[13] L’homicide involontaire coupable peut découler de la perpétration d’un acte illégal causant la mort (article 222 (5) a) C.cr.). Lorsque des voies de fait sont commises et causent la mort d’une personne, l’assaillant est responsable d’un homicide involontaire coupable. Mais comme le consentement à l’emploi de la force est un moyen de défense opposable à l’accusation de voies de fait (article 265 (1) a) C.cr.), il peut, par voie de conséquence, constituer un moyen de défense opposable à une accusation d’homicide involontaire coupable fondée sur des voies de fait.
[14] L'article 265 (1) a) du Code criminel fait de l'absence de consentement un élément essentiel de l’infraction de voies de fait :
265 (1) Voies de fait – Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas :
a) d'une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement;
[…]
(2) Le présent article s'applique à toutes les espèces de voies de fait, y compris les agressions sexuelles, les agressions sexuelles armées, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles et les agressions sexuelles graves.
[…]
[Mon soulignement]
[15] Si la victime a consenti à se battre avec l’appelant, ce dernier n’a pas pu se livrer à des voies de fait illégales. L’on ne pourra, en général, parler d'infraction car l'actus reus du crime fera défaut[8]. L’absence de consentement doit-t-elle être démontrée hors de tout doute raisonnable par le ministère public dans chaque cas de voies de fait ou s’agit-il d’un moyen de défense ouvert à l’accusé ? Au Canada, l’absence de consentement au recours intentionnel à la force a toujours été un élément essentiel de l’infraction de voies de fait[9]. Le juge Gonthier écrit à ce sujet, pour la majorité, dans l’arrêt Jobidon[10] :
Que le consentement soit formellement considéré comme faisant partie de l'actus reus de l'infraction, ou comme moyen de défense, sa fonction essentielle demeure inchangée — si le consentement est prouvé, ou si l'absence de consentement n'est pas prouvée, une personne accusée de voies de fait pourra en général s'appuyer sur le consentement du plaignant pour empêcher sa condamnation. Elle pourra invoquer le consentement pour nier sa responsabilité. Cette réalité fondamentale est largement reconnue. […]
[Mon soulignement]
[16] En revanche, cette règle souffre des limitations que précise la Cour suprême, dans le même arrêt :
La limite que requiert l'application de l'art. 265 aux faits de l'espèce, est l'annulation du consentement entre adultes à l'utilisation intentionnelle de la force pour s'infliger mutuellement des blessures graves ou de sérieuses lésions corporelles au cours d'une rixe ou d'une bagarre à coups de poing. […] Telle est l'étendue de la limite prescrite par la common law en l'espèce. Il se peut qu'il soit jugé, dans d'autres cas, que des limites supplémentaires s'appliquent. Cependant, il est préférable de fixer ces limites, s'il en est, dans chaque cas de sorte que les caractéristiques particulières de l'affaire puissent exercer une influence rationnelle sur l'étendue de la limite et sur sa justification.
[…]
[…] l'énoncé qui précède évite l'invalidation du consentement au recours intentionnel à la force causant seulement de légères blessures ou des lésions corporelles mineures. Les lésions corporelles visées par le critère sont essentiellement équivalentes à celles envisagées par la définition figurant au par. 267(2) du Code, concernant l'infraction de voies de fait causant des lésions corporelles. En vertu de cette disposition, l'expression « lésions corporelles » désigne « une blessure qui nuit à la santé ou au bien‑être du plaignant et qui n'est pas de nature passagère ou sans importance ».
Selon cette définition, et compte tenu du fait que le critère s'applique uniquement aux cas dans lesquels des adultes sont en cause, le phénomène de la bousculade « ordinaire » dans une cour d'école, où garçons ou filles cherchent, par manque de maturité, à régler leurs différends avec leurs mains, ne sera pas visé par cette limite. Cela n'a jamais été la politique de la loi et je n'ai pas l'intention de modifier le statu quo. Toutefois, je ne me prononcerai pas sur la question de savoir si les garçons ou les filles âgés de moins de 18 ans qui ont vraiment l'intention de se blesser mutuellement, et qui se causent en fin de compte plus que des lésions corporelles mineures, pourraient invoquer le consentement comme moyen de
défense. […] Le résultat approprié dépendra sans aucun doute des circonstances propres à chaque affaire[11].
