Rechercher sur ce blogue

dimanche 22 juin 2025

La connaissance d’office et l’équité procédurale

R. c. Lefebvre, 2018 QCCS 4468 

Lien vers la décision


[102]     Dans un premier temps, il faut reconnaître au bénéfice du juge d’instance que la règle d’équité procédurale entourant la mise en œuvre de la connaissance d’office n’a pas reçu une si grande attention en droit criminel et pénal.

[103]     À ce titre, dans le célèbre arrêt Baie-Comeau c. D’Astous[34], le juge Gendreau formule implicitement une exigence d’équité procédurale en cette matière.

[104]     Dans cette affaire, le juge Gendreau examine la portée de la connaissance d’office et il explique qu’un juge « ne peut référer à des connaissances acquises à l'occasion de l'audition d'autres affaires ou par l'étude personnelle de certains sujets »[35], car « [n]otre régime de débats contradictoires commande qu'il en soit ainsi »[36]. Le juge a « l'obligation de ne fonder sa décision que sur les faits dont les parties lui ont légalement fait la preuve »[37].

[105]     Or, puisque le principe audi alteram partem constitue une règle de justice naturelle et un précepte fondamental de notre système de justice contradictoire, il exige que les tribunaux accordent aux personnes visées par leurs décisions, l'occasion d'être entendues[38].

[106]     Sans formuler ou établir explicitement un droit d’être entendu au sujet de la prise de connaissance d’un fait en litige, il découle, implicitement et inévitablement, de la référence au système de justice contradictoire dans l’extrait qui précède, l’existence d’une telle exigence envers les parties avant la prise de connaissance d’office d’un fait en litige[39].

[107]     Il est vrai que l’exigence d’équité procédurale s’avère, au mieux, implicite.

[108]     Cependant, il existe des limites reconnues à l’utilisation des faits établis dans le cadre d’autres dossiers et la prudence s’impose[40].

[109]     Un juge ne peut prendre connaissance d’office de la preuve produite devant d’autres juges, car un témoignage antérieur ou une preuve produite dans une autre instance constitue du ouï-dire, à moins que cette preuve ne soit versée du consentement des parties[41].

[110]     Pour ces raisons, un « juge ne peut pas fonder sa décision sur des éléments externes non mis en preuve lors du procès »[42].

[111]     Comme le précise la Cour d’appel dans l’arrêt R. c. Perron, le « juge de procès ne doit pas ajouter à la preuve de son propre chef sans donner l'opportunité aux parties, s'il a des interrogations, d'y répondre »[43].

[112]     Dans l’arrêt R. c. Fraillon[44], même s’il considérait une question différente, le juge Vallerand exprime une opinion similaire :

C'est tout d'abord à tort que le premier juge a statué comme il l'a fait sans donner le loisir aux parties de plaider sur le sujet. Il est, en thèse générale, loisible au juge de signaler aux parties que, dans sa mission de rendre justice, il est troublé par un point de faits ou de droit que ni l'une ni l'autre n'a soulevé. Et cela surtout lorsqu'il s'agit d'un droit reconnu par la Charte. Mais encore faut-il qu'il le signale aux parties et leur donne tout le loisir de vider la question avant qu'il ne statue en conséquence. Or ici, les parties ont, à leur grand étonnement, appris au prononcé du jugement que celui-ci était fondé et uniquement fondé sur une question que le juge n'avait qu'alors soulevée et résolue proprio motu. Le procédé est inadmissible et suffirait à lui seul à soutenir le pourvoi. Mais il y a plus et il nous faut, je pense, en traiter.

[Le soulignement est ajouté]

[113]     Bref, les parties ne doivent pas être informées du caractère notoire d’un fait en litige lorsque le jugement est rendu.

[114]     Cette règle s’applique aussi dans le domaine du droit administratif.

[115]     Dans l’affaire Syndicat des producteurs de bois de la Gaspésie c. Damabois, division Cap-Chat inc.[45], la Cour d’appel devait déterminer si lors d’un arbitrage sous l’égide de la Loi sur la mise en marché des produits agricoles alimentaires et de la pêche[46], la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec avait, en fixant le du prix d’une essence de bois, transgressé la règle audi alteram partem « en se basant sur la moyenne des prix offerts pour la même essence par les acheteurs dans d’autres régions »[47].

[116]     Dans un premier temps, la juge Thibault établit les règles d’équité procédurale entourant la connaissance d’office :

[17]      En principe, la jurisprudence ne permet pas à un tribunal de recueillir une preuve sans en aviser les parties et leur permettre de faire des observations. Sur cette question, le professeur Patrice Garant écrit :

Sous réserve de la connaissance d’office, la jurisprudence ne permet pas à un tribunal de recueillir sa propre preuve sans en aviser les parties au dossier et sans les inviter à faire valoir leurs prétentions à l’encontre de celle-ci avant de rendre sa décision. […] Que les observations du tribunal découlent d’une visite ou d’une photographie présentée en preuve, le requérant savait sans doute ce qu’il avait vu et l’équité procédurale est respectée s’il a eu la possibilité de formuler des arguments pertinents.

[Je souligne].

[18]      Pour sa part, le professeur Jean-Claude Royer écrit que la connaissance judiciaire de faits est plus étendue devant les tribunaux spécialisés, mais que ceux-ci doivent tout de même, avant de fonder leur décision sur un tel fait, inviter les parties intéressées à faire leurs observations :

Devant des tribunaux administratifs ou spécialisés ou devant des arbitres, la connaissance judiciaire des faits est encore plus étendue. Les membres de ces tribunaux sont souvent nommés en raison de leurs connaissances et de leur expérience dans un domaine spécialisé. Ils peuvent parfois prendre connaissance d'office des faits qui, sans être connus de tout le monde, sont notoires à l'égard des parties qui plaident devant ces tribunaux. [...] Toutefois, dans ces derniers cas, le tribunal ne peut fonder sa décision sur un fait relevé d'office par un membre sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations, sauf si elles ont renoncé à exposer leurs prétentions.

