mercredi 16 décembre 2009

La demande d'exclure certains antécédents judiciaires en contre-interrogatoire

Michaud c. R. 2009 QCCA 2370 N° : 500-10-003832-076 (705-01-042630-055) DATE : 10 décembre 2009

[56] Dans l’arrêt Trudel c. R., [1994] R.J.Q. 678 (C.A.), M. Trudel était accusé de meurtre au premier degré et il avait été trouvé coupable de meurtre au deuxième degré. Le juge de première instance avait permis l'usage en preuve d'une condamnation de menaces de mort ayant eu lieu cinq ans auparavant, infraction commise dans le contexte d'un emploi qu'on lui avait refusé. Notre collègue, le juge Brossard, après avoir analysé les facteurs à prendre en compte par un juge du procès, écrit à la page 683 :

[…] J'ai également beaucoup de difficulté à voir la connexité de fait entre une menace de mort faite à un tiers, autre que la victime en l'instance, cinq ans auparavant, et la nature du meurtre pour lequel l'appelant subissait son procès. Cependant, la seule similitude résultant du rapprochement possible dans l'esprit d'un jury entre « menace de mort » et « commission de meurtre » était évidemment de nature à causer un préjudice énorme en inspirant l'idée que l'appelant était un individu de nature violente ou de nature impulsive susceptible de faire appel à la violence pour régler ses problèmes, qu'il s'agisse de violence verbale ou physique.

[57] Il est certain que, dans l'exercice de sa discrétion judiciaire d'exclure l'usage de condamnations antérieures lors du contre-interrogatoire, le juge doit s'assurer que les antécédents judiciaires ne servent pas de preuve de propension et il doit prendre en compte le préjudice qui pourrait résulter d'un mauvais usage d'une telle preuve. Toutefois, il s'agit d'un exercice de pondération où l'analyse du contexte du dossier est déterminante.

[58] Dans l'arrêt R. c. Atouani, [2002] J.Q. no 5081, permission d'appeler à la Cour suprême refusée à [2003] 2 R.C.S. v, notre Cour a réitéré que l'exercice doit se faire en tenant compte des droits de l'accusé, mais aussi en s'assurant de maintenir un équilibre entre ces droits et le risque « que le jury obtienne une vision tronquée de la réalité ». L'accusé avait demandé au juge d'exclure des condamnations de tentative de meurtre et d'avoir proféré des menaces alors qu'il subissait un procès pour meurtre, ce qui lui a été refusé. Le juge Proulx, qui rend jugement pour la Cour, rejette ce moyen d'appel. Il écrit :

[12] Depuis l'arrêt R. c. Corbett, [1988] 1 R.C.S. 670 , on reconnaît au tribunal une discrétion pour écarter d'un contre-interrogatoire sur les antécédents judiciaires de l'accusé selon l'art. 12 de la Loi sur la preuve au Canada la preuve des antécédents dans les cas exceptionnels où serait compromis le droit d'un inculpé à un procès équitable. Dans Corbett, la Cour a indiqué les facteurs qui justifient exceptionnellement l'exclusion et doivent être pondérés par le souci de maintenir l'équilibre entre les droits de l'inculpé et le risque que le jury obtienne une vision tronquée de la réalité, ou encore, entre le préjudice et la valeur probante : c'est dans ce cadre que doit s'exercer la discrétion judiciaire. Selon le juge en chef Dickson, rédacteur de l'opinion majoritaire dans Corbett, on aurait bien tort de trop insister sur le risque que le jury puisse faire mauvais usage de cette preuve, compte tenu de la mise en garde formelle que doit recevoir le jury à cet égard : «We should regard with grave suspicion arguments which assert that depriving the jury of all relevant information is preferable to giving them everything, with a careful explanation as to any limitations on the use to which they may put that information» (p. 692).

[13] Cela dit, reste à déterminer le cas où les circonstances exceptionnelles justifieront l'exclusion. Dans Corbett, une affaire de meurtre reliée au décès de l'un des associés de l'inculpé dans un trafic de stupéfiants, la défense avait attaqué en force la crédibilité des témoins à charge, des criminels endurcis : la majorité des juges a conclu qu'en expurgeant le casier judiciaire pour faire abstraction d'un antécédent de meurtre commis dix ans auparavant, dans un cas où la crédibilité se situait au cœur du litige, le jury aurait été induit en erreur pour apprécier cette question cruciale.

[14] C'est dans le même sens qu'a conclu la Cour suprême dans R. c. Charland, [1997] 3 R.C.S. 1006 , confirmant R. c. Charland (1996), 110 C.C.C. (3d) 300 (C.A. Alb.), la Cour d'appel d'Ontario dans R. c. Saroya, [1994] 36 C.R. (4th) 253; notre Cour, dans R. c. Mantha, [2001] J.Q. no 1712 (C.A.).

[59] Plus récemment, mon collègue, le juge Doyon, rappelait dans l'arrêt R. c. Tremblay (2006), 209 C.C.C. (3d) 212 (C.A. Qué.), au paragr. 22, que la limitation à la divulgation ou à l'usage en contre-interrogatoire des antécédents judiciaires constitue l'exception et non la règle.

[60] En l'occurrence, non seulement la crédibilité était au cœur du litige, mais il s'agissait d'une question cruciale. Le jury devait apprécier la preuve où les aveux de l'appelant étaient niés par ce dernier ou admis avec la réserve qu'il s'agissait d'informations relatives au meurtre que lui avait avoué M. Lapointe le lendemain de l'incident. Il niait toute participation au crime. Comment le jury aurait-il pu apprécier cette question en ayant une vision tronquée ou à tout le moins bien inégale entre les deux protagonistes, soit le témoignage de M. Lapointe et celui de l'appelant?

[61] Je suis d'avis que l'appelant n'a pas démontré qu'il s'agissait d'un exercice erroné du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance.

[62] En terminant je crois utile de reproduire la directive donnée par le juge aux jurés à cet égard :

Au chapitre du casier judiciaire, une personne peut avoir un casier judiciaire parce que dans le passé elle a été trouvée coupable d'actes criminels. Ce n'est pas une raison en soi pour douter de sa crédibilité, mais c'est un élément dont vous pouvez tenir compte en évaluant son témoignage. Celui qui a un casier judiciaire ne ment pas nécessairement. C'est un facteur que vous pouvez prendre en considération.

Concernant les antécédents judiciaires de l'accusé, j'ai permis que soient présentés en preuve les antécédents judiciaires de monsieur Michaud. Vous devez considérer cette preuve comme admissible, puisque je l'ai permise, puisque j'ai permis qu'elle soit présentée devant vous. Cependant, vous ne pourrez pas vous servir de cette preuve en vous fondant sur l'équation suivante : comme l'accusé, Alain Michaud, a été reconnu coupable de ces infractions dans le passé, il est donc susceptible d'avoir commis les infractions qu'on lui reproche dans le présent dossier. Vous comprenez que ce ne serait pas logique et que ce serait injuste envers l'accusé. Ce n'est pas parce qu'on a déjà été trouvé coupable de certains crimes qu'on est nécessairement coupable des crimes pour lesquels on subit un procès présentement.

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