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samedi 14 juin 2025

Le tableau Gardiner et l’examen par le juge en lien avec l’étape 6 de la procédure de l’arrêt Garofoli

Brûlé c. R., 2021 QCCA 1334

Lien vers la décision


[107]   Notre Cour a déjà reconnu l’utilité du « tableau Gardiner », selon l’expression consacrée, dans l’arrêt R. c. Construction De Castel inc.2014 QCCA 1125, sous la plume de la juge Savard, maintenant juge en chef du Québec :

[64]        Le tableau auquel il est fait référence au paragraphe 51 est plus amplement décrit au paragraphe 48 :

[48] Before the hearing, the Crown reviewed the search warrant materials and redacted those portions about which it had specific concerns. The Crown prepared a table setting out its position in an organized format.  The table contained three columns: the page numbers of the warrant material, the grounds for redacting any of those pages, and a description of the edited information. The Crown consented to a preliminary order permitting it to provide the actual sealing order and the edited version of the information used to obtain the warrants to each of the media applicants.  The edited version and the table setting out the Crown’s position provided the basis for the submissions to the application judge. To facilitate the judge’s review of the material, the Crown provided him with a copy of the warrant materials, with the edited portions identified by highlighter, thus eliminating the need to compare the edited version with the original.

(je souligne)

[65]        Une telle approche se compare à celle énoncée dans R. c. Garofoli en matière des écoutes électroniques, avec les adaptations nécessaires et me semble tout à fait appropriée pour permettre un débat éclairé sur une demande d’ouverture des scellés.

[108]   Dans l’arrêt Boulanger, la Cour partage l’idée que le tableau est un outil privilégié « de la gestion de l’instance lorsque la protection de l’informateur s’avère un enjeu » et il ajoute que son « utilité est directement liée à la qualité de sa confection ». La citation est reprise plus haut au paragraphe [89] de mes motifs.

[109]   Je suis entièrement d’accord. Le contenu d’un tel tableau n’a évidemment rien de prédéfini ou d’obligatoire, mais la jurisprudence a souligné l’utilité de trois colonnes où figurent les références précises à l’information caviardée dans le document, au motif invoqué pour la garder secrète et au résumé de la nature de l’information caviardée. Ce tableau est le premier résumé judiciaire auquel a accès l’accusé, sujet à révision par le juge, et, à bien des égards, le premier jet du résumé judiciaire à l’étape 6 de la procédure de l’arrêt Garofoli, selon les paramètres exposés plus haut.

[110]   Avec le « tableau Gardiner » en mains, j’ajouterais que le ministère public peut réfléchir à l’idée de présenter au juge, lors de l’audience et sous pli confidentiel, il va sans dire, un document accompagné de déclarations sous serment pertinentes exposant de manière plus détaillée le contexte et les motifs au soutien du caviardage : voir notamment Nader Hasan, Mabel Lai, David Schermbrucker et Randy Schwartz, dans leur volume Search and Seizure, Toronto, Emond Publishing, 2021, pages 628-631.

[111]   Dans le contexte similaire du secret professionnel de l’avocat, la Cour suprême a suggéré la présentation de déclarations sous serment destinées exclusivement au juge : R. c. Brown2002 CSC 32 (CanLII), [2002] 2 R.C.S.185, par. 60-65. De la même façon, la défense pourrait décider, sans obligation, dans un document du même type, de dévoiler son objectif, révélant ainsi partiellement ou totalement un moyen de défense ou une ligne d’attaque envisagée. Inutile de souligner que plus le juge possède d’informations pertinentes, plus sa décision le sera. Ces documents permettraient au juge, dans la plupart des cas, et si le travail est bien fait, de cibler les paramètres d’une audition ex parte, voire si une telle audition est nécessaire puisqu’il faut les éviter autant que possible.

