R. c. Paré, 2008 QCCS 87 (CanLII)
[26] Une analyse récente de la jurisprudence, émanant de toutes les provinces canadiennes, nous permet de constater que les peines, en semblables matières, varient de la simple ordonnance de probation jusqu'à des périodes de 4 ou 5 ans de détention, selon la situation du délinquant, ses antécédents judiciaires, le niveau de sophistication du processus de production, la quantité de substances saisies, leur valeur au marché. On reconnaît aussi généralement, que ce sont, en pareils cas, les facteurs de dénonciation et de dissuasion qui doivent primer.
[27] Nos tribunaux constatent aujourd'hui que la production de marijuana a atteint un niveau tel, qu'elle est devenue épidémique et que sa mise en marché et sa consommation presque généralisées ont pu devenir une source de problèmes sans nombre pour de plus en plus nombreuses familles canadiennes et québécoises.
[28] Notre Cour d'appel affirmait déjà dans l'arrêt Valence, il y a de cela quelques années :
« Les crimes de cette nature sont en progression constante et produisent des conséquences qui visent de plus en plus les jeunes dans notre société. Non seulement plusieurs jeunes sont-ils de la sorte invités à consommer de la drogue mais cette consommation en amène certains à commettre d'autres crimes et à varier le type de drogue qu'ils consomment.
Conscients de l'impact sur la vie des deux accusés que représente leur plaidoyer de culpabilité et des conséquences d'un emprisonnement ferme, nous sommes tout de même d'avis que le juge de première instance a prononcé une peine inappropriée dans les circonstances et qu'il y a lieu d'intervenir. »
[29] Il semble toutefois que le message ne passe pas et que, malheureusement, cette pratique est presque maintenant, partout au Canada, chose courante et dont on a tendance à minimiser les impacts.
[30] Monsieur le juge Trudel constate ce qui suit dans l'affaire Ayotte:
« Ce constat n'est-il pas le lot quotidien des tribunaux québécois et canadiens siégeant en matière criminelle que ce soit à la chambre de la jeunesse ou à la chambre criminelle pour adulte. Rares sont les cas, dans une journée ordinaire qui seront traités à quelques stades de la procédure que ce soit dans lesquels la toxicomanie même à une drogue douce tel le cannabis, ne sera pas invoquée comme étant la cause ou une des causes prédominantes du passage à l'acte des délinquants.
D'ailleurs, les autorités scolaires, scientifiques et gouvernementales évoquent de plus en plus le nombre croissant d'étudiants consommant de la marijuana et les problématiques que cela engendre. »
[31] Son collègue, Monsieur le juge Decoste décrit le phénomène de la façon suivante dans l'affaire Morin.
« On voudrait, dans certains milieux, banaliser le problème que constitue la consommation de stupéfiants dans notre société et laisser croire en somme qu'il ne s'agit que d'une sorte de relaxant. C'est oublier les effets néfastes qu'en subissent non seulement la jeunesse, mais toutes les couches de la communauté. C'est surtout oublier que le lucratif commerce de la drogue, qui enrichit les milieux criminalisés, est la première cause de criminalité sous toutes ses formes. »
[32] Monsieur le juge Hood de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, passe en revue, dans l'affaire Readhead, la jurisprudence appliquée en semblables matières pour ensuite se poser la question suivante : y a-t-il lieu de rectifier le tir ?
[33] Readhead a été trouvé coupable de possession de marijuana dans le but de trafic et d'avoir fait la production de marijuana. Il faisait la culture dans sa résidence de Port Alberni. On y a découvert, dans le sous-sol, une modeste mais très sophistiquée plantation. On y a saisi 59 plants de 3 pieds, presque prêts à être récoltés et dont la valeur a été évaluée approximativement entre 35 000 et 45 000 $ ainsi qu'une centaine de grammes de marijuana. Readhead était impliqué dans les activités reliées aux drogues depuis 26 ans. Il avait déjà été condamné en 1980, 1986, 1988 et même en 1994, pour une accusation de culture de marijuana à la même adresse. Sa peine avait alors été fixée à une ordonnance de probation d'une durée d'une année.
