principes de droit criminel applicables ou dans des motifs de politique générale qui indique qu’un statut spécial devrait être accordé aux personnes qui aident des acheteurs de drogue, de manière à les soustraire à l’application des dispositions claires de l’art. 21 du Code.
25. Peut‑on conclure que la personne qui agit à titre de mandataire d’un acheteur de stupéfiants, ou qui aide un acheteur à acquérir des stupéfiants, participe à l’infraction de trafic au sens du par. 21(1) du Code, en aidant ou en encourageant à vendre des stupéfiants? À mon avis, il faut répondre qu’il est effectivement possible de conclure que cette personne a participé à l’infraction.
26. Les termes «aider» et «encourager» sont souvent utilisés ensemble pour déterminer si des personnes ont participé à une infraction. Bien que leur sens soit semblable, ce sont des concepts distincts: R. c. Meston (1975), 28 C.C.C. (2d) 497 (C.A. Ont.), aux pp. 503 et 504. Aider, au sens de l’al. 21(1)b), signifie assister la personne qui agit ou lui donner un coup de main: Mewett & Manning on Criminal Law (3e éd. 1994), à la p. 272; E. G. Ewaschuk, Criminal Pleadings & Practice in Canada (2e éd. 1987 (feuilles mobiles)), à la p. 15‑7, par. 15:2020 (publié en mai 1997). Encourager, au sens de l’al. 21(1)c), signifie notamment inciter et instiguer à commettre un crime, ou en favoriser ou provoquer la perpétration: Mewett & Manning on Criminal Law, op. cit., à la p. 272; Criminal Pleadings & Practice in Canada, op. cit., à la p. 15‑11, par. 15:3010 (publié en décembre 1996).
28. Dans l’arrêt Meston, précité, la Cour d’appel de l’Ontario s’est demandé si un acheteur de drogue aide ou encourage le vendeur. Dans cette affaire, l’accusation de trafic résultait de la vente d’environ trois quarts de livre de marijuana. Le juge Martin a convenu, au nom de la cour, qu’en principe la conduite d’un acheteur qui encourage la vente d’une substance qu’il sait qu’il est illégal pour le vendeur de vendre relève du sens ordinaire du mot «encourage» utilisé au par. 21(1)c) du Code. Par conséquent, l’acheteur devrait être participant à l’infraction de vente.
29. Cependant, le juge Martin a ensuite examiné l’arrêt de notre Cour Poitras c. La Reine, 1973 CanLII 156 (C.S.C.), [1974] R.C.S. 649. Les motifs de cet arrêt l’ont convaincu qu’un acheteur ne devrait pas, du seul fait de l’achat qu’il a effectué, être considéré comme ayant participé à l’infraction de trafic. À la page 507, le juge Martin renvoie au passage suivant des motifs de dissidence du juge Laskin (plus tard Juge en chef), tiré de la p. 655 de l’arrêt Poitras:
. . . vu que la possession d’un stupéfiant est une infraction, et qu’il incombe à l’accusé qui nie sa culpabilité à une accusation portée en vertu de l’art. 4, par. 2, d’établir qu’il n’était pas en possession du stupéfiant pour en faire le trafic (voir l’art. 8 de la Loi), il y aurait, à mon avis, incongruité à transformer un simple acheteur en un trafiquant en ayant recours à l’art. 21 du Code criminel pour suppléer au manque de définition.
Il a ensuite conclu qu’il ressortait implicitement des motifs que le juge Dickson (plus tard Juge en chef) avait rédigés au nom des juges majoritaires, dans l’arrêt Poitras, que lui aussi acceptait que la personne qui achète un stupéfiant n’en fait pas, pour autant, le trafic. Je suis d’accord avec cette conclusion.
30. Les dispositions de la Loi sur les stupéfiants qui ont trait à la possession d’un stupéfiant permettant de prétendre que l’acheteur est dans une situation exceptionnelle et ne devrait pas être considéré comme ayant participé à l’infraction de trafic simplement en raison de l’achat qu’il a fait. Le mot «trafic» défini à l’art. 2 de la Loi s’entend notamment de la fabrication, de la vente, du transport, de la livraison et de la distribution, mais non de l’achat, d’un stupéfiant. Cependant, le par. 3(1) de la Loi prévoit que la possession d’un stupéfiant constitue une infraction. En outre, bien qu’il ait été jugé que la disposition portant inversion du fardeau de la preuve contrevient à l’al. 11d) de la Charte (voir R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (C.S.C.), [1986] 1 R.C.S. 103), le fait que le par. 8(2) soit allé jusqu’à prévoir que l’accusé visé par une conclusion de possession d’un stupéfiant a la charge de démontrer qu’il n’avait pas l’intention d’en faire le trafic, présente un intérêt historique quant à l’intention du Parlement. Le Parlement a établi un régime législatif clair concernant la culpabilité des personnes impliquées dans l’achat de stupéfiants. Comme le juge Martin l’a conclu dans l’arrêt Meston, précité, à la p. 507:
[traduction] Si l’acheteur qui a encouragé la vente d’un stupéfiant à lui‑même ne peut être déclaré coupable de trafic, ce doit être parce que la Loi sur les stupéfiants révèle l’intention du législateur qu’un simple acheteur n’encoure aucune responsabilité quant à l’infraction de trafic commise par le vendeur.
Une observation semblable est faite dans le texte utile Criminal Pleadings & Practice in Canada, op. cit., à la p. 15‑9, par. 15:2090 (publié en mai 1997):
[traduction] Il semble que l’acheteur de drogue, bien qu’il se trouve, en fait, à aider ou à encourager le vendeur, n’aide pas ou n’encourage pas, en droit, le vendeur, c’est‑à‑dire le trafiquant de drogue, étant donné que l’acheteur commet l’infraction distincte (lorsqu’il achète la drogue) de possession simple de drogue ou de possession de drogue en vue d’en faire le trafic. [En italique dans l’original.]
31. Il ne fait sûrement aucun doute que la personne qui achète un stupéfiant doit aider le vendeur à réaliser la vente. Sans l’acheteur, il ne saurait y avoir de vente du stupéfiant. Cependant, le Parlement a choisi d’aborder la question de la culpabilité des acheteurs d’une façon différente. Dès qu’une personne entre en possession d’un stupéfiant, elle peut être accusée de possession ou de possession en vue du trafic. Pourtant, il est clair que la définition de «trafic» ne s’applique pas à elle. Elle ne peut pas non plus, du seul fait de l’achat, être déclarée coupable d’avoir aidé ou encouragé à commettre l’infraction de trafic. Le Parlement a défini d’autres infractions dont l’acheteur peut être accusé en raison de l’achat qu’il effectue.
32. Il faut souligner que le législateur n’a prévu à l’égard de ceux qui aident l’acheteur ou qui agissent pour son compte, aucune intention semblable à celle prévue à l’égard des acheteurs. Le trafic de la drogue, de par sa nature même, est une entreprise qui implique et dépend de nombreux «intermédiaires». Si l’exception qui s’applique aux acheteurs était également appliquée aux mandataires de l’acheteur, ceux-ci pourraient alors échapper à toute responsabilité. Il ne devrait pas en être ainsi. Il n’y a tout simplement aucune raison d’appliquer l’exception concernant les acheteurs à ceux qui aident ou encouragent des acheteurs dans le cadre d’une vente illégale. Les activités du mandataire d’un acheteur ou d’une personne qui aide un acheteur à acquérir des stupéfiants relèvent certainement de la définition des mots «aider» ou «encourager» que l’on trouve au par. 21(1) du Code. En réunissant la source d’approvisionnement et l’acheteur éventuel, ces personnes aident évidemment à la vente de stupéfiants. Agir comme porte‑parole d’un acheteur a pour effet d’aider l’acheteur et le vendeur à conclure un marché. Il s’ensuit que le mandataire d’un acheteur ou la personne qui aide l’acheteur à acquérir la drogue peuvent être déclarés, à bon droit, coupables d’avoir participé à l’infraction de trafic, au sens du par. 21(1) du Code.
33. Ce point de vue est appuyé par l’arrêt Poitras, précité. Dans cette affaire, un agent d’infiltration de la GRC s’était adressé à Poitras pour lui demander deux grammes de haschich. Poitras avait répondu qu’il s’en allait en chercher à une maison située près de là, et avait accepté l’argent de l’agent d’infiltration. Une vingtaine de minutes plus tard, une connaissance qui avait présenté l’agent d’infiltration à Poitras et qui avait assisté à la conclusion du marché a livré le haschich à l’agent d’infiltration dans un bar local. Poitras a été accusé d’avoir fait le trafic de haschich ou d’avoir aidé au trafic de haschich. Le juge du procès a déclaré l’accusé non coupable pour le motif que la preuve pouvait autant laisser croire que l’accusé avait agi seulement pour le compte du policier qui avait acheté le haschich, que laisser croire qu’il avait participé au trafic. Il avait donc un doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé.
34. Le juge Dickson a conclu, au nom de la Cour à la majorité, que le juge du procès avait commis une erreur dans son raisonnement. Il a fait remarquer que, même s’il se pouvait que Poitras ait agi pour le compte du policier, cela ne l’empêchait pas d’être coupable de trafic ou d’avoir aidé à commettre l’infraction de trafic. Il a fait observer ce qui suit, à la p. 653:
On a soutenu pour l’appelant que le mot «acheter» ne figure pas dans la définition de «trafic» dans la Loi sur les stupéfiants; par conséquent, un simple acheteur ne trafique pas et un mandataire de l’acheteur s’abrite sous la même couverture. Je ne suis pas d’accord. On ne peut pas appliquer dans ce contexte les règles du droit civil concernant le «mandat». Le «mandat» ne sert pas à rendre non criminel un acte auquel s’attacheraient autrement des conséquences criminelles. Même si l’on pouvait dire que l’appelant était un «mandataire» du gendarme Arsenault pour les fins de la responsabilité civile, ses activités peuvent néanmoins équivaloir à faire le trafic de stupéfiants ou à aider à un tel trafic
La Cour à la majorité était ainsi disposée à accepter qu’il est possible de conclure que quelqu’un qui a agi pour le compte d’un acheteur a aidé au trafic de stupéfiants.
35. En résumé, quelqu’un qui agit pour le compte d’un acheteur de stupéfiants peut être jugé comme ayant participé à l’infraction de trafic, au sens du par. 21(1) du Code. Il en est ainsi parce que cette personne aide à la perpétration d’une infraction en amenant l’acheteur au vendeur. Sans cette intervention ou aide, la vente n’aurait jamais lieu. Il n’y a rien dans la Loi sur les stupéfiants, dans les principes de droit criminel applicables ou dans des motifs de politique générale qui indique qu’un statut spécial devrait être accordé aux personnes qui aident des acheteurs de drogue, de manière à les soustraire à l’application des dispositions claires de l’art. 21 du Code.
Les communications entre un pasteur et un membre de l'Église sont‑elles protégées par un privilège de common law?
R. c. Gruenke, 1991 CanLII 40 (C.S.C.)
Le fait que les tribunaux anglais et canadiens n'ont pas, en pratique, obligé les membres du clergé à divulguer des communications religieuses confidentielles ne répond pas à la question de savoir s'il existe un privilège juridique de common law en ce qui a trait aux communications religieuses. L'existence d'un privilège légal limité en matière religieuse dans certains ressorts n'indique pas l'existence d'un privilège de common law; elle indique plutôt que la common law ne protégeait pas les communications religieuses et que, par conséquent, il était nécessaire d'avoir une protection légale.
La question de savoir s'il existe un privilège prima facie en ce qui a trait aux communications religieuses est essentiellement une question de principe. À titre de principe général, tous les éléments de preuve pertinents sont admissibles. Les raisons de principe qui justifient l'existence d'un privilège générique en matière de communications religieuses doivent être aussi sérieuses que les raisons qui sous‑tendent le privilège générique en matière de communications entre l'avocat et son client: les rapports et les communications entre l'avocat et son client sont essentiels au bon fonctionnement du système juridique. Pareilles communications sont inextricablement liées au système qui veut que la communication soit divulguée. Les communications religieuses, nonobstant leur importance sociale, ne sont pas inextricablement liées de cette manière au système de justice.
Bien que la valeur de la liberté de religion, consacrée à l'al. 2a), soit importante dans certains cas, cette valeur ne doit pas nécessairement être reconnue sous la forme d'un privilège prima facie pour que la garantie prévue par la Charte s'applique pleinement. La mesure (le cas échéant) dans laquelle la divulgation des communications portera atteinte à la liberté de religion d'une personne dépendra des circonstances particulières en cause. Les facteurs pertinents comprennent la nature de la communication, l'objet de celle‑ci, la manière dont elle a été faite et les parties à celle‑ci.
Le critère de Wigmore, qui s'applique pour déterminer si une communication est privilégiée, exige:
(1) que les communications aient été transmises confidentiellement avec l'assurance qu'elles ne seraient pas divulguées,
(2) que le caractère confidentiel soit un élément essentiel au maintien complet et satisfaisant des rapports entre les parties,
(3) que les rapports soient de la nature de ceux qui, selon l'opinion de la collectivité, doivent être entretenus assidûment, et
(4) que le préjudice permanent que subiraient les rapports par la divulgation des communications soit plus considérable que l'avantage à retirer d'une juste décision.
Ce critère est conforme à une façon, fondée sur des principes, d'aborder la question qui tient compte, à bon droit, des circonstances particulières de chaque cas. Ces critères ne sont pas gravés dans la pierre et ne constituent qu'un cadre général à l'intérieur duquel des considérations de principe et les exigences en matière de recherche des faits peuvent être évaluées et comparées en fonction de leur importance relative dans l'affaire particulière soumise à la cour. Ils n'empêchent pas l'identification d'une nouvelle catégorie fondée sur des principes.
Une analyse de chaque cas permet aux tribunaux de déterminer si, dans les circonstances particulières, la liberté de religion d'une personne sera compromise par l'admission de la preuve. Cette analyse doit commencer par l'adoption d'un point de vue "non confessionnel". Le fait que les communications n'ont pas été faites à un prêtre ou à un pasteur ordonné ou qu'elles ne constituaient pas une confession formelle n'écartera pas la possibilité de les exclure. Il faut tenir compte de toutes les circonstances pertinentes et le critère de Wigmore doit être appliqué d'une manière qui tient compte du patrimoine multiculturel du Canada. Ce sera plus important aux deuxième et troisième étapes de l'examen relatif au critère de Wigmore. Une telle façon de procéder selon les circonstances de chaque cas aura pour effet d'éviter le problème de la "compartimentation".
Les communications visées en l'espèce ont été admises à bon droit. Elles ne satisfont même pas à la première condition, c'est‑à‑dire, qu'elles aient été transmises confidentiellement avec l'assurance qu'elles ne seraient pas divulguées. L'expectative de caractère confidentiel est absolument cruciale pour que les communications puissent être qualifiées de "privilégiées" car, sans celle‑ci, le privilège n'a pas de raison d'être.
Les déclarations et le comportement des parties relativement à la communication ‑‑ et non l'absence d'une pratique formelle de "confession" dans l'Église de l'appelante ‑‑ indiquent qu'elles avaient été faites davantage pour soulager l'appelante de son stress émotionnel qu'à des fins religieuses ou spirituelles. Bien que l'existence d'une pratique formelle de "confession" puisse bien indiquer fortement que les parties s'attendaient à ce que la communication soit confidentielle, l'absence d'une telle pratique formelle n'est pas, en soi, déterminante.
L'appelante n'a pas été privée d'un procès équitable par suite de l'omission du juge du procès de tenir un voir‑dire formel et de sa décision de statuer sur la requête de la défense en fonction des arguments et des témoignages présentés à l'enquête préliminaire. Même si une question de privilège soulevée dans un procès peut être mieux tranchée dans le cadre d'un voir‑dire, l'omission de suivre cette procédure ne rend pas nécessairement le procès inéquitable. Le juge du procès en l'espèce a essentiellement tenu un voir‑dire de façon informelle, en l'absence du jury, car les avocats ont eu l'occasion de présenter des éléments de preuve et des arguments relativement à la requête de la défense visant à exclure la preuve. Bien que le juge du procès ait la responsabilité ultime de trancher les questions de recevabilité, il n'est pas tenu de faire plus que d'accorder à l'avocat une occasion raisonnable de présenter sa preuve et d'avancer des arguments sur ces questions avant de rendre une décision.
Le fait que les tribunaux anglais et canadiens n'ont pas, en pratique, obligé les membres du clergé à divulguer des communications religieuses confidentielles ne répond pas à la question de savoir s'il existe un privilège juridique de common law en ce qui a trait aux communications religieuses. L'existence d'un privilège légal limité en matière religieuse dans certains ressorts n'indique pas l'existence d'un privilège de common law; elle indique plutôt que la common law ne protégeait pas les communications religieuses et que, par conséquent, il était nécessaire d'avoir une protection légale.
La question de savoir s'il existe un privilège prima facie en ce qui a trait aux communications religieuses est essentiellement une question de principe. À titre de principe général, tous les éléments de preuve pertinents sont admissibles. Les raisons de principe qui justifient l'existence d'un privilège générique en matière de communications religieuses doivent être aussi sérieuses que les raisons qui sous‑tendent le privilège générique en matière de communications entre l'avocat et son client: les rapports et les communications entre l'avocat et son client sont essentiels au bon fonctionnement du système juridique. Pareilles communications sont inextricablement liées au système qui veut que la communication soit divulguée. Les communications religieuses, nonobstant leur importance sociale, ne sont pas inextricablement liées de cette manière au système de justice.
