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lundi 11 octobre 2010

Le droit de consulter de nouveau un avocat lors de l'interrogatoire policier

R. c. Sinclair, 2010 CSC 35

[43] Il ressort de la jurisprudence que normalement l’al. 10b) accorde au détenu une seule consultation avec un avocat. Toutefois, il est également reconnu que, dans certaines circonstances, la Constitution exige qu’on accorde au détenu une nouvelle possibilité de consulter un avocat. Comme nous l’expliquerons davantage plus loin, il s’agit généralement des cas où se produit un changement important de la situation du détenu après la consultation initiale.

[44] L’interprétation selon laquelle l’al. 10b) prévoit une seule consultation avec un avocat a été clairement exposée dans R. c. Logan (1988), 46 C.C.C. (3d) 354 (C.A. Ont.). Après avoir examiné la jurisprudence, la cour a déclaré :

[traduction] Il ressort clairement de la décision du juge Lamer dans Manninen que l’al. 10b) confère le droit, en cas d’arrestation ou de détention, d’avoir recours à l’assistance d’un avocat et d’être informé par l’avocat, avant qu’on puisse soutirer des déclarations de l’accusé. L’expression « en cas d’arrestation ou de détention » indique un moment en particulier et non un continuum. Il ne porte pas sur le droit continu de consulter un avocat chaque fois que la police risque d’obtenir une déclaration de l’accusé. Il est vrai que le mot « retain » donne une idée de continuité (The Shorter Oxford English Dictionary (1973), p. 1813), mais il concerne la fourniture de services, c.‑à‑d. la disponibilité de ces services et leur utilisation par la suite, au moment voulu. Il ne crée pas une condition préalable à toute obtention de renseignements subséquente. [p. 381.]

[46] Bien qu’elle ait reconnu qu’une deuxième consultation s’impose lorsqu’un changement de situation la rend nécessaire, la Cour ne s’est pas prononcée de façon définitive sur la question : voir Evans; R. c. Burlingham, [1995] 2 R.C.S. 206; Black; R. c. Prosper, [1994] 3 R.C.S. 236. Nous examinons maintenant ces arrêts.

[47] Il faut interpréter l’alinéa 10b) de manière à respecter pleinement son objet d’étayer le droit du détenu, prévu par l’art. 7, de choisir de coopérer ou non à l’enquête policière. Normalement, une seule consultation, au moment de la mise en détention ou peu après celle‑ci, suffit pour atteindre cet objectif. Le détenu peut ainsi obtenir les renseignements dont il a besoin pour faire un choix utile quant à savoir s’il coopérera ou non à l’enquête. Toutefois, comme il ressort de la jurisprudence, il peut se produire des faits nouveaux qui rendent nécessaire une deuxième consultation pour permettre à l’accusé d’obtenir les conseils dont il a besoin pour exercer son droit de choisir dans la nouvelle situation.

[48] Selon l’idée générale qui se dégage des arrêts où la Cour a reconnu un deuxième droit de consulter un avocat, le changement de circonstances tend à indiquer qu’une nouvelle consultation s’impose pour permettre au détenu d’obtenir les renseignements dont il a besoin pour choisir de coopérer ou non à l’enquête policière. On craint, en effet, que les conseils reçus initialement ne soient plus adéquats par suite du changement de situation ou des faits nouvellement révélés.

[49] Il est évident que la police est libre de faciliter toute consultation supplémentaire avec un avocat. Il arrive parfois que l’interrogateur considère même comme une technique utile de rassurer le détenu sur la possibilité pour celui-ci de consulter de nouveau, au besoin, un avocat. Par exemple, dans le pourvoi connexe R. c. Willier, 2010 CSC 37, un interrogateur habile a commencé l’entretien en indiquant clairement au détenu qu’il était libre d’arrêter et d’appeler un avocat au cours de l’entretien. Il s’agit en l’espèce de se demander quand une consultation supplémentaire est requise aux termes de l’al. 10b) de la Charte. Il est utile d’indiquer à l’intention des interrogateurs de la police les situations où il ne fait aucun doute qu’une deuxième consultation s’impose. Les catégories ne sont pas limitatives. Toutefois, il ne faudrait ajouter que les cas où il est nécessaire d’accorder une autre consultation pour que soit réalisé l’objet de l’al. 10b).

1. Application de nouveaux procédés


[50] Les conseils donnés initialement par l’avocat seront orientés en fonction de ses attentes, à savoir que la police cherche à poser des questions au détenu. L’avocat chargé de conseiller le détenu au moment de la consultation initiale ne s’attend généralement pas à des procédés peu habituels, comme la séance d’identification ou le test polygraphique. Il s’ensuit qu’une nouvelle consultation est nécessaire pour que soit réalisé l’objet de l’al. 10b) de fournir au détenu les renseignements dont il a besoin pour choisir, de façon éclairée, de coopérer ou non à ces nouveaux procédés : R c. Ross, [1989] 1 R.C.S. 3.

2. Changement du risque

[51] Le détenu est informé dès le début de sa détention des raisons qui l’ont motivée : art. 10a). Viennent ensuite les conseils juridiques et la possibilité de consulter un avocat dont il est question à l’al. 10b). Les conseils donnés seront en fonction de la situation, telle que le détenu et son avocat la comprennent à ce stade. Si l’enquête prend une tournure nouvelle et plus grave au fur et à mesure du déroulement des événements, il se peut que ces conseils ne soient plus adéquats compte tenu de la situation ou du risque réels auxquels est confronté le détenu. Pour que soit réalisé l’objet de l’al. 10b), le détenu doit avoir la possibilité de consulter de nouveau un avocat et d’obtenir des conseils au sujet de la nouvelle situation. Voir Evans et Black.

3. Raisons de se demander si le détenu comprend le droit que lui confère l’alinéa 10b)

[52] S’il ressort des événements que le détenu qui a renoncé à son droit à l’assistance d’un avocat n’a peut-être pas compris son droit, la police doit l’en informer de nouveau pour que soit réalisé l’objet de l’al. 10b) : Prosper. En termes généraux, cela peut vouloir dire que, si les circonstances indiquent que le détenu n’a peut‑être pas compris les conseils reçus initialement en vertu de l’al. 10b) au sujet de son droit à l’assistance d’un avocat, la police a l’obligation de lui accorder de nouveau la possibilité de parler à un avocat. De même, si la police dénigre les conseils juridiques reçus par le détenu, cela peut avoir pour effet de les dénaturer ou de les réduire à néant, ce qui mine l’objet de l’al. 10b). Pour faire contrepoids à cet effet, on a estimé nécessaire d’accorder de nouveau au détenu le droit de consulter un avocat. Voir Burlingham.

