samedi 2 octobre 2010

Il n’est pas permis de tenir pour acquis que l’accusé va mentir pour obtenir son acquittement pour la simple raison que, en tant qu’accusé, son intérêt dans l’issue dicte cette action

R. c. Laboucan, 2010 CSC 12, [2010] 1 R.C.S. 397

[11] Le bon sens veut que l’intérêt d’un témoin dans l’issue de l’instance soit un élément pertinent à prendre en compte, parmi d’autres, dans l’évaluation de la crédibilité de son témoignage. Le juge des faits ne devrait cependant pas accorder un poids exagéré à la situation d’une personne dans l’instance comme facteur de crédibilité. Il serait erroné, par exemple, de faire reposer une conclusion relative à la crédibilité du témoignage d’un parent ou d’un conjoint uniquement sur la relation entre ce témoin et le plaignant ou l’accusé. Il faut tenir compte de tous les éléments pertinents lorsqu’on évalue la crédibilité.

[12] La proposition de bon sens suivant laquelle l’intérêt d’un témoin dans l’instance peut influer sur la crédibilité vaut aussi pour l’accusé qui témoigne pour sa propre défense. Le fait que le témoin soit l’accusé suscite toutefois une difficulté particulière, tenant au fait que l’accusé innocent et l’accusé coupable ont tous deux intérêt à ne pas être déclarés coupables. L’accusé innocent a même davantage intérêt à obtenir un acquittement. Par conséquent, le fait de tenir pour acquis qu’un accusé va mentir pour obtenir son acquittement porte nécessairement atteinte à la présomption d’innocence, puisque la personne innocente peut vraisemblablement se contenter de dire la vérité pour atteindre ce résultat. Dans R. c. B. (L.) reflex, (1993), 13 O.R. (3d) 796 (C.A.), la juge Arbour (alors juge à la Cour d’appel de l’Ontario) a décrit d’une façon concise le danger inhérent de prendre en considération les raisons de l’accusé découlant de son intérêt dans l’issue du procès. Dans un passage fréquemment cité, elle a écrit ceci (p. 798‑799) :

[traduction] Il n’est pas permis de tenir pour acquis que l’accusé va mentir pour obtenir son acquittement pour la simple raison que, en tant qu’accusé, son intérêt dans l’issue dicte cette action. Cela porterait atteinte à la présomption d’innocence et imposerait un désavantage presque insurmontable à l’accusé. Ce dernier a de toute évidence intérêt à être acquitté. Pour atteindre ce résultat, il pourrait devoir témoigner pour répondre à la preuve de la poursuite. Cependant, on ne peut tenir pour acquis que l’accusé doit mentir pour être acquitté, à moins que sa culpabilité ne fasse plus de doute. Si le juge du procès arrive à la conclusion que l’accusé n’a pas dit la vérité lors de son témoignage, l’intérêt qu’a l’accusé à obtenir son acquittement peut constituer l’explication la plus plausible de ce mensonge. On ne peut cependant pas, à partir de l’explication d’un mensonge, tenir pour acquis qu’il y aura un mensonge.

[13] L’avocate de M. Laboucan soutient qu’il est intrinsèquement erroné, dans tous les cas, de prendre en considération l’intérêt de l’accusé dans l’issue du procès, parce qu’aucune inférence utile ne peut être tirée de ce fait. Elle presse donc la Cour d’interdire de manière absolue la prise en considération des raisons qu’a l’accusé de mentir dans l’évaluation de sa crédibilité en tant que témoin.

[14] Dans la plupart des cas, je serais d’accord avec l’avocate de l’accusé pour dire que ce facteur est carrément inutile et que, en règle générale, le juge des faits ferait bien de ne pas s’engager du tout dans cette voie, de crainte de se tromper involontairement en tenant pour acquis, ce qu’il n’a pas le droit de faire, que l’accusé mentira pour obtenir un acquittement. Je n’adopterais cependant pas la règle absolue qui est proposée, pour les raisons suivantes.

[15] Une règle absolue interdisant au juge des faits de prendre en considération le fait qu’un accusé peut avoir des raisons de mentir afin d’obtenir un acquittement, quelles que soient les circonstances, immuniserait artificiellement l’accusé d’une façon incompatible avec les autres règles de preuve qui lui offrent une protection spéciale. Les tribunaux ont constamment rejeté les règles prohibitives ayant pour résultat d’amener le juge des faits à rendre une décision en fonction d’une vision trompeuse de l’affaire dont il est saisi. Il existe par exemple une règle générale interdisant au ministère public de présenter des éléments de preuve concernant la mauvaise moralité de l’accusé. Or, dans McMillan c. La Reine, 1977 CanLII 19 (C.S.C.), [1977] 2 R.C.S. 824, où l’accusé avait présenté des éléments de preuve tendant à montrer que sa femme était psychopathe, ce qui en faisait la meurtrière probable d’un enfant, la Cour a conclu que le ministère public pouvait présenter des preuves relatives à l’existence d’un état similaire chez l’accusé. Sinon, le jury aurait eu une image entièrement faussée de la situation. De même, dans R. c. Corbett, 1988 CanLII 80 (C.S.C.), [1988] 1 R.C.S. 670, où la défense avait attaqué avec vigueur la crédibilité des témoins cités par le ministère public, faisant grand cas de leur casier judiciaire, le juge en chef Dickson a conclu qu’« un grave déséquilibre aurait résulté » si le jury n’avait pas été informé du casier judiciaire de l’accusé (p. 690). Cela rendait possible la tenue d’un contre‑interrogatoire plus poussé sur le casier judiciaire de l’accusé, qui autrement aurait pu être jugé trop préjudiciable. Par conséquent, la question de savoir s’il est opportun ou non que le juge des faits prenne en considération le fait que l’accusé peut avoir une raison de mentir en raison de son intérêt dans le procès dépendra de la preuve et des questions soulevées lors du procès.

[16] Une règle absolue comme celle qui est proposée serait en outre contraire aux principes établis en matière d’examen en appel. Il devrait maintenant être considéré comme allant de soi que les motifs du juge du procès doivent être lus comme un tout, dans le contexte de la preuve, des questions en litige et des arguments présentés lors du procès, et « en tenant compte des buts ou des fonctions de l’expression des motifs » : R. c. R.E.M., 2008 CSC 51 (CanLII), 2008 CSC 51, [2008] 3 R.C.S. 3, par. 16. Conformément à ces principes, les juridictions d’appel ont refusé de conclure que le juge du procès commet une erreur de droit simplement en faisant mention ou en tenant compte des raisons de mentir qu’a un accusé. Tout dépend du contexte : (références omises)

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