Harbour c. R., 2017 QCCA 204
[63] La preuve révèle des difficultés réelles pour l’appelant à réintégrer le marché du travail. Je précise qu’il n’est pas question de l’impact médiatique purement subjectif à la suite d’accusations criminelles: R. c. Marchessault, [1984] J.Q. 686 (C.A.Q.). La Cour a refusé d’inférer un facteur atténuant lorsque les conséquences découlent du statut de la personnalité publique et que le crime est en soi sérieux et appelle une peine sévère : R. c. Thibault, 2016 QCCA 335, par. 36-40, ou lorsqu’on cherche à lui reconnaître un aspect atténuant uniquement en raison d’une certaine publicité découlant de la nature publique des procédures : R. c. Chav, 2012 QCCA 354, par.37; R. c. Savard, 2016 QCCA 381, par. 20.
[64] Ainsi, comme le rappelait la juge L’Heureux-Dubé en conclusion sur cette question: « Le seul fait que le crime soit commis par un riche ou par un pauvre, par un grand ou par un petit, avec toutes les conséquences qui en découlent, ne saurait, à mon avis, être l'un de ces facteurs. Il s'agit plutôt de circonstances non aggravantes » : R. c. Marchessault, [1984] J.Q. 686 (C.A.Q.).
[65] Évidemment, la peine juste n’est pas tributaire du statut social, comme le concluait la juge L’Heureux-Dubé. On ne peut demander la clémence d’un tribunal ou être punie plus sévèrement uniquement en raison de son statut social. Tous en conviendront.
[66] Or, les médias ont un pouvoir indéniable. L’importance de la couverture médiatique variera selon les cas. L’impact médiatique, pris comme le simple dévoilement du crime et de son auteur, n’autorise pas en soi à inférer, dans la plupart des cas, des conséquences qui en feraient un facteur atténuant. C’est, je crois, ce confirme la Cour dans les arrêts Thibault, Chav, et Savard précités. En effet, l’inférence d’une stigmatisation découlant d’une accusation n’est pas toujours un facteur, celle-ci étant intrinsèque à des niveaux variables, correspondants au crime. À l’évidence, la gravité du crime et la stigmatisation sont directement proportionnelles : R. c. Martineau 1990 CanLII 80 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 633.
[67] Par contre, il me semble difficile d’affirmer que la preuve de la déchéance d’un délinquant à la suite d’une accusation et d’une condamnation, médiatisée ou non, ne puisse jamais être pertinente. Je suis plutôt d’opinion que la jurisprudence reconnaît bien cela comme circonstance pertinente dans la détermination de la peine. Un juge peut, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire lorsque la preuve le justifie, considérer que le passage à travers le système de justice criminelle contribue en soi à l’atteinte d’objectifs de la peine, notamment, mais non exclusivement, en raison de sa médiatisation.
[68] Je note d’abord que la Cour suprême l’a elle-même reconnu dans le cas d’un avocat reconnu coupable de comportements frauduleux complexes par lesquels il avait diverti quelque 86 000$. Bien que les médias ne soient pas spécialement invoqués, il avait, dans les suites de cette affaire, perdu son droit d’exercice. L’impact de l’accusation et des procédures avait été, semble-t-il, dévastateur. La Cour d’appel avait alors écrit que « [t]he ruin and humiliation that Mr. Bunn has brought down upon himself and his family, together with the loss of his professional status, more than address the concern we must have for denunciation and deterrence. »: R. c. Bunn (1997), 1997 CanLII 22728 (MB CA), 125 C.C.C. (3d) 570, par. 23 (C.A.O.).
[69] La Cour suprême a confirmé cette approche alors que, dans l’arrêt R. c. Bunn, 2000 CSC 9 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 183, au par. 23, le juge Lamer écrit :
En ce qui concerne les principes de détermination de la peine, la Cour d'appel a raisonnablement jugé que la ruine et l'humiliation subies tant par l'intimé que par sa famille, ainsi que la perte par l'intimé de son statut professionnel, conjuguées à une ordonnance d'emprisonnement avec sursis de deux ans moins un jour assortie de la détention à domicile, répondraient suffisamment aux objectifs de dénonciation et de dissuasion. […]
[70] La Cour d’appel de l’Ontario avait également reconnu la chose pour un délinquant qui, à la suite d’un vol d’un objet de peu de valeur, avait tenté d’entraver le cours de la justice en soudoyant un policier chargé de l’enquête. La Cour avait écrit : « It is quite apparent that the publicity that has resulted from the offences has been substantial and that he has suffered shame and disgrace as a result thereof. One cannot overlook the significance of that type of result on an accused of previous good character»: R. c. Schiegel, [1984] O.J. 971, par. 6 (C.A.O.).