[53] Le principe général sur lequel reposent les arrêts examinés ci‑dessus est le suivant : si le détenu a déjà reçu des conseils juridiques, la police a, dans le cadre de la mise en application, notamment l’obligation prévue à l’al. 10b) de lui fournir une possibilité raisonnable de consulter de nouveau un avocat si, par suite d’un changement de circonstances, cette mesure est nécessaire pour que soit réalisé l’objet de l’al. 10b) de la Charte de fournir au détenu des conseils juridiques quant à son choix de coopérer ou non à l’enquête policière.

[54] La jurisprudence jusqu’à maintenant offre des exemples de situations où intervient le droit à une autre consultation. Toutefois, les catégories ne sont pas limitatives. Lorsque les circonstances ne correspondent pas à une situation reconnue à ce jour, il s’agit de se demander s’il faut accorder une nouvelle possibilité de consulter un avocat pour que soit réalisé l’objet de l’al. 10b) de fournir au détenu des conseils dans sa situation nouvelle ou émergente.

[55] D’après la jurisprudence, le changement de circonstances doit être objectivement observable pour donner naissance à de nouvelles obligations pour la police en matière de mise en application. Il ne suffit pas que l’accusé affirme, après coup, qu’il n’avait pas bien compris ou qu’il avait besoin d’aide alors qu’il n’existe aucun élément objectif indiquant qu’une nouvelle consultation juridique était nécessaire pour lui permettre d’exercer un choix utile pour ce qui est de coopérer ou non à l’enquête policière.

[56] Selon notre interprétation de ses motifs, le juge Binnie reconnaît que la Constitution exige que l’on accorde d’autres consultations avec un avocat si de nouvelles circonstances rendent cette mesure nécessaire pour que soit réalisé l’objet de l’al. 10b). Cependant, il irait jusqu’à étendre la catégorie des cas où ce droit prend naissance, de manière à englober toutes les situations où le détenu fait une demande raisonnable à cet effet dans le cadre d’un entretien sous garde. Il établit ensuite à l’intention de la police et des tribunaux de révision une liste non exhaustive de facteurs qui peuvent fournir des motifs raisonnables pour accorder une autre consultation (par. 106).

[57] Pour autant que nous puissions en juger, la thèse selon laquelle il faut suspendre les questions jusqu’à ce que le détenu ait une possibilité raisonnable de consulter de nouveau un avocat — s’il existe un « fondement objectif » pour penser que le détenu peut avoir besoin d’autres conseils juridiques — n’est pas suffisamment liée à l’objectif de veiller à ce que le détenu demeure bien informé de la façon d’exercer ses droits. On suppose que les conseils juridiques reçus initialement sont suffisants et bons quant à la façon dont le détenu devrait exercer ses droits dans le cadre de l’enquête policière. Le fait de ne pas accorder une nouvelle consultation constitue une violation de l’al. 10b) seulement s’il devient clair, par suite d’un changement de circonstances ou de faits nouveaux, que les conseils reçus au départ, compte tenu du contexte, ne suffisent plus ou ne sont plus bons. Cette façon de voir est compatible avec l’objet de l’al. 10b) de veiller à ce que la décision du détenu de coopérer ou non avec la police soit à la fois informée et libre. (...)

[58] (...) Les détenus ont le droit absolu de garder le silence et, par conséquent, l’ultime contrôle de l’interrogatoire. Ils ont le droit de ne rien dire, de décider de ce qu’ils veulent dire et quand le dire. Il ne faut pas oublier que la possibilité de consulter de nouveau un avocat va de pair avec l’obligation pour la police de suspendre les questions jusqu’à ce que le détenu ait consulté un avocat ou qu’on lui ait accordé une possibilité raisonnable de le faire. Il se peut fort bien qu’on ait à attendre longtemps avant de pouvoir poursuivre l’interrogatoire. Les droits garantis par la Charte « doivent être exercés d’une façon qui soit conciliable avec les besoins de la société » : R. c. Smith, [1989] 2 R.C.S. 368, p. 385. Le droit à l’assistance d’un avocat ne vise pas à permettre aux suspects, surtout les personnes bien avisées et sûres d’elles, de « retarder inutilement et impunément une enquête et même, dans certains cas, de faire en sorte qu'une preuve essentielle soit perdue, détruite ou impossible à obtenir » : Smith, p. 385. C’est pourtant le résultat que risque, à notre avis, d’entraîner la démarche proposée par le juge Binnie.

[60] La meilleure démarche consiste à continuer d’examiner selon la règle des confessions les allégations d’incapacité ou d’intimidation subjectives. Par exemple, dans R. c. Oickle, 2000 CSC 38, [2000] 2 R.C.S. 3, par. 61, la Cour a reconnu que l’utilisation d’éléments de preuve inexistants pour soutirer des aveux risque de créer une atmosphère oppressive et de rendre les déclarations non volontaires. Dans Singh, la Cour a souligné que la persistance à poursuivre l’entretien, surtout devant les affirmations répétées du détenu qu’il souhaite garder le silence, permet de « faire valoir sérieusement que toute déclaration obtenue par la suite ne résult[e] pas d’une libre volonté de parler aux autorités » (par. 47). Toutefois, la jurisprudence jusqu’à maintenant n’appuie pas le point de vue selon lequel la tactique, souvent utilisée par la police, de révéler petit à petit des éléments de preuve (réels ou faux) au détenu pour démontrer ou exagérer la solidité de la preuve contre lui donne automatiquement naissance au droit à une deuxième consultation avec un avocat en faisant renaître les droits garantis à l’al. 10b).

[62] Nous ne pouvons souscrire à la prétention que notre interprétation de l’al. 10b) donnera carte blanche à la police. Cet argument ne tient pas compte de l’exigence selon laquelle les confessions doivent être volontaires dans le sens large maintenant reconnu en droit. La police doit non seulement respecter les obligations qui lui incombent selon l’al. 10b), mais aussi conduire l’entretien en se conformant strictement à la règle des confessions. (...) Comme il est expliqué plus en détail dans Singh, la règle des confessions est de nature générale et englobe manifestement le droit au silence. Loin de restreindre le droit au silence garanti aux détenus par la Constitution, sa reconnaissance en tant que composante de la règle de common law le renforce, car tout doute raisonnable au sujet du caractère volontaire entraîne obligatoirement l’exclusion automatique de la déclaration. (...) On ne peut déterminer le caractère volontaire qu’en tenant compte de l’ensemble des circonstances. Comme l’a indiqué la majorité dans Singh (par. 53) :

Là encore, il faut souligner que ces situations dépendent fortement des faits de chaque affaire et que le juge du procès doit tenir compte de tous les facteurs pertinents pour déterminer si le ministère public a établi que la confession de l’accusé est volontaire. Dans certains cas, la preuve permettra de conclure que la poursuite de l’interrogatoire de la police, malgré que l’accusé ait invoqué, à maintes reprises, son droit de garder le silence, a privé ce dernier de la possibilité de faire un choix utile de parler ou de garder le silence : voir l’arrêt Otis. Le nombre de fois que l’accusé invoque son droit de garder le silence entre dans l’appréciation de l’ensemble des circonstances, mais il n’est pas déterminant en soi. En définitive, la question est de savoir si l’accusé a usé de son libre arbitre en choisissant de faire une déclaration : Otis, par. 50 et 54.

(...) Comme l’a fait observer la majorité, « en fait, son analyse de la jurisprudence applicable et son examen des faits pertinents sont impeccables, particulièrement en ce qui concerne le droit de garder le silence » (par. 50). De l’avis de la majorité, il n’y avait pas lieu de modifier sa décision.

[63] (...) À notre avis, pour définir la portée du droit au silence reconnu à l’art. 7 et celle des droits connexes garantis par la Charte, il faut tenir compte non seulement de la protection des droits de l’accusé, mais aussi de l’intérêt de la société à ce que les crimes fassent l’objet d’une enquête et soient résolus. La police a l’obligation d’enquêter sur les crimes présumés et, dans l’exercice de cette fonction, elle doit nécessairement interroger des sources d’information pertinentes, y compris les personnes soupçonnées ou même accusées d’avoir commis le crime présumé. Certes, la police doit respecter les droits que la Charte garantit à un individu, mais la règle selon laquelle elle doit automatiquement battre en retraite dès que le détenu déclare qu’il n’a rien à dire ne permet pas, à notre avis, d’établir le juste équilibre entre l’intérêt public à ce que les crimes fassent l’objet d’une enquête et l’intérêt du suspect à ne pas être importuné.

[64] (...) Au contraire, comme nous l’avons déjà expliqué, nous prenons la position bien établie selon laquelle le droit à l’assistance d’un avocat s’applique essentiellement une seule fois, sauf quelques exceptions reconnues, et développons la jurisprudence existante en reconnaissant le droit à une nouvelle consultation lorsqu’un changement de circonstances rend cette mesure nécessaire pour que soit réalisé l’objet de l’al. 10b) de fournir au détenu des conseils dans sa situation nouvelle ou émergente. Nos motifs élargissent plutôt la protection dont disposent les suspects et restreignent le champ des questions de la police. (...)

[65] Nous concluons que ni les principes applicables ni la jurisprudence n’appuient la thèse selon laquelle une demande, à elle seule, suffit à redonner naissance au droit à l’assistance d’un avocat et au droit d’être informé de ce droit, qui sont prévus à l’al. 10b). Il faut qu’il y ait un changement de circonstances tendant à indiquer que le choix qui s’offre à l’accusé a considérablement changé, de sorte qu’il a besoin d’autres conseils sur la nouvelle situation pour que soit réalisé l’objet de l’al. 10b) de fournir à l’accusé des conseils juridiques lui permettant de décider de coopérer ou non à l’enquête policière. Si les tactiques policières n’entraînent pas un tel changement, il est possible que le ministère public ne puisse pas établir hors de tout doute raisonnable qu’une déclaration subséquente était volontaire, ce qui la rendrait inadmissible. Mais il ne s’ensuit pas qu’il y a eu atteinte aux droits procéduraux conférés par l’al. 10b).

L'article 10b) de la Charte ne doit pas être interprété de manière à conférer le droit constitutionnel d’avoir un avocat présent pendant toute la durée d’un entretien de police

R. c. Sinclair, 2010 CSC 35

[33] M. Sinclair affirme que l’al. 10b) donne au détenu le droit d’avoir, sur demande, un avocat présent pendant toute la durée de l’entretien.

[34] Les précédents vont à l’encontre de cette interprétation de l’al. 10b). La Cour ne s’est jamais prononcée directement sur la question, mais les tribunaux d’instance inférieure semblent être unanimes pour dire qu’un tel droit n’existe pas au Canada :(références omises). Plus récemment, dans Osmond, la Cour d’appel (le juge Donald) a refusé de faire droit à un tel argument au motif qu’il renverserait une jurisprudence claire indiquant le contraire. Dans Friesen, le juge Côté a exprimé ainsi la position prépondérante : [traduction] « Nous ne devrions pas (et ne pouvons) modifier le droit canadien de façon à interdire à la police de parler à un suspect détenu sauf si l’avocat de la défense est présent et se prononce sur chaque question » (p. 182).

[35] Le libellé de l’al. 10b) ne semble pas envisager une telle exigence. (...) Certes, il est raisonnable d’estimer que l’expression « retain and instruct » et son équivalent français supposent plus qu’une consultation superficielle avant l’interrogatoire, comme nous l’avons déjà mentionné, mais ils n’impliquent pas nécessairement la présence continue d’un avocat pendant toute la durée de l’entretien.

[36] Cela nous ramène à l’objet de l’al. 10b). Répétons‑le, cette disposition vise à informer le détenu de ses droits et à lui donner la possibilité d’obtenir des conseils juridiques sur la façon de les exercer. Il est possible de réaliser ces objectifs en accordant au détenu le droit de consulter de nouveau un avocat lorsque de nouveaux faits rendent cette mesure nécessaire, comme nous le verrons ci-dessous. Ces objectifs n’exigent pas la présence continue d’un avocat pendant toute la durée de l’entretien.

