R. c. Lafleur, 2005 CanLII 29347 (QC C.Q.)
[50] Dans l'arrêt R. c. Feeney 1997 CanLII 342 (C.S.C.), [1997] 2 R.C.S. 13, la Cour Suprême avait à examiner, entre autres, la validité d'une arrestation sans mandat effectuée dans un domicile, alors que les policiers étaient entrés de force sans détenir les motifs tant objectifs que subjectifs dans la commission par l'accusé d'un acte criminel.
[51] Règle générale, la Cour condamne les arrestations sans mandat dans une maison d'habitation en l'absence d'une annonce régulière, exception faite d'une situation de prise en chasse, auquel cas, il doit y avoir présence de motifs raisonnables et probables de croire à la commission de l'infraction par l'accusé avant l'entrée dans la résidence (cf. R. c. Macooh 1993 CanLII 107 (C.S.C.), [1993] 2 R.C.S. 802)
[52] Dans cet arrêt, la cour n'a pas jugé nécessaire d'examiner la notion de situation d'urgence et a réservé cette analyse pour le futur.
[53] L'arrêt Feeney ne peut recevoir application dans la présente affaire, étant donné que l'agent Comtois n'est pas entré de force dans la résidence de l'accusé et qu'il ne cherchait pas à l'arrêter, ni même à l'enquêter au moment où il pénètre dans la résidence.
[54] Investi des pouvoirs et des devoirs que lui confère la common law et que lui impose la loi (Loi sur la police, L.R.Q. Chap. P-13.1), l'agent de police doit assurer la sécurité des personnes.
Article 48 : Les corps de police, ainsi que chacun de leurs membres, ont pour mission de maintenir la paix, l'ordre et la sécurité publique, de prévenir et de réprimer le crime et, selon leur compétence respective énoncée aux articles 50 et 69, les infractions aux lois ou aux règlements pris par les autorités municipales, et d'en rechercher les auteurs.
Pour la réalisation de cette mission, ils assurent la sécurité des personnes et des biens, sauvegardent les droits et les libertés, respectent les victimes et sont attentifs à leurs besoins, coopèrent avec la communauté dans le respect du pluralisme culturel. Dans leur composition, les corps de police favorisent une représentativité adéquate du milieu qu'ils desservent.
[55] C'est ainsi que dans R. c. Godoy 1999 CanLII 709 (C.S.C.), [1999] 1 R.C.S. 311, ce devoir de protéger la vie a justifié l'entrée par la force dans une maison afin de s'assurer de la santé et de la sécurité d'une personne ayant composé le 911 (par. 22) même si aucune parole n'avait été prononcée lors de l'appel.
[56] L'urgence de la situation permettait de passer outre à l'autorisation légale ou l'absence de consentement de l'occupant, sans toutefois autoriser une fouille des lieux.
[57] Signalons que l'agent Comtois n'est pas entré de force dans la résidence, que son intention était d'assister l'ambulancière Lacombe à la prise des signes vitaux du conducteur impliqué dans un accident mortel et qu'en aucun temps, l'épouse de ce conducteur ne lui a fait obstruction, ni même manifesté son désaccord à cette présence.
[58] Au contraire, elle a participé à convaincre son mari à se laisser examiner et ultérieurement à collaborer avec l'agent lors de l'identification nécessaire et obligatoire compte tenu de l'accident.
[59] C'est donc sans hésitation que nous concluons que l'agent Comtois n'a pas pénétré illégalement à l'intérieur de la résidence de l'accusé. Eut-il pris le temps de sonner ou cogner à la porte, quant à nous le résultat aurait été le même, puisqu'il a été à l'intérieur accueilli par l'épouse de l'accusé et toléré par l'accusé lui-même jusqu'à ce qu'il réalise l'ampleur de la tragédie dont il était l'un des acteurs.
[60] La venue du policier à la recherche d'une victime potentielle d'un accident de la route réfugiée à l'intérieur d'un domicile dont il ne pouvait savoir être le sien ne constitue en aucun temps une violation de domicile.
[61] Une fois à l'intérieur, rapidement l'agent a observé des symptômes d'ébriété :
- haleine d'alcool;
- langage pâteux;
- confusion;
- incohérence;
- perte d'équilibre, vacillement;
- recherche lente de documents.
