vendredi 29 septembre 2017

Pouvoir d’interpeller un automobiliste hors de la voie publique

Malenfant c. R., 2006 QCCS 7246 (CanLII)

Lien vers la décision

[27]            S’il est généralement admis que notre droit permet ces vérifications au hasard ou sans motif précis lorsque l’automobiliste circule sur la voie publique, est-ce si différent lorsque le conducteur ciblé a quitté le chemin public depuis quelques secondes pour se garer sur une propriété privée ?
[28]            Il nous semble que le sens commun dicte une réponse négative à la question et que les propriétés privées situées en bordure de nos routes ne devraient pas servir de refuge ou de havre d’immunité pour les conducteurs non détenteurs d’un permis valide ou pour les véhicules non immatriculés ou sans assurance, qui viennent tout juste de circuler sur un chemin public qu’ils ont quitté avec empressement à la vue ou à l’approche des forces de l’ordre.
[29]            D’un autre côté, il est tout aussi vrai que les pouvoirs policiers doivent être balisés pour se prémunir des interpellations et des interceptions dictées par un simple caprice, par la mauvaise foi ou par tout autre motif biaisé ou discriminatoire. Il est cependant tout aussi nécessaire que les pouvoirs de l’agent de la paix s’accompagnent des accessoires indispensables à leur exécution tel celui d’être autorisé suivre le véhicule ciblé hors de la voie publique, pour y compléter une vérification de routine décidée ou entreprise sur un chemin public.
[30]            Aussi, dans la mesure où un véhicule quitte la voie publique, avant que le policier qui l’y a vu circuler, ait eu l’opportunité de procéder à une vérification documentaire ou de signifier au conducteur visé de s’immobiliser pour ce faire, il doit pouvoir poursuivre son action dans un lieu privé où se réfugie le conducteur, même s’il s’agit d’un chemin privé.  De même, celui qui circule sur la voie publique avec un véhicule et qui, percevant l’approche policière, ne doit pas pouvoir esquiver ses obligations légales en se rangeant momentanément sur une propriété privée.
[31]            Cela est d’autant plus vrai lorsque, comme dans le présent cas, l’agent de la paix perçoit raisonnablement la manœuvre du conducteur comme étant suspecte et destinée à se prémunir d’une interpellation policière qu’il craint.  Ici, c’est le comportement de Miguel Malenfant qui a incité la policière à s’introduire sur une propriété privée pour s’assurer du droit de ce dernier de circuler sur la voie publique.
[32]            En somme et assez paradoxalement, l’appelant, qui cherchait à se rendre invisible, a plutôt attiré sur lui la suspicion de la policière.
[33]            C’est d’ailleurs cette impossibilité d’agir, alors que le véhicule de l’appelant se trouve toujours sur la voie publique, qui distingue la présente affaire de l’arrêt de la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick dans R. c. Caissie[8], affaire dans laquelle les policiers ont délibérément retardé l’intervention après avoir décidé d’intercepter le conducteur pour une vérification de routine.
[34]            Le Tribunal ne peut concevoir que, dans une société libre et démocratique comme la nôtre, un policier qui exerce le pouvoir légitime d’intercepter au hasard un automobiliste qu’il voit circuler sur une voie publique pour une fin reliée à la sécurité routière,  ne puisse intervenir pour protéger la vie des autres usagers de la route parce que le conducteur en question a réussi à trouver refuge sur une propriété privée avant que l’agent de la paix n’ait eu l’opportunité de vérifier son droit de circuler sur la route[9].
[35]            Dans l’arrêt Cotnoir, un des deux policiers qui intervenaient auprès de l’appelant agissait en pensant que celui-ci pouvait être en détresse, alors que l’autre soupçonnait la commission d’un crime.  L’Honorable juge Robert Pidgeon, alors juge à la Cour d’appel, écrit pour la majorité ce qui suit :
« Elle soulève uniquement la question de leurs pouvoirs d’enquête à titre de pouvoirs accessoires à leur obligation de secours et de prévention du crime.  Ici, la seule façon pour la policière de vérifier l’identité de la personne dans le véhicule automobile consistait à pénétrer sur cette propriété.  En outre, cette intrusion dans la cour de l’appelant ne portait pas atteinte de façon démesurée à l’inviolabilité de la propriété privée et était nécessaire dans les circonstances.  L’atteinte pourrait même être qualifiée de purement technique.  D’autre part, les agents pouvaient présumer détenir une autorisation implicite du propriétaire de pénétrer sur son terrain afin de prévenir la perpétration d’une infraction contre ses biens.  Enfin, comme l’a mentionné le juge Sopinka dans l’arrêt Belnavis « il existe une différence marquée en matière d’atteinte raisonnable en matière de vie privée [notes omises] selon que la personne qui l’invoque se situe dans sa résidence ou dans une automobile. »[10]
(Nos soulignés).
[36]            Partageant le même avis, monsieur le juge Chamberland ajoute ce qui suit à ce sujet :
« Pour l’un, il s’agissait donc de mettre un terme à la perpétration d’un crime, ou d’en prévenir la commission, pour l’autre, il s’agissait de porter secours à un concitoyen.  Dans ces circonstances, les agents Gougeon et Bélanger avaient, à mon avis, le droit de pénétrer sur le terrain où les évènements se déroulaient pour faire les vérification d’usage et, le cas échéant, enquêter ou porter assistance. »[11]
(Nos soulignés).
[37]            Le Tribunal est d’avis que ces réflexions empreintes de sagesse s’appliquent également aux circonstances de la présente affaire.
[38]            Il faut certes souligner que, contrairement à l’arrêt  Cotnoir, la preuve ne fait pas état, ici, de soupçons de commission d’une infraction criminelle avant l’interception de Miguel Malenfant mais la situation justifiait et nécessitait que la policière puisse compléter son travail de vérification d’un usager de la voie publique qui venait d’effectuer une manœuvre suspecte.
[39]            Dans les circonstances de l’espèce, l’agent de la paix n’a pas, de façon injustifiable, utilisé les pouvoirs découlant de son devoir de veiller à la sécurité des citoyens puisque le comportement de l’appelant lui permettait de croire raisonnablement que celui-ci cherchait à se soustraire d’une éventuelle vérification qu’il craignait.

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