[19]      J'en retiens qu'il est largement reconnu dans la doctrine et la jurisprudence qu’un tribunal administratif ne peut importer de nouvelles données sans permettre aux parties de les commenter ou d’en discuter[48].

[Le soulignement dans le paragraphe 19 de l’arrêt est ajouté]

[117]     Dans cette affaire, la juge Thibault estime que la Régie n’avait pas violé le droit des parties d’être entendues, car elle avait été invitée par l’une des parties à le faire; les données n’étaient pas intrinsèquement nouvelles; les parties pouvaient s’attendre à ce que la Régie puise dans son expérience; et finalement, il s’agissait de données publiques connues de tous :

[27]      La Régie a donc déterminé le prix du tremble en se basant sur la moyenne des prix offerts pour la même essence par les acheteurs dans d’autres régions. À l’instar du juge de première instance, je suis d’avis que la Régie n’a pas violé la règle audi alteram partem en procédant comme elle l’a fait. Les parties savaient que la Régie, dans son rôle de régulation de la mise en marché du bois, devait fixer le prix du tremble pour les années concernées et que, pour ce faire, elle pouvait, comme le lui avait suggéré le Syndicat, prendre en compte « l’état du marché » et « l’évolution des prix payés aux producteurs par les entreprises concurrentes ». Il ne faut pas oublier que, lors de l’arbitrage d’une convention de mise en marché, la Régie entend, dans un débat contradictoire, les parties à une future convention. Dans ce cadre, son pouvoir ne se limite pas à appliquer une règle de droit, mais elle agit dans une perspective plus large de régulation économique. Elle jouit, en conséquence, d’une large discrétion dans ce rôle et dans la décision qu’elle est appelée à rendre.

[28]      Je suis donc d’accord avec le juge de première instance pour dire que les données utilisées par la Régie n’étaient pas intrinsèquement nouvelles et que les parties pouvaient s’attendre à ce que la Régie puise dans l’expérience du marché des données publiques connues de tous et qui étaient de nature à lui permettre de fixer le juste prix du tremble pour les années concernées. S'il fallait exiger de la Régie qu'elle soumette à tous les intéressés chacune des données publiques connues, pertinentes et de la même nature que celles soumises lors des séances publiques et dont elle envisage de tenir compte, cela pourrait scléroser son action.

[Le soulignement et le caractère gras sont ajoutés]

[118]     Ainsi, en principe, le décideur ne peut importer de nouvelles données sans permettre aux parties de les commenter ou d’en discuter.

[119]     Il s’avère aussi crucial de déterminer si le décideur a été invité par l’une des parties à considérer certaines données relatives à la question qui doit être tranchée.

[120]     L’expectative des parties, tant à l’égard de la question que le décideur doit trancher que les données qu’il aura à considérer pour ce faire, se révèlent pertinentes à tout accroc au droit d’être entendu.

[121]     Par ailleurs, la nouveauté des données qui doivent faire l’objet de la connaissance d’office par le décideur et leur caractère public notoire se révèlent importants à la démonstration de toute contravention au droit d’être entendu.

[122]     Voilà les jalons posés par la jurisprudence québécoise sur le droit d’être entendu avant qu’un juge prenne connaissance d’office d’un fait.

Face à un appel du ministère public, l’intervention de la Cour est limitée aux seules questions de droit et même s’il parvient à établir une erreur de droit, l’État doit encore convaincre la Cour que cette erreur a eu une incidence significative sur l’acquittement

R. c. Graveline, 2006 CSC 16 

Lien vers la décision


13                              Dans bon nombre de ressorts, comme le juge Cory l’a fait remarquer dans R. c. Evans1993 CanLII 102 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 629, p. 645, l’État ne peut interjeter appel du verdict d’acquittement d’un accusé au procès.  Au Canada, ce n’est pas le cas.  L’alinéa 676(1)a) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46, prévoit que le procureur général peut introduire un recours devant la Cour d’appel « contre un jugement ou verdict d’acquittement [. . .] pour tout motif d’appel qui comporte une question de droit seulement ».

14                              Il est cependant établi depuis longtemps qu’un appel interjeté par le procureur général ne saurait être accueilli sur une possibilité abstraite ou purement hypothétique selon laquelle l’accusé aurait été déclaré coupable n’eût été l’erreur de droit.  Il faut des moyens plus concrets.  Pour obtenir un nouveau procès, le ministère public doit convaincre la cour d’appel qu’il serait raisonnable de penser, compte tenu des faits concrets de l’affaire, que l’erreur (ou les erreurs) du premier juge ont eu une incidence significative sur le verdict d’acquittement.  Le procureur général n’est toutefois pas tenu de nous persuader que le verdict aurait nécessairement été différent.

15                              Ce fardeau qui incombe au ministère public et qui demeure inchangé depuis plus d’un demi‑siècle (voir Cullen c. The King1949 CanLII 7 (SCC), [1949] R.C.S. 658) a été expliqué comme suit par le juge Sopinka au nom de la majorité dans R. c. Morin1988 CanLII 8 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 345 :  

 

Je reconnais volontiers que cette charge est lourde et que la poursuite doit convaincre la cour avec un degré raisonnable de certitude.  Un accusé qui a déjà été acquitté une fois ne devrait pas être renvoyé à un nouveau procès s’il n’est pas évident que l’erreur qui entache le premier procès était telle qu’il y a un degré raisonnable de certitude qu’elle a bien pu influer sur le résultat.  Tout critère plus strict exigerait qu’une cour d’appel prédise avec certitude ce qui s’est passé dans la salle de délibérations, ce qu’elle ne peut faire.  [p. 374]

 

16                              S’exprimant plus récemment dans un jugement unanime, la Juge en chef a dit ce qui suit dans R. c. Sutton, [2000] 2 R.C.S. 595, 2000 CSC 50 :  

 

Les parties s’entendent pour dire que les verdicts d’acquittement ne sont pas annulés à la légère.  Selon le critère énoncé dans Vézeau c. La Reine1976 CanLII 7 (CSC), [1977] 2 R.C.S. 277, le ministère public doit convaincre la cour que le verdict n’aurait pas été nécessairement le même s’il n’y avait pas eu d’erreurs.  Dans R. c. Morin1988 CanLII 8 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 345, notre Cour souligne le fait que « cette charge est lourde et que la poursuite doit convaincre la cour avec un degré raisonnable de certitude » (p. 374).  [par. 2]

 

17                              Les erreurs alléguées par le ministère public lorsqu’il interjette appel d’un verdict d’acquittement concernent habituellement le ou les moyens de défense invoqués par l’accusé au procès.  Pour cette raison, l’incidence de ces erreurs sur le verdict, si une erreur est démontrée, ne se limitera pas à de simples conjectures.  D’où le troisième aspect inhabituel du présent pourvoi : comme je l’ai déjà mentionné, personne n’allègue en l’espèce que les erreurs imputées au juge du procès ont eu une incidence, directe ou indirecte, sur la légalité d’un acquittement reposant sur le moyen de défense avancé par l’accusée — l’automatisme sans troubles mentaux.

L'état du droit quant à la signature d'un engagement à ne pas troubler l’ordre public selon l'article 810 Ccr vu par la Cour suprême

R. c. Penunsi, 2019 CSC 39



[12]                        L’engagement de ne pas troubler l’ordre public est un outil de justice préventive. La prévention du crime est un objectif bien connu en droit criminel. Ainsi que le juge Locke l’expliquait dans l’arrêt Goodyear Tire & Rubber Co. of Canada c. The Queen1956 CanLII 4 (SCC)[1956] R.C.S. 303 : [traduction] « Le pouvoir de légiférer relativement au droit criminel n’est pas restreint, à mon avis, à la définition des infractions et à l’imposition de peines en sanctionnant la contravention. Le pouvoir du Parlement s’étend aussi bien à la prévention du crime qu’à son châtiment » (p. 308; voir également R. c. S. (S.)1990 CanLII 65 (CSC)[1990] 2 R.C.S. 254, p. 282).

[13]                        Dans l’arrêt Mackenzie c. Martin1954 CanLII 10 (SCC), [1954] R.C.S. 361, le juge Kerwin (plus tard juge en chef) écrivait que l’engagement de ne pas troubler l’ordre public représente une forme de justice préventive qui [traduction] « consiste à obliger ceux dont, pour des motifs vraisemblables, on suspecte une mauvaise conduite ultérieure, à contracter un engagement envers le public qu’une telle infraction, que l’on redoute, ne se produira pas, en fournissant des gages ou des cautions garantissant qu’ils ne troubleront pas l’ordre public ou qu’ils adopteront une bonne conduite » (p. 368, citant W. Blackstone, Commentaries on the Laws of England (16e éd. 1825), p. 251, cité dans l’arrêt R. c. Parks, 1992 CanLII 78 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 871, p. 911, le juge Sopinka).

[14]                        L’affaire R. c. Budreo (1996), 1996 CanLII 11800 (ON SC), 27 O.R. (3d) 347 (C. Ont. Div. gén.) (« Budreo C.S. ») portait sur une contestation constitutionnelle de l’engagement de ne pas troubler l’ordre public prévu à l’art. 810.1 du Code criminelLe juge Then écrivait ce qui suit au sujet du caractère préventif de l’engagement de ne pas troubler l’ordre public :

        [traduction] Pour tenter de définir ce en quoi consiste la notion de justice fondamentale dans une société libérale, le tribunal doit tenir compte de l’évolution du pouvoir en cause, ainsi que des considérations de principe qui le sous‑tendent. La justice préventive est l’exercice du pouvoir judiciaire non pas pour sanctionner une conduite passée, mais pour prévenir des comportements répréhensibles et des préjudices à venir. L’exercice de ce pouvoir est justifié par le risque de préjudice ou par la dangerosité que posent certains individus . . . [p. 368‑369]

Le juge Laskin a repris à son compte ces propos dans la décision par laquelle il a confirmé les motifs du juge Then (R. c. Budreo (2000), 2000 CanLII 5628 (ON CA), 46 O.R. (3d) 481 (C.A.) (« Budreo C.A. »), autorisation de pourvoi refusée, [2001] 1 R.C.S. vii) :

     [traduction] Le système de justice criminelle a deux grands objectifs : punir les auteurs d’actes répréhensibles et empêcher les préjudices futurs. Une loi visant la prévention du crime constitue un exercice tout aussi valable du pouvoir fédéral de légiférer en matière criminelle que confère le par. 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 qu’une loi visant à punir le crime. [Note en bas de page omise; par. 27]

[15]                        L’engagement moderne de ne pas troubler l’ordre public remonte aux années 1300, à la pratique courante en common law de « l’imposition de conditions à la libération », soit le pouvoir des tribunaux de rendre des ordonnances sur une base préventive afin de maintenir l’ordre social malgré l’absence d’accusation criminelle spécifique, dans le but d’empêcher la perpétration d’un large éventail d’actes indésirables. La première mention de cette pratique remonte à la Justices of the Peace Act 1361 (Angl.), 1361, 34 Edw. 3, c.1, qui conférait aux juges de paix le pouvoir [traduction] « d’obtenir de la part des personnes qui se présentent devant eux un engagement suffisant d’avoir une bonne conduite à l’égard du roi et de son peuple » (Law Commission No. 222, Binding Over: Report on Reference under Section 3(1)(e) of the Law Commissions Act 1965 (1994), cité dans D. Orr, « Section 810 Peace Bond Applications in Newfoundland » (2002), 46 Crim. L.Q. 391, p. 391).

[16]                        En 1892, les règles de droit anglais en vigueur ont été codifiées dans le Code criminel, y compris celles relatives à l’engagement de ne pas troubler l’ordre public reconnues en common law. Le paragraphe 959(2) du Code criminel, 1892, S.C. 1892, c. 29, disposait :

     2. Sur plainte portée par toute personne ou au nom de toute personne que, par suite de menaces faites par quelque autre personne ou pour toute autre raison, le plaignant craint que cette autre personne lui fasse à lui‑même, à sa femme ou à son enfant, quelque lésion personnelle, ou qu’il ne brûle sa propriété ou y mette le feu, le juge de paix devant qui cette plainte est portée peut, s’il est convaincu que la crainte du plaignant est fondée sur des motifs raisonnables exiger que cette autre personne souscrive une obligation personnelle ou fournisse caution qu’elle gardera la paix et tiendra une bonne conduite pendant tout espace de temps n’excédant pas douze mois.