Bien que la valeur de la liberté de religion, consacrée à l'al. 2a), soit importante dans certains cas, cette valeur ne doit pas nécessairement être reconnue sous la forme d'un privilège prima facie pour que la garantie prévue par la Charte s'applique pleinement. La mesure (le cas échéant) dans laquelle la divulgation des communications portera atteinte à la liberté de religion d'une personne dépendra des circonstances particulières en cause. Les facteurs pertinents comprennent la nature de la communication, l'objet de celle‑ci, la manière dont elle a été faite et les parties à celle‑ci.
Le critère de Wigmore, qui s'applique pour déterminer si une communication est privilégiée, exige:
(1) que les communications aient été transmises confidentiellement avec l'assurance qu'elles ne seraient pas divulguées,
(2) que le caractère confidentiel soit un élément essentiel au maintien complet et satisfaisant des rapports entre les parties,
(3) que les rapports soient de la nature de ceux qui, selon l'opinion de la collectivité, doivent être entretenus assidûment, et
(4) que le préjudice permanent que subiraient les rapports par la divulgation des communications soit plus considérable que l'avantage à retirer d'une juste décision.
Ce critère est conforme à une façon, fondée sur des principes, d'aborder la question qui tient compte, à bon droit, des circonstances particulières de chaque cas. Ces critères ne sont pas gravés dans la pierre et ne constituent qu'un cadre général à l'intérieur duquel des considérations de principe et les exigences en matière de recherche des faits peuvent être évaluées et comparées en fonction de leur importance relative dans l'affaire particulière soumise à la cour. Ils n'empêchent pas l'identification d'une nouvelle catégorie fondée sur des principes.
Une analyse de chaque cas permet aux tribunaux de déterminer si, dans les circonstances particulières, la liberté de religion d'une personne sera compromise par l'admission de la preuve. Cette analyse doit commencer par l'adoption d'un point de vue "non confessionnel". Le fait que les communications n'ont pas été faites à un prêtre ou à un pasteur ordonné ou qu'elles ne constituaient pas une confession formelle n'écartera pas la possibilité de les exclure. Il faut tenir compte de toutes les circonstances pertinentes et le critère de Wigmore doit être appliqué d'une manière qui tient compte du patrimoine multiculturel du Canada. Ce sera plus important aux deuxième et troisième étapes de l'examen relatif au critère de Wigmore. Une telle façon de procéder selon les circonstances de chaque cas aura pour effet d'éviter le problème de la "compartimentation".
Les communications visées en l'espèce ont été admises à bon droit. Elles ne satisfont même pas à la première condition, c'est‑à‑dire, qu'elles aient été transmises confidentiellement avec l'assurance qu'elles ne seraient pas divulguées. L'expectative de caractère confidentiel est absolument cruciale pour que les communications puissent être qualifiées de "privilégiées" car, sans celle‑ci, le privilège n'a pas de raison d'être.
Les déclarations et le comportement des parties relativement à la communication ‑‑ et non l'absence d'une pratique formelle de "confession" dans l'Église de l'appelante ‑‑ indiquent qu'elles avaient été faites davantage pour soulager l'appelante de son stress émotionnel qu'à des fins religieuses ou spirituelles. Bien que l'existence d'une pratique formelle de "confession" puisse bien indiquer fortement que les parties s'attendaient à ce que la communication soit confidentielle, l'absence d'une telle pratique formelle n'est pas, en soi, déterminante.
L'appelante n'a pas été privée d'un procès équitable par suite de l'omission du juge du procès de tenir un voir‑dire formel et de sa décision de statuer sur la requête de la défense en fonction des arguments et des témoignages présentés à l'enquête préliminaire. Même si une question de privilège soulevée dans un procès peut être mieux tranchée dans le cadre d'un voir‑dire, l'omission de suivre cette procédure ne rend pas nécessairement le procès inéquitable. Le juge du procès en l'espèce a essentiellement tenu un voir‑dire de façon informelle, en l'absence du jury, car les avocats ont eu l'occasion de présenter des éléments de preuve et des arguments relativement à la requête de la défense visant à exclure la preuve. Bien que le juge du procès ait la responsabilité ultime de trancher les questions de recevabilité, il n'est pas tenu de faire plus que d'accorder à l'avocat une occasion raisonnable de présenter sa preuve et d'avancer des arguments sur ces questions avant de rendre une décision.
Admissibilité d'une preuve obtenue suite à l'utilisation de l'hypnose
R. c. Bernier, 2004 CanLII 40561 (QC C.S.)
[15] Avant d'admettre une preuve obtenue suite à l'utilisation de l'hypnose, un juge doit tenir un voir-dire pour décider de la recevabilité de cette preuve. L'arrêt de principe sur cette question est l'arrêt R. c. Taillefer précité, où le juge Proulx faisait une analyse exhaustive de la question. Incidemment, les faits dans cette affaire sont semblables à ceux de notre dossier. Une jeune fille avait disparu alors qu'elle retournait à pied chez-elle en soirée. Peu après sa disparition, l'on retrouva son cadavre aux abords d'un chemin. Un camionneur avait aperçu un camion près de la région où le cadavre fut retrouvé et il identifia le véhicule comme étant celui du père de l'accusé. Le fils du camionneur avait aperçu le même véhicule mais n'était pas en mesure de donner des précisions sur le véhicule. Soumis à une séance d'hypnose par un policier de la S.Q. ayant une formation dans ce domaine, le jeune garçon a pu se remémorer certains détails dont la présence d'un camion "Tracker" rouge aux abords du chemin en question. On a reproché au juge du procès de ne pas avoir permis à la défense de soulever la question de la fiabilité de l'hypnose et d'avoir refusé de soumettre la cassette vidéo aux jurés.
[16] La question de l'usage de l'hypnose pour raviver la mémoire pose la question de la recevabilité d'une telle preuve eu égard à sa fiabilité. Cette preuve fut admise dans certains cas : R. c. Pitt, (1968) 3 C.C.C. 342 (B.C.S.C.) ; R. c. Zubot, (1983) 47 A.R. 389 (Alta Q.B.); R. c. Clark, reflex, (1984) 13 C.C.C. (3d) 117 (Alta Q.B.), mais refusée dans R. c. K, (1979) 47 C.C.C. (2d) 436 (Man. P.C.) et R. c. Savoy, no: CC940826 (B.C.S.C.), 24 novembre 1997, voir également R. c. Kliman, 1996 CanLII 8364 (BC C.A.), (1996) 107 C.C.C. (3d) 549 (B.C.C.A.), sur une question de "flashback". Comme le mentionne le juge Proulx dans l'arrêt Taillefer précité, peu de tribunaux d'appel se sont prononcés sur la question.
[17] L'arrêt R. c. Mohan de la Cour suprême a établi les critères de recevabilité des nouvelles preuves scientifiques. Le premier critère de la pertinence de la preuve n'est pas en cause en l'espèce puisque cette preuve appuie la théorie de la poursuite soit que la victime aurait été enlevée par l'accusé alors qu'elle retournait à sa voiture. La présence de deux personnes ou silhouettes dans le véhicule lors de l'impact avec la borne-fontaine confirme que l'accusé était déjà à bord du véhicule de la victime au moment de l'impact.
[18] (...) Cette preuve est donc pertinente au litige vu sa connexité entre le fait constaté et ce qu'il vise à établir. Il a également une pertinence légale en ce qu'il constitue un élément de preuve circonstancielle pouvant servir à établir les éléments essentiels des crimes d'enlèvement et de séquestration auxquels l'accusé fait face.
[19] Sur le deuxième critère, soit la nécessité d'aider le juge des faits, il faut se demander si les jurés peuvent facilement tirer des conclusions de fait de l'élément de preuve en question sans qu'ils n'aient besoin de l'aide d'une preuve d'expert sur la question.
[20] Le juge Sopinka a défini la nécessité comme un concept large qui toutefois ne saurait se limiter à la simple utilité en reprenant la définition énoncée par le juge Dickson dans Abbey : qui selon toute vraisemblance, dépassent l'expérience et la connaissance d'un juge ou d'un jury. En l'espèce, l'hypnose est en soi une technique et nécessite certaines connaissances spéciales.
[21] Reste le critère de la qualification de l'expert qui vise la fiabilité. Suite à l'approche retenue dans Mohan précité, les tribunaux doivent examiner la fiabilité d'une théorie ou encore de la technique scientifique utilisée de même que la qualification suffisante de l'expert.
[22] En l'espèce, l'agent Vaillancourt est polygraphiste depuis 1998 à la S.Q. Il a suivi une formation spécialisée de quatre mois au Collège canadien de police à Ottawa. Il a également suivi des cours de psychologie. Par la suite, il a suivi une formation de 40 heures à l'Université de Houston au Texas sur l'hypnose. Le cours consistait principalement à faire l'analyse et l'étude des différentes techniques employées en matière d'hypnose.
[24] Toute la rencontre préliminaire et la séance ont été enregistrées sur vidéocassette. Les questions posées concernant l'accident sont neutres. Rien ne peut laisser croire que l'interrogateur a induit le témoin à donner des réponses suggérées. La séance a duré près de 30 minutes et aucune insistance à répondre n'a été exercée. On lui demande si elle voit le conducteur. Elle ne peut pas voir qui conduit mais voit deux silhouettes. Également, elle ne voit pas ce qui se passe dans le véhicule.
[25] En contre-interrogatoire, on a demandé à Vaillancourt comment, pour un dossier médiatisé comme celui visé, l'hypnologue peut-il avoir l'assurance que le témoin n'a pas été influencé par la publicité entourant l'incident. Selon l'expert, lorsque le témoin répond en utilisant le temps présent, elle ne fait pas appel à sa mémoire; c'est plutôt lorsqu'une personne se sert du temps passé pour répondre qu'elle fait alors appel à sa mémoire. En l'espèce, le témoin a répondu en n'utilisant que le temps présent.
[26] Comme je l'ai indiqué à l'audience, il ressort de l'écoute du vidéo que le témoin est honnête et se livre à l'exercice de façon débonnaire. Rien de la séance ne laisse voir le désir de répondre absolument aux questions pour faire plaisir à l'interrogateur tel que plaidé par la défense. On n'y retrouve pas de manipulations suggestives. Cependant, ces considérations relèvent du cas spécifique soumis et ne devraient pas à ce stade faire partie du test de fiabilité requis. Ce sera plutôt aux jurés de vérifier la fiabilité absolue de cette preuve dans l'hypothèse où elle est déclarée admissible.
[27] Si l'on applique les critères de l'arrêt Clark précité au cas sous étude, j'estime que le policier Vaillancourt avait les qualifications nécessaires et la neutralité requise pour agir comme interrogateur. Le fait qu'il ait été un membre des forces policières n'affecte pas sa neutralité puisque l'enquête était faite par les policiers de Sherbrooke. De plus, il connaissait peu de détails sur l'accident tels qu'il y avait eu un accident entre un véhicule et une borne-fontaine et que le véhicule avait quitté bien que, au tout début de la séance, le témoin lui ait résumé ce qu'elle avait vu. D'ailleurs, lors de sa plaidoirie, l'avocat en défense a présenté que les critères de l'arrêt Clark étaient conformes en grande partie pour les critères 3-4-5-7-8 mais que seuls les critères 1, 2 et 6 étaient en cause. Il ne faut pas oublier que ces critères nous proviennent du droit américain et je doute que le juge Proulx les ait repris comme étant l'état actuel du droit.
[28] Quoiqu'il en soit, il faut faire l'analyse de la fiabilité de la technique scientifique proposée selon la méthode scientifique qui prévaut dans ce domaine. Selon l'article de doctrine soumis en défense, l'hypnose peut, dans certains cas, faciliter la création ou la modification du souvenir. J'en retiens qu'il ne s'agit pas d'une science exacte.
[29] Dans l'arrêt Lavallee, bien que la science psychologique ait été peu définie quant au syndrome de la femme battue, l'on a admis une preuve d'expert sur l'état d'esprit d'une femme battue.
[30] Reste à déterminer si l'hypnose est une nouvelle théorie ou technique spécialisée qui doit être soigneusement examinée pour déterminer si elle est fiable au sens des critères de l'arrêt Mohan.
[31] Le test de fiabilité en vertu de l'arrêt Mohan ne requiert pas l'évaluation de la fiabilité absolue mais plutôt d'un seuil de fiabilité. C'est ce qui ressort des propos du juge Finlayson rendant jugement au nom de la Cour dans R. c. Terciera :
[64] I do not believe that the judgment of the Supreme Court of Canada in Mohan intended to introduce a new format for the conduct of a voir dire for the scrutiny of novel scientific theory or techniques in order to establish a threshold of reliability. The screening process is directed to the issue of the admissibility of the novel expert testimony, not the determination of its ultimate reliability. I can see nothing in recent authority which indicates a change in the traditional role of the trial judge in assessing the reliability of proffered evidence before ruling on its admissibility. He or she is not the trier of fact and should not invade the province of the jury by making findings of fact on the ultimate issues. The trial judge's function is limited to an overview of the evidence proffered in order to be satisfied that it reflects a scientific theory or technique that has either gained acceptance in the scientific community, or if not accepted, is considered otherwise reliable in accordance with the methodology validating it. The trial judge will be required to hear sufficient evidence to determine reliability as a preliminary matter. Moreover, the trial judge must not pass judgment on the particular application of the methodology by the expert. This is a question of weight to be determined by the jury. The trial judge must restrict his inquiry to determining whether the proposed novel scientific technique or theory has a foundation in science, as determined. The nature and scope of the evidence necessary for the trial judge to reach the threshold determination will vary according to the type of evidence proffered and the concessions made by counsel. As a result, it would be unwise to define the threshold test of reliability with the precision advanced by the scientific community. Rather, the threshold test of reliability must remain capable of adaptation to changing circumstances and realities. Reliability is best determined under the scrutiny of the trial judge as guided by the demands and particularities of the case. Simply stated, the threshold test of reliability is met when the trial judge, having reviewed certain evidence presented by counsel, feels that the novel scientific technique or theory is sufficiently reliable to be put to the jury for its review.
[32] D'ailleurs dans cette affaire, il était question d'une preuve d'ADN mais également question d'un témoin dont la mémoire avait été ravivée par l'hypnose, (voir par. 82).
[33] Il faut garder à l'esprit que le fardeau d'établir les critères d'admissibilité d'une telle preuve n'est que par prépondérance de preuve : (Murrin et Terciera, précités).
[34] Cependant, dans l'arrêt R. c. J.-L.J., le juge Binnie, rendant jugement pour la Cour, soulignait l'importance du juge du procès dans son rôle de «gardien» à l'égard de l'admissibilité d'une preuve d'expert sur les sciences nouvelles en évitant de se rabattre trop facilement sur le fait que les faiblesses de cette preuve n'auront d'incidence que sur la valeur probante de la preuve mais non sur son admissibilité. Dans cette affaire, il s'agissait d'une preuve de pléthysmographie pénienne que le premier juge avait refusé d'admettre et dont la Cour suprême a conclu que c'était à bon droit. On y mentionne qu'un niveau de fiabilité utile en thérapie n'équivaudra pas nécessairement à la fiabilité requise devant une cour de justice. D'ailleurs, le juge du procès avait refusé d'admettre cette preuve en tenant compte de la marge d'erreur dans les résultats de ces tests.
[35] Reprenant les critères de l'arrêt américain Daubert, le juge Binnie énonce les facteurs utiles pour évaluer la fiabilité d'une preuve technique :
• La théorie ou la technique peut-elle être vérifiée et l'a-t-elle été ?
• La théorie ou la technique a-t-elle fait l'objet d'un contrôle par des pairs et d'une publication ?
• Le taux connu ou potentiel d'erreurs ou l'existence de normes, et
• La théorie ou la technique utilisée est-elle généralement acceptée ?
[36] Or, en l'espèce aucune preuve n'a été faite sur la reconnaissance de cette technique non plus que sur le taux connu ou potentiel d'erreurs d'une telle preuve. Aussi, même si Vaillancourt témoigne avoir fait passer au-delà de 300 tests de détecteurs de mensonges, aucune preuve n'a été présentée quant au nombre de séances d'hypnose qu'il aurait faites.
[37] Tous les aspects traitant du fondement de la fiabilité de cette science ont été occultés. L'expert a témoigné du procédé employé mais non sur sa fiabilité. En outre, on n'a aucune idée du potentiel d'erreurs d'une telle preuve.
[38] Lors du voir-dire, à part d'avoir présenté le déroulement de la séance d'hypnose, aucune preuve n'a été faite sur la valeur de l'hypnose, les méthodes existantes par opposition à celle employée ou encore la théorie qui se rattache à cette science.
[39] J'estime qu'il appartient à la partie qui veut introduire en preuve une technique scientifique «nouvelle» d'en établir sa fiabilité et la preuve présentée sur voir-dire n'a pas traité de ces aspects.
[40] Dans ces circonstances, le Tribunal ne peut pas déterminer la fiabilité de la preuve d'expert et, conséquemment, l'ajout suite à la séance d'hypnose est déclaré inadmissible.