[Mon soulignement]
[17] En l’espèce, j’estime que l’appelant pouvait invoquer le consentement de la victime à l’emploi de la force pour empêcher sa condamnation. Une bousculade entre adolescents a dégénéré subitement en échange de coups. Le premier juge retient de l’ensemble de la preuve que « l’accusé n’a jamais eu l’intention, en frappant Y, de lui causer des lésions corporelles graves, et encore moins la mort ». Cette détermination de fait importante n’est pas remise en cause.
[18] Dans ce contexte, l'accusé qui soulève un doute raisonnable sur le consentement de la victime à l’emploi de la force sera acquitté. L'état d'esprit de la victime au moment des événements permettra de déterminer si elle a consenti expressément ou tacitement à une bagarre, à une échauffourée avec l'accusé[12]. La détermination du consentement s'effectue selon un critère subjectif[13] puisque c'est l'état d'esprit de la victime qui importe alors.
[19] Par ailleurs, l'accusé peut entretenir la croyance subjective que la victime consentait aux actes sur lesquels l'accusation est fondée et invoquer ce moyen de défense. Cette défense est prévue au paragraphe 4 de l'article 265 C.cr. :
(4) Croyance de l'accusé quant au consentement – Lorsque l'accusé allègue qu'il croyait que le plaignant avait consenti aux actes sur lesquels l'accusation est fondée, le juge, s'il est convaincu qu'il y a une preuve suffisante et que cette preuve constituerait une défense si elle était acceptée par le jury, demande à ce dernier de prendre en considération, en évaluant l'ensemble de la preuve qui concerne la détermination de la sincérité de la croyance de l'accusé, la présence ou l'absence de motifs raisonnables pour celle-ci.
[Mon soulignement]
[20] L’appelant soutient qu’en « déclenchant les hostilités, la victime […] a consenti ou laissé croire à l’appelant-accusé […] qu’elle consentait à l’emploi de la force contre elle ou qu’elle invitait l’appelant-accusé […] à répondre à l’agression qu’elle lui faisait subir ». Il invoque donc également la défense de croyance erronée mais sincère au consentement qui serait fondée sur des motifs raisonnables.
[21] Constituant une erreur de fait, la croyance sincère de l'accusé au consentement de la victime, un critère subjectif, n'a pas à être raisonnable[14] mais doit être fondée sur des motifs objectivement raisonnables[15].
[22] Il s'agit ici d'examiner la mens rea de l'infraction, soit la croyance de bonne foi appréciée selon le critère de la vraisemblance[16]. Si l’accusé satisfait au fardeau de présentation, il peut bénéficier du doute raisonnable, que le doute découle de sa version ou de la preuve du poursuivant[17], à moins que le ministère public démontre hors de tout doute raisonnable que l'accusé savait que la victime ne consentait pas à l'emploi de la force contre elle. Ce fardeau est exigeant, tous en conviendront.
[24] Avec égards, le premier juge commet une erreur de droit en ne donnant pas ouverture à cette défense. La qualification de la « poussée » est capitale à l’issue de la cause et les motifs énoncés par le juge ne règlent pas la question. À mon avis, il faut répondre aux questions suivantes pour résoudre la difficulté : la poussée donnée par la victime à l’appelant peut-elle être assimilée à une manifestation du consentement de la victime d’en découdre avec l’appelant ? Même si tel n’était pas le cas, les circonstances pouvaient-elles laisser croire à l’appelant que la victime voulait en découdre avec lui et consentait donc aux voies de fait ? Enfin, la preuve faite permet-elle d’exclure tout doute raisonnable au regard de ces interrogations ?
[31] À cette étape, j’estime que l’appelant avait, à la suite de l’attaque qui venait de se produire, des motifs raisonnables de croire que la victime voulait poursuivre l’altercation et consentait nécessairement à ce qu’il y ait des voies de fait.
[32] Cette croyance était-elle sincère, lorsque nous l’apprécions selon le critère de la vraisemblance ? Il y avait certes au dossier une preuve qui rendait l’argument vraisemblable. Le ministère public a-t-il démontré hors de tout doute raisonnable que l'appelant savait que la victime ne consentait pas à l'emploi de la force contre elle ? À mon avis, le ministère public n’a pas relevé ce fardeau.