lundi 7 septembre 2009

Analyse relative à l'article 9 de la Charte- Textes législatifs pouvant fonder l'intervention policière

R. c. Briand, 2005 CanLII 21597 (QC C.Q.)

[28] Le Code de la sécurité routière et la Loi sur la police autorisent-ils l'intervention policière sous étude ?

1.2.1 Code de la sécurité routière

[29] Il y a lieu de reproduire les articles 1, 4, 35, 36, 97, 102, 636 et 636.1 du Code de la sécurité routière, L.R.Q., c. C-24.2.

1. Véhicules et piétons. Le présent code régit l'utilisation des véhicules sur les chemins publics et, dans les cas mentionnés, sur certains chemins et terrains privés ainsi que la circulation des piétons sur les chemins publics.

Objet. Il établit les règles relatives à la sécurité routière, à l'immatriculation des véhicules routiers et aux permis et licences dont l'administration relève de la Société de l'assurance automobile du Québec ainsi qu'au contrôle du transport routier des personnes et des marchandises.

. . .

4. Interprétation. Dans le présent code, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par les mots :

«chemin public» : la surface de terrain ou d'un ouvrage d'art dont l'entretien est à la charge d'une municipalité, d'un gouvernement ou de l'un de ses organismes, et sur une partie de laquelle sont aménagées une ou plusieurs chaussées ouvertes à la circulation publique des véhicules routiers et, le cas échéant, une ou plusieurs voies cyclables, à l'exception :

. . .

35. Certificat et attestation d'assurance. La personne qui conduit un véhicule routier ou qui en a la garde ou le contrôle doit avoir avec elle le certificat d'immatriculation du véhicule, sauf dans les dix jours de l'immatriculation, ainsi que l'attestation d'assurance ou de solvabilité prévue par la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25).

. . .

Lieux de circulation publique. En outre des chemins publics, le présent article s'applique sur les chemins privés ouverts à la circulation publique des véhicules routiers ainsi que sur les terrains de centres commerciaux et autres terrains où le public est autorisé à circuler. Il s'applique également sur les chemins soumis à l'administration du ministère des Ressources naturelles ou entretenus par celui-ci.

36. Examen. La personne qui conduit un véhicule routier ou qui en a la garde ou le contrôle doit, à la demande d'un agent de la paix, lui remettre pour examen les pièces visées à l'article 35.

97. Nécessité du permis. La personne qui conduit un véhicule routier ou qui en a la garde ou le contrôle doit avoir avec elle son permis.

Chemin à circulation publique. En outre des chemins publics, le présent article s'applique sur les chemins soumis à l'administration du ministère des Ressources naturelles ou entretenus par celui-ci, sur les chemins privés ouverts à la circulation publique des véhicules routiers ainsi que sur les terrains de centres commerciaux et autres terrains où le public est autorisé à circuler.

102. Remise du permis. Les personnes visées dans les articles 97 et 100 doivent, à la demande d'un agent de la paix, remettre leur permis pour examen.

Remise du permis. L'agent doit remettre ce permis à son titulaire dès qu'il l'a examiné.

636. Immobilisation d'un véhicule routier. Un agent de la paix, identifiable à première vue comme tel, peut, dans le cadre des fonctions qu'il exerce en vertu du présent code et de la Loi concernant les propriétaires et exploitants de véhicules lourds (chapitre P-30.3), exiger que le conducteur d'un véhicule routier immobilise son véhicule. Le conducteur doit se conformer sans délai à cette exigence.

636.1 Tests de coordination. Un agent de la paix qui a des raisons de soupçonner la présence d'alcool dans l'organisme de la personne qui conduit un véhicule routier ou qui en a la garde ou le contrôle peux exiger que cette personne se soumette sans délai aux tests de coordination physique raisonnables qu'il lui indique, afin de vérifier s'il y a lieu de la soumettre aux épreuves prévues à l'article 254 du Code criminel (Lois révisées du Canada (1985), chapitre C-46). Cette personne doit se conformer sans délai à cette exigence.

Chemins à circulation publique. En outre des chemins publics, le présent article s'applique sur les chemins soumis à l'administration du ministère des Ressources naturelles ou entretenus par celui-ci, sur les chemins privés ouverts à la circulation publique des véhicules routiers ainsi que sur les terrains de centres commerciaux et autres terrains où le public est autorisé à circuler.

[30] Il faut aussi souligner que l'art. 636 C.S.R. "constitutes legislative authority for the roving random stop of a motorist to verify sobriety".

[31] Afin de décider si l'agent de la paix agissait en vertu du Code de la sécurité routière, il faut déterminer où était l'automobile lorsque l'agent a interpellé le conducteur et non pas où l'automobile a finalement décidé de s'immobiliser. Le résultat serait incongru si le conducteur n'avait qu'à immobiliser son véhicule dans un stationnement privé afin de déjouer l'agent de la paix qui signalerait à un automobiliste circulant sur la voie publique de s'arrêter.

[32] D'entrée de jeu, mentionnons que l'automobile et son conducteur étaient dans une entrée privée au moment où les policiers ont signalé leur présence. Or, ce terrain privé n'entre pas dans la définition de "chemin public" (art 4 CSR) ni de "lieux à circulation publique" (art 35 CSR) ni de "chemin à circulation publique" (art 97 CSR).

[33] Tout en se mettant en garde contre une interprétation trop restrictive de l'art. 636 CSR, il n'en demeure pas moins que la preuve révèle que toute l'interpellation policière auprès de l'accusé a eu lieu sur un terrain privé alors que le conducteur avait déjà immobilisé son véhicule de sa propre volonté et sans contrainte.

