Buttino c. La Reine, 2000 CanLII 11366 (QC C.A.)
1. Toute personne détenue, arrêtée ou inculpée au Canada jouit du droit constitutionnel de garder le silence. Il s'agit d'un principe de justice fondamentale reconnu à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.
2. Le droit de garder le silence assure aux personnes interrogées, lorsqu'elles se trouvent détenues et donc sous le contrôle le plus complet des agents de l'État, le droit de choisir librement de leur parler ou non et, plus particulièrement, de répondre ou non à leurs questions.
3. Bien que le détenu ait antérieurement communiqué aux policiers son intention de ne pas répondre à leurs questions, dans l'état actuel de la jurisprudence, rien n'empêche les policiers d'essayer d'amener le détenu à changer d'idée.
4. Est donc permise «[l]a persuasion policière qui ne prive pas le suspect de son droit de choisir ni de son état d'esprit conscient…». Est par contre interdite, il va de soi, la «persuasion policière» ayant l'effet contraire, soit toute forme de pression ou contrainte, physique ou psychologique, ou toute ruse ou tout stratagème qui prive de fait le suspect de son droit de choisir librement ou de conserver son choix. Est illusoire, à mon avis, un droit constitutionnel dont les autorités policières peuvent impunément miner l'exercice. Ainsi, le droit au respect de son choix n'est pas, pour reprendre cette métaphore, un parapluie qu'on enlève lorsqu'il pleut.
5. Manifestement, les autorités ne peuvent prolonger indûment la détention du suspect à la seule fin de l'inciter à modifier son choix initial: tel que je l'ai exprimé ailleurs, "detention until confession is an unacceptable form of persuasion".
6. On ne peut opposer à l’accusé, lors de son procès, d’avoir exercé son droit de garder le silence. Ainsi, sous réserve de circonstances très particulières, on ne peut porter à la connaissance du jury que l’accusé a conservé le silence devant les questions des enquêteurs. On ne peut davantage mettre en preuve les raisons qui l’ont motivé à revendiquer son droit au silence.
7. Le poursuivant est tenu de communiquer à la partie défenderesse toute la preuve pertinente au litige dont il a connaissance -- qu’elle soit inculpatoire ou disculpatoire -- y compris les déclarations orales ou écrites faites par l’accusé à qui que ce soit.
8. À l'évidence, le ministère public n’est pas obligé de déposer en preuve au procès une déclaration faite par un accusé dont la valeur probante lui paraît minime relativement à la culpabilité du prévenu.
9. De même, le poursuivant peut faire le choix stratégique de ne pas déposer en preuve une déclaration à la fois inculpatoire et disculpatoire.
10. Par ailleurs, dès que le poursuivant souhaite utiliser au procès une déclaration faite par un accusé à une ou plusieurs personnes en autorité -- soit à titre de preuve incriminante proprement dite, soit à la seule fin d’attaquer la crédibilité de l'accusé qui choisit de témoigner en défense -- il doit en démontrer la recevabilité lors d’un voir-dire. Il doit alors faire la preuve de la déclaration en entier, qu’elle soit orale ou écrite. Doivent donc être prouvés les circonstances dans lesquelles elle a été faite de même que l’ensemble des paroles échangées entre les divers participants et intervenants. À ce propos, il ne suffit pas de faire la preuve de commentaires isolés présumés faits par un accusé sans que le contexte dans lequel ils ont été prononcés soit également porté à la connaissance du juge.
11. En outre, la discrétion du poursuivant en matière de choix stratégiques portant sur l’utilisation au procès d’une déclaration faite par un accusé n’est pas illimitée. La poursuite doit respecter les règles fondamentales de l’administration de la preuve. De cette façon, si une déclaration est jugée admissible au terme d’un voir-dire dûment tenu et que le ministère public souhaite la déposer en preuve dans le but d’incriminer l'accusé, il doit nécessairement le faire à l’occasion de la présentation de sa preuve à charge. En d'autres termes, le poursuivant n’est pas autorisé à scinder la preuve incriminante qu’il juge utile de présenter comme telle au jury. Qui plus est, il doit déposer en preuve l’ensemble de la déclaration -- les éléments inculpatoires autant que ceux qui sont disculpatoires -- et les circonstances dans lesquelles elle a été faite.
12. Si, par ailleurs, le ministère public ne souhaite se servir de la déclaration jugée admissible qu’en contre-interrogatoire de l’accusé, donc à la seule fin de porter une attaque contre sa crédibilité, il n'est pas tenu de porter à l'attention du juge des faits toute la déclaration. Il peut procéder au contre-interrogatoire au moyen des éléments inculpatoires uniquement. Étant donné que l’avocat de la partie défenderesse aura obtenu communication de la déclaration dans son entier, il lui sera loisible, en ré-interrogatoire de l'accusé, de faire ressortir tous les éléments disculpatoires que contient la déclaration.
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