[15] Avant d'admettre une preuve obtenue suite à l'utilisation de l'hypnose, un juge doit tenir un voir-dire pour décider de la recevabilité de cette preuve. L'arrêt de principe sur cette question est l'arrêt R. c. Taillefer précité, où le juge Proulx faisait une analyse exhaustive de la question. Incidemment, les faits dans cette affaire sont semblables à ceux de notre dossier. Une jeune fille avait disparu alors qu'elle retournait à pied chez-elle en soirée. Peu après sa disparition, l'on retrouva son cadavre aux abords d'un chemin. Un camionneur avait aperçu un camion près de la région où le cadavre fut retrouvé et il identifia le véhicule comme étant celui du père de l'accusé. Le fils du camionneur avait aperçu le même véhicule mais n'était pas en mesure de donner des précisions sur le véhicule. Soumis à une séance d'hypnose par un policier de la S.Q. ayant une formation dans ce domaine, le jeune garçon a pu se remémorer certains détails dont la présence d'un camion "Tracker" rouge aux abords du chemin en question. On a reproché au juge du procès de ne pas avoir permis à la défense de soulever la question de la fiabilité de l'hypnose et d'avoir refusé de soumettre la cassette vidéo aux jurés.
[16] La question de l'usage de l'hypnose pour raviver la mémoire pose la question de la recevabilité d'une telle preuve eu égard à sa fiabilité. Cette preuve fut admise dans certains cas : R. c. Pitt, (1968) 3 C.C.C. 342 (B.C.S.C.) ; R. c. Zubot, (1983) 47 A.R. 389 (Alta Q.B.); R. c. Clark, reflex, (1984) 13 C.C.C. (3d) 117 (Alta Q.B.), mais refusée dans R. c. K, (1979) 47 C.C.C. (2d) 436 (Man. P.C.) et R. c. Savoy, no: CC940826 (B.C.S.C.), 24 novembre 1997, voir également R. c. Kliman, 1996 CanLII 8364 (BC C.A.), (1996) 107 C.C.C. (3d) 549 (B.C.C.A.), sur une question de "flashback". Comme le mentionne le juge Proulx dans l'arrêt Taillefer précité, peu de tribunaux d'appel se sont prononcés sur la question.
[17] L'arrêt R. c. Mohan de la Cour suprême a établi les critères de recevabilité des nouvelles preuves scientifiques. Le premier critère de la pertinence de la preuve n'est pas en cause en l'espèce puisque cette preuve appuie la théorie de la poursuite soit que la victime aurait été enlevée par l'accusé alors qu'elle retournait à sa voiture. La présence de deux personnes ou silhouettes dans le véhicule lors de l'impact avec la borne-fontaine confirme que l'accusé était déjà à bord du véhicule de la victime au moment de l'impact.
[18] (...) Cette preuve est donc pertinente au litige vu sa connexité entre le fait constaté et ce qu'il vise à établir. Il a également une pertinence légale en ce qu'il constitue un élément de preuve circonstancielle pouvant servir à établir les éléments essentiels des crimes d'enlèvement et de séquestration auxquels l'accusé fait face.
[19] Sur le deuxième critère, soit la nécessité d'aider le juge des faits, il faut se demander si les jurés peuvent facilement tirer des conclusions de fait de l'élément de preuve en question sans qu'ils n'aient besoin de l'aide d'une preuve d'expert sur la question.
[20] Le juge Sopinka a défini la nécessité comme un concept large qui toutefois ne saurait se limiter à la simple utilité en reprenant la définition énoncée par le juge Dickson dans Abbey : qui selon toute vraisemblance, dépassent l'expérience et la connaissance d'un juge ou d'un jury. En l'espèce, l'hypnose est en soi une technique et nécessite certaines connaissances spéciales.
[21] Reste le critère de la qualification de l'expert qui vise la fiabilité. Suite à l'approche retenue dans Mohan précité, les tribunaux doivent examiner la fiabilité d'une théorie ou encore de la technique scientifique utilisée de même que la qualification suffisante de l'expert.
[22] En l'espèce, l'agent Vaillancourt est polygraphiste depuis 1998 à la S.Q. Il a suivi une formation spécialisée de quatre mois au Collège canadien de police à Ottawa. Il a également suivi des cours de psychologie. Par la suite, il a suivi une formation de 40 heures à l'Université de Houston au Texas sur l'hypnose. Le cours consistait principalement à faire l'analyse et l'étude des différentes techniques employées en matière d'hypnose.
[24] Toute la rencontre préliminaire et la séance ont été enregistrées sur vidéocassette. Les questions posées concernant l'accident sont neutres. Rien ne peut laisser croire que l'interrogateur a induit le témoin à donner des réponses suggérées. La séance a duré près de 30 minutes et aucune insistance à répondre n'a été exercée. On lui demande si elle voit le conducteur. Elle ne peut pas voir qui conduit mais voit deux silhouettes. Également, elle ne voit pas ce qui se passe dans le véhicule.
[25] En contre-interrogatoire, on a demandé à Vaillancourt comment, pour un dossier médiatisé comme celui visé, l'hypnologue peut-il avoir l'assurance que le témoin n'a pas été influencé par la publicité entourant l'incident. Selon l'expert, lorsque le témoin répond en utilisant le temps présent, elle ne fait pas appel à sa mémoire; c'est plutôt lorsqu'une personne se sert du temps passé pour répondre qu'elle fait alors appel à sa mémoire. En l'espèce, le témoin a répondu en n'utilisant que le temps présent.
[26] Comme je l'ai indiqué à l'audience, il ressort de l'écoute du vidéo que le témoin est honnête et se livre à l'exercice de façon débonnaire. Rien de la séance ne laisse voir le désir de répondre absolument aux questions pour faire plaisir à l'interrogateur tel que plaidé par la défense. On n'y retrouve pas de manipulations suggestives. Cependant, ces considérations relèvent du cas spécifique soumis et ne devraient pas à ce stade faire partie du test de fiabilité requis. Ce sera plutôt aux jurés de vérifier la fiabilité absolue de cette preuve dans l'hypothèse où elle est déclarée admissible.
[27] Si l'on applique les critères de l'arrêt Clark précité au cas sous étude, j'estime que le policier Vaillancourt avait les qualifications nécessaires et la neutralité requise pour agir comme interrogateur. Le fait qu'il ait été un membre des forces policières n'affecte pas sa neutralité puisque l'enquête était faite par les policiers de Sherbrooke. De plus, il connaissait peu de détails sur l'accident tels qu'il y avait eu un accident entre un véhicule et une borne-fontaine et que le véhicule avait quitté bien que, au tout début de la séance, le témoin lui ait résumé ce qu'elle avait vu. D'ailleurs, lors de sa plaidoirie, l'avocat en défense a présenté que les critères de l'arrêt Clark étaient conformes en grande partie pour les critères 3-4-5-7-8 mais que seuls les critères 1, 2 et 6 étaient en cause. Il ne faut pas oublier que ces critères nous proviennent du droit américain et je doute que le juge Proulx les ait repris comme étant l'état actuel du droit.
[28] Quoiqu'il en soit, il faut faire l'analyse de la fiabilité de la technique scientifique proposée selon la méthode scientifique qui prévaut dans ce domaine. Selon l'article de doctrine soumis en défense, l'hypnose peut, dans certains cas, faciliter la création ou la modification du souvenir. J'en retiens qu'il ne s'agit pas d'une science exacte.
[29] Dans l'arrêt Lavallee, bien que la science psychologique ait été peu définie quant au syndrome de la femme battue, l'on a admis une preuve d'expert sur l'état d'esprit d'une femme battue.
[30] Reste à déterminer si l'hypnose est une nouvelle théorie ou technique spécialisée qui doit être soigneusement examinée pour déterminer si elle est fiable au sens des critères de l'arrêt Mohan.
[31] Le test de fiabilité en vertu de l'arrêt Mohan ne requiert pas l'évaluation de la fiabilité absolue mais plutôt d'un seuil de fiabilité. C'est ce qui ressort des propos du juge Finlayson rendant jugement au nom de la Cour dans R. c. Terciera :
[64] I do not believe that the judgment of the Supreme Court of Canada in Mohan intended to introduce a new format for the conduct of a voir dire for the scrutiny of novel scientific theory or techniques in order to establish a threshold of reliability. The screening process is directed to the issue of the admissibility of the novel expert testimony, not the determination of its ultimate reliability. I can see nothing in recent authority which indicates a change in the traditional role of the trial judge in assessing the reliability of proffered evidence before ruling on its admissibility. He or she is not the trier of fact and should not invade the province of the jury by making findings of fact on the ultimate issues. The trial judge's function is limited to an overview of the evidence proffered in order to be satisfied that it reflects a scientific theory or technique that has either gained acceptance in the scientific community, or if not accepted, is considered otherwise reliable in accordance with the methodology validating it. The trial judge will be required to hear sufficient evidence to determine reliability as a preliminary matter. Moreover, the trial judge must not pass judgment on the particular application of the methodology by the expert. This is a question of weight to be determined by the jury. The trial judge must restrict his inquiry to determining whether the proposed novel scientific technique or theory has a foundation in science, as determined. The nature and scope of the evidence necessary for the trial judge to reach the threshold determination will vary according to the type of evidence proffered and the concessions made by counsel. As a result, it would be unwise to define the threshold test of reliability with the precision advanced by the scientific community. Rather, the threshold test of reliability must remain capable of adaptation to changing circumstances and realities. Reliability is best determined under the scrutiny of the trial judge as guided by the demands and particularities of the case. Simply stated, the threshold test of reliability is met when the trial judge, having reviewed certain evidence presented by counsel, feels that the novel scientific technique or theory is sufficiently reliable to be put to the jury for its review.
[32] D'ailleurs dans cette affaire, il était question d'une preuve d'ADN mais également question d'un témoin dont la mémoire avait été ravivée par l'hypnose, (voir par. 82).
[33] Il faut garder à l'esprit que le fardeau d'établir les critères d'admissibilité d'une telle preuve n'est que par prépondérance de preuve : (Murrin et Terciera, précités).
[34] Cependant, dans l'arrêt R. c. J.-L.J., le juge Binnie, rendant jugement pour la Cour, soulignait l'importance du juge du procès dans son rôle de «gardien» à l'égard de l'admissibilité d'une preuve d'expert sur les sciences nouvelles en évitant de se rabattre trop facilement sur le fait que les faiblesses de cette preuve n'auront d'incidence que sur la valeur probante de la preuve mais non sur son admissibilité. Dans cette affaire, il s'agissait d'une preuve de pléthysmographie pénienne que le premier juge avait refusé d'admettre et dont la Cour suprême a conclu que c'était à bon droit. On y mentionne qu'un niveau de fiabilité utile en thérapie n'équivaudra pas nécessairement à la fiabilité requise devant une cour de justice. D'ailleurs, le juge du procès avait refusé d'admettre cette preuve en tenant compte de la marge d'erreur dans les résultats de ces tests.
[35] Reprenant les critères de l'arrêt américain Daubert, le juge Binnie énonce les facteurs utiles pour évaluer la fiabilité d'une preuve technique :
• La théorie ou la technique peut-elle être vérifiée et l'a-t-elle été ?
• La théorie ou la technique a-t-elle fait l'objet d'un contrôle par des pairs et d'une publication ?
• Le taux connu ou potentiel d'erreurs ou l'existence de normes, et
• La théorie ou la technique utilisée est-elle généralement acceptée ?
[36] Or, en l'espèce aucune preuve n'a été faite sur la reconnaissance de cette technique non plus que sur le taux connu ou potentiel d'erreurs d'une telle preuve. Aussi, même si Vaillancourt témoigne avoir fait passer au-delà de 300 tests de détecteurs de mensonges, aucune preuve n'a été présentée quant au nombre de séances d'hypnose qu'il aurait faites.
[37] Tous les aspects traitant du fondement de la fiabilité de cette science ont été occultés. L'expert a témoigné du procédé employé mais non sur sa fiabilité. En outre, on n'a aucune idée du potentiel d'erreurs d'une telle preuve.
[38] Lors du voir-dire, à part d'avoir présenté le déroulement de la séance d'hypnose, aucune preuve n'a été faite sur la valeur de l'hypnose, les méthodes existantes par opposition à celle employée ou encore la théorie qui se rattache à cette science.
[39] J'estime qu'il appartient à la partie qui veut introduire en preuve une technique scientifique «nouvelle» d'en établir sa fiabilité et la preuve présentée sur voir-dire n'a pas traité de ces aspects.
[40] Dans ces circonstances, le Tribunal ne peut pas déterminer la fiabilité de la preuve d'expert et, conséquemment, l'ajout suite à la séance d'hypnose est déclaré inadmissible.
Analyse exhaustive de l'état du droit quant à l'hypnose
R. c. Taillefer, 1995 CanLII 4592 (QC C.A.)
Résumé des procédures
Au procès, un voir-dire fut tenu par le juge, en l'absence du jury. Le policier Tremblay, de la Sûreté du Québec, a témoigné en sa qualité d'«hypno-enquêteur». Policier de carrière, il fait état de cours qu'il a suivis sur l'hypnose d'enquête qui sert à «rafraîchir» la mémoire des victimes et des témoins, ainsi que de l'expérience acquise dans ce domaine, au fil des ans. Il distingue l'hypnose d'enquête qui, selon lui, ne requiert pas de connaissances particulières en psychologie et psychiatrie, de l'hypnose de thérapie. Après avoir été reconnu par le juge comme témoin expert «hypnologue-enquêteur», le policier a décrit la séance d'hypnose du 15 mars 1990 sur la personne de Carl St-Pierre, soit cinq jours après les événements. Cette séance, enregistrée sur bande vidéo, fut projetée au cours du voir-dire. La défense s'est objectée à l'admissibilité de cette preuve au motif que le policier Tremblay n'était pas qualifié pour tenir cette séance d'hypnose et a demandé au tribunal la permission de faire témoigner un expert pour justifier son objection.
Le premier juge a maintenu sa décision quant à la qualification de l'expert Tremblay et autorisé la poursuite à faire entendre Carl St-Pierre devant jury pour témoigner sur ce dont il s'est souvenu grâce à l'hypnose. Toutefois, il a déclaré que la bande vidéo ne serait pas projetée au jury, craignant qu'elle ne puisse «indûment influencer le jury» (m.i. 506). Il ajoute que «c'est le témoignage en cour qui fait preuve» et non la bande vidéo. Dans sa décision, le premier juge permet donc «que cette preuve par hypnose soit produite devant le jury, mais sans le vidéo...» (m.i. 508).
Le jury est rappelé. Le policier Tremblay, témoin expert, reprend essentiellement le témoignage rendu lors du voir-dire. Il explique en quoi consiste cette méthode d'enquête et décrit en détail, mais sans la bande vidéo, comment il a procédé avec Carl St-Pierre. Ce dernier témoigne par la suite. Il précise que c'est grâce à l'hypnose qu'il a pu se remémorer certains faits, dont la présence d'un Tracker rouge en bordure du Chemin Baie des Carrières ce matin du 10 mars 1990, de même que certains autres détails permettant une identification plus spécifique. Selon lui, l'hypno-enquêteur s'est bien gardé de lui suggérer des réponses.
Analyse
Avec égards, je suis d'opinion:
(1) que le juge a erré en ne permettant pas à la défense de soulever la question de la fiabilité de l'hypnose et des qualifications de «l'hypno-enquêteur»,
(2) que la bande vidéo de la séance d'hypnose devait être présentée au jury,
(3) que des directives précises devaient être données au jury sur la valeur probante et la crédibilité d'un témoignage rendu à la suite d'une séance d'hypnose. J'entends maintenant élaborer sur chacun de ces points.
(1) Le voir-dire: l'hypnose et la qualification de l'expert
Il ne me semble pas qu'une cour d'appel canadienne (sauf la cour d'appel de la Nouvelle-Écosse, mais dans un jugement très sommaire), se soit jamais prononcée sur les questions de la recevabilité et de la valeur probante d'un témoignage rendu suite à l'utilisation de l'hypnose par les policiers au cours de leur enquête. Les seules décisions canadiennes où ces questions ont été abordées proviennent d'instances de procès.
Dans R. c. Pitt, le juge Aikins de la Cour Suprême de la Colombie-Britannique, a permis à l'accusée, au cours de son interrogatoire principal, de se soumettre à une séance d'hypnose dans le but de raviver certains événements qui s'étaient effacés de sa mémoire, tout en précisant que son témoignage pourrait se poursuivre dès qu'elle serait libérée de son état hypnotique. Dans R. c. Clark, le juge Wachowich de la Cour du Banc de la Reine d'Alberta a autorisé l'accusé à témoigner sur des faits dont il se disait maintenant capable de se remémorer grâce à l'hypnose à laquelle il avait consenti suite aux conseils de son psychiatre. Dans cette décision rendue en 1984, le juge Wachowich, a cru opportun, sans doute en raison de la rareté de précédents canadiens, de suggérer en regard de la recevabilité d'un témoignage rendu par suite de l'utilisation de l'hypnose pour recouvrer la mémoire, d'adopter les principes directeurs énoncés dans deux décisions américaines prononcées en 1980 (p. 125):
(1) The person conducting the hypnotic interview should be a qualified professional with training both in the use of hypnosis and expertise in psychiatry or clinical psychology.
