mercredi 25 mai 2011

Les principes relatifs à l'amendement

R. c. Dihel, 2000 CanLII 21540 (QC CM)

Un contrevenant ne peut être déclaré coupable d'une infraction qui n’est pas spécifiquement énoncée dans la dénonciation. La poursuite est donc liée par l'accusation qu'elle choisit, sauf quant à une infraction incluse qui n’est pas visée par la dénonciation.

La poursuite (ou le juge de son propre chef) peut par contre demander au juge du procès d'amender une dénonciation.

L'article 601 et s. du C.cr. donne au juge du procès un large pouvoir discrétionnaire pour modifier une dénonciation, en particulier d'amender lorsqu'il y a divergence entre la preuve et la dénonciation telle qu’elle est présentée.

L'article 601(4) du C.cr. précise qu'avant de modifier une dénonciation, le juge doit être guidé par les facteurs suivants :

- la preuve,

- les circonstances de l'espèce,

- si l'accusé a été induit en erreur ou lésé dans sa défense,

- absence d'injustice.

Le formalisme rigoureux de la procédure et la forme des codes civil et criminel d'antan ont été graduellement transformés par la jurisprudence et le législateur. Maintenant, la règle générale en droit criminel est la modification tout en préservant les droits des accusés.

La Cour suprême se prononce clairement sur les pouvoirs d'un juge d'amender dans R.v. Moore. L'acte d'accusation dans cet arrêt omet un élément essentiel de l'infraction. Le chef d'accusation est annulé par la cour de première instance puisqu’il n’allègue aucune infraction en droit et non une infraction mal rédigée.

Après avoir considéré la jurisprudence la Cour suprême indique:

"... it is no longer possible to say that a defective information is automatically a nullity disclosing no offence known to law. If the document gives fair notice of the offence... it is not a nullity and can be amended under the broad powers of amendment... given to the courts."

Dans Moore la dénonciation n'est donc pas nulle et peut être amendée puisque l'accusé est au courant de l'essentiel de l'infraction et qu'il ne subit aucun préjudice. La Cour suprême souligne que suivant la "common law" la jurisprudence antérieure nécessitait l'annulation d'une dénonciation même pour des erreurs «techniques», et le poursuivant devait déposer une nouvelle dénonciation. Par contre :

"The Law in this area has now been atlered, with extensive powers to amend ...

... A court has broad powers to remedy defective process..."

Le juge Lamer dans cet arrêt est encore plus clair au sujet des nouveaux pouvoirs d'amendement accordés aux tribunaux par la jurisprudence et des amendements au Code criminel:

"... a gradual shift from requiring judges to quash to requiring them to amend in the stead; in fact, there remains little discretion

to quash.... if the charge is an absolute nullity... no cure is available as the matter goes to the very jurisdiction of the judge."

Le juge Lamer souligne que le critère primordial à considérer est le préjudice irréparable.

La règle générale est donc, en l'absence d'un préjudice irréparable, les juges doivent amender.

Cette règle est confirmée dans R. v. Tremblay

«[art. 601] confèrent au tribunal des pouvoirs de modification assez étendus. Cependant un important principe... demeure... la personne... doit être informée de l’accusation qui pèse contre elle...Le Tribunal ne peut modifier la dénonciation... lorsqu'il en résulterait un préjudice irréparable.»

Est-ce que ce nouveau pouvoir élargi d'amender, souligné par la Cour suprême, comprend le pouvoir de substituer une infraction par une autre?

Malheureusement, cette question n'a pas encore été soumise de façon claire à la Cour suprême. Par contre, le Tribunal soumet que les décisions suivantes des cours d'appels des autres provinces apportent une réponse.

La première décision à aborder clairement cette question pour la première fois est la cause de R. v. Irwin, de la Cour d'appel de l'Ontario.

Dans cet arrêt la Cour d'appel est d'avis qu'un amendement peut permettre de substituer une infraction par une autre. Comme dans Moore la Cour d'appel souligne que le seul test à appliquer lors d'un amendement est celui du préjudice:

"I see no useful purpose in absolutely foreclosing an amendment... simply because the amendment will substitute one charge for another. As long as prejudice to the accused remains the litmus test. against which all proposed amendments are judged, it seems unnecessary to characterize the effect of the amendment on the charge itself. If the accused is prejudiced, the amendment cannot be made regardless of what it does to the charge ..."