[17]                        Les dispositions de 1892 sur l’engagement de ne pas troubler l’ordre public offrent beaucoup de similitudes avec les dispositions actuelles en la matière, mais comme dans le cas de l’engagement de ne pas troubler l’ordre public reconnu en common law, la tenue d’une audience n’était pas obligatoire. Lorsqu’il était convaincu que le « plaignant » avait une crainte qui était raisonnablement fondée, le juge de paix pouvait exiger que « l’autre personne » contracte un engagement de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite pour une période maximale de douze mois.

[18]                        En ce qui concerne les exigences procédurales des engagements de ne pas troubler l’ordre public reconnus en common law, le juge en chef Lamer, dissident dans l’arrêt Parks, citait l’extrait suivant d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Angleterre :

        [traduction] Cela ne veut pas dire qu’il ne serait pas sage, et en fait courtois, dans ces affaires‑là que les juges donnent un tel avertissement; il n’y aurait certes eu absolument aucun mal dans une affaire telle que l’espèce à ce que les juges, en retournant devant le tribunal, aient annoncé qu’ils étaient sur le point de prononcer l’acquittement, et aient ajouté immédiatement : « Nous envisageons cependant l’imposition de conditions à la libération, qu’en pensez‑vous? » Je crois qu’il serait au moins courtois et peut‑être sage de le faire, mais je ne puis pousser le principe jusqu’à dire que le défaut de donner un tel avertissement constitue un manquement aux règles de la justice naturelle. [Soulignement dans l’original; p. 893‑894, citant R. c. Woking Justices, Ex p. Gossage[1973] 2 All E.R. 621 (C.A. Angl.), p. 623.]

[19]                        Lors des modifications apportées en 1954 au Code criminel, S.C. 1953‑54, c. 51, les expressions « faire comparaître les parties », « preuve apportée » et la mention de la cour « devant laquelle les parties comparaissent » ont été ajoutées à l’art. 717 (prédécesseur de l’art. 810). Ces modifications ont mis en place un régime en matière d’engagements de ne pas troubler l’ordre public plus solide sur le plan procédural, qui exigeait la tenue d’une audience, donnant ainsi au défendeur la possibilité de répondre à la crainte alléguée et de contester l’engagement. Comme je l’explique plus loin, avec égards, je ne puis souscrire à la conclusion de la Cour d’appel suivant laquelle l’édiction de dispositions où figure l’expression « fait comparaître les parties » ou « faire comparaître les parties » (p. ex., par. 810(2) et 810.2(2)) donne lieu à des [traduction] « dispositions particulières permettant de contraindre les parties à comparaître » ou que leur édiction a eu pour effet de créer un « mécanisme [unique] pour le traitement des dénonciations visant à obtenir un engagement de ne pas troubler l’ordre public » (par. 50) qui permet de contraindre le défendeur à comparaître à l’audience. J’estime plutôt que l’ajout de ces termes visait fort vraisemblablement à traduire l’idée qu’avant d’ordonner au défendeur de contracter un engagement, le juge doit tenir une audience pour décider si la crainte du dénonciateur est raisonnablement fondée.

[20]                        Outre l’engagement général de ne pas troubler l’ordre public fondé sur la crainte de lésions personnelles ou de dommages à la propriété (art. 810), le législateur a, depuis le début des années 1990, ajouté un certain nombre d’engagements de ne pas troubler l’ordre public plus spécialisés concernant la crainte d’une infraction d’organisation criminelle, y compris l’intimidation d’une personne associée au système judiciaire ou d’un journaliste (art. 810.01), la crainte d’une infraction de terrorisme (art. 810.011 et art. 83.3)[1], la crainte d’une infraction liée à un mariage forcé ou au mariage avec un enfant (art. 810.02), la crainte d’une infraction d’ordre sexuel commise contre un mineur (art. 810.1) et la crainte de sévices graves à la personne (art. 810.2).

[21]                        Les différents types d’engagement de ne pas troubler l’ordre public présentent tous les caractéristiques communes suivantes.

[22]                        Premièrement, toute personne (le dénonciateur) peut déposer une dénonciation dès lors qu’elle a des motifs raisonnables de craindre qu’une autre personne (le défendeur) cause certains types de sévices ou de dommages matériels ou commette certains types d’infractions. Comme je l’explique plus loin, dans certains cas, le consentement du procureur général est requis pour déposer la dénonciation (p. ex., par. 810.2(1)).

[23]                        Deuxièmement, le juge (ou le juge de paix dans le cas d’un engagement de ne pas troubler l’ordre public visé à l’art. 810) qui reçoit la dénonciation peut « faire comparaître les parties » et tenir une audience sur le fond de la demande (p. ex., par. 810.2(2))[2]. S’il est convaincu par la preuve présentée à l’audience que les craintes du dénonciateur sont fondées sur des motifs raisonnables, le juge peut ordonner au défendeur de contracter un engagement de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite pour une période maximale de douze mois (p. ex., par. 810.2(3))[3], et imposer des conditions supplémentaires au défendeur en vertu de la loi (p. ex., par. 810.2(4.1)).

[24]                        Troisièmement, le juge peut infliger au défendeur qui omet ou refuse de contracter l’engagement une peine de prison maximale de douze mois (p. ex., par. 810.2(4)).

[25]                        Quatrièmement, aux termes de l’art. 811, quiconque viole un engagement de ne pas troubler l’ordre public s’expose à un emprisonnement maximal de quatre ans, lorsque l’accusation est portée par voie d’acte d’accusation, ou d’une peine d’emprisonnement maximale de 18 mois, si l’accusation est portée par voie sommaire.

