dimanche 15 octobre 2017

Les règles de droit applicables à la conduite dangereuse

R. c. Girard, 2017 QCCQ 1275 (CanLII)

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[36]        Comme pour toutes les infractions criminelles celles reprochées à l'accusé comportent un élément matériel, actus reus, et un élément moral, la mens rea.
[37]        La preuve doit démontrer et convaincre le Tribunal hors de tout doute raisonnable qu'objectivement (critère objectif modifié), l'accusé a conduit son bateau d'une manière dangereuse pour le public eu égard aux circonstances y compris la nature et l'état des eaux (ou mer) et l'usage qui au moment considéré en est ou pourrait raisonnable en être fait.
[38]        À ce stade de l'analyse, la conséquence de l'acte quoique pertinente n'a pas d'incidence sur la détermination de la dangerosité de la conduite de l'accusé.
[39]        En ce qui concerne l'élément moral, le Tribunal doit être convaincu hors de tout doute raisonnable que la conduite objectivement dangereuse de l'accusé résulte d'un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation.
[40]        Dans l'arrêt Roy, la Cour suprême du Canada suggère la méthode d'analyse suivante en deux questions:
La première est de savoir si, compte tenu de tous les éléments de preuve pertinents, une personne raisonnable aurait prévu le risque et pris les mesures pour l’éviter si possible. Le cas échéant, la deuxième question est de savoir si l’omission de l’accusé de prévoir le risque et de prendre les mesures pour l’éviter si possible constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation que l’accusé.
[41]        Puisqu'il s'agit de l'élément moral, souvent subjectif pour de nombreuses infractions criminelles, ici pour cette infraction comme pour la négligence criminelle, l'élément moral repose sur un critère objectif modifié, c'est-à-dire celui de la personne raisonnable dans les mêmes circonstances. Ce faisant, les qualités caractéristiques personnelles de l'accusé tels l'âge, l'expérience, l'instruction et les habiletés ne sont pas pertinentes.
[42]        Cependant, l'état d'esprit de l'accusé, surtout si ce dernier donne une explication, doit être considéré pour déterminer si une personne raisonnable dans les mêmes circonstances aurait dû être consciente du risque et du danger inhérent : « La norme par rapport à laquelle le comportement doit être apprécié reste toujours la même  il s'agit du comportement auquel on s'attend de la part d’une personne raisonnablement prudente dans les circonstances », affirme madame la juge Charron dans l'arrêt Beatty.
[43]        En d'autres mots, est-ce que la preuve démontre que la façon de conduire de l'accusé était objectivement dangereuse pour le public dans les circonstances, et ce faisant, est-ce que cette conduite créait des risques pour la sécurité du public. Comme l'affirme madame la juge Charron dans l'arrêt Roy«  L’élément pertinent, c’est le risque de dommage ou de préjudice qu’engendre la façon de conduire, non les conséquences d’un accident ultérieur ».Le public ici inclut les passagers.
[44]        La Cour suprême n'a cessé de rappeler dans ses décisions phares qu'il est important de distinguer la simple imprudence, la négligence civile de la négligence criminelle ou la conduite dangereuse au sens du Code criminel qui sont des infractions graves de sorte que l'intention ne peut se déduire seulement de la dangerosité de la conduite, il faut que celle-ci révèle un écart marqué par rapport à celle de la personne raisonnable dans les mêmes circonstances.
[45]        Mais cet élément moral de l'infraction peut être tiré des inférences que permettent les circonstances prouvées.
[46]        Rappelons que dans le présent cas l'accusé donne une version des événements qui consiste somme toute à dire qu'il ne peut s'expliquer ce qui s'est passé lors de l'accident, qu'il n'a pas prévu, s'appuyant en cela sur le témoignage des experts de la défense qui expliquent la réaction du bateau sur le plan physique, voire scientifique.
[47]        Les décisions de la Cour suprême dans les affaires Beatty et Roy illustrent le cas où, malgré les conséquences tragiques d'une conduite d'ailleurs soudainement très dangereuse, tel un véhicule qui traverse un terre-plein d'autoroute et va frapper un véhicule dans la voie opposée, la preuve ne démontre pas l'intention coupable requise. Ainsi dans Beatty, la Cour suprême affirme :
Il n’y a en l’espèce aucune preuve démontrant la moindre intention délibérée de créer un danger pour les autres usagers de la route… En fait, la preuve limitée qui a été présentée à propos de l’état mental véritable du conducteur tendait plutôt à démontrer que la conduite dangereuse était attribuable à une inattention momentanée.
[48]        Il en est de même dans l'arrêt Roy où un conducteur s'arrête à l'approche d'une traverse d'autoroute et repart pour traverser alors qu'un véhicule semi-remorque circule perpendiculairement et frappe le véhicule de l'accusé causant la mort du passager de ce dernier. L'accusé ayant perdu connaissance n'a pu donner d'explication. Ici encore la Cour suprême constate que l'accident a été causé par une conduite certes dangereuse, mais manifestée lors d'une seule erreur momentanée de jugement aux conséquences tragiques, ce qui ne permet pas de conclure en l'existence de la preuve de l'intention coupable de l'accusé c'est-à-dire la conscience du risque et le choix de le prendre ou de l'éviter.

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