[37] M. Sinclair fait valoir que d’autres pays reconnaissent le droit à la présence d’un avocat pendant toute la durée d’un entretien de police (voir Miranda c. Arizona, 384 U.S. 436 (1966), et Escobedo c. Illinois, 378 U.S. 478 (1964)), et que le Canada devrait faire de même. Il s’appuie sur la doctrine en la matière. Voir L. Stuesser : « The Accused’s Right to Silence : No Doesn’t Mean No » (2002), 29 Man. L.J. 149, p. 150.

[38] Nous ne sommes pas convaincues que la règle Miranda devrait être implantée en droit canadien. La portée de l’al. 10b) de la Charte est définie par rapport à son texte, au droit au silence, à la règle des confessions reconnue en common law et à l’intérêt public à ce que les lois soient appliquées effectivement dans le contexte canadien. Adopter des protections procédurales d’autres ressorts de façon fragmentaire risque de compromettre l’équilibre établi par les tribunaux et les organes législatifs canadiens.

[39] Il existe des différences significatives entre le régime canadien et le régime américain. L’arrêt Miranda faisait suite aux tactiques policières abusives alors courantes aux États‑Unis et il s’applique dans le contexte de nombreuses autres règles moins favorables à l’accusé que leurs équivalents canadiens. Par exemple, il ne s’applique qu’aux personnes « en détention ». À cet égard, la détention s’entend d’une [traduction] « “arrestation formelle ou entrave formelle à la liberté de mouvement” comparable à celle associée à une arrestation formelle » : California c. Beheler, 463 U.S. 1121 (1983), p. 1125; Yarborough c. Alvarado, 541 U.S. 652 (2004). Au Canada, la définition de détention psychologique déclenchant l’application de l’al. 10b) est plus large : R. c. Grant, 2009 CSC 32, [2009] 2 R.C.S. 353, par. 44. En outre, une violation de la règle Miranda n’empêche ni l’utilisation du témoignage du détenu lors du procès pour attaquer la crédibilité de l’accusé à ce moment-là (Harris c. New York, 401 U.S. 222 (1971); Oregon c. Hass, 420 U.S. 714 (1975)) ni la présentation, au procès, de preuve matérielle dérivée (United States c. Patane, 524 U.S. 630 (2004)). Par contre, les règles canadiennes sur l’admissibilité de la preuve obtenue en violation de l’al. 10b) sont beaucoup plus favorables à l’accusé : voir R. c. Calder, [1996] 1 R.C.S. 660; R. c. Noël, 2002 CSC 67, [2002] 3 R.C.S. 433, par. 55; Grant, par. 116‑128.

[41] Ajoutons que toute inférence tirée de l’expérience américaine au sujet des effets d’un régime de type Miranda sur l’application de la loi doit être tempérée par le fait qu’environ 80 p. 100 des suspects renoncent en fin de compte aux droits que leur reconnaît Miranda : (références omises). Cela a conduit certains auteurs à affirmer que Miranda n’offre que des protections illusoires à la vaste majorité des individus soumis à l’interrogatoire sous garde : (références omises).

[42] Nous concluons que l’al. 10b) ne devrait pas être interprété de manière à conférer le droit constitutionnel d’avoir un avocat présent pendant toute la durée d’un entretien de police. Bien sûr, rien n’empêche un avocat d’être présent à l’interrogatoire avec le consentement de toutes les parties, comme cela se produit déjà. La police demeure libre de faciliter un tel arrangement si elle choisit de le faire, et le détenu pourrait vouloir demander, comme condition préalable à sa déclaration, la présence d’un avocat.

L’objet de l’alinéa 10b) de la Charte

R. c. Sinclair, 2010 CSC 35

[24] L’alinéa 10b) vise à fournir au détenu l’occasion d’obtenir des conseils juridiques propres à sa situation juridique. Dans le contexte d’un interrogatoire sous garde, le détenu doit tout particulièrement comprendre le droit que lui accorde l’art. 7 de la Charte de choisir de coopérer ou non avec la police.

[25] L’objet de l’al. 10b) de la Charte et son rapport avec le droit au silence qui découle de l’art. 7 ont été décrits par la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) dans R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151, p. 176-177. Ces deux droits s’allient pour faire en sorte que le suspect soit en mesure d’exercer un choix libre et éclairé quant à la décision de parler ou non aux enquêteurs de la police :

L’article 7 confère à la personne détenue le droit de choisir de parler aux autorités ou de garder le silence. L’alinéa 10b) exige qu’elle soit avisée de son droit à l’assistance d’un avocat et qu’elle puisse y avoir recours sans délai.

La fonction la plus importante de l’avis juridique au moment de la détention est d’assurer que l’accusé comprenne quels sont ses droits dont le principal est le droit de garder le silence. [...] Pris ensemble, l’art. 7 et l’al. 10b) confirment le droit de garder le silence reconnu à l’art. 7 et nous éclairent sur sa nature.

La garantie du droit de consulter un avocat confirme que l’essence du droit est la liberté de l’accusé de choisir de faire ou non une déclaration. L’État n’est pas tenu de garantir que le suspect ne fasse pas de déclaration; l’État est, en fait, libre d’utiliser des moyens de persuasion légitimes pour encourager le suspect à le faire. L’État est cependant tenu de permettre au suspect de faire un choix éclairé quant à savoir s’il parlera ou non aux autorités. Pour faciliter ce choix, le suspect a droit à l’assistance d’un avocat.

[26] Le droit à l’assistance d’un avocat a pour objet de « permettre à la personne détenue non seulement d’être informée de ses droits et de ses obligations en vertu de la loi, mais également, voire qui plus est, d’obtenir des conseils sur la façon d’exercer ces droits » : R. c. Manninen, [1987] 1 R.C.S. 1233, p. 1242-1243. Il s’agit donc fondamentalement de faire en sorte que la décision du détenu de coopérer ou non à l’enquête soit à la fois libre et éclairée. L’alinéa 10b) ne garantit pas que le détenu prendra une sage décision, ni ne le met à l’abri de facteurs subjectifs susceptibles d’influer sur sa décision. Il vise simplement à fournir aux détenus la possibilité d’avoir accès à des conseils juridiques dans l’exercice de ce choix.