(2) The hypnotist must be independent of the party who requires his services. That is, he must be free to conduct the hypnotic interview in accordance with his professional standards rather than in concert with the party who employs him.
(3) The hypnotist should be given only the minimum amount of information necessary to conduct the interview. This information should be communicated solely in written form.
(4) The entire interview between the hypnotist and the potential witness should be recorded preferably on video tape, but there should at least be a complete audio record.
(5) The interview should be conducted with only the hypnotist and the subject present. If the party who employs the services of a hypnotist (whether the police or defence counsel), wishes to observe the interview, then arrangements will have to be made so that the interview can be viewed from another room by virtue of closed circuit television or whatever other mechanism is available.
(6) Prior to the actual hypnosis of the subject, the hypnotist should conduct a lengthy interview of the subject to determine his medical history including information about the present or past use of drugs. The judgment and intelligence of the subject should be evaluated.
(7) Prior to hypnosis, the hypnotist should elicit from the subject a detailed description of the facts surrounding the subject-matter of the hypnosis session, as the subject is able to recall them at that point in time.
(8) The hypnotist should pay careful attention to the form and manner of his questions, the choice of his words and the avoidance of body language so that he is not either intentionally or inadvertently providing the subject with information.
La Cour du Banc de la Reine d'Alberta, a également reçu en preuve un témoignage rendu à la suite d'une séance d'hypnose.
Il y a lieu ici de faire un rapprochement entre ces décisions et celles où, cette fois, c'est l'administration d'amytal de sodium qui a servi à raviver la mémoire. Le juge Moldaver, de la Ontario Court of Justice, General Division, a permis au psychiatre qui avait interrogé l'accusée sous l'influence de l'amytal de sodium, de relater lui-même au procès ce que l'accusée lui avait déclaré, cette dernière étant même incapable de raconter les faits divulgués au cours de la séance. Dans R. c. Allen, un juge de la High Court d'Ontario a jugé habile à témoigner un témoin à charge dont la mémoire avait été ravivée, avec son consentement, grâce à ce médicament.
Dans ces décisions, un voir-dire a été tenu par le juge du procès de manière à vérifier (1) la compétence de la personne qui a administré le traitement, (2) la fiabilité de la technique utilisée ainsi que (3) les conditions dans lesquelles cette technique avait été pratiquée. Dans chacun des cas, tout en admettant le témoignage en preuve, les tribunaux ont cependant conclu que ces éléments qui ont fait l'objet du voir-dire devaient également être considérés dans l'évaluation de la valeur probante du témoignage ainsi obtenu et même de la crédibilité du témoin.
Avec respect pour l'opinion du premier juge, pour qui la question de fiabilité de la technique d'hypnose ne soulevait pas de débat au motif que les tribunaux canadiens en permettaient l'utilisation, je ne crois pas que l'on puisse dégager cette conclusion des jugements isolés dont j'ai fait l'examen, et encore moins de l'étude de la doctrine récente, tant américaine, qu'anglaise et canadienne.
Dans une publication récente sur le sujet, Gisli H. Gudjonsson, de l'Institute of Psychiatry de Londres, consacre un chapitre de son traité «The Psychology of Interrogations, Confessions and Testimony» (1993, John Wiley and Sons Ltd., West Sussex, England), à ce qu'il intitule les «Psychological Techniques For Enhancing Memory Rretrieval», dont l'hypnose. Faisant le point sur la littérature scientifique tant américaine qu'anglaise et sur la position adoptée par les tribunaux, l'auteur apporte de grandes réserves à l'hypothèse que l'hypnose peut raviver la mémoire (p. 169):
The conclusion to be drawn is that more ecologically valid experimental studies need to be carried out before definite scientific conclusions can be drawn about the true benefits, and limitations of hypnosis for memory enhancement.
Quant aux dangers de recourir à cette technique, Gudjonsson écrit (p. 170):
Reviewing the scientific literature on the use of investigative hypnosis, the normal memory process seems to be potentially interfered with in three respects. Firstly, subjects may be particularly prone to confabulate whilst under the influence of hypnosis. Some authors prefer to use the term «pseudomemory» instead of confabulation to describe the type of «fantasy» material generated during the hypnosis process. Secondly, hypnosis may heighten some subjects' susceptibility to leading questions. Thirdly, the hypnotic process may actually make subjects feel overconfident in their recollections (i.e. it hardens their confidence in their memory without an objective basis for it).
Concluant sur cet aspect, l'auteur précise:
Investigative or forensic hypnosis has been extensively used as an information gathering tool. It is commonly used by police officers in the United States of America and Israel, although in recent years the technique has come under severe criticism from academics, because of lack of empirical findings in experimental studies. The technique appears to be of greatest value with witnesses and victims in cases where memory recall is inhibited because of emotional trauma.
Deux articles publiés en Angleterre, l'un en 1980 et l'autre en 1983 dans le Criminal Law Review, nous plongent dans une controverse totale sur la fiabilité de l'hypnose comme technique d'enquête.
Dans une mise à jour du droit américain publiée en 1991, l'auteur fait le point sur des décisions rendues par les cours fédérales et les tribunaux de vingt-trois états. À l'aide de cette étude, je constate que même la question de l'admissibilité d'un témoignage rendu par suite de l'utilisation de l'hypnose ne fait pas l'unanimité. C'est ce qui ressort encore plus clairement du Corpus Juris Secundum (un énoncé contemporain du droit américain), publié en 1989 (vol. 23, St-Paul, Minn., West Publishing Co.), qui résume comme suit l'état de la jurisprudence qui a conclu à l'exclusion de cette preuve (pages 232, 233, 234):
Under some authority, the testimony of a witness, whether the victim, or an eyewitness who has undergone hypnosis for the purpose of restoring his memory of the events in issue is inadmissible as to all matters relating to those events, from the time of the hypnotic session forward for the reason that hypnosis is generally unacceptable in the relevant scientific community for the purpose of memory retrieval, on the ground that it tends to be unreliable.
Such testimony tends to be more prejudicial than probative regardless of corroborating evidence, and denies defendant his right to confrontation and cross-examination, in a meaningful way, and is not admissible where the witness has no independant basis for such testimony. Under some of these authorities, no set of procedural safeguards, as discussed supra 968, can adequately remedy the unreliability of hypnotically-enhanced testimony. This rule applies where memory has been refreshed by therapeutic hypnosis as well as by forensic hypnosis.
Under the rule stated in this section any person who has been hypnotized for investigative purposes will not be allowed to testify as a witness to the events that were the subject of the hypnotic session, but evidence discovered by such an investigation is not ipso facto rendered inadmissible by the prior hypnosis.
Cet extrait fait référence à des «guidelines» ou principes directeurs (énoncés au par. 968 de l'ouvrage) que certains états ont adoptés, non comme conditions de recevabilité, mais «for the general guidance of the trial court». Dans un second temps, le Corpus Juris Secundum expose comme suit le courant jurisprudentiel qui favorise la recevabilité d'une telle preuve (pages 229, 230):
Under some authority, the fact that a witness in a criminal proceeding has been hypnotized does not render the witness incompetent to testify, and hypnotically refreshed testimony is admissible, as the fact that the witness had been hypnotized prior to trial affects only the weight and credibility of the witness testimony and not its admissibility. The trier of fact can adequately assess such testimony where the defendant is allowed to present expert testimony to the jury to show that the hypnotism of the witness may influence that witness' recollection.
Under some authority, hypnotically-induced testimony may be admissible if the proponent of the testimony can demonstrate that the use of hypnosis in the particular case was a reasonably means of restoring memory comparable to normal recall in its accuracy. A witness' memory can be considered reasonably reliable if it is able to yield recollections as accurate as those of an ordinary witness. In addition, post-hypnotic recollections, revived by hypnosis, are admissible where a proper foundation has first established the expertise of the hypnotist and that techniques employed were correctly performed, free from bias or improper suggestibility.
The party seeking to introduce hypnotically-refreshed testimony has the burden of establishing admissibility by clear and convincing evidence, and any showing of suggestiveness amounting to a constitutional violation should be the burden of defendant. If the testimony enhanced through hypnosis is admissible, the opponent may still challenge reliability of the particular procedures followed in the individual case by introducing expert testimony at the trial, but the opponent may not attempt to prove the general unreliability of hypnosis.
Where the use of hypnosis results in a subsequent out-of-court or in-court identification of defendant, defendant may challenge on constitutional grounds the admissibility of testimony concerning the identification.
En 1984, dans la Revue du Barreau, trois auteurs[11], dont une avocate et deux spécialistes des sciences du comportement, exposaient, dans un article fouillé, plusieurs facettes des difficultés que pose au juriste l'utilisation de l'hypnose «psycho-légale». Faisant le point sur la jurisprudence canadienne et américaine et se montrant très critiques[12] sur l'utilisation de cette technique en milieu judiciaire, les auteurs concluent comme suit (p. 897):
Pour résumer la situation il nous semble que cette dernière décision ouvre la porte au même débat qui a pris place pendant plus d'une décennie chez nos voisins américains. Admettre en preuve un témoignage obtenu dans de telles conditions peut mener aux pires abus. Cependant, il y a encore trop peu de jurisprudence canadienne pour que l'on puisse émettre une opinion valable. Le champ est ouvert à l'innovation. Que l'hypnose soit employée de façon régulière par les forces policières de plusieurs provinces pose déjà plusieurs questions dont le législateur devra se préoccuper dans les plus brefs délais si l'on veut éviter ou à tout le moins minimiser les abus qui ont pris place aux États-Unis.*
* Notons que pendant que ce texte était sous presse, une récente décision a été rapportée soit R. c. Clark, 40 C.R. (3d) 183. Cet arrêt reprend R. c. Zubot et rejette R. c. K. Il nous semble dangereux d'adhérer à cette position qui veut que la question de fiabilité de l'hypnose en tant que méthode d'enquête scientifique ne soit pas tranchée sur voir-dire, mais soit uniquement un facteur que le jury aura à considérer pour apprécier le témoignage entendu. À notre avis, on ne peut suivre R. c. Clark, parce que la preuve obtenue en hypnose peut être très préjudiciable à l'accusé pour toutes les raisons énumérées dans ce texte.
Plus récemment, le professeur A.W. Mewett, dans un chapitre intitulé «Present Memory and Past Recollection» de son traité publié en 1991 («Witnesses», Carswell, 1991), sans entrer dans le débat de fond sur la fiabilité de l'hypnose comme technique pour raviver la mémoire, discute de l'approche que devraient adopter les tribunaux qui acceptent, comme hypothèse, que l'hypnose puisse raviver la mémoire d'un témoin. Il s'exprime comme suit (page 13-19):
What must be resolved first is whether the courts are prepared to accept that these techniques - hypnosis or «truth-drugs» - can revive a dormant memory. If the answer to that is in the negative, then there is no further problem. If the answer is in the affirmative (and the scientific evidence seems clear that such techniques can have this effect), then the problem becomes one of recognising and controlling any dangers that are inherent in the process. If these dangers are not (or, indeed, cannot) be controlled, then any evidence resulting from these techniques must be most unreliable and should be excluded. If, however, there is some guarantee that these dangers can be, if not eliminated, then at least controlled, it is probably true that such evidence should be admissible so long as the trier of fact has sufficient data available to enable him or her to make some sensible assessment of the creditworthiness of the evidence. It should follow from this that, if we assume the initial premise, viz., that such techniques are capable of assisting in the recall of memory, then there seems no reason why a voir dire should not first be held to determine whether suitable safeguards were employed to make the evidence admissible, and then to require, in the event that it is ruled admissible, evidence to be placed before the fact finder from which he or she can make an assessment of this weight and reliability.
2 - Le voir-dire en l'espèce
En l'espèce, c'est à bon droit qu'un voir-dire a été tenu, après que le substitut eut informé le tribunal qu'il se proposait de faire entendre Carl St-Pierre sur des faits qu'il s'était remémoré grâce à l'hypnose pratiquée par l'enquêteur de la Sûreté du Québec. Par analogie avec la règle traditionnelle de preuve qui permet au juge du droit de vérifier les circonstances dans lesquelles un témoin s'est rafraîchi la mémoire, le cas du témoin soumis antérieurement à l'hypnose pour raviver sa mémoire (je préfère ici l'emploi du mot «raviver» plutôt que «rafraîchir») exige que le juge du droit soit satisfait que ce procédé respecte les règles fondamentales de l'administration de la preuve. C'est dans ce contexte que le juge s'enquiert des circonstances dans lesquelles la mémoire a été ravivée, non seulement par l'audition du témoin soumis à cette technique de stimulation de la mémoire, mais également par tout autre témoin relié à l'emploi de cette technique, principalement l'hypno-enquêteur.
L'étude de la doctrine et de la jurisprudence américaine, anglaise et canadienne me fait conclure que la question de la recevabilité en preuve d'un témoignage rendu à la suite d'une séance d'hypnose n'était pas, à l'époque où le procès s'est tenu, (pas plus que maintenant, d'ailleurs) réglée, au sens où le premier juge l'a compris, en se déclarant satisfait que la fiabilité de la technique et la compétence de l'hypno-enquêteur ne pouvaient être attaquées dans le cadre du voir-dire. Par ailleurs, cette incursion dans un domaine de droit peu connu me convainc de l'opportunité de préciser les paramètres pour décider de l'admissibilité de cette preuve, même si en bout de ligne, je conclus que les irrégularités entourant l'admissibilité de cette preuve n'ont pas, en considérant l'ensemble du dossier, causé de préjudice véritable aux appelants.
Je n'ai pas, dans le cadre de ce pourvoi, à trancher la question de fond de la fiabilité de cette technique et ce, pour la simple raison que le dossier ne contient pas tous les éléments qui me le permettraient. Néanmoins, j'ai à me demander dans quelle mesure la question de fiabilité pouvait et devait être soulevée dans le cadre du voir-dire, sur la base du seul témoignage du policier que la poursuite présentait comme expert.
En droit canadien, la recevabilité ou la validité d'une preuve scientifique qui se fonde sur une théorie non encore bien acceptée ou dont l'exactitude n'est pas consacrée, est maintenant soumise à un critère préliminaire de fiabilité («threshold test of reliability»). C'est ce qui se dégage clairement de l'arrêt R. c. Mohan, 1994 CanLII 80 (C.S.C.), [1994] 2 R.C.S. 9, de même que R. c. Melaragni reflex, (1992), 73 C.C.C. (3d) 348 (Ont.Gen.D.), R. c. Dieffenbaugh reflex, (1993), 80 C.C.C. (3d) 97 (C.A.C.-B.), R. c. Baptiste reflex, (1994), 88 C.C.C. (3d) 211 (C.A.C.-B.).
Dans l'arrêt Mohan, le juge Sopinka, au nom de la cour, rappelle les quatre critères qui doivent s'appliquer pour décider de l'admissibilité de la preuve d'expert, soit (1) la pertinence, (2) la nécessité d'aider le juge des faits, (3) l'absence de toute règle d'exclusion et (4) la qualification suffisante de l'expert. C'est sous l'angle de la pertinence qu'il discute du facteur fiabilité-effet (reliability versus effect factor), dans l'application de l'admissibilité de la preuve d'expert et qu'il introduit le principe énoncé ci-haut, soit le critère préliminaire de fiabilité («threshold test of reliability») dans les cas de nouvelle technique ou théorie scientifique. Le juge Sopinka résume comme suit sa pensée (p. 25):
In summary, therefore, it appears from the foregoing that expert evidence which advances a novel scientific theory or technique is subjected to special scrutiny to determine whether it meets a basic threshold of reliability and whether it is essential in the sense that the trier of fact will be unable to come to a satisfactory conclusion without the assistance of the expert. The closer the evidence approaches an opinion on an ultimate issue, the stricter the application of this principle.
En l'espèce, comme il découle de ce que j'ai décrit précédemment, que l'hypnose employée comme technique de stimulation de la mémoire soulève même aujourd'hui de sérieuses questions sur sa fiabilité, les objections des appelants à la fiabilité de la méthode et aux qualifications du policier proposé comme expert ne pouvaient être rejetées, au préalable, sur la seule base de l'acceptation de cette méthode par certains tribunaux canadiens. Encore une fois je ne discute pas du bien-fondé de l'objection des appelants: je dis tout simplement que, compte tenu de l'état de la doctrine et de la jurisprudence sur la question, les appelants étaient en droit de soulever un débat sur la fiabilité de la méthode et par surcroît, sur les qualifications du témoin. Le voir-dire, en l'espèce, devait donc permettre de déterminer (1) la compétence de l'expert, (2) la fiabilité de l'hypnose comme technique pour raviver la mémoire et les garanties requises pour en assurer la fiabilité et (3) si les conditions dans lesquelles la technique a été administrée à l'endroit du témoin respectaient, prima facie, les garanties fixées.
Comme je l'ai souligné précédemment, je ne peux pas ici me prononcer sur la question de fond, qui reste la fiabilité de l'hypnose. Je ne peux donc élaborer davantage sur les recommandations ou principes directeurs proposés aux États-Unis et approuvés par certains juges canadiens, tant sur la qualification professionnelle de l'expert que sur son indépendance professionnelle ou les modalités de la technique: le dossier en l'espèce ne contient pas en effet les données qui peuvent m'éclairer sur cet aspect de la question. Il appartiendra à un tribunal de première instance, devant lequel les parties pourront engager un véritable débat contradictoire, ou encore au législateur d'en décider.
La tenue de ce voir-dire suppose évidemment que la partie qui se propose de citer un témoin dont la mémoire a ainsi été ravivée au préalable, en ait informé la partie adverse. Cet avis s'impose de rigueur. On peut en effet facilement imaginer les conséquences sur l'équité du procès de la non divulgation ou d'une divulgation postérieure à l'audition du témoin.
(3) La bande vidéo
Au cours du voir-dire, il a été établi que la séance d'hypnose pratiquée par le policier Tremblay a été filmée sur vidéo. Comme je l'ai indiqué ci-haut, le premier juge a décidé que la bande vidéo ne pouvait pas être vue par le jury, craignant que cela puisse «indûment influencer le jury», ajoutant que «c'est le témoignage en cour qui fait preuve» (m.a. A-506).
Devant le jury, la poursuite a fait entendre l'hypno-enquêteur et Carl St-Pierre; l'hypno-enquêteur a expliqué au jury en quoi consiste sa méthode et comment il a procédé avec son sujet pour lui permettre de se rappeler de certains détails dont il ne pouvait se souvenir jusque là. Avec respect pour le premier juge, le témoignage de l'hypno-enquêteur, par rapport à la bande vidéo, constituait la meilleure preuve. Mieux encore que dans le cas de l'expert Dorion où le premier juge avait permis que ce dernier, pour le bénéfice du jury, illustre son expertise à l'aide d'une bande vidéo, la bande vidéo de la séance d'hypnose donnait en effet au jury un outil utile lui permettant de décider à la fois de la qualité de l'expertise, de la valeur probante du témoignage de Carl St-Pierre et de la crédibilité de ce dernier.
(4) Valeur probante et crédibilité
Avec égards, il ne suffisait pas pour ce qui est du témoignage de Carl St-Pierre, d'indiquer au jury, comme pour tout témoin ordinaire, que lui revenait le soin d'en évaluer la valeur probante. Le fait que la mémoire du témoin ait été ravivée grâce à l'hypnose distingue ce témoin d'un témoin ordinaire et a des effets sur l'évaluation non seulement de la valeur probante, mais de la crédibilité du témoignage. Ainsi, par exemple, il est généralement admis que la certitude acquise par le témoin dans ses réponses est naturellement reliée à l'expérience vécue par l'hypnose[13], ce qui met donc en cause, non seulement la fiabilité de l'hypnose (ce qui doit être déterminé lors du voir-dire), mais aussi la qualité même de la technique utilisée. En ce sens, la directive au jury doit donc insister sur le lien entre le témoignage rendu devant le jury et la technique utilisée pour raviver sa mémoire, de façon à amener les jurés à examiner non seulement la crédibilité et la valeur probante du témoin, mais aussi la qualité de la méthode utilisée.
Alors que l'hypno-enquêteur précise que sa technique vise à raviver la mémoire du témoin, le témoin, lui, s'en défend bien, et fait clairement état de sa conviction que l'hypnose l'a simplement libéré de ce que son «subconscient a enregistré(s)».
Conclusion sur ce moyen
Bien que je sois d'avis (1) que le premier juge a erré en ne permettant pas aux appelants de soulever la question de la fiabilité de l'hypnose et des qualifications de l'hypno-enquêteur, (2) que la bande vidéo devait être présentée au jury et (3) que des directives plus complètes auraient dû être données sur la crédibilité et la valeur probante du témoignage de Carl St-Piere, j'estime que, compte tenu de l'ensemble de la preuve, ces erreurs n'ont pas causé de préjudice aux appelants. En effet, les faits importants sur lesquels Carl St-Pierre a témoigné avaient déjà été relatés au procès par son père Donald. Je ne crois donc pas que le jury ait nécessairement été plus rassuré sur le témoignage du père par le témoignage du fils. D'autres éléments de preuve, beaucoup plus déterminants, ont en effet inévitablement conduit le jury à situer les deux appelants sur les lieux du crime cette nuit du 10 mars 1990.
Résumé des procédures
Au procès, un voir-dire fut tenu par le juge, en l'absence du jury. Le policier Tremblay, de la Sûreté du Québec, a témoigné en sa qualité d'«hypno-enquêteur». Policier de carrière, il fait état de cours qu'il a suivis sur l'hypnose d'enquête qui sert à «rafraîchir» la mémoire des victimes et des témoins, ainsi que de l'expérience acquise dans ce domaine, au fil des ans. Il distingue l'hypnose d'enquête qui, selon lui, ne requiert pas de connaissances particulières en psychologie et psychiatrie, de l'hypnose de thérapie. Après avoir été reconnu par le juge comme témoin expert «hypnologue-enquêteur», le policier a décrit la séance d'hypnose du 15 mars 1990 sur la personne de Carl St-Pierre, soit cinq jours après les événements. Cette séance, enregistrée sur bande vidéo, fut projetée au cours du voir-dire. La défense s'est objectée à l'admissibilité de cette preuve au motif que le policier Tremblay n'était pas qualifié pour tenir cette séance d'hypnose et a demandé au tribunal la permission de faire témoigner un expert pour justifier son objection.
Le premier juge a maintenu sa décision quant à la qualification de l'expert Tremblay et autorisé la poursuite à faire entendre Carl St-Pierre devant jury pour témoigner sur ce dont il s'est souvenu grâce à l'hypnose. Toutefois, il a déclaré que la bande vidéo ne serait pas projetée au jury, craignant qu'elle ne puisse «indûment influencer le jury» (m.i. 506). Il ajoute que «c'est le témoignage en cour qui fait preuve» et non la bande vidéo. Dans sa décision, le premier juge permet donc «que cette preuve par hypnose soit produite devant le jury, mais sans le vidéo...» (m.i. 508).
Le jury est rappelé. Le policier Tremblay, témoin expert, reprend essentiellement le témoignage rendu lors du voir-dire. Il explique en quoi consiste cette méthode d'enquête et décrit en détail, mais sans la bande vidéo, comment il a procédé avec Carl St-Pierre. Ce dernier témoigne par la suite. Il précise que c'est grâce à l'hypnose qu'il a pu se remémorer certains faits, dont la présence d'un Tracker rouge en bordure du Chemin Baie des Carrières ce matin du 10 mars 1990, de même que certains autres détails permettant une identification plus spécifique. Selon lui, l'hypno-enquêteur s'est bien gardé de lui suggérer des réponses.
Analyse
Avec égards, je suis d'opinion:
(1) que le juge a erré en ne permettant pas à la défense de soulever la question de la fiabilité de l'hypnose et des qualifications de «l'hypno-enquêteur»,
(2) que la bande vidéo de la séance d'hypnose devait être présentée au jury,
(3) que des directives précises devaient être données au jury sur la valeur probante et la crédibilité d'un témoignage rendu à la suite d'une séance d'hypnose. J'entends maintenant élaborer sur chacun de ces points.
(1) Le voir-dire: l'hypnose et la qualification de l'expert
Il ne me semble pas qu'une cour d'appel canadienne (sauf la cour d'appel de la Nouvelle-Écosse, mais dans un jugement très sommaire), se soit jamais prononcée sur les questions de la recevabilité et de la valeur probante d'un témoignage rendu suite à l'utilisation de l'hypnose par les policiers au cours de leur enquête. Les seules décisions canadiennes où ces questions ont été abordées proviennent d'instances de procès.
Dans R. c. Pitt, le juge Aikins de la Cour Suprême de la Colombie-Britannique, a permis à l'accusée, au cours de son interrogatoire principal, de se soumettre à une séance d'hypnose dans le but de raviver certains événements qui s'étaient effacés de sa mémoire, tout en précisant que son témoignage pourrait se poursuivre dès qu'elle serait libérée de son état hypnotique. Dans R. c. Clark, le juge Wachowich de la Cour du Banc de la Reine d'Alberta a autorisé l'accusé à témoigner sur des faits dont il se disait maintenant capable de se remémorer grâce à l'hypnose à laquelle il avait consenti suite aux conseils de son psychiatre. Dans cette décision rendue en 1984, le juge Wachowich, a cru opportun, sans doute en raison de la rareté de précédents canadiens, de suggérer en regard de la recevabilité d'un témoignage rendu par suite de l'utilisation de l'hypnose pour recouvrer la mémoire, d'adopter les principes directeurs énoncés dans deux décisions américaines prononcées en 1980 (p. 125):
(1) The person conducting the hypnotic interview should be a qualified professional with training both in the use of hypnosis and expertise in psychiatry or clinical psychology.
(2) The hypnotist must be independent of the party who requires his services. That is, he must be free to conduct the hypnotic interview in accordance with his professional standards rather than in concert with the party who employs him.
(3) The hypnotist should be given only the minimum amount of information necessary to conduct the interview. This information should be communicated solely in written form.
(4) The entire interview between the hypnotist and the potential witness should be recorded preferably on video tape, but there should at least be a complete audio record.
(5) The interview should be conducted with only the hypnotist and the subject present. If the party who employs the services of a hypnotist (whether the police or defence counsel), wishes to observe the interview, then arrangements will have to be made so that the interview can be viewed from another room by virtue of closed circuit television or whatever other mechanism is available.
(6) Prior to the actual hypnosis of the subject, the hypnotist should conduct a lengthy interview of the subject to determine his medical history including information about the present or past use of drugs. The judgment and intelligence of the subject should be evaluated.
(7) Prior to hypnosis, the hypnotist should elicit from the subject a detailed description of the facts surrounding the subject-matter of the hypnosis session, as the subject is able to recall them at that point in time.
(8) The hypnotist should pay careful attention to the form and manner of his questions, the choice of his words and the avoidance of body language so that he is not either intentionally or inadvertently providing the subject with information.
La Cour du Banc de la Reine d'Alberta, a également reçu en preuve un témoignage rendu à la suite d'une séance d'hypnose.
Il y a lieu ici de faire un rapprochement entre ces décisions et celles où, cette fois, c'est l'administration d'amytal de sodium qui a servi à raviver la mémoire. Le juge Moldaver, de la Ontario Court of Justice, General Division, a permis au psychiatre qui avait interrogé l'accusée sous l'influence de l'amytal de sodium, de relater lui-même au procès ce que l'accusée lui avait déclaré, cette dernière étant même incapable de raconter les faits divulgués au cours de la séance. Dans R. c. Allen, un juge de la High Court d'Ontario a jugé habile à témoigner un témoin à charge dont la mémoire avait été ravivée, avec son consentement, grâce à ce médicament.
Dans ces décisions, un voir-dire a été tenu par le juge du procès de manière à vérifier (1) la compétence de la personne qui a administré le traitement, (2) la fiabilité de la technique utilisée ainsi que (3) les conditions dans lesquelles cette technique avait été pratiquée. Dans chacun des cas, tout en admettant le témoignage en preuve, les tribunaux ont cependant conclu que ces éléments qui ont fait l'objet du voir-dire devaient également être considérés dans l'évaluation de la valeur probante du témoignage ainsi obtenu et même de la crédibilité du témoin.
Avec respect pour l'opinion du premier juge, pour qui la question de fiabilité de la technique d'hypnose ne soulevait pas de débat au motif que les tribunaux canadiens en permettaient l'utilisation, je ne crois pas que l'on puisse dégager cette conclusion des jugements isolés dont j'ai fait l'examen, et encore moins de l'étude de la doctrine récente, tant américaine, qu'anglaise et canadienne.
Dans une publication récente sur le sujet, Gisli H. Gudjonsson, de l'Institute of Psychiatry de Londres, consacre un chapitre de son traité «The Psychology of Interrogations, Confessions and Testimony» (1993, John Wiley and Sons Ltd., West Sussex, England), à ce qu'il intitule les «Psychological Techniques For Enhancing Memory Rretrieval», dont l'hypnose. Faisant le point sur la littérature scientifique tant américaine qu'anglaise et sur la position adoptée par les tribunaux, l'auteur apporte de grandes réserves à l'hypothèse que l'hypnose peut raviver la mémoire (p. 169):
The conclusion to be drawn is that more ecologically valid experimental studies need to be carried out before definite scientific conclusions can be drawn about the true benefits, and limitations of hypnosis for memory enhancement.
Quant aux dangers de recourir à cette technique, Gudjonsson écrit (p. 170):
Reviewing the scientific literature on the use of investigative hypnosis, the normal memory process seems to be potentially interfered with in three respects. Firstly, subjects may be particularly prone to confabulate whilst under the influence of hypnosis. Some authors prefer to use the term «pseudomemory» instead of confabulation to describe the type of «fantasy» material generated during the hypnosis process. Secondly, hypnosis may heighten some subjects' susceptibility to leading questions. Thirdly, the hypnotic process may actually make subjects feel overconfident in their recollections (i.e. it hardens their confidence in their memory without an objective basis for it).
Concluant sur cet aspect, l'auteur précise:
Investigative or forensic hypnosis has been extensively used as an information gathering tool. It is commonly used by police officers in the United States of America and Israel, although in recent years the technique has come under severe criticism from academics, because of lack of empirical findings in experimental studies. The technique appears to be of greatest value with witnesses and victims in cases where memory recall is inhibited because of emotional trauma.
Deux articles publiés en Angleterre, l'un en 1980 et l'autre en 1983 dans le Criminal Law Review, nous plongent dans une controverse totale sur la fiabilité de l'hypnose comme technique d'enquête.
Dans une mise à jour du droit américain publiée en 1991, l'auteur fait le point sur des décisions rendues par les cours fédérales et les tribunaux de vingt-trois états. À l'aide de cette étude, je constate que même la question de l'admissibilité d'un témoignage rendu par suite de l'utilisation de l'hypnose ne fait pas l'unanimité. C'est ce qui ressort encore plus clairement du Corpus Juris Secundum (un énoncé contemporain du droit américain), publié en 1989 (vol. 23, St-Paul, Minn., West Publishing Co.), qui résume comme suit l'état de la jurisprudence qui a conclu à l'exclusion de cette preuve (pages 232, 233, 234):
Under some authority, the testimony of a witness, whether the victim, or an eyewitness who has undergone hypnosis for the purpose of restoring his memory of the events in issue is inadmissible as to all matters relating to those events, from the time of the hypnotic session forward for the reason that hypnosis is generally unacceptable in the relevant scientific community for the purpose of memory retrieval, on the ground that it tends to be unreliable.
Such testimony tends to be more prejudicial than probative regardless of corroborating evidence, and denies defendant his right to confrontation and cross-examination, in a meaningful way, and is not admissible where the witness has no independant basis for such testimony. Under some of these authorities, no set of procedural safeguards, as discussed supra 968, can adequately remedy the unreliability of hypnotically-enhanced testimony. This rule applies where memory has been refreshed by therapeutic hypnosis as well as by forensic hypnosis.
Under the rule stated in this section any person who has been hypnotized for investigative purposes will not be allowed to testify as a witness to the events that were the subject of the hypnotic session, but evidence discovered by such an investigation is not ipso facto rendered inadmissible by the prior hypnosis.
Cet extrait fait référence à des «guidelines» ou principes directeurs (énoncés au par. 968 de l'ouvrage) que certains états ont adoptés, non comme conditions de recevabilité, mais «for the general guidance of the trial court». Dans un second temps, le Corpus Juris Secundum expose comme suit le courant jurisprudentiel qui favorise la recevabilité d'une telle preuve (pages 229, 230):
Under some authority, the fact that a witness in a criminal proceeding has been hypnotized does not render the witness incompetent to testify, and hypnotically refreshed testimony is admissible, as the fact that the witness had been hypnotized prior to trial affects only the weight and credibility of the witness testimony and not its admissibility. The trier of fact can adequately assess such testimony where the defendant is allowed to present expert testimony to the jury to show that the hypnotism of the witness may influence that witness' recollection.
Under some authority, hypnotically-induced testimony may be admissible if the proponent of the testimony can demonstrate that the use of hypnosis in the particular case was a reasonably means of restoring memory comparable to normal recall in its accuracy. A witness' memory can be considered reasonably reliable if it is able to yield recollections as accurate as those of an ordinary witness. In addition, post-hypnotic recollections, revived by hypnosis, are admissible where a proper foundation has first established the expertise of the hypnotist and that techniques employed were correctly performed, free from bias or improper suggestibility.
The party seeking to introduce hypnotically-refreshed testimony has the burden of establishing admissibility by clear and convincing evidence, and any showing of suggestiveness amounting to a constitutional violation should be the burden of defendant. If the testimony enhanced through hypnosis is admissible, the opponent may still challenge reliability of the particular procedures followed in the individual case by introducing expert testimony at the trial, but the opponent may not attempt to prove the general unreliability of hypnosis.
Where the use of hypnosis results in a subsequent out-of-court or in-court identification of defendant, defendant may challenge on constitutional grounds the admissibility of testimony concerning the identification.
En 1984, dans la Revue du Barreau, trois auteurs[11], dont une avocate et deux spécialistes des sciences du comportement, exposaient, dans un article fouillé, plusieurs facettes des difficultés que pose au juriste l'utilisation de l'hypnose «psycho-légale». Faisant le point sur la jurisprudence canadienne et américaine et se montrant très critiques[12] sur l'utilisation de cette technique en milieu judiciaire, les auteurs concluent comme suit (p. 897):
Pour résumer la situation il nous semble que cette dernière décision ouvre la porte au même débat qui a pris place pendant plus d'une décennie chez nos voisins américains. Admettre en preuve un témoignage obtenu dans de telles conditions peut mener aux pires abus. Cependant, il y a encore trop peu de jurisprudence canadienne pour que l'on puisse émettre une opinion valable. Le champ est ouvert à l'innovation. Que l'hypnose soit employée de façon régulière par les forces policières de plusieurs provinces pose déjà plusieurs questions dont le législateur devra se préoccuper dans les plus brefs délais si l'on veut éviter ou à tout le moins minimiser les abus qui ont pris place aux États-Unis.*
* Notons que pendant que ce texte était sous presse, une récente décision a été rapportée soit R. c. Clark, 40 C.R. (3d) 183. Cet arrêt reprend R. c. Zubot et rejette R. c. K. Il nous semble dangereux d'adhérer à cette position qui veut que la question de fiabilité de l'hypnose en tant que méthode d'enquête scientifique ne soit pas tranchée sur voir-dire, mais soit uniquement un facteur que le jury aura à considérer pour apprécier le témoignage entendu. À notre avis, on ne peut suivre R. c. Clark, parce que la preuve obtenue en hypnose peut être très préjudiciable à l'accusé pour toutes les raisons énumérées dans ce texte.
Plus récemment, le professeur A.W. Mewett, dans un chapitre intitulé «Present Memory and Past Recollection» de son traité publié en 1991 («Witnesses», Carswell, 1991), sans entrer dans le débat de fond sur la fiabilité de l'hypnose comme technique pour raviver la mémoire, discute de l'approche que devraient adopter les tribunaux qui acceptent, comme hypothèse, que l'hypnose puisse raviver la mémoire d'un témoin. Il s'exprime comme suit (page 13-19):
What must be resolved first is whether the courts are prepared to accept that these techniques - hypnosis or «truth-drugs» - can revive a dormant memory. If the answer to that is in the negative, then there is no further problem. If the answer is in the affirmative (and the scientific evidence seems clear that such techniques can have this effect), then the problem becomes one of recognising and controlling any dangers that are inherent in the process. If these dangers are not (or, indeed, cannot) be controlled, then any evidence resulting from these techniques must be most unreliable and should be excluded. If, however, there is some guarantee that these dangers can be, if not eliminated, then at least controlled, it is probably true that such evidence should be admissible so long as the trier of fact has sufficient data available to enable him or her to make some sensible assessment of the creditworthiness of the evidence. It should follow from this that, if we assume the initial premise, viz., that such techniques are capable of assisting in the recall of memory, then there seems no reason why a voir dire should not first be held to determine whether suitable safeguards were employed to make the evidence admissible, and then to require, in the event that it is ruled admissible, evidence to be placed before the fact finder from which he or she can make an assessment of this weight and reliability.
2 - Le voir-dire en l'espèce
En l'espèce, c'est à bon droit qu'un voir-dire a été tenu, après que le substitut eut informé le tribunal qu'il se proposait de faire entendre Carl St-Pierre sur des faits qu'il s'était remémoré grâce à l'hypnose pratiquée par l'enquêteur de la Sûreté du Québec. Par analogie avec la règle traditionnelle de preuve qui permet au juge du droit de vérifier les circonstances dans lesquelles un témoin s'est rafraîchi la mémoire, le cas du témoin soumis antérieurement à l'hypnose pour raviver sa mémoire (je préfère ici l'emploi du mot «raviver» plutôt que «rafraîchir») exige que le juge du droit soit satisfait que ce procédé respecte les règles fondamentales de l'administration de la preuve. C'est dans ce contexte que le juge s'enquiert des circonstances dans lesquelles la mémoire a été ravivée, non seulement par l'audition du témoin soumis à cette technique de stimulation de la mémoire, mais également par tout autre témoin relié à l'emploi de cette technique, principalement l'hypno-enquêteur.
L'étude de la doctrine et de la jurisprudence américaine, anglaise et canadienne me fait conclure que la question de la recevabilité en preuve d'un témoignage rendu à la suite d'une séance d'hypnose n'était pas, à l'époque où le procès s'est tenu, (pas plus que maintenant, d'ailleurs) réglée, au sens où le premier juge l'a compris, en se déclarant satisfait que la fiabilité de la technique et la compétence de l'hypno-enquêteur ne pouvaient être attaquées dans le cadre du voir-dire. Par ailleurs, cette incursion dans un domaine de droit peu connu me convainc de l'opportunité de préciser les paramètres pour décider de l'admissibilité de cette preuve, même si en bout de ligne, je conclus que les irrégularités entourant l'admissibilité de cette preuve n'ont pas, en considérant l'ensemble du dossier, causé de préjudice véritable aux appelants.
Je n'ai pas, dans le cadre de ce pourvoi, à trancher la question de fond de la fiabilité de cette technique et ce, pour la simple raison que le dossier ne contient pas tous les éléments qui me le permettraient. Néanmoins, j'ai à me demander dans quelle mesure la question de fiabilité pouvait et devait être soulevée dans le cadre du voir-dire, sur la base du seul témoignage du policier que la poursuite présentait comme expert.
En droit canadien, la recevabilité ou la validité d'une preuve scientifique qui se fonde sur une théorie non encore bien acceptée ou dont l'exactitude n'est pas consacrée, est maintenant soumise à un critère préliminaire de fiabilité («threshold test of reliability»). C'est ce qui se dégage clairement de l'arrêt R. c. Mohan, 1994 CanLII 80 (C.S.C.), [1994] 2 R.C.S. 9, de même que R. c. Melaragni reflex, (1992), 73 C.C.C. (3d) 348 (Ont.Gen.D.), R. c. Dieffenbaugh reflex, (1993), 80 C.C.C. (3d) 97 (C.A.C.-B.), R. c. Baptiste reflex, (1994), 88 C.C.C. (3d) 211 (C.A.C.-B.).
Dans l'arrêt Mohan, le juge Sopinka, au nom de la cour, rappelle les quatre critères qui doivent s'appliquer pour décider de l'admissibilité de la preuve d'expert, soit (1) la pertinence, (2) la nécessité d'aider le juge des faits, (3) l'absence de toute règle d'exclusion et (4) la qualification suffisante de l'expert. C'est sous l'angle de la pertinence qu'il discute du facteur fiabilité-effet (reliability versus effect factor), dans l'application de l'admissibilité de la preuve d'expert et qu'il introduit le principe énoncé ci-haut, soit le critère préliminaire de fiabilité («threshold test of reliability») dans les cas de nouvelle technique ou théorie scientifique. Le juge Sopinka résume comme suit sa pensée (p. 25):
In summary, therefore, it appears from the foregoing that expert evidence which advances a novel scientific theory or technique is subjected to special scrutiny to determine whether it meets a basic threshold of reliability and whether it is essential in the sense that the trier of fact will be unable to come to a satisfactory conclusion without the assistance of the expert. The closer the evidence approaches an opinion on an ultimate issue, the stricter the application of this principle.
En l'espèce, comme il découle de ce que j'ai décrit précédemment, que l'hypnose employée comme technique de stimulation de la mémoire soulève même aujourd'hui de sérieuses questions sur sa fiabilité, les objections des appelants à la fiabilité de la méthode et aux qualifications du policier proposé comme expert ne pouvaient être rejetées, au préalable, sur la seule base de l'acceptation de cette méthode par certains tribunaux canadiens. Encore une fois je ne discute pas du bien-fondé de l'objection des appelants: je dis tout simplement que, compte tenu de l'état de la doctrine et de la jurisprudence sur la question, les appelants étaient en droit de soulever un débat sur la fiabilité de la méthode et par surcroît, sur les qualifications du témoin. Le voir-dire, en l'espèce, devait donc permettre de déterminer (1) la compétence de l'expert, (2) la fiabilité de l'hypnose comme technique pour raviver la mémoire et les garanties requises pour en assurer la fiabilité et (3) si les conditions dans lesquelles la technique a été administrée à l'endroit du témoin respectaient, prima facie, les garanties fixées.
Comme je l'ai souligné précédemment, je ne peux pas ici me prononcer sur la question de fond, qui reste la fiabilité de l'hypnose. Je ne peux donc élaborer davantage sur les recommandations ou principes directeurs proposés aux États-Unis et approuvés par certains juges canadiens, tant sur la qualification professionnelle de l'expert que sur son indépendance professionnelle ou les modalités de la technique: le dossier en l'espèce ne contient pas en effet les données qui peuvent m'éclairer sur cet aspect de la question. Il appartiendra à un tribunal de première instance, devant lequel les parties pourront engager un véritable débat contradictoire, ou encore au législateur d'en décider.
La tenue de ce voir-dire suppose évidemment que la partie qui se propose de citer un témoin dont la mémoire a ainsi été ravivée au préalable, en ait informé la partie adverse. Cet avis s'impose de rigueur. On peut en effet facilement imaginer les conséquences sur l'équité du procès de la non divulgation ou d'une divulgation postérieure à l'audition du témoin.
(3) La bande vidéo
Au cours du voir-dire, il a été établi que la séance d'hypnose pratiquée par le policier Tremblay a été filmée sur vidéo. Comme je l'ai indiqué ci-haut, le premier juge a décidé que la bande vidéo ne pouvait pas être vue par le jury, craignant que cela puisse «indûment influencer le jury», ajoutant que «c'est le témoignage en cour qui fait preuve» (m.a. A-506).
Devant le jury, la poursuite a fait entendre l'hypno-enquêteur et Carl St-Pierre; l'hypno-enquêteur a expliqué au jury en quoi consiste sa méthode et comment il a procédé avec son sujet pour lui permettre de se rappeler de certains détails dont il ne pouvait se souvenir jusque là. Avec respect pour le premier juge, le témoignage de l'hypno-enquêteur, par rapport à la bande vidéo, constituait la meilleure preuve. Mieux encore que dans le cas de l'expert Dorion où le premier juge avait permis que ce dernier, pour le bénéfice du jury, illustre son expertise à l'aide d'une bande vidéo, la bande vidéo de la séance d'hypnose donnait en effet au jury un outil utile lui permettant de décider à la fois de la qualité de l'expertise, de la valeur probante du témoignage de Carl St-Pierre et de la crédibilité de ce dernier.
(4) Valeur probante et crédibilité
Avec égards, il ne suffisait pas pour ce qui est du témoignage de Carl St-Pierre, d'indiquer au jury, comme pour tout témoin ordinaire, que lui revenait le soin d'en évaluer la valeur probante. Le fait que la mémoire du témoin ait été ravivée grâce à l'hypnose distingue ce témoin d'un témoin ordinaire et a des effets sur l'évaluation non seulement de la valeur probante, mais de la crédibilité du témoignage. Ainsi, par exemple, il est généralement admis que la certitude acquise par le témoin dans ses réponses est naturellement reliée à l'expérience vécue par l'hypnose[13], ce qui met donc en cause, non seulement la fiabilité de l'hypnose (ce qui doit être déterminé lors du voir-dire), mais aussi la qualité même de la technique utilisée. En ce sens, la directive au jury doit donc insister sur le lien entre le témoignage rendu devant le jury et la technique utilisée pour raviver sa mémoire, de façon à amener les jurés à examiner non seulement la crédibilité et la valeur probante du témoin, mais aussi la qualité de la méthode utilisée.
Alors que l'hypno-enquêteur précise que sa technique vise à raviver la mémoire du témoin, le témoin, lui, s'en défend bien, et fait clairement état de sa conviction que l'hypnose l'a simplement libéré de ce que son «subconscient a enregistré(s)».
Conclusion sur ce moyen
Bien que je sois d'avis (1) que le premier juge a erré en ne permettant pas aux appelants de soulever la question de la fiabilité de l'hypnose et des qualifications de l'hypno-enquêteur, (2) que la bande vidéo devait être présentée au jury et (3) que des directives plus complètes auraient dû être données sur la crédibilité et la valeur probante du témoignage de Carl St-Piere, j'estime que, compte tenu de l'ensemble de la preuve, ces erreurs n'ont pas causé de préjudice aux appelants. En effet, les faits importants sur lesquels Carl St-Pierre a témoigné avaient déjà été relatés au procès par son père Donald. Je ne crois donc pas que le jury ait nécessairement été plus rassuré sur le témoignage du père par le témoignage du fils. D'autres éléments de preuve, beaucoup plus déterminants, ont en effet inévitablement conduit le jury à situer les deux appelants sur les lieux du crime cette nuit du 10 mars 1990.
Droit d'une partie de contre-interroger un de ses propres témoins au sujet d'une déclaration écrite faite antérieurement
Brouillette c. R., 2005 QCCA 714 (CanLII)
[53] Il est indéniable que ce contre-interrogatoire de Picher n'a pas respecté intégralement le cheminement proposé par la Cour d'appel de la Saskatchewan dans l'arrêt R. c. Milgaard[[1971] C.C.C. (2d), 206 (Sask. C.A.)]. Voici comment le juge en chef de cette Cour, le juge Culliton, s'est exprimé sur le droit d'une partie de contre-interroger un de ses propres témoins au sujet d'une déclaration écrite faite antérieurement:
It is to be noted that the right to cross-examine one's own witness respecting a statement in writing, or reduced to writing, previously made by the witness inconsistent with the evidence given, is not an absolute right. The Judge, in the exercise of his discretion, may or may not grant that permission. This requires some preliminary inquiry by the Judge. That being so, I think the consideration and disposition of the application in jury trials should be made in the absence of the jury. Allegation in the presence of the jury that the witness had, on another occasion, said something inconsistent with what she said in evidence, when leave to cross-examine is refused, might have a very adverse effect on the jury's deliberations, particularly as to the effect to be given to the evidence of that witness.
In my opinion, a procedure that would give effect to the legislation, and at the same time eliminate the possibility of any adverse effect upon the jury, would be as follows:
(1) Counsel should advise the Court that he desires to make an application under s. 9(2) of the Canada Evidence Act.
(2) When the Court is so advised, the Court should direct the jury to retire.
(3) Upon retirement of the jury, counsel should advise the learned trial Judge of the particulars of the application and produce for him the alleged statement in writing, or the writing to which the statement has been reduced.
(4) The learned trial Judge should read the statement, or, writing, and determine whether, in fact, there is an inconsistency between such statement or writing and the evidence the witness has given in Court. If the learned trial Judge decides there is no inconsistency, then that ends the matter. If he finds there is an inconsistency, he should call upon counsel to prove the statement or writing.
(5) Counsel should then prove the statement, or writing. This may be done by producing the statement or writing to the witness. If the witness admits the statement, or the statement reduced to writing, such proof would be sufficient. If the witness does not so admit, counsel then could provide the necessary proof by other evidence.
(6) If the witness admits making the statement, counsel for the opposing party should have the right to cross-examine as to the circumstances under which the statement was made. A similar right to cross-examine should be granted if the statement is proved by other witnesses. It may be that he will be able to establish that there were circumstances which would render it improper for the learned trial Judge to permit the cross-examination, notwithstanding the apparent inconsistencies. The opposing counsel, too, should have the right to call evidence as to factors relevant to obtaining the statement, for the purpose of attempting to show that cross-examination should not be permitted.
(7) The learned trial Judge should then decide whether or not he will permit the cross-examination. If so, the jury should be recalled.
The cross-examination provided for in s. 9(2) must be in the presence of the jury. The purpose of that cross-examination is to attack the credibility of the witness is respect to the evidence already given. As the jury are the judges of credibility, it is obvious the cross-examination would be meaningless if conducted in their absence.
The determination of whether a witness is hostile is a matter solely for the learned trial Judge. It is when the learned trial Judge is of the opinion that the witness proves adverse that s-s. (1) of s. 9 comes into play. The declaration of hostility, as provided for in s-s. (1), is an entirely different matter from that of permitting cross-examination under s-s. (2). In my opinion, there is no conflict and s-s. (2) is a specific exception to the provisions of s-s. (1). In the present case the learned trial Judge had every right to declare the witness Nichol John hostile, and in so doing had the right to consider the cross-examination that had taken place in the presence of the jury on the permission granted under s-s. (2)
[53] Il est indéniable que ce contre-interrogatoire de Picher n'a pas respecté intégralement le cheminement proposé par la Cour d'appel de la Saskatchewan dans l'arrêt R. c. Milgaard[[1971] C.C.C. (2d), 206 (Sask. C.A.)]. Voici comment le juge en chef de cette Cour, le juge Culliton, s'est exprimé sur le droit d'une partie de contre-interroger un de ses propres témoins au sujet d'une déclaration écrite faite antérieurement:
It is to be noted that the right to cross-examine one's own witness respecting a statement in writing, or reduced to writing, previously made by the witness inconsistent with the evidence given, is not an absolute right. The Judge, in the exercise of his discretion, may or may not grant that permission. This requires some preliminary inquiry by the Judge. That being so, I think the consideration and disposition of the application in jury trials should be made in the absence of the jury. Allegation in the presence of the jury that the witness had, on another occasion, said something inconsistent with what she said in evidence, when leave to cross-examine is refused, might have a very adverse effect on the jury's deliberations, particularly as to the effect to be given to the evidence of that witness.