[60]                        Ayant conclu que, par le truchement des dispositions d’incorporation par renvoi que sont le par. 810(5) et l’art. 795, les dispositions de la partie XVI relatives à l’arrestation et à la mise en liberté provisoire par voie judiciaire s’appliquent aux procédures d’engagement de ne pas troubler l’ordre public, je passe maintenant à l’interprétation qu’il convient de donner à ces dispositions dans le contexte de telles procédures. Cette interprétation tient compte du contexte et de l’objet des engagements de ne pas troubler l’ordre public, ainsi que des intérêts contradictoires consistant, d’une part, à protéger le public et, d’autre part, à préserver la liberté du défendeur, qui n’est inculpé d’aucune infraction criminelle.

[61]                        Comme je l’ai déjà expliqué, l’engagement de ne pas troubler l’ordre public est un instrument de justice préventive fondé sur la crainte raisonnable du dénonciateur plutôt que sur la culpabilité du défendeur. Je suis d’accord avec l’intimé pour dire que, même s’il s’agit d’une expression valide du pouvoir de légiférer en matière de droit criminel, l’engagement de ne pas troubler l’ordre public s’apparente jusqu’à un certain point à une injonction civile (m.i., par. 8). Comme le fait remarquer le juge de la Cour provinciale de Villiers dans le jugement R. c. Gill[1991] B.C.J. No. 3255 (QL) :

        [traduction] Il est vrai que cet engagement a pour effet de restreindre quelque peu la liberté du défendeur, mais, tout comme dans le cas d’une injonction civile qui empêche le défendeur de commettre un délit civil qui peut aussi être un crime, cet engagement ne constitue pas en soi une restriction à une activité licite. [p. 6]

Comme dans le cas d’une injonction civile, il y a souvent un sentiment d’urgence à faire instruire l’affaire et, lorsque la crainte est raisonnablement fondée, à imposer au défendeur des conditions au moyen d’un engagement dans le but de protéger le public. Lorsque l’audience sur le fond est reportée parce que le défendeur demande un ajournement pour pouvoir retenir les services d’un avocat ou lorsqu’il y a un retard inévitable, la crainte même visée par la dénonciation visant à obtenir un engagement de ne pas troubler l’ordre public risque d’être occultée dans l’intervalle. L’ajournement est susceptible d’aller à l’encontre de l’objet même de la demande (voir Neumann, p. 184). En fin de compte, il faut trouver un équilibre entre le droit à la liberté du défendeur qui fait l’objet d’une dénonciation visant à obtenir un engagement de ne pas troubler l’ordre public et les craintes relatives à la protection du public qui sont à l’origine de cette procédure. Par conséquent, l’application des dispositions relatives à l’arrestation et à la mise en liberté provisoire par voie judiciaire doit être guidée par les objectifs de principe que constituent une justice rapide et efficace et une atteinte minimale à la liberté.

(1)         Un juge de paix peut faire comparaître les parties

[62]                        L’acte introductif d’instance d’une demande d’engagement de ne pas troubler l’ordre public est une dénonciation faite sous serment devant un juge de la cour provinciale (ou devant un juge de paix dans le cas d’un engagement visé à l’art. 810) par un dénonciateur qui a des motifs raisonnables de craindre la perpétration de certaines infractions (voir, p. ex., par. 810.2(1)). Trois des dispositions relatives à l’engagement de ne pas troubler l’ordre public exigent le consentement du procureur général (ou de son délégué) pour qu’une dénonciation puisse être déposée. Lorsque le procureur général estime que la plainte n’est pas fondée, il peut refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire, et le dossier est alors clos. Lorsque le procureur général donne son consentement — ou lorsque son consentement n’est pas requis —, le juge de paix qui reçoit la dénonciation peut faire comparaître les parties.

[63]                        Lorsqu’il exerce son pouvoir discrétionnaire afin de décider de l’opportunité de tenir ou non une audience, le juge de paix doit se demander si la crainte attestée dans la dénonciation est raisonnablement fondée. Il a été porté à l’attention de la Cour que l’engagement de ne pas troubler l’ordre public prévu à l’art. 810.2 est un [traduction] « outil [. . .] souvent utilisé lorsque l’expiration du mandat d’un contrevenant approche » ou peu de temps après qu’une personne a terminé de purger sa peine d’emprisonnement, comme c’était le cas de M. Penunsi (m.i., procureure générale de l’Ontario, par. 13; voir également R. c. Schafer2018 YKTC 12, par. 38‑39). Entreprendre une procédure d’engagement de ne pas troubler l’ordre public en vertu de l’art. 810.2 dès qu’une personne est libérée de prison risque d’entraîner une privation de liberté qui s’ajouterait au fait d’avoir purgé une peine déjà considérée comme proportionnée. Si aucune autre preuve ne permet de conclure que la crainte se concrétisera (par exemple, le fait pour le défendeur d’avoir proféré des menaces ou adopté un comportement violent pendant sa détention), une crainte fondée uniquement sur l’infraction pour laquelle le défendeur purge sa peine ne sera pas suffisante. Il ne serait pas approprié d’ordonner un engagement de ne pas troubler l’ordre public au titre de l’art. 810.2 sur cette base. L’engagement ferait alors office d’ordonnance de probation de facto et non d’outil prospectif visant à favoriser la justice préventive.