[27] L’alinéa 10b) remplit son objet de deux façons. Premièrement, il exige que le détenu soit informé de son droit à l’assistance d’un avocat. C’est le volet informationnel. Deuxièmement, il exige que le détenu ait la possibilité d’exercer son droit de consulter un avocat. C’est le volet mise en application. L’inobservation de l’un ou l’autre de ces volets va à l’encontre de l’objet de l’al. 10b) et constitue une atteinte aux droits du détenu : Manninen. Le deuxième volet comporte l’obligation pour la police de suspendre les questions jusqu’à ce que le détenu ait eu une possibilité raisonnable de consulter un avocat. Les obligations de la police qui découlent de l’al. 10b) ne sont pas absolues. À moins que le détenu n’invoque son droit et ne l’exerce d’une façon raisonnablement diligente, l’obligation correspondante pour la police de lui donner une possibilité raisonnable de l’exercer, ainsi que de s’abstenir de tenter de lui soutirer des éléments de preuve ne prendra pas naissance ou sera suspendue : R. c. Tremblay, [1987] 2 R.C.S. 435, p. 439, et R. c. Black, [1989] 2 R.C.S. 138, p. 154‑155.



[28] Une fois informé de son droit de consulter un avocat, le détenu peut y renoncer, c’est‑à‑dire décider de ne pas se prévaloir de la possibilité qui lui a été offerte de consulter un avocat. Le droit de choisir de coopérer ou non avec la police, objet fondamental de l’al. 10b), a été respecté en cas de renonciation valide, et il n’y a donc pas de violation.



[29] Le droit prévu à l’al. 10b) d’avoir recours à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit donne appui au droit général de garder le silence garanti par l’art. 7. Il ne faut toutefois pas confondre les droits que confèrent ces deux dispositions. L’un des objectifs importants des conseils juridiques est d’informer l’accusé de son droit de choisir de coopérer ou non à l’enquête policière et de la façon de l’exercer. L’alinéa 10b) prévoit un droit spécifique visant un aspect de la protection du droit au silence, à savoir la possibilité d’obtenir l’assistance d’un avocat. Certaines situations peuvent mettre en jeu des questions relevant à la fois de l’al. 10b) et de l’art. 7. Lorsqu’il est allégué en vertu de l’art. 7 et de la règle des confessions qu’une déclaration n’est pas volontaire à cause de la dénégation du droit de consulter un avocat, les faits sur lesquels se fondent les deux examens peuvent se chevaucher : Singh. Les deux examens demeurent toutefois distincts. Le fait que la police se soit conformée à l’al. 10b) ne signifie pas que la déclaration a été faite volontairement selon la règle des confessions. À l’inverse, le fait qu’une déclaration soit volontaire n’écarte pas la possibilité d’une violation de l’al. 10b). Il s’ensuit que Singh, qui porte sur le droit de garder le silence garanti par l’art. 7, ne règle pas la question soulevée en l’espèce.

Les droits et obligations découlant de l’alinéa 10b)

R. c. Willier, 2010 CSC 37

[29] L’alinéa 10b) vise à établir et à définir les droits et obligations qui découlent de la garantie. Dans Bartle, le juge en chef Lamer les a résumés du point de vue des obligations imposées aux représentants de l’État qui arrêtent une personne ou la mettent en détention (p. 192). L’alinéa 10b) impose à la police les obligations suivantes :

(1) informer la personne détenue de son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et de l’existence de l’aide juridique et d’avocats de garde;

(2) si la personne détenue a indiqué qu’elle voulait exercer ce droit, lui donner la possibilité raisonnable de le faire (sauf en cas d’urgence ou de danger);

(3) s’abstenir de tenter de soutirer des éléments de preuve à la personne détenue jusqu’à ce qu’elle ait eu cette possibilité raisonnable (encore une fois, sauf en cas d’urgence ou de danger).

[30] La première obligation touche à l’information, tandis que les deuxième et troisième participent de l’obligation de mise en application et ne prennent naissance que si les détenus indiquent qu’ils désirent exercer leur droit à l’assistance d’un avocat. Comme l’a expliqué la Cour dans R. c. Suberu, 2009 CSC 33, [2009] 2 R.C.S. 460, ces obligations s’appliquent dès l’arrestation d’une personne ou sa mise en détention, étant donné que « les problèmes de l’auto‑incrimination et de l’entrave à la liberté auxquels l’al. 10b) tente de répondre se posent dès la mise en détention » (par. 41).

[31] L’obligation d’information imposée à la police est relativement simple. Toutefois, si le détenu indique concrètement qu’il ne comprend pas son droit à l’assistance d’un avocat, la police ne peut se contenter de la récitation rituelle de la mise en garde relative à ce droit; elle doit en faciliter la compréhension : R. c. Evans, [1991] 1 R.C.S. 869. Par ailleurs, dans des circonstances particulières et bien définies, l’al. 10b) impose à la police une obligation d’information supplémentaire. Dans R. c. Prosper, [1994] 3 R.C.S. 236, le juge en chef Lamer a décrit cette obligation et les circonstances qui la font naître (p. 274) :

Dans les cas où la personne détenue a manifesté sa volonté de se prévaloir de son droit à l’assistance d’un avocat et où elle a été raisonnablement diligente dans l’exercice de ce droit sans pour autant réussir à joindre un avocat parce qu’aucun avocat de garde n’était disponible au moment de la détention, les tribunaux doivent s’assurer qu’on n’a pas conclu trop facilement à la renonciation au droit à l’assistance d’un avocat garanti par la Charte. En fait, ‘j’estime qu’il y aura naissance d’une obligation d’information supplémentaire de la part de la police dès que la personne détenue, qui a déjà manifesté son intention de se prévaloir de son droit à l’assistance d’un avocat, indique qu’elle a changé d’avis et qu’elle ne désire plus obtenir de conseils juridiques. À ce moment, la police sera tenue de l’informer de son droit d’avoir une possibilité raisonnable de communiquer avec un avocat et de l’obligation de la police, au cours de cette période, de s’abstenir, tant que la personne n’aura pas eu cette possibilité raisonnable de prendre toute déposition ou d’exiger qu’elle participe à quelque processus qui pourrait éventuellement être incriminant. Grâce à cette exigence supplémentaire en matière d’information imposée à la police, la personne détenue qui maintient qu’elle veut renoncer à son droit à l’assistance d’un avocat saura ce à quoi elle renonce.

