lundi 11 octobre 2010

Les droits et obligations découlant de l’alinéa 10b)

R. c. Willier, 2010 CSC 37

[29] L’alinéa 10b) vise à établir et à définir les droits et obligations qui découlent de la garantie. Dans Bartle, le juge en chef Lamer les a résumés du point de vue des obligations imposées aux représentants de l’État qui arrêtent une personne ou la mettent en détention (p. 192). L’alinéa 10b) impose à la police les obligations suivantes :

(1) informer la personne détenue de son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et de l’existence de l’aide juridique et d’avocats de garde;

(2) si la personne détenue a indiqué qu’elle voulait exercer ce droit, lui donner la possibilité raisonnable de le faire (sauf en cas d’urgence ou de danger);

(3) s’abstenir de tenter de soutirer des éléments de preuve à la personne détenue jusqu’à ce qu’elle ait eu cette possibilité raisonnable (encore une fois, sauf en cas d’urgence ou de danger).

[30] La première obligation touche à l’information, tandis que les deuxième et troisième participent de l’obligation de mise en application et ne prennent naissance que si les détenus indiquent qu’ils désirent exercer leur droit à l’assistance d’un avocat. Comme l’a expliqué la Cour dans R. c. Suberu, 2009 CSC 33, [2009] 2 R.C.S. 460, ces obligations s’appliquent dès l’arrestation d’une personne ou sa mise en détention, étant donné que « les problèmes de l’auto‑incrimination et de l’entrave à la liberté auxquels l’al. 10b) tente de répondre se posent dès la mise en détention » (par. 41).

[31] L’obligation d’information imposée à la police est relativement simple. Toutefois, si le détenu indique concrètement qu’il ne comprend pas son droit à l’assistance d’un avocat, la police ne peut se contenter de la récitation rituelle de la mise en garde relative à ce droit; elle doit en faciliter la compréhension : R. c. Evans, [1991] 1 R.C.S. 869. Par ailleurs, dans des circonstances particulières et bien définies, l’al. 10b) impose à la police une obligation d’information supplémentaire. Dans R. c. Prosper, [1994] 3 R.C.S. 236, le juge en chef Lamer a décrit cette obligation et les circonstances qui la font naître (p. 274) :

Dans les cas où la personne détenue a manifesté sa volonté de se prévaloir de son droit à l’assistance d’un avocat et où elle a été raisonnablement diligente dans l’exercice de ce droit sans pour autant réussir à joindre un avocat parce qu’aucun avocat de garde n’était disponible au moment de la détention, les tribunaux doivent s’assurer qu’on n’a pas conclu trop facilement à la renonciation au droit à l’assistance d’un avocat garanti par la Charte. En fait, ‘j’estime qu’il y aura naissance d’une obligation d’information supplémentaire de la part de la police dès que la personne détenue, qui a déjà manifesté son intention de se prévaloir de son droit à l’assistance d’un avocat, indique qu’elle a changé d’avis et qu’elle ne désire plus obtenir de conseils juridiques. À ce moment, la police sera tenue de l’informer de son droit d’avoir une possibilité raisonnable de communiquer avec un avocat et de l’obligation de la police, au cours de cette période, de s’abstenir, tant que la personne n’aura pas eu cette possibilité raisonnable de prendre toute déposition ou d’exiger qu’elle participe à quelque processus qui pourrait éventuellement être incriminant. Grâce à cette exigence supplémentaire en matière d’information imposée à la police, la personne détenue qui maintient qu’elle veut renoncer à son droit à l’assistance d’un avocat saura ce à quoi elle renonce.

[32] Par conséquent, lorsque le détenu qui a fait preuve de diligence mais n’a pas réussi à joindre un avocat change d’avis et décide de ne plus tenter de communiquer avec un avocat, l’al. 10b) oblige la police à l’informer expressément de son droit d’avoir une possibilité raisonnable de communiquer avec un avocat et de l’obligation de la police de suspendre ses questions jusque‑là. Cette obligation d’information supplémentaire, appelée obligation de faire une « mise en garde de type Prosper » dans le présent pourvoi, est justifiée dans de telles circonstances, car elle offre les garanties suivantes : le détenu est informé que ses tentatives infructueuses de joindre un avocat n’ont pas épuisé son droit garanti par l’al. 10b), le choix de parler à la police ne découle pas d’une telle méprise et la décision de renoncer au droit à l’assistance d’un avocat a été prise en toute connaissance de cause.