In my opinion, a procedure that would give effect to the legislation, and at the same time eliminate the possibility of any adverse effect upon the jury, would be as follows:
(1) Counsel should advise the Court that he desires to make an application under s. 9(2) of the Canada Evidence Act.
(2) When the Court is so advised, the Court should direct the jury to retire.
(3) Upon retirement of the jury, counsel should advise the learned trial Judge of the particulars of the application and produce for him the alleged statement in writing, or the writing to which the statement has been reduced.
(4) The learned trial Judge should read the statement, or, writing, and determine whether, in fact, there is an inconsistency between such statement or writing and the evidence the witness has given in Court. If the learned trial Judge decides there is no inconsistency, then that ends the matter. If he finds there is an inconsistency, he should call upon counsel to prove the statement or writing.
(5) Counsel should then prove the statement, or writing. This may be done by producing the statement or writing to the witness. If the witness admits the statement, or the statement reduced to writing, such proof would be sufficient. If the witness does not so admit, counsel then could provide the necessary proof by other evidence.
(6) If the witness admits making the statement, counsel for the opposing party should have the right to cross-examine as to the circumstances under which the statement was made. A similar right to cross-examine should be granted if the statement is proved by other witnesses. It may be that he will be able to establish that there were circumstances which would render it improper for the learned trial Judge to permit the cross-examination, notwithstanding the apparent inconsistencies. The opposing counsel, too, should have the right to call evidence as to factors relevant to obtaining the statement, for the purpose of attempting to show that cross-examination should not be permitted.
(7) The learned trial Judge should then decide whether or not he will permit the cross-examination. If so, the jury should be recalled.
The cross-examination provided for in s. 9(2) must be in the presence of the jury. The purpose of that cross-examination is to attack the credibility of the witness is respect to the evidence already given. As the jury are the judges of credibility, it is obvious the cross-examination would be meaningless if conducted in their absence.
The determination of whether a witness is hostile is a matter solely for the learned trial Judge. It is when the learned trial Judge is of the opinion that the witness proves adverse that s-s. (1) of s. 9 comes into play. The declaration of hostility, as provided for in s-s. (1), is an entirely different matter from that of permitting cross-examination under s-s. (2). In my opinion, there is no conflict and s-s. (2) is a specific exception to the provisions of s-s. (1). In the present case the learned trial Judge had every right to declare the witness Nichol John hostile, and in so doing had the right to consider the cross-examination that had taken place in the presence of the jury on the permission granted under s-s. (2)
samedi 29 août 2009
La common law reconnaît traditionnellement l'exception de la prise en chasse au principe de l'inviolabilité du foyer
R. c. Macooh, [1993] 2 R.C.S. 802
Résumé des faits
Un policier a vu l'accusé brûler un signal d'arrêt et a commencé à le suivre après avoir allumé les signaux d'urgence de l'auto‑patrouille. L'accusé a alors accéléré, a brûlé deux autres signaux d'arrêt et s'est arrêté dans le stationnement d'un immeuble. Le policier a reconnu l'accusé et l'a vu sortir de la voiture et courir vers la porte arrière d'un appartement. Le policier lui a crié d'arrêter et de revenir, mais l'accusé est entré dans l'appartement. Le policier a alors appelé l'accusé dans l'appartement, mais n'a pas reçu de réponse. Il s'est identifié comme un membre de la GRC et, ne recevant toujours pas de réponse, il est entré dans l'appartement. Il a trouvé l'accusé au lit et il lui a dit qu'il était en état d'arrestation pour défaut d'obtempérer à l'interpellation d'un agent de police.
Analyse
Il est bien établi en common law que les policiers ont le pouvoir d'entrer dans des locaux privés pour procéder à une arrestation dans le cas d'une prise en chasse. Cette exception au principe de l'inviolabilité de la demeure se justifie aisément. Il serait inacceptable que des policiers s'apprêtant à procéder à une arrestation tout à fait légitime en soient empêchés du seul fait que le contrevenant s'est réfugié dans sa demeure ou dans celle d'un tiers. D'un point de vue plus pratique, des dangers importants peuvent découler de la fuite du contrevenant et de la poursuite qui peut en résulter. Par ailleurs, le policier, dans le contexte d'une prise en chasse, peut avoir une connaissance personnelle des faits qui justifient l'arrestation, ce qui diminue grandement le risque d'erreur. La fuite indique habituellement une certaine conscience de culpabilité de la part du contrevenant.
En outre, il peut souvent être difficile d'identifier le contrevenant sans l'arrêter sur le champ. La preuve de l'infraction ayant donné lieu à la prise en chasse ou celle d'une infraction connexe peut également être perdue. Enfin, le contrevenant pourra fuir à nouveau ou commettre l'infraction et l'on ne peut exiger des policiers qu'ils assurent indéfiniment la surveillance de la demeure du contrevenant au cas où ce dernier se déciderait à sortir. Dans la mesure où une arrestation sans mandat est permise au départ, la fuite du contrevenant dans une maison d'habitation ne peut pas la rendre illégale.
Il existe en vertu de la common law un droit d'entrer pour procéder à une arrestation, dans les cas de prise en chasse, tant pour les actes criminels que pour d'autres types d'infractions, et des considérations de principe s'opposent fortement à ce qu'on modifie cette règle.
Même sans mandat d'arrestation, il existe donc, en cas de prise en chasse, un droit d'entrer dans des locaux résidentiels aux fins de procéder à une arrestation tant à l'égard d'infractions provinciales que d'actes criminels, pourvu que les circonstances justifient par ailleurs une arrestation sans mandat.
Résumé des faits
Un policier a vu l'accusé brûler un signal d'arrêt et a commencé à le suivre après avoir allumé les signaux d'urgence de l'auto‑patrouille. L'accusé a alors accéléré, a brûlé deux autres signaux d'arrêt et s'est arrêté dans le stationnement d'un immeuble. Le policier a reconnu l'accusé et l'a vu sortir de la voiture et courir vers la porte arrière d'un appartement. Le policier lui a crié d'arrêter et de revenir, mais l'accusé est entré dans l'appartement. Le policier a alors appelé l'accusé dans l'appartement, mais n'a pas reçu de réponse. Il s'est identifié comme un membre de la GRC et, ne recevant toujours pas de réponse, il est entré dans l'appartement. Il a trouvé l'accusé au lit et il lui a dit qu'il était en état d'arrestation pour défaut d'obtempérer à l'interpellation d'un agent de police.
Analyse
Il est bien établi en common law que les policiers ont le pouvoir d'entrer dans des locaux privés pour procéder à une arrestation dans le cas d'une prise en chasse. Cette exception au principe de l'inviolabilité de la demeure se justifie aisément. Il serait inacceptable que des policiers s'apprêtant à procéder à une arrestation tout à fait légitime en soient empêchés du seul fait que le contrevenant s'est réfugié dans sa demeure ou dans celle d'un tiers. D'un point de vue plus pratique, des dangers importants peuvent découler de la fuite du contrevenant et de la poursuite qui peut en résulter. Par ailleurs, le policier, dans le contexte d'une prise en chasse, peut avoir une connaissance personnelle des faits qui justifient l'arrestation, ce qui diminue grandement le risque d'erreur. La fuite indique habituellement une certaine conscience de culpabilité de la part du contrevenant.
En outre, il peut souvent être difficile d'identifier le contrevenant sans l'arrêter sur le champ. La preuve de l'infraction ayant donné lieu à la prise en chasse ou celle d'une infraction connexe peut également être perdue. Enfin, le contrevenant pourra fuir à nouveau ou commettre l'infraction et l'on ne peut exiger des policiers qu'ils assurent indéfiniment la surveillance de la demeure du contrevenant au cas où ce dernier se déciderait à sortir. Dans la mesure où une arrestation sans mandat est permise au départ, la fuite du contrevenant dans une maison d'habitation ne peut pas la rendre illégale.
Il existe en vertu de la common law un droit d'entrer pour procéder à une arrestation, dans les cas de prise en chasse, tant pour les actes criminels que pour d'autres types d'infractions, et des considérations de principe s'opposent fortement à ce qu'on modifie cette règle.
Même sans mandat d'arrestation, il existe donc, en cas de prise en chasse, un droit d'entrer dans des locaux résidentiels aux fins de procéder à une arrestation tant à l'égard d'infractions provinciales que d'actes criminels, pourvu que les circonstances justifient par ailleurs une arrestation sans mandat.
Étendue du pouvoir de la police pour procéder à une arrestation sans mandat dans une maison privée
R. c. Landry, [1986] 1 R.C.S. 145
Le juge en chef Dickson et les juges Chouinard, Lamer et Wilson: À condition de satisfaire aux critères énoncés au par. 450(1) du Code criminel et aux exigences posées dans l'arrêt Eccles c. Bourque, un policier peut dans l'exercice de ses fonctions en vertu de l'al. 450(1)a) procéder à une arrestation sans mandat dans des locaux privés.
Le paragraphe 450(1) du Code criminel n'a pas pour effet de modifier les principes de common law relatifs aux limites dans l'espace imposées au pouvoir d'arrestation sans mandat et le mutisme du Code sur cette question exige l'application de la common law. L'application de l'arrêt Eccles c. Bourque n'est pas limitée à des situations où il y a un mandat, même non visé. Au contraire, il porte sur le pouvoir de la police d'effectuer une arrestation sans mandat dans des lieux privés. La présente affaire doit être décidée par application de l'arrêt Eccles c. Bourque, tout comme Eccles c. Bourque, selon l'opinion de la Cour à l'époque, relevait carrément des arrêts de principe de la common law ancienne. La politique qui sous‑tend la jurisprudence, qu'elle soit ancienne ou plus récente, est à la fois claire et impérieuse: les contrevenants ne devraient être nulle part à l'abri de l'arrestation. Bien que le Code criminel prévoie des mandats autorisant à rechercher des choses, il n'en fait pas autant dans le cas des personnes. Si la police n'était pas investie du pouvoir de procéder à des arrestations dans des lieux privés, un contrevenant pourrait bénéficier d'une protection absolue et permanente contre la loi dans une maison privée.
Le Parlement a tenu pour acquis que la common law confère un pouvoir de s'introduire dans des lieux par la force pour procéder à une arrestation. Bien que les tribunaux puissent refuser de conférer de nouveaux pouvoirs de common law qui portent atteinte à des libertés civiles‑‑et cette Cour s'est montrée réticente à conférer de tels pouvoirs‑‑la suppression de pouvoirs déjà reconnus par les tribunaux est une toute autre chose, surtout lorsque ces pouvoirs sont consacrés par une jurisprudence qui remonte au XVIIe siècle.
Le droit d'entrer pour rechercher un contrevenant n'est pas illimité. La Cour a établi dans l'arrêt Eccles c. Bourque qu'on ne peut pénétrer dans une maison contre la volonté de l'occupant que: (1) s'il existe des motifs raisonnables et probables de croire que la personne recherchée est sur les lieux, et (2) si une annonce régulière a été faite avant d'entrer. Pour qu'il y ait une annonce régulière, il faut normalement que les policiers donnent (i) avis de leur présence, (ii) avis de leur autorité en s'identifiant comme des policiers, et (iii) avis du but de leur visite, en déclarant un motif légitime d'entrer. Ces exigences minimisent l'empiétement que constitue l'arrestation dans un domicile et permet au contrevenant de conserver sa dignité et sa vie privée en répondant à la porte et en se rendant.
Il y a une bonne raison de s'en tenir à cette jurisprudence au lieu d'adopter une nouvelle règle qui impose à la police d'obtenir un mandat d'arrestation pour effectuer une arrestation dans des locaux résidentiels. Si un policier est obligé d'obtenir un mandat d'arrestation avant de pénétrer dans une résidence, il devra d'abord essayer d'obtenir le nom du contrevenant des voisins. Le plus souvent, les voisins seront incapables de fournir ce renseignement. Même si le policier obtient le nom du contrevenant, il faudra qu'il trouve un juge de paix pour signer le mandat d'arrestation. Un temps précieux‑‑et probablement le contrevenant‑‑seront perdus.
On répond aussi totalement que possible aux inquiétudes précises relatives aux arrestations dans un domicile, sans indûment toucher à la lutte efficace contre la criminalité, par les obligations spéciales imposées aux agents de la paix qui doivent procéder aux arrestations dans une maison ou un appartement.
Si on peut répondre par l'affirmative à chacune des questions suivantes, l'arrestation est légale:
(1) S'agit‑il d'un acte criminel?
(2) La personne arrêtée a‑t‑elle commis l'infraction en question ou l'agent de la paix a‑t‑il des motifs raisonnables et probables de croire que cette personne a commis ou est sur le point de commettre ladite infraction?
(3) Y a‑t‑il des motifs raisonnables et probables de croire que la personne recherchée se trouve dans les lieux?
(4) Un avis régulier a‑t‑il été donné avant d'entrer?
La présente affaire a pris naissance antérieurement à l'entrée en vigueur de la Charte. En outre, on ne se prononce pas sur la nature et la portée des limites dans l'espace imposées au pouvoir d'arrêter sans mandat en vertu d'articles ou paragraphes autres que l'al. 450(1)a) du Code criminel.
Les juges Beetz, Estey et McIntyre: Le principe ancien posé dans l'arrêt Semayne, selon lequel [TRADUCTION] "la maison de chacun est pour lui son château et sa forteresse, tant pour se défendre contre l'injure et la violence que pour son repos" doit céder le pas aux exigences légitimes de l'application de la loi. L'arrêt Eccles c. Bourque affirme qu'un agent de la paix a le pouvoir, en common law, d'entrer dans des lieux privés pour procéder à une arrestation sans mandat en vertu de l'al. 450(1)a) du Code criminel. La Cour a exigé d'abord que l'agent de la paix ait des motifs raisonnables et probables de croire qu'un acte criminel a été commis ou est sur le point de l'être et que la personne recherchée se trouve sur les lieux et, en second lieu, qu'il fasse une annonce en règle de sa présence et de son but avant d'entrer.
Le juge Le Dain: Le pouvoir d'un agent de police de pénétrer dans des lieux privés sans le consentement de l'occupant pour procéder à une arrestation sans mandat a été confirmé, avec les conditions d'exercice, dans l'arrêt Eccles c. Bourque et il y a de solides raisons de principe pour adhérer à cette décision. On ne doit pas conclure de l'accord avec le juge en chef Dickson qu'il porte nécessairement sur la distinction qu'il a faite à propos des motifs majoritaires dans le Renvoi sur l'écoute électronique, Lyons c. La Reine et Dedman c. La Reine.
Le juge en chef Dickson et les juges Chouinard, Lamer et Wilson: À condition de satisfaire aux critères énoncés au par. 450(1) du Code criminel et aux exigences posées dans l'arrêt Eccles c. Bourque, un policier peut dans l'exercice de ses fonctions en vertu de l'al. 450(1)a) procéder à une arrestation sans mandat dans des locaux privés.
Le paragraphe 450(1) du Code criminel n'a pas pour effet de modifier les principes de common law relatifs aux limites dans l'espace imposées au pouvoir d'arrestation sans mandat et le mutisme du Code sur cette question exige l'application de la common law. L'application de l'arrêt Eccles c. Bourque n'est pas limitée à des situations où il y a un mandat, même non visé. Au contraire, il porte sur le pouvoir de la police d'effectuer une arrestation sans mandat dans des lieux privés. La présente affaire doit être décidée par application de l'arrêt Eccles c. Bourque, tout comme Eccles c. Bourque, selon l'opinion de la Cour à l'époque, relevait carrément des arrêts de principe de la common law ancienne. La politique qui sous‑tend la jurisprudence, qu'elle soit ancienne ou plus récente, est à la fois claire et impérieuse: les contrevenants ne devraient être nulle part à l'abri de l'arrestation. Bien que le Code criminel prévoie des mandats autorisant à rechercher des choses, il n'en fait pas autant dans le cas des personnes. Si la police n'était pas investie du pouvoir de procéder à des arrestations dans des lieux privés, un contrevenant pourrait bénéficier d'une protection absolue et permanente contre la loi dans une maison privée.
Le Parlement a tenu pour acquis que la common law confère un pouvoir de s'introduire dans des lieux par la force pour procéder à une arrestation. Bien que les tribunaux puissent refuser de conférer de nouveaux pouvoirs de common law qui portent atteinte à des libertés civiles‑‑et cette Cour s'est montrée réticente à conférer de tels pouvoirs‑‑la suppression de pouvoirs déjà reconnus par les tribunaux est une toute autre chose, surtout lorsque ces pouvoirs sont consacrés par une jurisprudence qui remonte au XVIIe siècle.
Le droit d'entrer pour rechercher un contrevenant n'est pas illimité. La Cour a établi dans l'arrêt Eccles c. Bourque qu'on ne peut pénétrer dans une maison contre la volonté de l'occupant que: (1) s'il existe des motifs raisonnables et probables de croire que la personne recherchée est sur les lieux, et (2) si une annonce régulière a été faite avant d'entrer. Pour qu'il y ait une annonce régulière, il faut normalement que les policiers donnent (i) avis de leur présence, (ii) avis de leur autorité en s'identifiant comme des policiers, et (iii) avis du but de leur visite, en déclarant un motif légitime d'entrer. Ces exigences minimisent l'empiétement que constitue l'arrestation dans un domicile et permet au contrevenant de conserver sa dignité et sa vie privée en répondant à la porte et en se rendant.