[64]                        Après avoir exercé son pouvoir discrétionnaire pour faire comparaître les parties, le juge de paix passe à la partie XVI du Code criminel. La partie XVI [traduction] « crée une échelle de mesures de plus en plus coercitives » pour contraindre un défendeur à comparaître devant le tribunal (Nowazek, par. 58). À l’échelon le plus bas, on trouve une sommation ou une citation à comparaître délivrée par un agent de la paix (Formule 9 du Code criminel). À l’échelon suivant se trouvent l’arrestation et la mise en liberté par un fonctionnaire responsable sur promesse de comparaître ou engagement (art. 499). À l’échelon supérieur se trouvent la détention et la mise en liberté provisoire par voie judiciaire qui, comme je l’explique plus loin, doivent tenir compte de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire R. c. Antic2017 CSC 27[2017] 1 R.C.S. 509 (art. 515). Les paragraphes ci‑après constituent un guide pratique pour savoir comment et quand ces divers moyens devraient s’appliquer à l’égard du défendeur nommé dans une dénonciation visant à obtenir un engagement de ne pas troubler l’ordre public.

a)              La sommation

[65]                        La procédure applicable par défaut pour contraindre une personne à comparaître réside dans la délivrance d’une sommation. Le paragraphe 507(4) dispose (avec les modifications nécessaires) que, à moins d’être convaincu, à la lumière des allégations ou des dépositions du dénonciateur, qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’il est nécessaire, dans l’intérêt public, de décerner un mandat pour l’arrestation du défendeur, le juge de paix décerne une sommation. Lorsqu’un mandat d’arrestation est décerné et exécuté, l’intéressé est, selon l’art. 503, conduit « devant un juge de paix pour [être] trait[é] selon la loi ». Comme il est expliqué plus loin, une fois que la personne est « conduite devant un juge de paix », l’art. 515 s’applique (Nowazek, par. 61).

[66]                        Lorsqu’un défendeur comparaît devant le juge de paix conformément à une sommation et que l’audience est reportée, le juge de paix n’a pas compétence pour imposer des conditions provisoires en attendant l’audience sur le fond. Je suis d’accord avec le juge Fitch lorsqu’il affirme ce qui suit :

        [traduction] Le défendeur visé par une sommation n’est ni détenu ni « conduit devant un juge de paix ». En revanche, dans les affaires AllenWakelin, Budreo et Cachine, les défendeurs avaient été arrêtés et, une fois qu’ils avaient été conduits devant un juge de paix, l’art. 515 régissait leur mise en liberté jusqu’à l’audition de la demande présentée par le ministère public en vue d’obtenir un engagement de ne pas troubler l’ordre public.

(Nowazek, par. 88; voir également R. c. Goikhberg, 2014 QCCS 3891, par. 85 (CanLII); R. c. Hebert (1984), 1984 CanLII 4160 (NB CA), 54 R. N.‑B. (2e) 251 (C.A.).)

[67]                        Si l’on découvre des faits nouveaux après que la sommation a été décernée, notamment au cours de l’audience initiale, et que ces faits soulèvent des préoccupations au sujet du risque que le défendeur présente pour le public ou des doutes quant à sa présence à l’audience, un mandat d’arrestation peut alors être demandé. Une fois que le défendeur a été arrêté, la cour a compétence pour appliquer les dispositions relatives à la mise en liberté provisoire par voie judiciaire (voir, p. ex., Budreo C.A.). Cependant, la nécessité de l’arrestation doit être démontrée par la survenance d’un changement important; le simple fait qu’il y a report de l’audience ne suffira pas pour justifier la délivrance d’un mandat d’arrestation. Il faut encore satisfaire au test relatif à la délivrance d’un mandat au titre du par. 507(4), interprété en fonction de la situation unique du défendeur à une procédure d’engagement de ne pas troubler l’ordre public.

b)            Le mandat d’arrestation

[68]                        Compte tenu de la situation unique du défendeur à une procédure d’engagement de ne pas troubler l’ordre public en tant que personne inculpée d’aucun crime, il incombe à toute personne associée au système judiciaire de veiller à ce que le défendeur ne soit pas privé de liberté, sauf en cas d’absolue nécessité. Ainsi que l’a expliqué le juge Iacobucci, dissident :

        La liberté du citoyen est au cœur d’une société libre et démocratique. La liberté perdue est perdue à jamais et le préjudice qui résulte de cette perte ne peut jamais être entièrement réparé. Par conséquent, dès qu’il existe un risque de perte de liberté, ne serait‑ce que pour une seule journée, il nous incombe, en tant que membres d’une société libre et démocratique, de tout faire pour que notre système de justice réduise au minimum le risque de privation injustifiée de liberté.

(R. c. Hall, 2002 CSC 64, [2002] 3 R.C.S. 309, par. 47)

[69]                        Le juge de paix saisi d’une dénonciation peut décerner un mandat pour l’arrestation du défendeur s’il estime qu’il existe « des motifs raisonnables de croire qu’il est nécessaire, dans l’intérêt public », de le faire. Cette expression doit être interprétée à la lumière du contexte (où l’intéressé n’est pas soupçonné d’avoir commis une infraction criminelle) et de l’objet (faire comparaître l’intéressé à une audience) de la disposition applicable dans le cadre du régime des engagements de ne pas troubler l’ordre public. Je suis d’accord avec les cours d’appel qui ont rendu les arrêts Budreo C.A. et Nowazek lorsqu’elles affirment que

        [traduction] « [les situations dans lesquelles il sera] nécessaire, dans l’intérêt public » de décerner un mandat d’arrestation se limiteront aux cas où cette mesure s’impose pour préserver l’intégrité de l’instance [relative à l’engagement de ne pas troubler l’ordre public]. Il en sera ainsi uniquement lorsque le dénonciateur a établi que le défendeur ne comparaîtra pas devant le tribunal si cette mesure n’est pas prise ou qu’il présente un risque imminent . . .

(Nowazek, par. 82 (je souligne), citant Budreo C.A., par. 66. Voir également Cachine, par. 26.)

[70]                        Pour établir s’il existe un risque que le défendeur ne se conforme pas à une sommation, il est utile de s’inspirer des facteurs habituels dont on tient compte pour établir le motif principal justifiant la détention avant le procès. Si le défendeur n’a pas tissé de liens avec la collectivité ou si son casier judiciaire révèle qu’il a, par le passé, omis de se présenter devant le tribunal, il s’agirait là d’éléments qui militent fortement en faveur de la délivrance d’un mandat d’arrestation contre lui (voir, p. ex., R. c. Hall (1996), 1996 CanLII 11061 (NL CA)138 Nfld. & P.E.I.R. 80 (C.A.)R. c. Walsh2015 ABCA 385, par. 6 (CanLII)).