[34] Avant l'intervention proprement dite sur le terrain de l'accusé, aucune action policière ayant pour objet d'exiger que le conducteur immobilise son véhicule n'a eu lieu alors que le véhicule circulait sur la voie publique.

[35] La preuve révèle que les policiers n'ont pas eu recours aux gyrophares pour signaler sur le chemin public leur présence au conducteur et ainsi lui intimer l'ordre de s'arrêter.

[36] Dès lors, on ne peut inférer de la preuve que l'accusé savait ou aurait dû savoir être l'objet d'une poursuite policière. Rien dans la preuve n'établit que le conducteur savait ou aurait dû savoir que des policiers exigeaient qu'il immobilise son véhicule.

[37] Dans l'affaire de La Reine c. Luc Lacasse, le Juge Bellavance s'exprime ainsi aux pages 15 et 16 de sa décision :

"Qui plus est, l'interpellation faite n'a pas résulté en l'immobilisation du véhicule par le conducteur suite à un ordre en ce sens d'un agent de la paix. L'interpellation n'a pas précédé cette immobilisation, elle l'a suivie. On peut ici considérer qu'une interpellation se fait lors de la connaissance par le suspect des intentions des agents ou au plus tôt, au moment où les agents posent des gestes, par exemple l'utilisation de gyrophares ou d'un avertisseur sonore, perceptibles pour le suspect et non au moment ou les agents ont décidé de l'interpeller. Dans cette dernière hypothèse, les policiers pourraient porter atteinte à des droits fondamentaux uniquement en y pensant.

Dans le présent dossier, le conducteur était déjà rendu chez lui, et n'ayant plus la garde de son véhicule même si ce n'est que depuis une fraction de seconde, et n'ayant pas immobilisé son véhicule suite à un ordre sous 636, on ne peut utiliser 636.1 pour légitimer la preuve recueillie par la suite."

[38] À propos de l'article 636 CSR, aux pages 17 et 18 de sa décision, le Juge Bellavance se dit d'avis que cet article, dans sa forme actuelle, ne décerne pas une licence générale d'arrestation et qu'il doit être utilisé strictement dans le cadre des fonctions que l'agent exerce en vertu du Code de la sécurité routière.

[39] Les dispositions précitées du Code de la sécurité routière confèrent des pouvoirs à un agent de la paix "dans le cadre des fonctions qu'il exerce en vertu du présent code" sur un chemin public et non sur un terrain privé.

[40] Compte tenu des circonstances, une seule conclusion s'impose :

La demande adressée à l'accusé par l'agent de police de lui remettre pour examen le certificat d'immatriculation du véhicule, l'attestation d'assurance et son permis de conduire n'est pas légalement fondée sur les dispositions du Code de la sécurité routière.

1.2.2 Loi sur la police


[41] Qu'en est-il de la Loi sur la police ?

[42] Les articles 48 et 50 de la Loi sur la police, L.R.Q., c. P-13.1 se lisent ainsi :

48. Les corps de police, ainsi que chacun de leurs membres, ont pour mission de maintenir la paix, l'ordre et la sécurité publique, de prévenir et de réprimer le crime et, selon leur compétence respective énoncée aux articles 50 et 69, les infractions aux lois ou aux règlements pris par les autorités municipales, et d'en rechercher les auteurs.

Pour la réalisation de cette mission, ils assurent la sécurité des personnes et des biens, sauvegardent les droits et les libertés respectent les victimes et sont attentifs à leurs besoins, coopèrent avec la communauté dans le respect du pluralisme culturel. Dans leur composition, les corps de police favorisent une représentativité adéquate du milieu qu'ils desservent.

50. La Sûreté du Québec, corps de police national, agit sous l'autorité du ministre de la Sécurité publique et a compétence pour prévenir et réprimer les infractions aux lois sur l'ensemble du territoire du Québec.

La Sûreté a également compétence pour prévenir et réprimer les infractions aux règlements municipaux applicables sur le territoire des municipalités sur lequel elle assure des services policiers.

[43] Ces dispositions de la Loi sur la police reproduisent les pouvoirs des agents de la paix en vertu de la common law.

[44] Comme le mentionne Monsieur le Juge Le Dain dans l'arrêt Dedman, précité, au paragraphe 68, la surveillance de la circulation entre dans le cadre général des devoirs d'un agent de police en vue de prévenir les infractions et de protéger la vie des personnes et la propriété.

[45] Toutefois, considérant les faits mis en preuve, le Tribunal ne peut concevoir comment "la mission de maintenir la paix, l'ordre et la sécurité publique" justifie l'intrusion d'agents de la paix sur le terrain privé d'un individu dans le but de demander la remise pour examen du certificat d'immatriculation d'une automobile, de l'attestation d'assurance et du permis de conduire du conducteur sans autre motif sérieux que de l'avoir vu conduire.

[46] Enfin, la preuve est nettement insuffisante pour conclure que l'intervention policière visait à prévenir ou à réprimer le crime ou une infraction comme c'était le cas dans les arrêts R. c. Godoy, 1999 CanLII 709 (C.S.C.), (1999) 1 R.C.S. 311, Cotnoir c. R., (2000) R.J.Q. 2488, AZ-50078894, J.E. 2000-1889, C.A.Q., autorisation d'appeler refusée (2001) 1 R.C.S. ix et R. c. Bilodeau, AZ-50274965, J.E. 2004-1990, C.A.Q.

[47] Compte tenu des faits mis en preuve, il y a lieu de conclure que les dispositions précitées de la Loi sur la police ne peuvent légitimer l'intervention policière sous étude.

[48] En vertu des textes législatifs cités, le Tribunal tire la conclusion que l'agent de la paix n'avait pas le droit de demander à l'accusé de lui remettre pour examen le certificat d'immatriculation, l'attestation d'assurance et son permis de conduire.

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