[34] Readhead était âgé de 44 ans, charpentier de métier, sans dépendant. Son métier lui procurait un revenu de 500 $ par semaine alors qu'il a envisagé un gain de 32 000 $ net de sa culture illicite.
[35] Après avoir considéré certaines décisions de principe de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, et particulièrement R. v. Su, Monsieur le juge Hood écrit :
« [TRADUCTION] Une comparaison avec d'autres causes similaires ne peut être la seule mesure de limite appropriée. La limite peut changer selon les circonstances sociales, y compris les préoccupations de la société quant à la vague de crimes d'un genre particulier. »
[36] Monsieur le juge Hood répond ensuite de la façon suivante à la question qu'il se pose:
« [TRADUCTION] À mon avis, la réponse à cette question est incontestable. Il est notable, selon moi, qu'au long de la dernière décennie les peines prononcées pour ces graves délits n'ont généralement pas été efficaces. Ces peines n'ont pas démontré la gravité de tels délits, étant donné leur prépondérance croissante à l'époque, et n'ont protégé ni le public ni, effectivement, l'intégrité du système judiciaire.
Les tribunaux de la Colombie-Britannique ont expérimenté des cas innombrables où l'exploitation de la culture de stupéfiants prospère dans telle communauté comme dans telles autres à-travers la province. Il s'agit d'un commerce à la fois florissant et à risques minimes, même si un trafiquant ou un producteur est appréhendé ou reconnu coupable.
Finalement, les peines infligées n'ont pas réussi à atteindre les principes ou les objectifs de la condamnation. Elles ont failli à la tâche de dissuader les contrevenants et, pire encore, ont échoué à dénoncer la conduite illégale de ceux qui pratiquent ce commerce.
[…]
Je considère cette situation critique. En effet, on peut argumenter sur le fait que ces peines, ou du moins bon nombre d'entre elles, ont pour résultat, au lieu de les dissuader, d'encourager des personnes à adhérer à l'exploitation de la culture de stupéfiants. Ils peuvent réaliser des profits rapides et considérables et relativement peu risqués. Ce qui arrive lorsqu'un d'eux est appréhendé ou reconnu coupable ne représente pas plus qu'une tape sur les doigts, ce qui est perçu comme un prix très minime ou généreux pour monter une entreprise très lucrative. Ce commerce a également un impact négatif sur les communautés de quartiers et constitue un danger sérieux pour ces communautés.
À mon avis, on ne peut faire face à cette crise ou la surmonter qu'en augmentant les peines et, par conséquent, la durée des peines, de sorte qu'elles soient proportionnées aux crimes qu'elles visent à attaquer. Ceci aidera à rétablir le respect de la loi et le maintien d'une société juste, paisible et sécuritaire en dissuadant le contrevenant et en dénonçant sa conduite tout en le soutenant dans sa réhabilitation, si possible. De plus, cela peut contribuer à dissuader d'autres personnes qui désirent s'impliquer dans l'exploitation de la culture des stupéfiants ou dans le trafic de ses dérivés. À mon avis, le principal outil ou moyen d'y parvenir consiste en une période d'emprisonnement notable ou importante. Ces personnes qui projettent de commettre ces graves délits doivent clairement comprendre qu'en y adhérant, il y aura réellement un prix à payer si jamais elles sont appréhendées et qu'à ce moment-là il s'agira réellement d'une période d'emprisonnement. Considérant ce qui précède, j'estime que l'augmentation des peines de façon minimale aurait peu d'effet face au problème. »
[37] Readhead a été ainsi condamné à une peine d'emprisonnement de 3 ans.
[38] Je partage l'opinion de Monsieur le juge Hood à l'effet que des peines appropriées doivent être prononcées en semblables matières afin de maintenir l'intégrité du système de justice ainsi que la confiance du public envers l'administration de la justice au Québec.
[39] Il est temps que cesse la banalisation du phénomène et que les choses soient replacées dans leur juste proportion. La production de marijuana est un crime sérieux qui prend des proportions épidémiques dans toutes les régions de la province. C'est une porte ouverte sur le monde de la criminalité et une source de malheur de tous genres pour de nombreuses familles.
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