[71] La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a également considéré ce facteur dans l’arrêt R. c. Campbell, [1995] B.C.J. 1484 (C.A.C.-B.), une affaire impliquant un homme accusé d’agression sexuelle sur une enfant mineure, 10 ans après les faits. En réduisant la peine de deux ans d’emprisonnement, la Cour écrit, aux par. 6 et 7:
6 I would adopt as the principle of law applicable to this case what Mr. Justice Hinds said for the Court in R. v. Gallacher, [1991] B.C.J. No. 762, Victoria Registry, CA V01323, (B.C.C.A.) at p. 7:
The sentencing principle of general deterrence, which is of great importance in this type of case, has been achieved to a substantial degree in the perception of persons in the general community. That is revealed in the letters of reference filed in these proceedings. The publicity, shame and revulsion attendant upon the revelation of a charge involving sexual molestation of a young person would be a powerful deterrent to people in the general community.
7 Consequently, I consider the sentence imposed in this case to be unfit, as excessive. I would allow the appeal and reduce the sentence to one of 6 months.
(Je souligne.)
[72] Dans l’arrêt R. c. M. (D.E.S.) (1993), 1992 CanLII 6009 (BC CA), 80 C.C.C. (3d) 371, une affaire où le délinquant, mineur, avait agressé sexuellement sa sœur adoptée et plus jeune que lui. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique, siégeant à cinq juges, écrivait que le caractère public des procédures contribue à la peine et aux objectifs de celle-ci :
By convicting him, society has already stigmatized him as a person who has committed a serious offence, and has denounced his offence. Quite recently, the Supreme Court of Canada has expressed itself quite strongly on the importance of stigma as a consequence of criminal proceedings. The court has been saying what most lawyers and criminologists have known all along, that a public charge, trial and conviction for a serious offence brands a person for life, constitutes serious punishment, and is an important part of the way society brings offenders to account for their misconduct.
(Je souligne)
[73] La Cour a repris ce principe plus récemment dans R. c. Carrillo 2015 BCCA 192, par. 37. Pour sa part, la Cour d’appel de l’Alberta dans l’arrêt R. c. Ewanchuk, 2002 ABCA 95, par. 65-68, écrit que l’humiliation publique participe à la dissuasion et à la dénonciation :
65 Canadian courts have taken publicity into account when assessing the need for denunciation, specific deterrence and general deterrence. In R. v. Ambrose (2000), 2000 ABCA 264 (CanLII), 271 A.R. 164 (Alta. C.A.) at para. 134, Fraser C.J.A. stated in dissent:
Certainly, as far as individual deterrence is concerned, the appellant's public humiliation here has been profound. This is confirmed by the appellant's psychiatrist (S.A.B. 117). The appellant was arrested on this mischief charge while at her place of employment with her students present. Her case has received considerable media attention and publicity both at trial and on appeal. Her employment as a teacher is now in jeopardy as a consequence of these proceedings. These factors too are all relevant to the question of what is a fit sentence for her crime of mischief.
The majority did not express any disagreement with those comments. In R. v. Kneale, [1999] O.J. No. 4062 (Ont. S.C.J.) at para. 35, Abbey J. commented:
Additionally, in most cases, and I have no doubt in this case, the stigma through publicity, which attached to a trial of this kind, and the conviction of the offender, operates itself as a public denunciation of the offender's conduct.
These cases endorse the proposition that public media scrutiny may be a mitigating factor.
66 However, in this case, although defence counsel made submissions on sentencing respecting Ewanchuk's public humiliation, there was no evidence that the publicity had any negative impact on him. We note that Ewanchuk voluntarily participated in the interview with the press which would seem to negate his allegation of public humiliation. In any event, there was no evidence with respect to the impact of the publicity. Rather, the sentencing judge appeared to take judicial notice that media scrutiny surrounding such a case would be inimical.
Voir également R. c. Foianesi, 2011 MBCA 33, par. 23.
[74] Plus ce facteur est appuyé par la preuve, plus le juge doit le considérer tout en le pondérant avec les autres éléments et les objectifs de la peine. Il s’agit d’un élément contextuel pertinent.
[75] En l’espèce, c’est certainement le cas.
[76] La preuve de l’impact médiatique qui est probante est surtout invoquée ici pour son effet sur la stabilité occupationnelle de l’appelant en plus d’avoir eu un effet de nature psychologique. Le lien n’est pas théorique et ne repose sur aucune spéculation. Trois ans après les faits, alors qu’il avait réussi à réintégrer le marché du travail, il perd ses emplois en raison de la médiatisation des accusations. Des lettres non contredites le confirment. Toujours selon la preuve, une condamnation met à risque son emploi actuel. L’appelant vit maintenant une situation financière précaire. Clairement, la réinsertion sociale de l’appelant passe principalement par la possibilité de réintégrer le marché du travail. Il n’y a aucune autre facette de la réhabilitation en cause, que ce soit une problématique psychologique ou comportementale qui, en sus de l’emploi, mériterait que la peine s’y attarde de quelque manière.
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