R. c. Lemay, 2012 QCCQ 1437 (CanLII)
Lien vers la décision
[42] Par l'article 253 du Code criminel, le législateur a voulu prévenir des situations à risques, c'est-à-dire éviter qu'un individu qui a les facultés affaiblies se place en situation où l'opportunité de conduire le véhicule se présente à lui.
[43] Dans l'affaire, R. c. Mallery, rendue le 28 février 2008 par la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick, on peut lire, au paragraphe 46, à propos de l'article 253, ce qui suit :
« Cette disposition donne aux agents de police le pouvoir de détenir et d’arrêter les personnes qui constituent un danger immédiat ou éventuel pour la sécurité publique. Les personnes prises en train de conduire lorsque leur capacité de le faire est affaiblie constituent le danger immédiat. Celles qui ont la garde ou le contrôle d’un véhicule constituent une menace ou un risque éventuel de préjudice. L’élimination du danger ou du risque de préjudice est le principal objet des dispositions législatives en question.»
B. La preuve par l'application de la présomption
[44] Pour établir qu'un accusé a la garde ou le contrôle d'un véhicule automobile, la poursuite bénéficie de deux modes de preuve qu'elle peut cumuler : la preuve directe d'acte de garde ou de contrôle et la preuve par l'utilisation de la présomption prévue à l'article 258.1 a) du Code criminel.
[45] En vertu de la présomption édictée au Code criminel, lorsqu'il est prouvé hors de tout doute raisonnable qu'une personne occupe le siège du conducteur, celle-ci sera considérée à toutes fins que de droit comme ayant la garde ou le contrôle du véhicule automobile, à moins qu'elle n'apporte une preuve prépondérante qu'elle n'occupait pas cette place dans le but de mettre le véhicule en mouvement (cf. R. c. Appelby et Ford c. La Reine).
[46] Pour renverser la présomption, l'accusé doit convaincre d'une part, que son intention n'était pas de mettre le véhicule en marche et d'autre part, établir une intention autre : le seul fait de nier l'intention de mettre le véhicule en marche est insuffisant (cf. MacAulay).
[47] Dans l'arrêt R. c. Olivier rendu le 1er juin 1998, la Cour d'appel énonce au paragraphe 18 ce qui suit :
« La proposition de l'appelante suivant laquelle le fait pour un conducteur d'être assis derrière le volant d'une voiture, avec la clé dans le contact, entraîne nécessairement la conclusion que ce conducteur a le contrôle de la voiture est trop absolu [sic]: dans la très grande majorité des situations on pourra conclure que c'est le cas, mais, devant un jeu de circonstances donné, le tribunal pourra, sans errer en droit, conclure que ce n'est pas le cas;»
C. La preuve directe des actes de garde ou de contrôle
[48] Si l'accusé réussit à renverser la présomption édictée à l'article 258(1)a) du Code criminel, la poursuite dispose du second mode de la preuve, soit en démontrant directement et hors de tout doute raisonnable l'existence d'actes de garde ou de contrôle du véhicule.
[49] Il faut rappeler que l'intention de mettre le véhicule en mouvement n'est pas essentielle en matière de preuve directe d'acte de garde ou de contrôle, cette intention n'étant nécessaire que si la poursuite souhaite se prévaloir de l'article 258(1)a).
[50] Somme toute, la non-intention de mettre le véhicule en marche ou de quitter les lieux avec celui-ci ne constitue pas un moyen de défense à l'accusation de garde et contrôle lorsque la preuve directe est administrée.
[51] C'est plutôt la possibilité de quitter les lieux, de mettre en mouvement ce véhicule par une personne en état d'ébriété qui rejoint la notion de garde ou de contrôle.
[52] Dans l'arrêt R. c. Ford, la Cour suprême mentionne que la poursuite n'a pas à faire la preuve de l'intention de l'accusé de mettre en marche le véhicule :
« Il n'est pas non plus nécessaire, à mon avis, que la poursuite fasse la preuve de l'intention de mettre le véhicule en marche […] Il peut y avoir garde même en l'absence de cette intention lorsque comme c'est la cas en l'espèce, un accusé accomplit un acte ou une série d'actes ayant trait à l'utilisation du véhicule ou de ses accessoires, qui font que le véhicule peut être mis en marche involontairement, créant le danger que l'article vise à prévenir.»
[53] Nous aborderons maintenant les points suivants :
1) les éléments essentiels de l'accusation
2) les actes de garde
3) le lien avec le risque
4) la nature du risque
1) Les éléments essentiels de l'accusation
i. Actus reus
[54] L'actus reus est l'acte (actes) qui consiste(nt) à assumer la garde ou le contrôle d'un véhicule alors que la consommation volontaire d'alcool ou d'une drogue a affaibli les capacités de conduire.
ii. Mens rea
[55] La mens rea de l'infraction d'avoir la garde ou le contrôle d'un véhicule à moteur est l'intention d'assumer la garde ou le contrôle après avoir volontairement consommé de l'alcool ou une drogue.