[33] Les détenus qui choisissent d’exercer leur droit garanti par l’al. 10b) en communiquant avec un avocat déclenchent les obligations de mise en application qui incombent à la police. Selon ces obligations, la police doit donner au détenu une possibilité raisonnable de communiquer avec un avocat et s’abstenir de lui poser des questions jusqu’à ce qu’il ait eu cette possibilité. Toutefois, ces obligations sont subordonnées à la diligence raisonnable dont fait preuve le détenu qui tente de communiquer avec un avocat : R. c. Tremblay, [1987] 2 R.C.S. 435; R. c. Black, [1989] 2 R.C.S. 138; R. c. Smith, [1989] 2 R.C.S. 368. Ce qui constitue une diligence raisonnable dans l’exercice du droit de communiquer avec un avocat dépend de l’ensemble des circonstances particulières. Comme le juge Wilson l’a affirmé dans Black :

Ces obligations des policiers sont soumises à une condition : l’accusé doit faire preuve de diligence raisonnable en tentant d’obtenir les services d’un avocat s’il souhaite le faire. Si l’accusé ne fait pas preuve de diligence à cet égard, l’obligation correspondante qu’ont les policiers de s’abstenir de l’interroger est suspendue: voir R. c. Tremblay, [1987] 2 R.C.S. 435. [p. 154‑155]

[34] Une telle limite aux droits d’un détenu est nécessaire, comme le juge Lamer (plus tard Juge en chef) l’a souligné dans Smith, : « puisque sans elle, il serait possible de retarder inutilement et impunément une enquête et même, dans certains cas, de faire en sorte qu’une preuve essentielle soit perdue, détruite ou impossible à obtenir. Les droits énoncés dans la Charte, et en particulier le droit à l’assistance d’un avocat, ne sont pas des droits absolus et illimités. Ils doivent être exercés d’une façon qui soit conciliable avec les besoins de la société » (p. 385).

[35] Si les détenus décident d’exercer leur droit à l’assistance d’un avocat en parlant à un avocat précis, l’al. 10b) leur accorde une possibilité raisonnable de communiquer avec l’avocat de leur choix avant d’être questionnés par la police. Si l’avocat choisi n’est pas immédiatement disponible, ils peuvent refuser de parler à un autre avocat et attendre pendant un délai raisonnable que l’avocat de leur choix leur réponde. Ce qui constitue un délai raisonnable dépend de l’ensemble des circonstances, notamment de facteurs comme la gravité de l’accusation et l’urgence de l’enquête : Black. Si l’avocat choisi n’est pas disponible dans un délai raisonnable, les détenus sont censés exercer leur droit à l’assistance d’un avocat en communiquant avec un autre avocat, sinon l’obligation qui incombe à la police d’interrompre ses questions est suspendue : R. c. Ross, [1989] 1 R.C.S. 3; et Black. Comme le juge Lamer l’a souligné dans Ross, le détenu doit également faire preuve de diligence dans l’exercice du droit à l’assistance de l’avocat de son choix :

Notons que comme l’a dit cette Cour dans l’arrêt R. c. Tremblay, [1987] 2 R.C.S. 435, un prévenu ou un détenu, bien qu’il ait le droit de choisir un avocat, doit faire preuve de diligence raisonnable dans l’exercice de ses droits, sinon les obligations corollaires qui, selon l’arrêt Manninen, sont imposées aux policiers, sont suspendues. La diligence raisonnable dans l’exercice du droit de choisir son avocat dépend de la situation dans laquelle se trouve l’accusé ou le détenu. Au moment de son arrestation, par exemple, le détenu a un besoin immédiat de conseils juridiques et doit faire preuve de diligence raisonnable en conséquence. Par contre, lorsqu’il cherche le meilleur avocat pour un procès, l’accusé n’est pas dans une telle situation d’urgence. Néanmoins, l’accusé ou le détenu a le droit de choisir son avocat et ce n’est que si l’avocat choisi ne peut être disponible dans un délai raisonnable qu’on doit s’attendre à ce que le détenu ou l’accusé exerce son droit à l’assistance d’un avocat en appelant un autre avocat. [p. 10‑11]

[41] Il est vrai que l’al. 10b) oblige la police à accorder au détenu une possibilité raisonnable de communiquer avec un avocat et à faciliter cette communication, mais il ne l’oblige pas à contrôler la qualité des conseils une fois la communication établie. La relation avocat‑client a un caractère confidentiel en raison du secret professionnel. Vu la nécessité de respecter l’intégrité de cette relation, la police ne saurait être tenue responsable, à titre d’arbitre, du contrôle de la qualité des conseils juridiques reçus par le détenu. Imposer une telle obligation à la police serait incompatible avec la nature confidentielle de la relation. On ne peut exiger de la police qu’elle impose une certaine norme qualitative à l’égard des conseils juridiques, et elle n’a pas le droit non plus de se renseigner sur la teneur des conseils donnés. Par ailleurs, même si une telle obligation était justifiée, la norme applicable quant au caractère suffisant n’est pas clairement établie. Dans R. c. G.D.B., 2000 CSC 22, [2000] 1 R.C.S. 520, par. 27, la Cour a reconnu l’existence du « large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable », de sorte que ce qu’on considère être des conseils raisonnables, suffisants ou adéquats est mal défini et très variable.

[42] Comme nous l’avons vu, l’al. 10b) vise à garantir que les détenus ont la possibilité d’être informés de leurs droits et obligations et d’obtenir des conseils sur la façon d’exercer ces droits et de remplir ces obligations. Toutefois, à moins qu’ils n’indiquent, avec diligence et raisonnablement, que les conseils reçus sont insuffisants, la police peut présumer qu’ils sont satisfaits de la façon dont ils ont exercé leur droit à l’assistance d’un avocat et elle a le droit de commencer l’entretien à des fins d’enquête. (...)

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