[32] Par conséquent, lorsque le détenu qui a fait preuve de diligence mais n’a pas réussi à joindre un avocat change d’avis et décide de ne plus tenter de communiquer avec un avocat, l’al. 10b) oblige la police à l’informer expressément de son droit d’avoir une possibilité raisonnable de communiquer avec un avocat et de l’obligation de la police de suspendre ses questions jusque‑là. Cette obligation d’information supplémentaire, appelée obligation de faire une « mise en garde de type Prosper » dans le présent pourvoi, est justifiée dans de telles circonstances, car elle offre les garanties suivantes : le détenu est informé que ses tentatives infructueuses de joindre un avocat n’ont pas épuisé son droit garanti par l’al. 10b), le choix de parler à la police ne découle pas d’une telle méprise et la décision de renoncer au droit à l’assistance d’un avocat a été prise en toute connaissance de cause.

[33] Les détenus qui choisissent d’exercer leur droit garanti par l’al. 10b) en communiquant avec un avocat déclenchent les obligations de mise en application qui incombent à la police. Selon ces obligations, la police doit donner au détenu une possibilité raisonnable de communiquer avec un avocat et s’abstenir de lui poser des questions jusqu’à ce qu’il ait eu cette possibilité. Toutefois, ces obligations sont subordonnées à la diligence raisonnable dont fait preuve le détenu qui tente de communiquer avec un avocat : R. c. Tremblay, [1987] 2 R.C.S. 435; R. c. Black, [1989] 2 R.C.S. 138; R. c. Smith, [1989] 2 R.C.S. 368. Ce qui constitue une diligence raisonnable dans l’exercice du droit de communiquer avec un avocat dépend de l’ensemble des circonstances particulières. Comme le juge Wilson l’a affirmé dans Black :

Ces obligations des policiers sont soumises à une condition : l’accusé doit faire preuve de diligence raisonnable en tentant d’obtenir les services d’un avocat s’il souhaite le faire. Si l’accusé ne fait pas preuve de diligence à cet égard, l’obligation correspondante qu’ont les policiers de s’abstenir de l’interroger est suspendue: voir R. c. Tremblay, [1987] 2 R.C.S. 435. [p. 154‑155]

[34] Une telle limite aux droits d’un détenu est nécessaire, comme le juge Lamer (plus tard Juge en chef) l’a souligné dans Smith, : « puisque sans elle, il serait possible de retarder inutilement et impunément une enquête et même, dans certains cas, de faire en sorte qu’une preuve essentielle soit perdue, détruite ou impossible à obtenir. Les droits énoncés dans la Charte, et en particulier le droit à l’assistance d’un avocat, ne sont pas des droits absolus et illimités. Ils doivent être exercés d’une façon qui soit conciliable avec les besoins de la société » (p. 385).

[35] Si les détenus décident d’exercer leur droit à l’assistance d’un avocat en parlant à un avocat précis, l’al. 10b) leur accorde une possibilité raisonnable de communiquer avec l’avocat de leur choix avant d’être questionnés par la police. Si l’avocat choisi n’est pas immédiatement disponible, ils peuvent refuser de parler à un autre avocat et attendre pendant un délai raisonnable que l’avocat de leur choix leur réponde. Ce qui constitue un délai raisonnable dépend de l’ensemble des circonstances, notamment de facteurs comme la gravité de l’accusation et l’urgence de l’enquête : Black. Si l’avocat choisi n’est pas disponible dans un délai raisonnable, les détenus sont censés exercer leur droit à l’assistance d’un avocat en communiquant avec un autre avocat, sinon l’obligation qui incombe à la police d’interrompre ses questions est suspendue : R. c. Ross, [1989] 1 R.C.S. 3; et Black. Comme le juge Lamer l’a souligné dans Ross, le détenu doit également faire preuve de diligence dans l’exercice du droit à l’assistance de l’avocat de son choix :

Notons que comme l’a dit cette Cour dans l’arrêt R. c. Tremblay, [1987] 2 R.C.S. 435, un prévenu ou un détenu, bien qu’il ait le droit de choisir un avocat, doit faire preuve de diligence raisonnable dans l’exercice de ses droits, sinon les obligations corollaires qui, selon l’arrêt Manninen, sont imposées aux policiers, sont suspendues. La diligence raisonnable dans l’exercice du droit de choisir son avocat dépend de la situation dans laquelle se trouve l’accusé ou le détenu. Au moment de son arrestation, par exemple, le détenu a un besoin immédiat de conseils juridiques et doit faire preuve de diligence raisonnable en conséquence. Par contre, lorsqu’il cherche le meilleur avocat pour un procès, l’accusé n’est pas dans une telle situation d’urgence. Néanmoins, l’accusé ou le détenu a le droit de choisir son avocat et ce n’est que si l’avocat choisi ne peut être disponible dans un délai raisonnable qu’on doit s’attendre à ce que le détenu ou l’accusé exerce son droit à l’assistance d’un avocat en appelant un autre avocat. [p. 10‑11]

[41] Il est vrai que l’al. 10b) oblige la police à accorder au détenu une possibilité raisonnable de communiquer avec un avocat et à faciliter cette communication, mais il ne l’oblige pas à contrôler la qualité des conseils une fois la communication établie. La relation avocat‑client a un caractère confidentiel en raison du secret professionnel. Vu la nécessité de respecter l’intégrité de cette relation, la police ne saurait être tenue responsable, à titre d’arbitre, du contrôle de la qualité des conseils juridiques reçus par le détenu. Imposer une telle obligation à la police serait incompatible avec la nature confidentielle de la relation. On ne peut exiger de la police qu’elle impose une certaine norme qualitative à l’égard des conseils juridiques, et elle n’a pas le droit non plus de se renseigner sur la teneur des conseils donnés. Par ailleurs, même si une telle obligation était justifiée, la norme applicable quant au caractère suffisant n’est pas clairement établie. Dans R. c. G.D.B., 2000 CSC 22, [2000] 1 R.C.S. 520, par. 27, la Cour a reconnu l’existence du « large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable », de sorte que ce qu’on considère être des conseils raisonnables, suffisants ou adéquats est mal défini et très variable.