[71]                        Lorsque rien n’indique que le défendeur ne se conformera pas à une sommation l’obligeant à comparaître devant le tribunal, le juge de paix doit être convaincu de l’existence d’un risque imminent que soit causé le préjudice envisagé par la disposition pertinente concernant l’engagement de ne pas troubler l’ordre public avant de décerner un mandat d’arrestation. Par exemple, lorsqu’une dénonciation est déposée en vertu du par. 810.2(1), il doit y avoir un risque imminent que des sévices graves soient causés à autrui avant qu’un mandat d’arrestation puisse être décerné. Afin que le juge de paix soit convaincu que le défendeur présente un risque imminent, le dénonciateur ou le poursuivant doit pouvoir établir avec suffisamment de précision les caractéristiques spécifiques du risque en question. Un risque imminent n’est pas un risque généralisé fondé sur les antécédents du défendeur. Un risque imminent est un risque urgent ou immédiat. Même si les dispositions relatives aux engagements de ne pas troubler l’ordre public n’exigent pas toutes que le dénonciateur précise l’identité de la victime de la violence redoutée, il est difficile d’imaginer une situation dans laquelle il serait possible d’établir l’existence d’un risque imminent sans faire mention, aux fins de la délivrance d’un mandat d’arrestation, d’une personne ou d’un groupe de personnes identifiables qui sont exposées au risque de subir des sévices (voir Smith c. Jones, 1999 CanLII 674 (CSC)[1999] 1 R.C.S. 455, par. 84, au sujet de ce qui constitue un risque imminent dans le contexte de l’exception relative à la sécurité publique au privilège du secret professionnel de l’avocat).

[72]                        Lorsque l’un ou l’autre de ces éléments est établi selon la prépondérance des probabilités, le juge peut décerner un mandat d’arrestation contre le défendeur.

     Mise en liberté par un agent de la paix

[73]                        Bien que l’arrestation d’une personne porte foncièrement atteinte à sa liberté, cette atteinte devrait être minimisée le plus possible. Selon le par. 507(6), le juge de paix qui décerne un mandat d’arrestation peut revêtir celui‑ci d’un visa autorisant un agent de la paix à mettre en liberté le défendeur sous réserve de certaines conditions ou sur remise d’une promesse (par. 507(6) et art. 499). L’engagement contracté devant « un fonctionnaire responsable » au titre de l’art. 499 est un mécanisme auquel il est possible de recourir pour réaliser l’objet de l’engagement de ne pas troubler l’ordre public (en assujettissant le défendeur à des conditions provisoires jusqu’à l’audience sur le fond), tout en minimisant l’atteinte à la liberté du défendeur.

[74]                        Les conditions qu’impose l’agent de la paix au défendeur devraient être fondées sur les principes ci‑après exposés à l’égard de la mise en liberté provisoire par voie judiciaire. Lorsque le défendeur est insatisfait des conditions d’une promesse imposées par un agent de la paix, il peut, aux termes du par. 515(1), demander à un juge de paix d’y substituer d’autres conditions (par. 499(3)).

c)              La mise en liberté provisoire par voie judiciaire

[75]                          Dans les rares cas où un défendeur à une procédure d’engagement de ne pas troubler l’ordre public est arrêté et détenu en vue d’une enquête sur sa mise en liberté sous caution, les dispositions relatives à la mise en liberté provisoire par voie judiciaire visées à l’art. 515 mettent en place le mécanisme permettant de libérer le défendeur. Lorsqu’on applique ces dispositions, on doit tenir dûment compte de la nécessité d’assurer la présence du prévenu à l’audience relative à la demande d’engagement de ne pas troubler l’ordre public, tout en veillant au respect du but ultime du régime qui s’applique à celui‑ci : assujettir le défendeur à un engagement lorsque le dénonciateur a des motifs raisonnables de craindre que le défendeur cause certains préjudices.

[76]                          À l’instar de la juridiction inférieure, je conviens [traduction] « [qu’] un processus qui a pour effet de restreindre la liberté d’un défendeur davantage avant qu’après l’audience est à la fois absurde et illogique » (par. 58, citant MacAusland, par. 33). Étant donné que les dispositions de la partie XVI s’appliquent « dans la mesure où elles ne sont pas incompatibles » avec le régime des engagements de ne pas troubler l’ordre public, les conditions provisoires pouvant être imposées au titre de l’art. 515 sont forcément restreintes. Le fait d’imposer à un défendeur, afin de protéger le public contre un risque donné, des conditions plus restrictives que celles qui pourraient lui être imposées à l’issue de l’audition au fond de la demande d’engagement de ne pas troubler l’ordre public irait à l’encontre des dispositions relatives à ce régime.

[77]                          Les directives que la Cour a données dans l’arrêt Antic doivent également s’appliquer dans le contexte des engagements de ne pas troubler l’ordre public, en ce sens qu’il faut tenir compte du « principe de l’échelle » codifié au par. 515(3). La solution par défaut consiste à accorder la mise en liberté sur remise d’une promesse sans condition, à moins que le poursuivant (ou le dénonciateur, lorsque le procureur général ne s’est pas chargé de l’affaire) ne puisse justifier qu’une ordonnance assortie de conditions plus sévères devrait être rendue (Antic, par. 29).

[78]                          Pour qu’une condition soit considérée comme raisonnable, il faut qu’il existe un lien entre la condition en question et le fait d’assurer la présence du défendeur devant le tribunal ou la conduite redoutée attestée dans la dénonciation. Lorsque le ministère public ou le dénonciateur a établi qu’il est nécessaire d’imposer des conditions au défendeur afin d’assurer sa présence devant le tribunal, les principes énoncés dans l’arrêt Antic devraient en guider l’imposition, à la lumière du « motif principal » justifiant la détention prévu à l’al. 515(10)a).

