mardi 6 avril 2010

Revue de la jurisprudence sur la question de garde et contrôle en matière de capacités affaiblies

Cyr c. R., 2010 QCCS 752 (CanLII)

[31] Cette affaire soulève la question de la preuve requise pour conclure, hors de tout doute raisonnable, qu’une personne a la garde ou le contrôle d’un véhicule à moteur alors que sa capacité de conduire ce véhicule est affaiblie par l’effet de l’alcool ou d’une drogue ou lorsqu’elle a consommé une quantité d’alcool telle que son alcoolémie dépasse 80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang.

[32] L’article 258 (1) a) du Code criminel facilite la tâche du ministère public; il édicte une présomption de garde opposable à la personne qui occupe la place ou la position du conducteur d’un véhicule automobile.

[33] L’accusé peut se libérer de cette présomption en démontrant, par prépondérance des probabilités, son absence d’intention de mettre le véhicule en marche. S’il réussit, il appartient au ministère public de prouver autrement, hors de tout doute raisonnable, cet élément essentiel de l’accusation qu'est la garde ou le contrôle d'un véhicule automobile.

[34] À ce sujet, le juge Jerry Zigman, j.c.s, dans un jugement rendu le 26 mai 2005 dans R. c. Marcoux, écrit aux paragraphes 8, 10, 11, 12, 13 et 14 ce qui suit :

[8] La jurisprudence est claire. Même sans le bénéfice de la présomption légale de garde ou de contrôle d’un véhicule à moteur, la Couronne peut prouver la garde ou le contrôle en mettant en preuve des actes de garde ou de contrôle tels que définis dans l’arrêt Toews, (1985) 2 RCS 119 , de la Cour suprême du Canada, c’est-à-dire d’actes qui comportent une certaine utilisation du véhicule, ou de ses accessoires qui comporteraient le risque de le mettre en mouvement, de sorte qu’il puisse devenir dangereux.

(…)

[10] Toews, supra, nous dit à la page 126 :

«… la jurisprudence citée illustre le point et amène à conclure que les actes de garde ou de contrôle, hormis l’acte de conduire, sont des actes qui comportent une certaine utilisation du véhicule ou de ses accessoires, ou une conduite quelconque à l’égard du véhicule qui comporterait le risque de le mettre en mouvement de sorte qu’il puisse devenir dangereux. Chaque affaire sera décidée en fonction de ses propres faits et les circonstances où l’on pourra conclure qu’il y a des actes de garde ou de contrôle varieront beaucoup.»

[11] Dans R. c. Vaillant, No. 500-36-003009-035, jugement rendu le 3 novembre 2003, l’honorable Richard Grenier, J.C.S., a dit aux paragraphes 22 et 29 :

« 22 Il faut comprendre que la mens rea de l’infraction, d’avoir la garde ou le contrôle d’un véhicule à moteur, est l’intention d’assumer la garde ou le contrôle dudit véhicule, après avoir volontairement consommé de l’alcool ou une drogue. La Cour d’appel du Québec, dans l’arrêt Hamel …, établit clairement que le risque auquel on réfère n’est pas le risque accidentel de mettre le véhicule en mouvement, mais plutôt le risque qu’une personne dont le jugement est altéré par l’alcool et qui a les moyens de mettre le véhicule en mouvement, ne le fasse.



29 Avec respect pour l’opinion contraire, le Tribunal est d’avis que le juge de première instance a erré, en imposant à la poursuite le fardeau de démontrer, hors de tout doute raisonnable, un risque réel de mise en mouvement. Il aurait plutôt dû se demander si la poursuite avait démontré, selon son fardeau, que l’accusé s’était placé dans une situation susceptible de devenir dangereuse, compte tenu des circonstances mises en preuve.»

[12] Dans Hamel, No. 200-10-000029-947, un jugement rendu le 2 septembre 1997, la Cour d’appel du Québec a dit :

«Il n’est pas requis que cette personne ait l’intention immédiate de mettre le véhicule en marche puisque la disposition vise à empêcher qu’une personne en état d’ébriété qui est en présence immédiate d’un véhicule et qui a le moyen de le contrôler ou de le mettre en mouvement, ne devienne un danger pour le public.»

[13] La Cour Suprême du Canada a dit dans Ford (1982) 1 R.C.S. 231 aux pages 248 et 249 :

«Il n’est pas non plus nécessaire, à mon avis, que la poursuite fasse la preuve de l’intention de mettre le véhicule en marche pour que soit reconnue coupable une personne accusée, en vertu du par. 236(1), d’avoir eu la garde d’un véhicule à moteur alors que son taux d’alcoolémie dépassait 80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang. Il peut y avoir garde même en l’absence de cette intention lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, un accusé accomplit un acte ou une série d’actes ayant trait à l’utilisation du véhicule ou de ses accessoires, qui font que le véhicule peut être mis en marche involontairement, créant le danger que l’article vise à prévenir.»

[14] L’honorable juge Fish, siégeant alors à la Cour d'appel du Québec, écrivait dans R. v. Drakes (1991) 69 C.C.C. (3d) 274 à la page 285:

«An intent to set the vehicle in motion is not an essential ingredient of the mens rea and a specific, overt act, aimed at moving the vehicle or starting its motor for that purpose, is not a constituent element of the actus reus. The offense is complete if, with an excessive blood-alcohol level, the accused is shown to have been involved in "some course of conduct associated with the vehicle which would involve a risk of putting the vehicle in motion so that it could become dangerous”.»

