jeudi 7 avril 2011

Le droit concernant l'engagement de garder la paix (l'article 810 C.cr.)

R. c. Lacerte, 2011 QCCQ 2433 (CanLII)

[75] L'article 810 C.cr. ne crée pas une infraction mais recherche plutôt l'intervention préventive du tribunal. Il s'agit d'une ordonnance de nature pénale qui vise la prévention de la commission d'infractions criminelles.

[76] Une personne qui a des motifs raisonnables de craindre pour sa sécurité, celle de son conjoint, de son enfant ou de ses biens peut déposer une dénonciation à cet effet devant un juge de paix; une autre personne peut la déposer pour elle. C'est le cas en l'espèce; c'est l'enquêteur qui a reçu la plainte de harcèlement criminel qui a déposé la dénonciation.

[77] La loi prévoit que sur réception de la dénonciation, le juge de paix peut faire comparaître les parties devant lui ou devant une cour des poursuites sommaires. À cette étape, la partie XXVII du Code criminel s'applique aux procédures de sorte que le juge de paix peut émettre une sommation ou un mandat d'arrestation pour faire comparaître le défendeur. Dans la présente affaire, c'est par voie de sommation que le défendeur a été appelé à comparaître.

[78] Au terme de l'audition, le juge de paix ou la cour des poursuites sommaires peut - s'il est convaincu par la preuve apportée que les craintes de la personne sont fondées sur des motifs raisonnables - ordonner que le défendeur contracte un engagement, avec ou sans caution, de ne pas troubler l'ordre public et d'observer une bonne conduite pour une période maximale de 12 mois ainsi que de se conformer aux autres conditions que la cour estime souhaitables pour assurer la bonne conduite du défendeur. La loi prévoit que le juge peut envoyer le défendeur en prison pour une période maximale de 12 mois s'il omet ou refuse de contracter l'engagement. (art. 810(3), (3.1) (3.2) C.cr.)

[79] L'ordonnance émise de contracter un engagement de garder la paix ne constitue pas une condamnation criminelle, elle ne sanctionne pas la commission d'un délit. Elle ne confère pas de casier judiciaire. L'obligation légale de respecter des conditions durant une période déterminée, imposée au défendeur, constitue néanmoins une entrave à sa liberté. Elle porte ainsi atteinte au droit à la liberté du défendeur, un droit protégé par la Charte canadienne des droits et libertés. Elle ne doit pas être rendue à la légère. R. v. MacKenzie (1945), 85 C.C.C. 233 (Ont. C.A.), R. v. Budreo reflex, (1996), 104 C.C.C. (3d) 245 (Ont. Gen. Div.) (2000), 142 C.C.C. (3d) 225 (Ont. C.A.).

[80] Une audition pour l'obtention d'une ordonnance en vertu de l'article 810 C.cr. oppose donc des intérêts et des droits différents: le droit à la sécurité du demandeur et le droit à la liberté du défendeur. Pour assurer l'équilibre, la loi prévoit que le juge ne peut rendre l'ordonnance que s'il est convaincu de l'existence

• d'une crainte subjective

• fondée sur des motifs raisonnables

que le défendeur cause des lésions personnelles au demandeur ou à un membre de sa famille immédiate ou des dommages à leur propriété.

[81] La jurisprudence, très largement majoritaire, reconnaît que le fardeau de preuve requis et auquel réfèrent les termes « convaincu » dans la version française et "satisfied" dans la version anglaise est celui de la preuve prépondérante. R c. Soungie 2003 A.J. 899 et Réhel c. Guimont 2004 CanLII 20200 (QC C.Q.), 2004 IIJCan 20200 (C.Q.)

[82] Si le témoignage du demandeur permet au juge de connaître ses raisons subjectives d'avoir des craintes, c'est en examinant l'ensemble de la preuve que la décision doit être rendue. Ainsi, la preuve peut porter sur des faits postérieurs à la dénonciation ou sur des faits qui ne sont même pas à la connaissance du demandeur, par exemple la propension à la violence du défendeur. De même, la preuve apportée par le défendeur peut jeter un éclairage différent sur la perception subjective des événements relatés par le demandeur. Cette preuve est pertinente et peut aider le juge à déterminer si la crainte est fondée sur des motifs raisonnables.

[83] En ce qui concerne la recevabilité de la preuve, les règles sont souples. La preuve par oui-dire est admissible tout comme la preuve de caractère dans la mesure où la preuve est crédible et digne de foi. Voir R. c Budreo précité; R c. Stewart (1988) J. Q. no. 715, C.S. Montréal

[84] Quel est le sens à donner à l'expression « lésion personnelle » utilisée à l'article 810 C.cr? Dans la version anglaise de l'article 810 C.cr., le législateur utilise l'expression "personal injury". La loi est muette.

[85] La notion de lésions corporelles est une notion distincte qui elle, est définie à l'article 2 du Code criminel. Il doit s'agir d'une blessure qui nuit à la santé ou au bien-être d'une personne et qui n'est pas de nature passagère ou sans importance. Cependant, il est admis que le demandeur n'a pas à établir la crainte de lésions corporelles, telles que définies à la loi, pour obtenir une ordonnance en vertu de l'article 810 C.cr.

[86] On sait aussi que les lésions psychologiques peuvent constituer des lésions corporelles. Dans l'arrêt R. c. McCraw 1991 CanLII 29 (C.S.C.), (1991) 3 R.C.S. 72, la Cour suprême a conclu que l'expression lésions corporelles comprend une blessure psychologique grave ou importante, une blessure psychologique qui nuit de manière importante à la santé ou au bien-être d'une personne.

[87] La jurisprudence en matière d'ordonnance de garder la paix reconnaît donc que la lésion personnelle inclut la lésion psychologique. Voir R. c. Soungie 2000 A.J. 899, R. c. Hujdic (1997) S.J. 779, R. c. Labarge (2006) CarswellQue 9223.

[88] Cela ne signifie pas pour autant que la crainte de n'importe quel degré d'atteinte psychologique suffise pour étayer une demande d'ordonnance, parce qu'il ne faut pas perdre de vue que le but de l'engagement prévu à l'article 810 C.cr. est de prévenir la commission d'une infraction criminelle. L'atteinte à l'intégrité physique ou psychologique redoutée doit donc être suffisante pour constituer une infraction si elle se réalisait. Une atteinte à l'intégrité psychologique constitue une infraction criminelle lorsqu'il y a, par exemple, menace de mort ou de lésions corporelles, harcèlement criminel ou intimidation.

[89] Quant à l'infraction de harcèlement criminel, elle ne sanctionne pas le comportement simplement répétitif et dérangeant. Le harcèlement est criminel lorsque l'acte ou la répétition d'actes posés a pour effet de susciter une crainte raisonnable pour la sécurité. (art. 264 C.cr.)

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