[79]                          Les conditions provisoires imposées au défendeur en lien avec la crainte attestée dans la dénonciation ne devraient pas être plus sévères que celles prévues par la disposition relative à l’engagement de ne pas troubler l’ordre public en vertu de laquelle la dénonciation a été faite et, dans la plupart des cas, elles devraient être moins sévères. Selon l’art. 515, les conditions dont est assortie la mise en liberté provisoire par voie judiciaire ne doivent pas « être plus sévère[s] que ce qui est nécessaire » (Antic, par. 44), tandis que le juge peut assortir l’engagement visé à l’art. 810 des « conditions raisonnables [qui sont] souhaitables pour garantir la bonne conduite du défendeur » (par. 810(3.02); voir également m.i., Canadian Association for Progress in Justice, par. 36). Ainsi que l’a expliqué le juge Laskin dans l’arrêt Budreo C.A., le juge de paix devrait exercer son pouvoir discrétionnaire [traduction] « de façon judiciaire et en tenant compte des conditions limitées qui peuvent être imposées lorsque la demande fondée sur l’art. 810.1 est accueillie » (par. 67). Dans la plupart des cas, le dernier échelon de gradation serait un engagement sans caution contracté au titre de l’al. 515(2)b) et assorti de conditions raisonnables dans les circonstances.

[80]                          En pratique, les conditions provisoires liées à la sécurité du public qui sont imposées à un défendeur seront vraisemblablement reprises dans l’engagement que contractera le défendeur si la demande visant à obtenir un engagement de ne pas troubler l’ordre public est jugée bien fondée. Ces conditions portent, notamment, sur les préoccupations liées à la sécurité de la personne que cet engagement vise à protéger. Les juges devraient se rappeler qu’en cas de manquement à une condition provisoire, le défendeur à une procédure d’engagement de ne pas troubler l’ordre public — qui n’est inculpé d’aucun crime — pourrait faire l’objet d’une accusation criminelle. Il convient de répéter qu’il doit exister un lien entre toute condition relative à la sécurité du public et la crainte particulière attestée dans la dénonciation. Je souligne cette nécessité en ce qui concerne l’imposition de conditions interdisant la consommation de drogues et d’alcool. Lorsqu’elle n’est pas manifestement rattachée à la crainte alléguée, la condition risque davantage d’amener le défendeur à ne pas la respecter, surtout s’il est aux prises avec un problème de toxicomanie et que ce fait est connu (m.i., Société d’aide juridique du Yukon; voir également Service des poursuites pénales du Canada, Guide du Service des poursuites pénales du Canada, partie III, c. 19, « Conditions de libération provisoire visant les surdoses d’opioïdes » (mis à jour le 1er avril 2019) (en ligne) (en ce qui concerne les conditions de mise en liberté sous caution pour les infractions liées aux drogues poursuivies sous le régime d’une loi fédérale)). Aucune condition ne devait être sévère au point de constituer dans les faits une ordonnance de détention en vouant le défendeur à l’échec (Antic, par. 56; voir également Association canadienne des libertés civiles et Fidéicommis canadien d’éducation en libertés civiles, Set up to Fail: Bail and the Revolving Door of Pre‑trial Detention, par A. Deshman et N. Myers (2014) (en ligne), p. 1, 2 et 4).

     Les cas dans lesquels la détention avant l’audience pourrait être justifiée

[81]                        Comme l’a expliqué le juge en chef Lamer dans le contexte de la détention avant le procès, « [e]n général, notre société n’admet pas la détention préventive de personnes simplement parce qu’elles ont une propension au crime » (R. c. Morales, 1992 CanLII 53 (CSC)[1992] 3 R.C.S. 711, p. 736). Selon un passage d’un article de doctrine que le juge Then a cité (bien qu’il n’ait pas réaffirmé ces principes en définitive) dans la décision Budreo C.S. :

        [traduction] La détention préventive est donc considérée comme une mesure injustifiable dans une société libérale, parce qu’elle témoigne d’un manque de respect à l’endroit du contrevenant en tant que personne douée de discernement moral. Elle revient à punir cette personne en raison de ce qu’elle est, élément sur lequel elle n’exerce pour ainsi dire aucun contrôle, plutôt qu’en raison de ses gestes volontaires, dont elle est moralement responsable suivant les règles d’une société libérale.

(p. 368, citant N. Lacey dans « Dangerousness and Criminal Justice: The Justification of Preventative Detention » (1983), 36 Curr. Legal Probs. 31, p. 34.)

[82]                          Je souscris aux propos suivants tenus par le juge Laskin dans l’arrêt Budreo C.A. :

[traduction] . . . il arrive rarement que le fait de détenir un défendeur qui n’est pas inculpé d’avoir commis le moindre crime et qui peut simplement être tenu de contracter un engagement à l’issue de l’instance permette de rehausser la confiance envers l’administration de la justice. [par. 68]

[83]                          Les circonstances dans lesquelles la détention est justifiée dans le contexte de l’engagement de ne pas troubler l’ordre public doivent par ailleurs refléter les diverses issues envisagées par les dispositions relatives à ces engagements. Le juge ne peut ordonner la détention au terme de l’audience portant sur la demande d’engagement de ne pas troubler l’ordre public que lorsque le défendeur omet ou refuse de contracter l’engagement de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite (p. ex., par. 810.2(4)). En conséquence, les « rares cas » où la détention pourrait être justifiée ne se produisent vraisemblablement que lorsque le défendeur refuse de signer l’engagement prévu à l’art. 515 et, par le fait même, d’être lié par des conditions ayant trait à la nécessité d’assurer sa présence à l’audience portant sur la demande d’engagement de ne pas troubler l’ordre public, ou de dissiper, dans l’intervalle, la crainte attestée dans la dénonciation. Rappelant la décision rendue dans l’arrêt Antic, dans le contexte d’une personne inculpée d’avoir commis un acte criminel, notre Cour a récemment souligné que « nous ne devons pas perdre de vue que la détention avant le procès est une mesure de dernier recours » (Myers, par. 67). Dans le cas du défendeur à une procédure d’engagement de ne pas troubler l’ordre public, l’absence d’allégation d’infraction renforce cette affirmation.

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

De simples mots ne constituent pas un voies de fait & la nécessité de prouver le caractère intentionnel de l'usage de la force permet une défense d'accident ou d'erreur de consentement honnête mais erroné

R. v. Dawydiuk, 2010 BCCA 162 Lien vers la décision [ 29 ]             Under s. 265 (1)(a) of the  Criminal Code , a person commits an assau...