Les tribunaux ne doivent donc pas se limiter à examiner la nature de l'amendement, mais bien plus l'effet que cet amendement aura sur les droits du défendeur:

"... it is the effect of the proposed amendment on the accused's ability to meet the charge, and not the effect of the proposed amendment on the charge itself which is determinative."

En refusant l'amendement de cette nature, la poursuite serait obligée de déposer une nouvelle dénonciation et procéder à un nouveau procès, parfois nécessitant de nouveau le déplacement des témoins.

Dans R. v. A.L.B. la Cour d'appel de la Colombie Britanique, même s'il ne s'agit pas de substituer une offense par une autre, permet un amendement qui change substantiellement l'infraction initiale tout en visant la même transaction. La Cour applique le même test de préjudice élaboré dans Irwin, et rejette l'argument de la défense à l'effet que l'amendement lui causerait un préjudice puisque l'accusé avait préparé sa défense pour faire face à la dénonciation initiale.

Huit mois après avoir rendu la décision dans Irwin, la Cour d'appel de l'Ontario apporte une limite au pouvoir d'amender : si la dénonciation est une nullité absolue, elle ne peut être amendée même si aucun préjudice existe :

"The appellant was convicted of an unconstitutional offence, on that he should not have been charged with in the first place because it did not exist at law. No cure is available because the matter goes to the very jurisdiction of the court... Prejudice to the appellant does not enter into the discussion..."

Donc, la règle générale est que tout amendement est permis, incluant celui qui substitut une infraction par une autre, en autant que les principes suivants sont respectés :

• l'infraction initial en est pas nulle; ne privant pas ainsi le juge de sa juridiction sur l'infraction;

• absence de préjudice, un amendement sera refusé s'il y a préjudice irréparable qu'un ajournement ne peut y remédier, ou si le défendeur est induit en erreur;

• la nouvelle infraction vise la même transaction afin que le contrevenant soit raisonnablement informé de la conduite qui lui est reprochée;

• la demande d'amendement est rendue nécessaire à cause d'une erreur de bonne foi, même s'il y a eu négligence de la part de la poursuite.

Dans le présent dossier, la nouvelle infraction proposée n'est pas nulle. Aucun préjudice n'est causé au défendeur et il n'est pas induit en erreur, étant donné que la divulgation de la preuve lui a permis de connaître la situation factuelle dès le début, et que l'amendement est proposé au début du procès. Une remise lui permettra de préparer sa défense à la lumière de la nouvelle infraction.

La nouvelle infraction vise exactement la même transaction que l'infraction initiale et de plus, l'amendement est requis suite à une erreur de bonne foi et non une tentative de la part de la poursuite de changer sa stratégie.

L'étape à laquelle est rendu le procès est aussi un facteur important à considérer pour déterminer si le préjudice affecte l'habilité à assumer une défense. La question qui devra être posée est la suivante : si la dénonciation avait été déposée à l'origine comme suggérée par l'amendement, est-ce que la défense a fait quelque chose qu'elle n'aurait pas fait ou quelque chose qu’elle n'a pas fait qu'elle aurait fait ? Une réponse affirmative démontre une forte probabilité que l'amendement causera un préjudice.

La deuxième question est la suivante : est-ce que le Tribunal peut prendre des mesures pour remédier substantiellement au préjudice ? C'est-à-dire :

• une remise pour permettre à la défense de mieux se préparer;

• rappeler un témoin de la poursuite;

• ré-ouverture de la défense.

Si la réponse est négative l'amendement ne sera pas permis.

De plus, l'habilité de faire face à une accusation n'est pas un droit à une défense particulière, mais bien un droit à une habilité générale de faire face à une accusation. Le défendeur, dans le présent dossier, n'a donc aucun droit de préserver la défense initiale qu'il souhaitait soumettre à l'infraction initiale.

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