[62] Son analyse subjective de la situation avec les explications qu'il a fournies pour retarder l'arrestation de l'accusé ont fait en sorte que sa présence sur les lieux a été prolongée jusqu'à l'arrivée, par l'agent Giguère, de l'appareil de détection approuvé. On sait que le résultat «fail» obtenu après six (6) demandes et tentatives a contribué à transformer les soupçons de l'agent Comtois en motifs raisonnables et probables de croire à la conduite en état d'ébriété.
[63] Pendant cette période, il a reçu de l'accusé l'ordre de quitter les lieux.
[64] Selon la théorie de la défense, il est devenu un intrus, et si son entrée était jugée légale, son insistance à demeurer, elle, a porté atteinte à la vie privée de l'accusé. En d'autres termes, l'agent Comtois aurait dû, une fois les symptômes premiers observés, quitter les lieux afin d'obtenir un mandat d'arrestation ou en obtenir un par voie de télé-mandat.
[65] À notre avis, dans les minutes où l'agent Comtois est entré en contact avec le conducteur, les premiers symptômes observés atteignaient la norme objective et subjective nécessaire à l'élaboration de motifs raisonnables et probables de croire à la commission d'un acte criminel et justifiait l'arrestation sans mandat (cf. R. c. Storrey 1990 CanLII 125 (C.S.C.), [1990] 1 R.C.S. 241).
[66] La norme subjective appliquée par le policier était excessivement élevée et son désir de «blinder» son dossier n'a pas transformé sa présence, par ailleurs légale, sur les lieux en violation de domicile (cf. Feeney, précité par. 34).
[67] D'autre part, la détention pour enquête effectuée par l'agent Comtois, alors qu'il aurait pu procéder immédiatement à l'arrestation du suspect, n'entache pas plus la légalité de l'arrestation. En effet, les arrêts Feeney et Storrey (précités) reconnaissent ce pouvoir d'arrêter avant la fin de l'enquête, s'il existe au départ des motifs subjectifs et objectifs d'y procéder.
[68] Le Code criminel en son article 495(1) a prévu le pouvoir d'arrestation sans mandat par un agent de la paix et la jurisprudence a reconnu la possibilité que cette arrestation soit exécutée à l'intérieur du domicile «château fort», reconnaissons-le, du citoyen suspecté.
[69] Il s'agit d'une atteinte raisonnable à la vie privée justifiée par l'obligation des agents de la paix à rechercher, trouver et arrêter les auteurs de crimes sérieux qui pourraient rechercher la fuite et le refuge dans leur résidence.
[70] Toute autre conclusion conduirait à la situation aberrante où le fugitif, conscient de son acte fautif, pourrait trouver refuge chez lui et détruire la preuve, et par exemple, obtenir du délai pour empêcher la poursuite d'obtenir des échantillons valides d'haleine ou de sang.
[71] Comme mentionné précédemment, l'agent Comtois, au moment où il a procédé à l'entrée dans le domicile de l'accusé, de bonne foi, ne l'a pas fait par la force et non pas dans le but de procéder à une arrestation. Nous sommes très loin des circonstances des arrêts R. c. Kokesch 1990 CanLII 55 (C.S.C.), [1990] 3 R.C.S. 3 et R. c. Genest 1989 CanLII 109 (C.S.C.), [1989] 1 R.C.S. 59.
[72] Il avait le pouvoir de procéder à l'arrestation sans mandat de l'accusé et un mandat de perquisition, un mandat d'arrestation ou l'obtention d'un télé-mandat était inutile, voire nuisible à l'efficacité de l'enquête et à la récolte urgente de la preuve.
[73] Ayant acquis les motifs raisonnables et probables de croire à la commission d'un acte criminel, il avait le pouvoir et le devoir de préserver la preuve. À l'inverse, il ne pouvait détenir l'accusé afin de préserver la preuve, s'il n'avait pas acquis les motifs raisonnables et probables au préalable.
[74] De plus, signalons que le Code de la sécurité routière en son article 168 et le Code criminel en son article 252 obligeait l'accusé à demeurer sur les lieux. Compte tenu de notre conclusion sur la légalité de l'arrestation, nous ne croyons pas utile d'analyser le pouvoir de l'agent Comtois d'exercer une arrestation sans mandat pour ces motifs.
[75] En terminant, remarquons que l'arrestation s'est faite de manière non abusive, de façon civilisée et respectueuse de la dignité humaine.
[76] Ainsi, l'analyse quant à l'exclusion de la preuve en vertu de l'article 24(2) de la Charte n'étant pas nécessaire quant à cet aspect de la requête, nous procéderons à l'analyse des arguments en regard de la «fouille» dans le véhicule de l'accusé.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire