jeudi 12 juin 2014

Est-ce que l'interrogatoire du prévenu, alors qu'il est détenu suite à l'exécution du mandat d'arrestation visé, constitue une détention arbitraire?

R. c. G.F., 2012 QCCQ 10416 (CanLII)


[29]        Le visa que le juge de paix émet en vertu de l'article 507(6) C.cr autorise le fonctionnaire responsable à mettre en liberté le prévenu en lui imposant qu'il s'engage conformément aux dispositions de l'article 499 du C.cr..

[30]        Le libellé des articles 499 et 507(6) C.cr. ne comporte aucune exigence temporelle pour la remise en liberté. Le mot immédiatement suggéré par le requérant ne s'y retrouve pas expressément. 

[31]        Les termes utilisés à 499 C.cr., notamment que le fonctionnaire responsable peut choisir l'une des options stipulées à cet article pour la remise en liberté, accorde à ce dernier la discrétion de mettre en liberté le prévenu qui a été arrêté, mais n'indiquent pas le moment de celle-ci. L'auteur Gary Trotter précise que le fonctionnaire responsable n'a pas l'obligation de mettre l'accusé en liberté et doit le mettre sous garde lorsque l'intérêt public le requiert.

[32]        Il est d'ailleurs aisé de comprendre qu'il peut exister une panoplie de situations lors desquelles la remise en liberté ne sera pas la voie utilisée par le fonctionnaire. Pensons notamment à un inculpé contestant les conditions de la promesse, refusant de la signer ou avouant ne pas vouloir la respecter. Il s'agit là de quelques exemples qui confirment la nécessité d'une discrétion policière dans l'application de la loi.

[33]        Le but recherché lorsque le juge de paix inscrit un visa sur le mandat d'arrestation est de permettre au fonctionnaire responsable de mettre un prévenu en liberté lorsque les circonstances le justifient afin d'éviter de prolonger indûment la détention en attendant sa comparution devant un juge de paix.

[34]        Aucun critère n'est expressément prévu par l'article 499 C.cr. afin de guider le fonctionnaire responsable dans l'exercice de sa discrétion de libérer l'accusé. L'auteur R.E. Salhany suggère que ce devrait être les mêmes principes qui sont applicables à l'exercice de la discrétion pour un accusé arrêté sans mandat qui sont prévus à l'article 498 C.cr., c'est-à-dire à moins que le fonctionnaire responsable ait des motifs raisonnables de croire qu'il est nécessaire de détenir l'accusé afin d'établir son identité, de recueillir ou conserver la preuve de l'infraction, d'empêcher que l'infraction se poursuive ou se répète, ou d'assurer la sécurité des victimes ou témoins de l'infraction, le prévenu devrait être libéré.

[35]        Ces constats ne sont pas incompatibles avec le commentaire du juge Hill dans l'affaire Brooks à l'effet que le fonctionnaire responsable doit, dans certaines circonstances, libérer l'accusé en vertu des articles 498 et 499 du Code criminelce qui implique nécessairement que l'accusé est en principe sous garde. Le défaut de libérer l'accusé ou le défaut d'analyser la possibilité de le libérer lorsque les circonstances y donnent ouverture, pourrait effectivement dans certains cas, constituer une violation de la Charte.

[36]        Dans ce cadre, le fonctionnaire responsable devrait aussi pouvoir interroger le prévenu afin de recueillir la preuve, lorsque les circonstances s'y prêtent et le requièrent.

[37]        Lors d'une arrestation avec ou sans mandat, il est reconnu que les policiers ont un pouvoir d'enquête qui peut justifier notamment l'interrogatoire d'un inculpé tout en veillant au respect de ses droits fondamentaux. Dans ces circonstances, l'interrogatoire est permis et la détention justifiée jusqu'à la comparution devant un juge de paix, soit  le plus tôt possible et sans retard injustifié. Or, l'arrestation d'un prévenu en exécution d'un mandat visé est nécessairement d'abord et avant tout une arrestation avec mandat.

[38]        Dans l'arrêt R. c. Storrey, la Cour suprême a rappelé que le rôle des policiers d'enquêter sur les crimes commis peut s'exercer validement à la suite d'une arrestation légale:
Au contraire, la règle suivie depuis longtemps au Canada et au Royaume-Uni permet à la police de poursuivre son enquête à la suite d'une arrestation. Le rôle de la police consiste essentiellement à faire enquête sur les crimes. C'est là une fonction qu'elle peut et devrait continuer à exercer après avoir effectué une arrestation légale. La continuation de l'enquête profitera à la société dans son ensemble et souvent aussi à la personne arrêtée. En effet, il est dans l'intérêt de la personne innocente arrêtée que l'enquête se poursuive afin que son innocence à l'égard des accusations puisse être établie dans les plus brefs délais.

[39]        Dans ce même jugement, la Cour suprême précise que l'interrogatoire policier ne rend pas l'arrestation ni la détention illégale en soi:
Une arrestation effectuée légalement ne devient pas illégale du simple fait que la police a l'intention de poursuivre son enquête après l'arrestation. Je le répète, la police avait en l'espèce des motifs raisonnables et probables qui
justifiaient sa décision d'arrêter l'appelant. De plus, il n'y avait rien d'irrégulier dans l'intention de la police de continuer l'enquête sur le crime après avoir effectué l'arrestation. Ni cette intention ni la continuation de l'enquête n'a rendu l'arrestation illégale. Les circonstances dans lesquelles l'appelant a été arrêté ne constituaient pas une violation de l'art. 9 de la Charte
            [caractères gras ajoutés]

[40]        Le pouvoir des policiers d'interroger un prévenu lors d'une enquête policière a été réitéré dans l'arrêt Singh:
[28] Ce que la common law reconnaît, c’est le droit d’un individu de garder le silence. Toutefois, cela ne signifie pas que quelqu’un a le droit de ne pas se faire adresser la parole par les autorités de l’État. On ne saurait douter de l’importance que l’interrogatoire revêt dans le travail d’enquête des policiers.  On comprendra aisément qu’il serait difficile pour la police d’enquêter sur un crime sans poser de questions aux personnes qui, selon elle, sont susceptibles de lui fournir des renseignements utiles. La personne soupçonnée d’avoir commis le crime à l’origine de l’enquête ne fait pas exception.  Du reste, s’il a effectivement commis le crime, le suspect est vraisemblablement la personne ayant le plus de renseignements à fournir au sujet de l’épisode en question.  La common law reconnaît donc aussi l’importance de l’interrogatoire policier dans les enquêtes criminelles. 

[41]        L'enquête policière doit toutefois se faire dans le respect des droits fondamentaux du prévenu, dont celui du droit au silence. Il doit y avoir un juste équilibre entre les intérêts de l'individu et ceux de la société:
45 […] Dans l’arrêt Hebert, la Cour a souligné l’importance d’établir un juste équilibre entre le droit de l’individu de choisir de parler ou nonaux autorités et l’intérêt qu’a la société à découvrir de la vérité dans le cadre des enquêtes criminelles.  Comme je l’ai déjà affirmé, le suspect peut être la source de renseignements la plus riche.  Bien que la détention donne incontestablement naissance à la nécessité d’assujettir les techniques d’interrogatoire de la police à des limites supplémentaires en raison de la vulnérabilité plus grande du détenu, le moment de la détention ne diminue aucunement la valeur du suspect à titre de

source de renseignements importante.  Pourvu que les droits du détenu soient suffisamment protégés, y compris sa liberté de choisir de parler ou non, la société a intérêt à ce que la police essaie de mettre à profit cette source précieuse.
[nos soulignés]

[42]        Et encore plus récemment dans l'arrêt Sinclair le pouvoir d'interroger des policiers a été répété et même qualifié d'obligation pour les policiers:
À notre avis, pour définir la portée du droit au silence reconnu à l’art. 7 et celle des droits connexes garantis par la Charte, il faut tenir compte non seulement de la protection des droits de l’accusé, mais aussi de l’intérêt de la société à ce que les crimes fassent l’objet d’une enquête et soient résolus.  La police a l’obligation d’enquêter sur les crimes présumés et, dans l’exercice de cette fonction, elle doit nécessairement interroger des sources d’information pertinentes, y compris les personnes soupçonnées ou même accusées d’avoir commis le crime présumé.  Certes, la police doit respecter les droits que la Charte garantit à un individu, mais la règle selon laquelle elle doit automatiquement battre en retraite dès que le détenu déclare qu’il n’a rien à dire ne permet pas, à notre avis, d’établir le juste équilibre entre l’intérêt public à ce que les crimes fassent l’objet d’une enquête et l’intérêt du suspect à ne pas être importuné.

