samedi 13 mars 2010

La doctrine applicable sur les cas d’intoxication volontaire et le trouble mental

Bouchard-Lebrun c. R., 2010 QCCA 402 (CanLII)

[60] Dans leur Traité de droit pénal canadien, les auteurs Côté-Harper, Rainville et Turgeon distinguent la défense fondée sur l’intoxication volontaire de celle fondée sur les troubles mentaux. Cette particularisation repose sur la cause des troubles – facteur personnel ou externe –. Ils concluent que les deux moyens de défense sont distincts :

La défense d'alcoolisme ou d'ivresse peut aussi découler des mêmes faits que les troubles mentaux provoqués par l'alcoolisme. L'accusé a le choix d'invoquer l'une ou l'autre, mais en définitive c'est une question de droit que devra trancher le juge : si les troubles découlent de l'absorption d'alcool ou de drogues, la question se décidera sur l'intoxication. Mais si le mauvais fonctionnement est dû à des troubles mentaux, même si ceux-ci découlent d'un usage abusif d'alcool ou de drogues, la défense des troubles mentaux pourra être examinée. Les deux moyens de défense sont donc bien distincts, même si parfois, sur le plan des faits, l'alcoolisme et les troubles mentaux peuvent être présents : c'est au juge de statuer lequel doit s'appliquer. […]

[61] Dans son Traité de droit criminel, l’auteur Hugues Parent fait le point quant aux défenses ouvertes à un accusé qui commet un crime après avoir consommé de la drogue. Ainsi, lorsque les symptômes incapacitants sont directement reliés à la substance consommée, c’est la défense d’intoxication qui doit être privilégiée. Si, au contraire, les symptômes tiennent plus à un facteur personnel qu’à la consommation de drogues, la défense d’aliénation mentale peut être envisagée :

176. De ce qui précède, nous concluons que lorsque les symptômes incapacitants (p. ex. : idées de référence, peur de devenir fou, mode de pensée persécutoire, altération du jugement observée en matière d'intoxication aux hallucinogènes) sont directement reliés aux effets de la substance consommée, une défense d'intoxication volontaire est à privilégier (cause externe). Si, par contre, les idées délirantes ou les hallucinations se développent peu de temps après l'utilisation de la substance, comme c'est le cas lors d'une consommation massive de cannabis, et que l'individu commet l'infraction dans cet accès de folie sans que les symptômes psychotiques ne rétrocèdent par la suite, une défense d'aliénation mentale est à envisager (prévalence d'un facteur interne). Discutant de la responsabilité criminelle d'une personne accusée de plusieurs infractions commises à la suite d'une consommation excessive d'ecstasy, le juge Bauman, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, reprend les commentaires de la psychiatre de la défense et souligne la persistance des symptômes psychotiques malgré le retrait de la substance illégale. « Given that his symptoms have persisted in the absence of any illicit drugs for over a month there is increased likelihood of an underlying primary illness ». Si les troubles psychotiques « persistent des semaines ou davantage malgré le retrait de l'agent en cause » et que l'individu commet un crime pendant cette période, une défense d'aliénation mentale serait, encore une fois, tout à fait indiquée (cause interne). Quant aux symptômes psychotiques qui sont présents chez l'individu au moment du crime, mais qui rétrocèdent à la suite du retrait de la substance en cause, la jurisprudence nous oblige à constater la responsabilité de l'agent. Cette responsabilité, il va de soi, sera généralement confinée aux infractions ne comportant pas d'intention spécifique. […].

[62] En ce qui concerne la documentation du Barreau du Québec, la juge Sophie Bourque, dans le volume Droit pénal, ne donne aucun avis sur la coexistence des défenses d’intoxication volontaire et pour troubles mentaux. Elle fait état de la jurisprudence en ces termes :

Dans l’arrêt R. c. Cooper la Cour suprême définit maladie mentale comme toute maladie, désordre ou condition anormale affectant l’esprit humain et son fonctionnement, excluant les états auto-infligés par l’alcool ou la drogue ou les états mentaux transitoires comme les commotions ou l’hystérie. Ainsi, dans certaines circonstances les états suivants ont été déclarés maladies mentales : les troubles de la personnalité, le delirium tremens, la psychose toxique, l’impulsion irrésistible. Puisque la maladie mentale est une notion juridique, la preuve et l’opinion médicales sont pertinentes et nécessaires au débat, mais pas déterminantes, et c’est au juge de décider s’il est question d’un trouble mental.

[64] Les auteurs Manning, Sankoff illustrent les difficultés susceptibles de se produire si un accusé pouvait avoir recours à la défense de l’article 16 C.cr. lorsque son état résulte d’une intoxication volontaire :

For example, on a murder charge, the defence of drunkenness, if made out, would operate to reduce the conviction from murder to manslaughter. On the other hand, if the defence was mental disorder, the accused would be found not guilty but subject to some alternative disposition. In the former case, a fairly lengthy term of imprisonment would be the likely result; in the latter, while the accused would be detained in custody, it is possible, indeed probable, that release would occur within a fairly short period of time, especially if treatment for alcohol abuse was successful.

Needless to say, such an approach would be both undesirable and legally incorrect, for while an accused is free to introduce whatever evidence is desired as part of a defence, it is not the function of the defence to determine how the effect of that evidence is legally categorized as going to the defence of drunkenness and the defence will stand or fall on the rules relating to that defence. If the evidence is of malfunctioning for reasons of the accused's psychological makeup, then it will be categorized as going to the defence of mental disorder and stand or fall on section 16. In this way, the defence of drunkenness is kept distinct from the defence of mental disorder.

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