[35] Dans un arrêt du 13 décembre 2005, Sergerie c. R., la Cour d’appel du Québec reprend ce que soulignait le juge Bastarache, alors à la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick dans R. c. Clarke, au paragraphe 9 :

Pour le déclarer coupable, il n’est pas nécessaire de prouver que le délinquant créait un danger immédiat pour le public. Ce qui constitue un problème de sécurité publique, c’est la possibilité que le véhicule soit mis en mouvement, délibérément ou non, par une personne en état d’ébriété.

* * *

[38] Toutefois, la lecture complète de la décision fait voir que le juge a considéré que l’ensemble des faits mis en preuve, les facultés affaiblies, le lieu où l’appelant se trouve, le moment de l’interception, l’absence d’alternative pour retourner chez lui, l’amène à conclure que ce dernier constitue un problème de sécurité publique, qu’il s’est placé dans une situation susceptible de devenir dangereuse, compte tenu de toutes les circonstances mises en preuve.

* * *

[40] Dans Genois-Pelletier c. R., le juge Louis De Blois, j.c.s., a accueilli un appel à l’encontre de verdicts de culpabilité et a prononcé des verdicts d’acquittement à l’égard d’accusations semblables à celles du présent dossier, commises dans les circonstances suivantes : les policiers trouvent l’appelant vers 3 h 25 endormi derrière le volant de son véhicule automobile, les clés sous lui, le siège abaissé vers l’arrière; le véhicule se trouve au milieu du stationnement d'un salon de quilles; aucun équipement ou accessoire ne fonctionne.

[41] Le juge de première instance n’avait toutefois pas tenu compte de l’affirmation de l’appelant qu’il avait prévu aller dormir chez une amie, voisine du salon de quilles, chez qui il avait passé une partie de la soirée avant de se rendre jouer aux quilles, affirmation confirmée par la voisine.

[42] Dans Lavoie c. R., le juge Jacques L. Lévesque, j.c.s., a accueilli un appel à l’encontre de verdicts de culpabilité et a prononcé l’acquittement de l’appelant à l’égard d’accusations, aussi similaires aux présentes, parce que l’appelant a été retrouvé endormi, allongé sur le siège du conducteur de son véhicule, en état d’ébriété, dans l’espace de stationnement d’un hôtel, sans que les clefs ne se trouvent dans le dispositif d’ignition et sans qu’il ait mis en marche quelque mécanisme du véhicule, alors qu’il attendait la venue d’un bon samaritain qui avait accepté de le prendre en charge. Le bon samaritain en question était la sœur de l’appelant, avec qui ce dernier s’était déplacé en matinée, le jour de son arrestation, de Notre-Dame-du-Lac à Rivière-du-Loup et à qui il venait de téléphoner, 40 minutes avant l’intervention policière, pour qu’elle vienne le chercher, prenne en charge le véhicule automobile et le conduise à Notre-Dame-du-Lac, version confirmée par la sœur en question et une belle-sœur.

[43] Saisi d’une requête pour permission d’appeler de ce jugement, un juge de la Cour d’appel l’a rejetée pour le motif suivant :

[1] Après étude du dossier et audition des avocats, j’estime que la requête ne démontre pas un intérêt suffisant pour que soient examinées les questions qu’elle soulève;

[44] Toutefois, dans Cloutier c. R., le même juge Lévesque a reconnu l’accusé en première instance, appelant devant lui, coupable de l’infraction « d’avoir eu la garde et le contrôle d’un véhicule à moteur, alors que ses facultés étaient affaiblies par l’effet de l’alcool » commise dans les circonstances suivantes : monsieur Cloutier après un « party d’employés » se trouve assis derrière le volant d’un véhicule automobile dont le moteur et les phares sont éteints, garé dans le stationnement d’un restaurant; au moment de son interception, il déclare aux policiers qu’il attend quelqu’un pour le raccompagner chez lui; la preuve révèle l’existence d’un service de raccompagnement; un témoin, monsieur Bériard, qui a quitté les lieux avant l’intervention policière, confirme les intentions de monsieur Cloutier. Le juge Lévesque tranche comme suit :

[16] La preuve établit toutefois, hors de tout doute raisonnable, que monsieur Cloutier avait la garde et le contrôle de son véhicule alors que ses facultés étaient affaiblies par l'alcool. Il était en effet, dans cet état, assis, à la place réservée au conducteur, et avait les clés du véhicule en sa possession.

[17] Cela est suffisant, à la lumière des enseignements de notre Cour d'appel, dans l'arrêt Rioux , pour qu'il soit trouvé coupable de l'infraction incluse. En effet, même si le témoignage de Monsieur Périard peut confirmer qu'il n'était pas dans l'intention de monsieur Cloutier de conduire son véhicule, il avait ses clés à portée de la main et pouvait, à tout moment, changer d'idée de sorte qu'il puisse mettre son véhicule en marche et qu'il devienne dangereux.

[45] La Cour d’appel a rejeté l’appel de l’appelant

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