[43]        Le juge Binnie, quoique dissident, résume l'état actuel du droit au Canada en cette matière:
 [98] En conséquence de la « trilogie de l’interrogatoire », la police pourra désormais, semble-t-il, détenir un individu (présumé innocent), le garder en isolement pour lui poser des questions pendant au moins cinq ou six heures sans lui donner une possibilité raisonnable de consulter un avocat, et balayer pendant ce temps ses revendications du droit de garder le silence ou ses demandes de regagner sa cellule, dans le cadre d’une épreuve d’endurance au cours de laquelle les interrogateurs de la police, se relayant l’un l’autre, possèdent tous les atouts juridiques importants.

[44]        L'article 9 de la Charte est également invoqué par la jurisprudence pour contester la nature et la durée de la détention. L'analyse de la durée de la détention a principalement été faite par la jurisprudence au regard de l'article 503 C.cr. qui impose un délai de 24 heures pour faire comparaître l'accusé devant un juge.
  
[45]        Dans l'arrêt Malhi c. La Reine, la Cour d'appel a refusé de considérer l'absence de mise en liberté sous conditions lors d'une détention qui a duré plus de 24 heures suivant une arrestation, comme étant une violation des articles 9 et 11 e) de la Charte.

[46]        De plus, les conditions de détention, dont sa durée, sans constituer une détention arbitraire au sens de l'article 9 de la Charte, ont été considérées comme pouvant soulever un doute sur le caractère libre et volontaire d'une déclaration qui en découle dans l'affaire R. c. Côté.

[47]        Quelles distinctions pouvons-nous faire entre les situations précédentes et le mandat d'arrestation visé? Dans les deux premiers cas, après son arrestation, l'inculpé doit être conduit devant un juge de paix pour y être traité selon la loi toutefois, lors d'une arrestation à la suite de l'émission d'un mandat d'arrestation visé, l'inculpé peut être libéré par le fonctionnaire responsable sans devoir comparaître devant un juge.

[48]        Dans tous les cas, le même pouvoir d'arrestation est exercé par les mêmes agents de la paix, possédant les mêmes devoirs d'enquêter. La seule distinction se révèle par la possibilité de remise en liberté par le fonctionnaire responsable dans le cas du mandat d'arrestation visé et par la conduite devant un juge de paix pour décider de la mise en liberté dans le cas d'une arrestation avec ou sans mandat tout en ayant les mêmes préoccupations quant au délai de détention.

[49]        Par conséquent, le tribunal estime que le mandat d'arrestation visé qui a pour but d'assurer la remise en liberté afin d'éviter une détention qui pourrait s'avérer inutile, n'exclut pas, à la suite de son exécution, qu'un interrogatoire puisse avoir lieu.

[50]        Avec respect pour l'opinion contraire, le tribunal ne peut adhérer à la prétention du requérant à l'effet que les enquêteurs se devaient de procéder à son arrestation pour le libérer immédiatement après qu'il ait souscrit à l'un ou plusieurs des engagements énoncés à l'article 499 du C.cr.  et que rien ne pouvait les autoriser à le transporter à Québec et à l'interroger, tel que décidé par l'honorable juge Jacques J. Lévesque dans l'affaire Laflamme.

[51]        La détention de G... F... était légalement autorisée par un mandat d'arrestation visé et les policiers avaient le pouvoir de continuer l'enquête qui était justifiée dans les circonstances. Cet interrogatoire policier ne rendait pas sa détention arbitraire en soi.

[53]        Ainsi, le tribunal en vient à la conclusion qu'il n'y pas eu de violation au droit constitutionnel reconnu à toute personne à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraire édicté à l'article 9 de la Charte.

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