[42] Comme nous l’avons vu, l’al. 10b) vise à garantir que les détenus ont la possibilité d’être informés de leurs droits et obligations et d’obtenir des conseils sur la façon d’exercer ces droits et de remplir ces obligations. Toutefois, à moins qu’ils n’indiquent, avec diligence et raisonnablement, que les conseils reçus sont insuffisants, la police peut présumer qu’ils sont satisfaits de la façon dont ils ont exercé leur droit à l’assistance d’un avocat et elle a le droit de commencer l’entretien à des fins d’enquête. (...)

La jurisprudence identifie plusieurs traits caractéristiques du plaideur quérulent

Gougoux c. Richard, 2010 QCCS 4483 (CanLII)

[24] La jurisprudence identifie plusieurs traits caractéristiques du plaideur quérulent. La décision phare en la matière est Barreau du Québec c. Srougi. Le juge en chef adjoint Wery y reprend de manière succincte les caractéristiques jurisprudentielles et doctrinales :

[26] La jurisprudence et la doctrine ont identifié plusieurs facteurs (ou symptômes) qui sont indicatifs de quérulence. Parmi ceux-ci :

Le quérulent montre de l’opiniâtreté et du narcissisme;

Il se manifeste plus souvent en demande plutôt qu’en défense;

Il multiplie les recours vexatoires y compris contre les auxiliaires de la justice. Il n’est pas rare, en effet, que ces procédures et ces plaintes soient dirigées contre les avocats, le personnel judiciaire, ou même les juges personnellement, qui font l’objet d’allégations de partialité et de plaintes déontologiques;

Quatrièmement, la réitération des mêmes questions par des recours successifs et ampliatifs, et à la recherche du même résultat malgré les échecs répétés de demandes antérieures, est fréquente;

Cinquièmement, les arguments de droit mis de l’avant par lui se signalent à la fois par leur inventivité et leur incongruité. Ils ont une forme juridique certes, mais à la limite du rationnel;

Sixièmement, les échecs répétés des recours ainsi exercés entraînent à plus ou moins longue échéance son incapacité à payer les dépens et les frais de justice auxquels il est condamné;

Septièmement, la plupart des décisions adverses, sinon toutes, sont portées en appel ou font l’objet de demandes de révision ou de rétractation;

Huitièmement, il se représente seul.

[25] Dans Salvas c. Bourgault le juge Tardif en ajoute deux autres:

• (ses) procédures… sont truffées d'insultes et d'injures;

• (L)'affirmation … que des témoins vont venir contredire les parjures et les faux témoignages qui ont été faits lors d'instances précédentes.

[26] Toutefois, il ne s’agit là que de caractéristiques du quérulent, le seul critère applicable étant l’exercice excessif ou déraisonnable du droit d’ester en justice ; référant aux deux décisions précitées, le juge Riordan écrit:

« [19] Bien que nous soyons en accord avec cette dernière analyse, il nous semble préférable d'éviter de voir ces caractéristiques comme des « critères ». Que la plupart des plaideurs sujet à autorisation peuvent manifester ces caractéristiques ne veut pas dire qu'elles représentent les critères d'un tel statut. Ce critère est énoncé sans équivoque à l'article 84 du règlement: « exerce(r) son droit d'ester en justice de manière excessive ou déraisonnable ».

[20] À cet égard, plusieurs des caractéristiques mentionnées, possiblement la majorité, ne démontrent aucun excès ou dépassement du raisonnable dans l'exercice du droit d'ester en justice, surtout lorsqu'on les considère individuellement. Nous notons dans ce sens, par exemple, le fait de se représenter seul ou d'être narcissique ou d'être incapable de payer les dépens ou de prétendre que des témoins viendront contredire des faussetés prononcées antérieurement ou de porter des décisions en appel ou en révision. Cela n'empêche pas bien sûr l'analyse de ces facteurs mais nous ne les entrevoyons pas comme des indices déterminants.»

[27] Les tribunaux s'entendent qu'il n'est pas nécessaire que toutes les caractéristiques soient remplies pour déclarer un plaideur comme étant un quérulent.

[28] Outre la décision dans l'affaire Srougi, le texte de référence en matière de quérulence demeure l'article du juge Yves-Marie Morissette de la Cour d'appel. Cette étude fait le tour de la question et analyse toutes les caractéristiques qui seront décrites ci-après.

dimanche 10 octobre 2010

L'obligation de divulgation se rapporte à l'innocence ou à la culpabilité de l'accusé et non aux questions périphériques

R. c. Commanda, 2007 QCCA 947 (CanLII)

[95] Comme on peut le constater, il est considérablement plus facile de s'entendre quand il s'agit d'énoncer les règles encadrant l'obligation de divulgation de la preuve que lorsqu'il s'agit de les appliquer à une situation donnée.

[96] La pertinence d'un document s'apprécie « tant à l'égard de l'accusation elle-même que des défenses raisonnablement possibles » (Taillefer, précité, paragr. 59). La pertinence d'un renseignement se mesure à l'utilité qu'il peut avoir pour la défense; il s'agit, dans chaque cas, de déterminer si l'accusé peut raisonnablement utiliser le renseignement demandé « pour présenter un moyen de défense » (R. c. Egger, précité, p. 467).

[97] En l'espèce, il est certain – et d'ailleurs admis par l'appelant – que le statut d'autochtone des intimés et les droits ancestraux qu'ils entendent invoquer peuvent servir de fondement à une défense.

[98] Malgré tout, il ne s'agit pas, selon moi, d'une défense de la nature de celles que le juge LeBel envisageait quand il parlait de « défenses raisonnablement possibles » dans le contexte de l'obligation de divulgation. J'estime qu'il faut faire la distinction entre une défense reliée directement à l'un ou l'autre des éléments constitutifs de l'infraction (actus reus, mens rea et identification du défendeur) et une « défense » qui est plutôt de la nature d'une contestation constitutionnelle visant la validité de la loi ou son applicabilité. L'obligation de divulgation du poursuivant ne s'évalue pas, selon moi, en fonction de la seconde.

[104] La portée de cette obligation se définit à la lumière des éléments constitutifs des infractions reprochées (y compris l'identification du présumé auteur des infractions) et aux défenses raisonnablement possibles en lien direct avec ces éléments, pas plus pas moins.