2) Les actes de garde
[56] La Cour d'appel de Colombie-Britanique dans l'arrêt R. c. Sinclair précise la notion de ce que constituent des actes de garde ou de contrôle :
Three different circumstances which, short of driving, could establish care and control of a vehicle :
a) Acts which would involve some use of the car, or
b) Acts which would involve some use of its fittings and equipment, or
c) Some course of conduct associated with the vehicle;
which would involve a risk of putting the vehicle in motion so that it could become dangerous.
3) Le lien avec le risque
[57] Il faut que l'accusé pose des actes de garde ou de contrôle et que ces actes comportent le risque de mettre le véhicule en mouvement. Il doit donc exister un lien entre les deux suffisamment soutenu par la preuve.
[58] En d'autres termes, la situation dangereuse découle donc d'actes de garde ou de contrôle entraînant un risque de mettre en mouvement le véhicule.
[59] La poursuite doit démontrer la présence d'actes impliquant une certaine utilisation du véhicule ou de ses accessoires ou encore une conduite quelconque à l'égard de ce véhicule qui comporte un risque de danger compte tenu de la possibilité qu'il soit mis en mouvement (cf. R. c. Rousseau et R. c. Rioux).
[60] Dans l'affaire Sergerie c. La Reine, la Cour d'appel, en se référant à la décision de R. c. Clarke, insiste pour souligner que lorsque la présomption est renversée, l'on doit considérer et analyser le risque que le véhicule soit mis en mouvement délibérément ou non.
[61] La possibilité que le véhicule soit mis en mouvement délibérément ou non par une personne en état d'ébriété peut exister en considérant la nature des actes accomplis par un accusé. C'est ce qu'il ressort dans la décision Sergerie.
[62] Cette notion de risque pour le public a été maintes fois reprise par la Cour d'appel du Québec. On pense ici aux autres décisions de R. c. Hamel et R. c. Olivier.
[63] L'arrêt Penno rendu par la Cour suprême mentionne que : « (…) lorsque l'utilisation du véhicule à moteur ne comporte aucun risque de le mettre en marche et de le rendre dangereux, les cours de justice devraient conclure qu'il y a absence d'actus reus.»
[64] La décision rendue par mon collègue l'Honorable Pierre Bélisle le 1er février 2011 dans R. c. Brière illustre l'avis de la Cour suprême dans Penno, en concluant qu'il n'existait pas de possibilité réelle que l'accusé change d'avis et entraîne le risque de danger pour la sécurité publique, en raison précisément du fait que celui-ci avait un plan bien établi non équivoque et crédible.
4) La nature du risque
[65] L'élément déterminant est donc le risque de danger pour le public et ce risque peut être actuel ou potentiel.
[66] Dans la décision Hamel, le juge Proulx, à la page 17, dégage la proposition : « […] qu'une personne qui se trouve dans une voiture et a à sa portée les moyens de la mettre en marche en a le contrôle. »
[67] De cette décision, on peut constater, d'une part, qu'il n'est pas requis que cette personne ait l'intention immédiate de mettre en marche le véhicule et que, d'autre part, le risque de danger ne se limite pas aux risques immédiats; il peut inclure le risque potentiel que le véhicule soit mis en mouvement accidentellement, non intentionnellement ou encore que l'accusé change d'avis.
[68] Les tribunaux reconnaissent la nécessité pour la poursuite de démontrer un risque réaliste que le véhicule soit mis en mouvement de façon à constituer un danger pour le public et non un risque purement théorique.
[69] Le risque à établir en preuve doit être plus qu'hypothétique et doit être fondé sur la preuve pour être réaliste.
[70] En conclusion, chaque cas est d'espèce et l'analyse du risque doit s'effectuer en examinant les actes de garde ou de contrôle posés par l'accusé et en prenant compte toutes les circonstances entourant l'affaire, y compris l'état d'intoxication de l'accusé.
[71] À cet égard, il est évident que l'état d'intoxication de l'accusé participe à l'évaluation du risque comme on peut le constater dans la décision Sergerie.
[72] Somme toute, la poursuite doit simplement démontrer, selon son fardeau, que l'accusé s'est placé dans une situation susceptible de devenir dangereuse compte tenu de l'ensemble des circonstances.
A. La preuve par l'application de la présomption de garde ou de contrôle
[73] Suivant l'article 258(1)a) du Code criminel, lorsqu'il est prouvé qu'un accusé est assis à la place du conducteur dans un véhicule automobile, il y a présomption qu'il en a la garde ou le contrôle à moins qu'il ne réussisse à renverser cette présomption.
[74] L'accusé pourra renverser cette présomption s'il démontre par une preuve prépondérante qu'en occupant cette place, il n'avait pas l'intention de mettre le véhicule en marche.
[75] Il ne suffit donc pas de nier cette intention mais de prouver qu'il avait une intention différente.
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