R. c. Lyttle, 2004 CSC 5, [2004] 1 RCS 193
64 Le juge du procès a aussi invoqué l’arrêt Browne c. Dunn (1893), 6 R. 67 (H.L.), pour étayer la proposition selon laquelle il est nécessaire de présenter un fondement de preuve à l’égard des questions posées en contre‑interrogatoire. Il a fait erreur. La règle établie dans Browne c. Dunn oblige l’avocat à prévenir les témoins dont il entend mettre en doute la crédibilité ultérieurement. La justification de cette règle a été expliquée ainsi par lord Herschell, aux p. 70-71 :
[traduction] Bien, vos Seigneuries, je ne peux m’empêcher d’affirmer qu’il m’apparaît absolument essentiel au déroulement régulier d’une instance, lorsqu’un avocat entend suggérer qu’un témoin ne dit pas la vérité sur un point en particulier, d’attirer l’attention de ce témoin sur ce fait en lui posant en contre-interrogatoire certaines questions indiquant qu’on fera cette imputation, et non d’accepter son témoignage et d’en faire abstraction comme s’il était absolument incontesté puis, lorsqu’il lui est impossible d’expliquer — ce qu’il aurait peut‑être pu faire si ces questions lui avaient été posées — les circonstances qui, prétend-on, montrent que sa version des faits ne doit pas être retenue, de soutenir qu’il n’est pas un témoin digne de foi. Vos Seigneuries, il m’a toujours semblé que l’avocat qui entend mettre en doute le témoignage d’une personne doit, lorsque cette personne se trouve à la barre des témoins, lui donner l’occasion d’offrir toute explication qu’elle est en mesure de présenter. De plus, il me semble qu’il ne s’agit pas seulement d’une règle de pratique professionnelle dans la conduite d’une affaire, mais également d’une attitude essentielle pour agir de façon loyale envers les témoins. On souligne parfois le caractère excessif du contre‑interrogatoire auquel un témoin est soumis, reprochant à ce contre-interrogatoire d’être abusif. Toutefois, il me semble qu’un contre‑interrogatoire mené par un avocat péchant par excès de zèle peut se révéler beaucoup plus équitable pour le témoin que le fait de ne pas le contre‑interroger puis de suggérer qu’il ne dit pas la vérité, je veux dire sur un point à l’égard duquel il n’est par ailleurs pas clair qu’il a été pleinement informé au préalable qu’on entendait mettre en doute la crédibilité de sa version des faits.
65 Bien qu’elle vise à faire en sorte que les témoins et les parties soient traités équitablement, cette règle n’a pas un caractère absolu. La mesure dans laquelle elle est appliquée est une décision qui relève du pouvoir discrétionnaire du juge du procès, eu égard à toutes les circonstances de l’affaire. Voir Palmer c. La Reine, 1979 CanLII 8 (CSC), [1980] 1 R.C.S. 759, p. 781-782; J. Sopinka, S. N. Lederman et A. W. Bryant, The Law of Evidence in Canada (2e éd. 1999), p. 954 et 957. Quoi qu’il en soit, la règle susmentionnée établie dans l’arrêt Browne c. Dunndemeure un principe valable d’application générale, bien qu’elle ne soit pas pertinente pour la question dont était saisi le juge du procès en l’espèce.
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