[112]   La Cour suprême a rappelé que les questions portant sur l’identité de l’indicateur devaient être traitées dans le cadre d’audiences ex parte uniquement en dernier recours, de manière exceptionnelle, lorsqu’il est impossible de faire autrement. Elle a souligné leur caractère particulièrement troublant en matière criminelle et qu’il peut être nécessaire de fournir à l’accusé une version expurgée ou un résumé de la preuve présentée ex parte afin de recevoir des observations additionnelles :

53      Lorsqu'une audience est requise pour trancher une revendication de privilège présentée par le ministère public, l'accusé et les procureurs de la défense ne devraient donc être exclus de l'instance que si l'identité de l'indicateur confidentiel ne peut être protégée autrement. Et même alors, seulement dans la mesure qui s'avère nécessaire. En déterminant si la revendication du privilège a été établie, les juges du procès devraient prendre toutes les mesures possibles pour éviter la complexité et les délais inutiles, sans pour autant compromettre la possibilité, pour l'accusé, de présenter une défense pleine et entière.

54      D'ailleurs, tout au long de l'instance, il faut également se rappeler que l'intérêt qu'ont les accusés à être présents (ou du moins à être représentés) à toute instance se rapportant aux accusations auxquelles ils doivent répondre demeure un intérêt fondamental, même lorsque l'art. 650, selon ses termes mêmes, ne trouve pas application. La tenue d'une instance ex parte est particulièrement troublante lorsque la personne exclue s'expose à une condamnation criminelle et aux conséquences qui s'y rattachent.

55      Afin de protéger ces intérêts de l'accusé, les juges de première instance devraient adopter toutes les mesures raisonnables pour permettre aux avocats de la défense de présenter des observations utiles en ce qui concerne ce qui se passe en leur absence. Les juges de première instance jouissent d'un large pouvoir discrétionnaire pour concevoir la procédure appropriée à cet égard.

56      Parmi les mesures qu'un juge de première instance peut souhaiter adopter lors de l'examen d'une revendication de privilège relatif à l'indicateur figure l'invitation à présenter des observations sur la portée du privilège — y compris des arguments sur la question de savoir qui peut être un indicateur confidentiel ayant droit au privilège — et son application dans les circonstances de l'espèce. L'avocat de la défense peut également être invité à proposer au juge des questions à poser à tout témoin assigné à l'instance ex parte.

57      Dans les cas qui s'y prêtent, l'équité peut commander que le tribunal fournisse à la défense une version expurgée ou résumée de la preuve présentée ex parte — expurgée pour éliminer toute possibilité de révéler l'identité de l'indicateur — de manière à ce que le juge du procès puisse recevoir de la défense des observations additionnelles sur la question de savoir si le privilège s'applique dans les circonstances particulières de l'affaire. Dans des cas particulièrement difficiles, le juge du procès peut désigner un amicus curiae qui assistera à l'audience ex parte en vue de l'aider à examiner la revendication de privilège.

R. c. Basi2009 CSC 52 (CanLII), [2009] 3 R.C.S. 389, par. 53-57.

[113]   L’audience ex parte présente des défis: R. c. Klymchuk2007 CanLII 67028, par. 54-63 (C.S.J.O.). Ces questions ne peuvent pas être entièrement résolues par le juge sans la participation éclairée du ministère public qui a le devoir de prévoir et de mettre en œuvre tout ce qui est nécessaire afin que l’affaire procède publiquement. Il est erroné de recourir à l’audience ex parte uniquement par commodité lorsque l’objectif peut être atteint autrement.

[114]   Il va sans dire que toutes les communications et, si nécessaire, les auditions ex parte doivent être soigneusement planifiées, organisées et conservées, de même que les décisions rendues. Chaque document examiné, l’original et le caviardé, de même que les différentes versions de travail proposées, le cas échéant, devraient recevoir une cote distincte, mais permettant de les relier entre eux, et être conservés, par exemple, dans une enveloppe commune. Les commentaires des parties et du juge devraient être clairement reliés aux passages caviardés, lesquels auront l’avantage d’être tout aussi clairement numérotés.

[115]   Il faut rappeler qu’en appel, les avocats de la défense, de la poursuite, et parfois même le responsable du dossier policier, seront étrangers au contenu de ces procédures extraordinaires du droit criminel. Le dossier d’instance devrait faire état de ces audiences avec précision. Les pièces et documents examinés doivent être reconstitués efficacement pour l’appel ou tout autre recours. Le cas échéant, les parties doivent prendre les mesures pour obtenir la transcription des échanges, témoignages et enregistrements audio ou vidéo écoutés lors des audiences ex parte.

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