Ghazi c. R., 2020 QCCS 489
[12] Tirant son origine dans une règle de preuve, le secret professionnel de l’avocat est devenu au fil du temps une règle de fond en droit canadien[2]. On le considère aujourd’hui comme un principe de justice fondamentale au sens de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés[3] et comme une règle de droit fondamentale et substantielle[4]. La Cour suprême a en outre reconnu à maintes reprises l’importance de ce privilège et la place exceptionnelle qu’il occupe dans notre système de justice[5].
[13] Le secret professionnel de l’avocat n’est pas absolu, mais il admet peu d’exceptions[6]. Il doit en effet demeurer aussi absolu que possible pour assurer la confiance du public et conserver sa pertinence[7]. On ne doit y porter atteinte « que si cela est nécessaire et, même dans un tel cas, on doit le faire de la façon la moins attentatoire possible »[8]. Par conséquent, la divulgation des communications protégées par le secret professionnel doit être aussi limitée que possible[9].
[14] Le secret professionnel appartient au client, et non à l’avocat. Il s’ensuit qu’en principe, seul le client peut y renoncer[10]. La renonciation peut être explicite ou implicite.
[15] La renonciation implicite « s’infère des gestes posés par le titulaire du droit, qui se révèlent incompatibles avec la volonté de préserver le secret professionnel ou plutôt d’éviter la divulgation de l’information confidentielle que protège celui-ci »[11]. Il pourra y avoir renonciation implicite au secret professionnel de l’avocat lorsque le titulaire du secret témoigne quant au contenu des discussions privilégiées qu’il a eues avec son procureur[12]. Il pourra également y avoir renonciation implicite lorsque « le titulaire du secret “met lui-même en question, dans un litige, un fait dont l’existence ne peut être démontrée ou infirmée sans que ce secret ne soit levé en tout ou en partie” »[13].
[16] Le titulaire du secret pourra notamment renoncer de façon implicite au secret professionnel de l’avocat s’il met en cause les conseils juridiques reçus de son procureur[14]. Ainsi, le délinquant qui demande le retrait de son plaidoyer de culpabilité en alléguant que son procureur l’a mal conseillé pourra être considéré comme ayant renoncé implicitement au secret professionnel en ce qui concerne les conseils juridiques en cause[15]. À défaut de conclure à une renonciation au secret professionnel, une inférence négative pourra être tirée du refus du délinquant de permettre à son procureur de témoigner sur ce point[16].
[17] Une allégation d’incompétence professionnelle peut aussi être considérée comme une renonciation implicite au secret professionnel de l’avocat[17]. En effet, le délinquant qui allègue l’incompétence de son avocat au soutien d’une demande en retrait de plaidoyer de culpabilité « doit lui permettre d’être entendu, ce dernier ayant le droit et même le devoir de se défendre contre les reproches qui lui sont adressés »[18]. Comme le souligne la Cour d’appel de l’Alberta dans l’arrêt Meer :
[24] Counsel have a right to defend against the allegations of incompetence in criminal cases, including the right to file affidavit material […].
[…]
[25] Most important, solicitor-client privilege is waived with respect to all communications relevant to the incompetence allegations: Ibid. In this regard, it is highly problematic and indeed inconsistent with the public interest in a fair trial for a court to consider an allegation regarding incompetence of counsel where the appellant claiming incompetence declines to fully waive privilege in respect of the proceedings in question. A court cannot assess an incompetence allegation in a factual vacuum. It is entitled to know all the relevant facts to allow it to make an informed decision whether the incompetence claim has been made out. In doing so, it is not reasonable for the proceedings to be divided up into selective slivers by the appellant, with the reviewing court being allowed insight only into bits and pieces of the proceedings and related communications between an appellant and his or her counsel.[19]
[soulignements ajoutés]
[18] Le même principe s’applique aussi lorsque le délinquant, sans formellement remettre en cause la compétence de son procureur, fait des affirmations qui s’apparentent à une allégation d’incompétence[20].
[19] Le délinquant qui demande la révocation de son plaidoyer de culpabilité au motif que son procureur l’aurait contraint à plaider coupable, aurait omis de l’informer de ses droits ou l’aurait représenté inadéquatement ne peut donc invoquer le secret professionnel pour empêcher son procureur de fournir sa version des faits face à ces allégations[21].
[20] Il y a toutefois lieu d’user de prudence avant de conclure à une renonciation implicite au privilège du secret professionnel de l’avocat. En l’absence d’une « renonciation claire et non équivoque », les tribunaux doivent en effet se garder de conclure hâtivement à une renonciation implicite[22].
[21] L’étendue de la renonciation au secret professionnel de l’avocat doit par ailleurs « être limitée à ce qui est nécessaire pour trancher le litige »[23]. Ainsi que le note la Cour d’appel dans l’arrêt N9ne Realty, « [o]n ne doit donc donner à une renonciation ni plus ni moins que la portée nécessaire et elle ne s’étendra pas à toutes les communications entre le client et son avocat/notaire sans lien avec son objet. Ceci dit, les renseignements et/ou documents reliés aux faits qui font l’objet de la renonciation seront quant à eux admissibles »[24].
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