Il y a une bonne raison de s'en tenir à cette jurisprudence au lieu d'adopter une nouvelle règle qui impose à la police d'obtenir un mandat d'arrestation pour effectuer une arrestation dans des locaux résidentiels. Si un policier est obligé d'obtenir un mandat d'arrestation avant de pénétrer dans une résidence, il devra d'abord essayer d'obtenir le nom du contrevenant des voisins. Le plus souvent, les voisins seront incapables de fournir ce renseignement. Même si le policier obtient le nom du contrevenant, il faudra qu'il trouve un juge de paix pour signer le mandat d'arrestation. Un temps précieux‑‑et probablement le contrevenant‑‑seront perdus.
On répond aussi totalement que possible aux inquiétudes précises relatives aux arrestations dans un domicile, sans indûment toucher à la lutte efficace contre la criminalité, par les obligations spéciales imposées aux agents de la paix qui doivent procéder aux arrestations dans une maison ou un appartement.
Si on peut répondre par l'affirmative à chacune des questions suivantes, l'arrestation est légale:
(1) S'agit‑il d'un acte criminel?
(2) La personne arrêtée a‑t‑elle commis l'infraction en question ou l'agent de la paix a‑t‑il des motifs raisonnables et probables de croire que cette personne a commis ou est sur le point de commettre ladite infraction?
(3) Y a‑t‑il des motifs raisonnables et probables de croire que la personne recherchée se trouve dans les lieux?
(4) Un avis régulier a‑t‑il été donné avant d'entrer?
La présente affaire a pris naissance antérieurement à l'entrée en vigueur de la Charte. En outre, on ne se prononce pas sur la nature et la portée des limites dans l'espace imposées au pouvoir d'arrêter sans mandat en vertu d'articles ou paragraphes autres que l'al. 450(1)a) du Code criminel.
Les juges Beetz, Estey et McIntyre: Le principe ancien posé dans l'arrêt Semayne, selon lequel [TRADUCTION] "la maison de chacun est pour lui son château et sa forteresse, tant pour se défendre contre l'injure et la violence que pour son repos" doit céder le pas aux exigences légitimes de l'application de la loi. L'arrêt Eccles c. Bourque affirme qu'un agent de la paix a le pouvoir, en common law, d'entrer dans des lieux privés pour procéder à une arrestation sans mandat en vertu de l'al. 450(1)a) du Code criminel. La Cour a exigé d'abord que l'agent de la paix ait des motifs raisonnables et probables de croire qu'un acte criminel a été commis ou est sur le point de l'être et que la personne recherchée se trouve sur les lieux et, en second lieu, qu'il fasse une annonce en règle de sa présence et de son but avant d'entrer.
Le juge Le Dain: Le pouvoir d'un agent de police de pénétrer dans des lieux privés sans le consentement de l'occupant pour procéder à une arrestation sans mandat a été confirmé, avec les conditions d'exercice, dans l'arrêt Eccles c. Bourque et il y a de solides raisons de principe pour adhérer à cette décision. On ne doit pas conclure de l'accord avec le juge en chef Dickson qu'il porte nécessairement sur la distinction qu'il a faite à propos des motifs majoritaires dans le Renvoi sur l'écoute électronique, Lyons c. La Reine et Dedman c. La Reine.
vendredi 28 août 2009
Éléments constitutifs de l'infraction relativement à la tenue d'une maison de débauche
R. c. Corbeil, [1991] 1 R.C.S. 830
Une personne qui répond à la définition de "tenancier" contenue au par. 197(1) du Code ne "tient" pas nécessairement une maison de débauche aux fins du par. 210(1). Pour que s'applique l'infraction de tenue d'une maison de débauche, deux éléments doivent exister:
(1) l'accusé doit avoir un certain degré de contrôle sur le soin et l'administration des lieux et
(2) l'accusé doit participer dans une certaine mesure aux activités "illicites" qui ont cours dans la maison de débauche.
L'élément de participation n'exige pas une participation personnelle aux actes de nature sexuelle qui ont lieu dans la maison de débauche; il suffit que l'accusé participe à l'utilisation de la maison comme maison de débauche. En l'espèce, on ne retrouve pas l'élément de "soin et d'administration" des lieux.
Une personne qui répond à la définition de "tenancier" contenue au par. 197(1) du Code ne "tient" pas nécessairement une maison de débauche aux fins du par. 210(1). Pour que s'applique l'infraction de tenue d'une maison de débauche, deux éléments doivent exister:
(1) l'accusé doit avoir un certain degré de contrôle sur le soin et l'administration des lieux et
(2) l'accusé doit participer dans une certaine mesure aux activités "illicites" qui ont cours dans la maison de débauche.
L'élément de participation n'exige pas une participation personnelle aux actes de nature sexuelle qui ont lieu dans la maison de débauche; il suffit que l'accusé participe à l'utilisation de la maison comme maison de débauche. En l'espèce, on ne retrouve pas l'élément de "soin et d'administration" des lieux.
La prostitution ne constitue pas en soi une infraction criminelle
R. c. Abate (Re), 2001 CanLII 27058 (QC C.M.)
La prostitution ne constitue pas en soi une infraction criminelle. Aussi elle se veut un sujet d’incrimination dans un contexte de la maison de débauche, de la sollicitation du proxénétisme. D’aucune façon le Code criminel n’en suggère une définition.
A partir de la jurisprudence abondante et simplifiée à la limite, les actes de prostitution seraient synonymes de services sexuels rendus en contrepartie d’un paiement.
Dans Le Renvoi Relatif au Code criminel (Man.), 1990 CanLII 105 (C.S.C.), (1990) 1 R.C.S. 1123, le plus haut Tribunal affirma que la prostitution se veut une expression d’usage commun que l’on peut définir comme étant : A la page 1159,
… l’offre par une personne de ses services sexuels en échange de paiement par une autre.
Dans l’arrêt R. c. Tremblay, (1991) R.J.P.Q. 2766, notre Cour d’appel, sous la plume du juge Brossard, après avoir discuté de la notion de prostitution, énonce : A la page 2780,
On peut conclure que le simple fait de s’offrir comme participant dans des actes d’indécence pour la gratification sexuelle de l’autre, suffit pour conclure à la prostitution.
Et le juge Proulx nous donne cette approche : A la page 2781,
Cette notion a évolué au fil des temps. Si jadis on ne considérait la prostitution qu’en regard des relations sexuelles, même non rémunérées, il faut bien admettre qu’aujourd’hui la prostitution est de nature intrinsèquement commerciale, qu’elle vise des actes sexuels entre personnes de même ou de sexes différents et la gratification sexuelle du client, qui ne s’obtient pas nécessairement par des relations sexuelles complètes.
La Cour suprême renversa cette dernière décision uniquement sur la question de l’indécence (R. c. Tremblay, 1993 CanLII 115 (C.S.C.), (1993) 2 R.C.S. 932). Le juge Gonthier présente la notion de prostitution ainsi : A la page 946,
En fait, l’arrêt R. c. Lantay, précité auquel envoie le premier arrêt, s’appuie sur l’arrêt anglais R. c. De Munck, (1918) 1 K.B. 635, dans lequel on a décidé, aux pp.637 et 638, que (Traduction) « la prostitution est établie s’il est démontré qu’une femme offre son corps couramment pour des fins lubriques contre paiement », les rapports sexuels n’étant pas une condition. Le droit n’a jamais requis que la forme ou la variété la plus lubrique d’une activité qui n’est pas tolérée par la société se produise pour qu’une telle activité soit considérée comme indécente.
De façon plus contemporaine la Cour d’appel s’est penchée sur cette notion dans Tremblay c. R., J.E. 98-628. On apporta la définition suivante : A la page 5,
La prostitution est le fait d’offrir son corps pour des fins lascives, à tout venant, contre rémunération.
Le Juge Kerans parlant du but ciblé par le nouvel article (213) écrivait dans R. c. Jahelka, 1987 CanLII 151 (AB C.A.), (1987) 36, C.C.C. (3d) 105, à la page 109 :
The purpose of this legislation is acknowledged. It is not to prohibit talk about prostitution. It is to proscribe street-hawking by prostitutes and their customers. In my view, the proper interpretation of this criminal statute is that it applies only to communication from a common prostitute to a member of the public with a view to her of his prostitution or, alternatively, by a member of the public to another, whom he or she thinks to be a common prostitute, for the purpose of engaging his or her sexual services.
Aussi faut-il dire qu’il doit y avoir un but à la communication elle-même sinon à quoi servirait la communication. Il s’agit d’un commerce : donner son corps contre une rémunération ou donner une gratification sexuelle à une autre personne contre une somme d’argent.
L’intention de l’accusé s’infère des circonstances, du lieu, de ou des conversations, du contexte, de l’attitude et des intentions.
Quant au soussigné, l’article 213 (1) du Code criminel est clair et précis et il faut éviter d’en éluder la lettre, sous prétexte de vouloir atteindre son esprit. La clarté est une propriété d’une impression que le texte produit dans l’esprit de celui qui doit l’interpréter.
Il doit s’agir plus qu’une simple conversation, il ne faudrait pas croire que la tenue vestimentaire, les danses contacts et l’endroit peuvent suffire à conclure qu’il y a prostitution.
Le juge Foisy au nom de la Cour d’appel de l’Alberta apporta les commentaires suivants dans l’affaire R. c. Pake, 103 C.C.C. (3d) 524 : Aux pages 529-530,
While there can be no doubt that street prostitution and the nuisance created by it is a significant problem, the Crown’s suggestion as to the lengths that Parliament has gone in response to this problem is, in my view, incorrect. To give s. 213(1) of the Code the interpretation suggested by the Crown would be to ignore the wording chosen by Parliament itself when creating this section.
It is trite law to say that the rules of statutory interpretation require the words of a statute to be given some meaning. In the case the question is, what meaning should be given to the words « for the purpose of engaging the sexual services of a prostitute… »? I think the meaning is clear. Without an intention to engage the sexual services, there is no offence. The Crown has argued that communication about prostitution should be caught by the section, but nowhere has Parliament seen fit to include the words « about engaging the sexual services of a prostitute ».
This views is supported by numerous cases in which it has been expressed that something more than mere communication is required to make out the offence.
Il n’est nullement nécessaire que la conversation soit suivie d’actes ou de contacts sexuels pour consommer l’infraction. La Cour d’appel du Québec l’a clairement énoncé dans R. c. Tremblay, 1991 CanLII 3166 (QC C.A.), (1991) R.J.Q. 2766. Déclarant mal fondée la proposition selon laquelle on ne peut parler de « prostitution » en l’absence d’une relation sexuelle complète, de fellation et de masturbation, la Cour a repris à son compte la définition proposée par la Cour suprême dans le Renvoi relatif au Code criminel (Man.) (précité), en affirmant que « la prostitution est le fait d’offrir son corps pour des fins lascives, à tout venant, contre rémunération ».
C’est dans le même sens qu’a conclu la Cour d’Appel d’Ontario R. c. Mara, (1996) 46 C.R. (4ième) 167 p.176. L’importante liste des arrêts qui a suivi ne déroge aucunement à cette interprétation, bien au contraire.
La prostitution ne constitue pas en soi une infraction criminelle. Aussi elle se veut un sujet d’incrimination dans un contexte de la maison de débauche, de la sollicitation du proxénétisme. D’aucune façon le Code criminel n’en suggère une définition.
A partir de la jurisprudence abondante et simplifiée à la limite, les actes de prostitution seraient synonymes de services sexuels rendus en contrepartie d’un paiement.
Dans Le Renvoi Relatif au Code criminel (Man.), 1990 CanLII 105 (C.S.C.), (1990) 1 R.C.S. 1123, le plus haut Tribunal affirma que la prostitution se veut une expression d’usage commun que l’on peut définir comme étant : A la page 1159,
… l’offre par une personne de ses services sexuels en échange de paiement par une autre.
Dans l’arrêt R. c. Tremblay, (1991) R.J.P.Q. 2766, notre Cour d’appel, sous la plume du juge Brossard, après avoir discuté de la notion de prostitution, énonce : A la page 2780,
On peut conclure que le simple fait de s’offrir comme participant dans des actes d’indécence pour la gratification sexuelle de l’autre, suffit pour conclure à la prostitution.
Et le juge Proulx nous donne cette approche : A la page 2781,
Cette notion a évolué au fil des temps. Si jadis on ne considérait la prostitution qu’en regard des relations sexuelles, même non rémunérées, il faut bien admettre qu’aujourd’hui la prostitution est de nature intrinsèquement commerciale, qu’elle vise des actes sexuels entre personnes de même ou de sexes différents et la gratification sexuelle du client, qui ne s’obtient pas nécessairement par des relations sexuelles complètes.
La Cour suprême renversa cette dernière décision uniquement sur la question de l’indécence (R. c. Tremblay, 1993 CanLII 115 (C.S.C.), (1993) 2 R.C.S. 932). Le juge Gonthier présente la notion de prostitution ainsi : A la page 946,
En fait, l’arrêt R. c. Lantay, précité auquel envoie le premier arrêt, s’appuie sur l’arrêt anglais R. c. De Munck, (1918) 1 K.B. 635, dans lequel on a décidé, aux pp.637 et 638, que (Traduction) « la prostitution est établie s’il est démontré qu’une femme offre son corps couramment pour des fins lubriques contre paiement », les rapports sexuels n’étant pas une condition. Le droit n’a jamais requis que la forme ou la variété la plus lubrique d’une activité qui n’est pas tolérée par la société se produise pour qu’une telle activité soit considérée comme indécente.
De façon plus contemporaine la Cour d’appel s’est penchée sur cette notion dans Tremblay c. R., J.E. 98-628. On apporta la définition suivante : A la page 5,
La prostitution est le fait d’offrir son corps pour des fins lascives, à tout venant, contre rémunération.
Le Juge Kerans parlant du but ciblé par le nouvel article (213) écrivait dans R. c. Jahelka, 1987 CanLII 151 (AB C.A.), (1987) 36, C.C.C. (3d) 105, à la page 109 :
The purpose of this legislation is acknowledged. It is not to prohibit talk about prostitution. It is to proscribe street-hawking by prostitutes and their customers. In my view, the proper interpretation of this criminal statute is that it applies only to communication from a common prostitute to a member of the public with a view to her of his prostitution or, alternatively, by a member of the public to another, whom he or she thinks to be a common prostitute, for the purpose of engaging his or her sexual services.
Aussi faut-il dire qu’il doit y avoir un but à la communication elle-même sinon à quoi servirait la communication. Il s’agit d’un commerce : donner son corps contre une rémunération ou donner une gratification sexuelle à une autre personne contre une somme d’argent.
L’intention de l’accusé s’infère des circonstances, du lieu, de ou des conversations, du contexte, de l’attitude et des intentions.
Quant au soussigné, l’article 213 (1) du Code criminel est clair et précis et il faut éviter d’en éluder la lettre, sous prétexte de vouloir atteindre son esprit. La clarté est une propriété d’une impression que le texte produit dans l’esprit de celui qui doit l’interpréter.
Il doit s’agir plus qu’une simple conversation, il ne faudrait pas croire que la tenue vestimentaire, les danses contacts et l’endroit peuvent suffire à conclure qu’il y a prostitution.
Le juge Foisy au nom de la Cour d’appel de l’Alberta apporta les commentaires suivants dans l’affaire R. c. Pake, 103 C.C.C. (3d) 524 : Aux pages 529-530,
While there can be no doubt that street prostitution and the nuisance created by it is a significant problem, the Crown’s suggestion as to the lengths that Parliament has gone in response to this problem is, in my view, incorrect. To give s. 213(1) of the Code the interpretation suggested by the Crown would be to ignore the wording chosen by Parliament itself when creating this section.
It is trite law to say that the rules of statutory interpretation require the words of a statute to be given some meaning. In the case the question is, what meaning should be given to the words « for the purpose of engaging the sexual services of a prostitute… »? I think the meaning is clear. Without an intention to engage the sexual services, there is no offence. The Crown has argued that communication about prostitution should be caught by the section, but nowhere has Parliament seen fit to include the words « about engaging the sexual services of a prostitute ».
This views is supported by numerous cases in which it has been expressed that something more than mere communication is required to make out the offence.
Il n’est nullement nécessaire que la conversation soit suivie d’actes ou de contacts sexuels pour consommer l’infraction. La Cour d’appel du Québec l’a clairement énoncé dans R. c. Tremblay, 1991 CanLII 3166 (QC C.A.), (1991) R.J.Q. 2766. Déclarant mal fondée la proposition selon laquelle on ne peut parler de « prostitution » en l’absence d’une relation sexuelle complète, de fellation et de masturbation, la Cour a repris à son compte la définition proposée par la Cour suprême dans le Renvoi relatif au Code criminel (Man.) (précité), en affirmant que « la prostitution est le fait d’offrir son corps pour des fins lascives, à tout venant, contre rémunération ».
C’est dans le même sens qu’a conclu la Cour d’Appel d’Ontario R. c. Mara, (1996) 46 C.R. (4ième) 167 p.176. L’importante liste des arrêts qui a suivi ne déroge aucunement à cette interprétation, bien au contraire.
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