[105] Une défense de nature constitutionnelle fondée sur le caractère inopérant d'une loi ou d'un règlement qui porterait atteinte de manière injustifiée à un droit ancestral existant n'est pas, dans le contexte de l'obligation de divulgation du poursuivant, une défense raisonnablement possible. Pas plus que ne le serait, selon moi, une défense fondée sur le caractère inopérant d'une loi ou d'un règlement qui porterait atteinte de manière injustifiée à l'un ou l'autre des droits et libertés fondamentaux protégés par la Charte. Par exemple, une défense fondée sur la liberté d'expression (art. 2) ou le droit à l'égalité (art. 15).

L'interprétation à donner au mot "jouissance" qui est employé à l'article 430(1)c) C.cr. / la Cour d'appel du Québec ne s'est pas prononcée clairement sur l'interprétation à donner au mot "jouissance"

R. c. Villeneuve, 2010 QCCQ 498 (CanLII)

[38] Le juge Chamberland adopte une interprétation englobante du terme "jouissance" (p.7):

Le Parlement a voulu sanctionner criminellement les faits et gestes de quiconque, volontairement, empêche une personne, par exemple un voisin, de jouir de son bien, par exemple l'immeuble dont il a fait l'achat, et, à mon avis, il s'en est exprimé clairement à l'al. 430 (1)d) du Code criminel. Je ne crois pas que l'énumération de situations, souvent des cas limites, où l'accusation de méfait pourrait être portée justifie que nous occultions le sens commun des mots, et notamment du mot jouissance.

Si le Parlement avait voulu que le mot "jouissance" signifie "possession", il aurait utilisé le mot "possession". L'al. 430 (1)d) est rédigé de manière à viser le bien dans son aspect dynamique (l'emploi, la jouissance ou l'exploitation du bien) plutôt que dans son aspect statique (la propriété, le louage ou la possession). L'utilisation du mot jouissance s'inscrit tout à fait dans cette logique.

A mon avis, le mot jouissance a ici un sens plus englobant que le seul fait d'être titulaire d'un droit à la possession du bien; il inclut l'action de tirer d'un bien qu'une personne détient légalement les satisfactions que ce bien est en mesure de procurer. En somme, la personne qui, animée d'une intention coupable, gêne volontairement son voisin dans la jouissance de sa propriété s'expose à devoir répondre à une accusation de méfait fondée sur l'al. 430 (1)d) du Code criminel. L'infraction exige évidemment du ministère public qu'il fasse la preuve de faits et gestes posés volontairement par l'accusé et d'une intention coupable (mens rea) de sa part.

[39] Le juge Fish adopte quant à lui une interprétation plus restrictive et limite le sens de ce mot au seul fait ou droit de posséder un bien et rejette l'interprétation du juge Chamberland (p.15):

With the greatest of respect, however, I do not believe that Parliament intended the word "enjoyment" in sec. 430(1)d) to bear all of the definitions given by general dictionaries such as Robert and Random House. It is not so much a matter, in my view, of giving the word its "ordinary meaning" or "sens commun", rather, we are required to determine the maning of the word in the particular context of sec. 430 of the Criminal Code. […]

[…] I do not beleive that "enjoyment" in sec. 430(1)d) refers to a purely subjective state, such as the nature or intensity of the pleasure derived from a property by its owner, possessor or occupant. Nor do I believe that a person who diminishes that pleasure, event knowingly, is liable for that reason alone to conviction for criminal mischief.

To conclude otherwise, in my respectful view, is to make of a crime in relation to property an offence against feelings and tastes. With respect for the views expressed by my colleague Chamberland, I would not interpret the law so broadly as to permit that result, and then impose on policemen and prosecutors the thankless task of enforcint it.

[40] Pour le juge Beauregard (p.9):

La difficulté du dossier ne réside pas dans l'interprétation des mots «emploi», «jouissance» et «exploitation» ou, en anglais, «use», «enjoyment» et «operation» du par. 430 (1)d) C.cr.

[41] Il poursuit ainsi (p.9):

La solution de la difficulté que pose le dossier réside plutôt dans la réponse à la question suivante. Lorsque l'appelant a ennuyé les Bélanger au moment où ceux-ci étaient sur leur terrain, voulait-il simplement les ennuyer, sans égard au fait qu'ils étaient sur leur terrain (dans ce cas l'appelant ne serait pas coupable), ou voulait-il les gêner dans la jouissance de leur terrain, ou, à tout le moins, savait-il qu'il les gênait dans cette jouissance (dans ce cas il y aurait culpabilité)?

Après réflexion je ne peux me défaire d'un doute à cet égard, doute qui profite à l'appelant.

[42] Le juge Beauregard fait donc droit à l'appel parce qu'il ne peut se défaire d'un doute quant à l'intention de l'appelant. La difficulté du dossier ne résidant pas pour lui dans l'interprétation des mots, il n'est pas étonnant que le juge Beauregard ne discute pas dans ses motifs de l'interprétation à donner au mot "jouissance", ni des opinions divergentes des juges Chamberland et Fish, et qu'il ne se prononce finalement pas sur la question.

[43] D'ailleurs, dans Maddeaux, le juge Austin écrira que l'opinion du juge Beauregard sur la question ne jaillit pas clairement de ses motifs (p.126):

I am not clear from his reasons what position Beauregard J.A. took on the significance of the word "enjoyment".

[44] Certains qualifient l'opinion du juge Chamberland de "dissidente" (voir notamment à 96 C.C.C. (3d) 554, p.563).

[45] Respectueusement, si le juge Chamberland est "dissident" sur le résultat de l'appel, il ne l'est certainement pas sur l'interprétation à donner au mot "jouissance", pas plus que le juge Fish. Chacun a simplement son opinion sur la question. Dans ces circonstances, j'estime que la Cour d'appel du Québec ne s'est pas prononcée clairement sur l'interprétation à donner au mot "jouissance" et donc, j'estime ne pas être lié par la décision de Drapeau.

[46] Dans Maddeaux, la Cour d'appel d'Ontario adopte clairement la position du juge Chamberland (p.127).

[47] Pour ma part, et avec respect pour l'opinion du juge Fish, pour les motifs énoncés par le juge Chamberland dans Drapeau, et par le juge Austin dans Maddeaux, j'adopte leur interprétation du mot "jouissance".

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

Revue de l'infraction de devoir de fournir les choses nécessaires à l’existence

R. v. Peterson, 2005 CanLII 37972 (ON CA) Lien vers la décision [ 34 ]           Section 215(1)(c) differs from section s. 215(1)(a), which ...