Lien vers la décision
[10] Les principes de droit applicables à l’analyse d’une requête en séparation de chefs d’accusation aux fins de procès, aux termes de 591 (3) a) C.cr. et relatifs à la norme de contrôle que doit appliquer une cour d’appel à l’égard d’un jugement rendu par un tribunal de première instance en cette matière ont été définis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Last. Nous en avons récemment rappelé la substance dans l’arrêt Morasse :
[56] Décider s’il y a lieu de donner suite à une demande de séparation de chefs d’accusation oblige le juge à se demander si les intérêts de la justice l’exigent ou pas : comme l’écrit la juge Deschamps dans Last, « les intérêts de la justice constituent le critère primordial. ». Ces intérêts englobent « le droit de l’accusé d’être jugé en fonction de la preuve admissible contre lui, ainsi que l’intérêt de la société à ce que justice soit rendue d’une manière raisonnablement efficace, compte tenu des coûts. ». Plusieurs facteurs doivent être pris en compte dont le préjudice causé à l’accusé, le lien juridique et factuel entre les chefs d’accusation, la question de savoir si l’accusé entend témoigner à l’égard d’un chef d’accusation, mais pas à l’égard d’un autre, le désir d’éviter la multiplicité des instances, l’utilisation de la preuve de faits similaires au procès et la durée du procès compte tenu de la preuve à produire.
[57] Au moment d’évaluer l’intention déclarée de l’accusé de témoigner, le juge doit se préoccuper de la capacité de ce dernier à contrôler sa défense et, plus précisément, de son droit de décider s’il témoignera ou non à l’égard de chacun des chefs d’accusation. Cela dit, et bien que l’intention provisoire d’un accusé au sujet de son témoignage mérite qu’on lui accorde un poids important, elle n’est qu’un des facteurs qui doivent être soupesés. En ce sens, une intention déclarée et objectivement justifiable de témoigner à l’égard de certains chefs d’accusation seulement n’est pas nécessairement déterminante, car, comme l’écrit la juge Deschamps dans Last, « [e]lle peut être contrebalancée par d’autres circonstances qui, selon le juge, peuvent empêcher l’accusé de témoigner ou même peser moins lourd dans la balance que des facteurs qui démontrent que les intérêts de la justice exigent la tenue d’une instruction conjointe. ».
[58] Les liens factuel et juridique entre les chefs d’accusation dont on demande la séparation constituent également un facteur pertinent, notamment lorsque la poursuite entend présenter une preuve de faits similaires : « [d]ans bien des cas, une décision accueillant une preuve de faits similaires favorisera la tenue d’une instruction conjointe car les éléments de preuve relatifs à l’ensemble des événements doivent être produits de toute façon. ».
[59] Rappelons qu’au moment où il décide de la requête en séparation, le juge n’a pas à décider de l’admissibilité de la preuve de faits similaires dont il doit simplement, à ce stade, évaluer le sérieux.
[60] Une Cour d’appel doit faire preuve de retenue et de déférence à l’égard de la décision du juge « tant que celui‑ci agit selon les normes judiciaires et que sa décision ne cause aucune injustice ».
[Références omises]
[11] La prétention de l’appelant voulant que le jugement rendu le 1er mai 2012 soit, à la fois, contraire aux normes judiciaires applicables et cause d’une injustice dont il serait la victime ne résiste pas à l’analyse.
[12] La juge détermine correctement les règles et les principes de droit applicables. Elle résume fidèlement les prétentions des parties. Elle analyse l’ensemble des données (facteurs favorables et défavorables à une séparation de procès) selon les enseignements de l’arrêt Last. Elle se préoccupe du risque de préjudice pour l’accusé, le cas échéant, constate qu’il se trouve devant juge seul et note que son contre-interrogatoire pourra être limité, au besoin, s’il choisit de témoigner dans un cas, mais non dans l’autre. Sans se prononcer sur l’admissibilité d’une preuve de faits similaires, mais en relatant la description qu’en fait le Ministère public qui a annoncé vouloir la présenter pour établir un modus operandi de l’accusé et ainsi rehausser la crédibilité des plaignantes, elle retient qu’elle ne peut pas conclure « que cette demande ne serait probablement pas accueillie ». Bref, le tout soupesé, elle conclut qu’il est dans l’intérêt de la justice de refuser la tenue de procès distincts.
[13] La prétention de l’appelant, énoncée au paragraphe 19 de son mémoire, voulant que ce jugement soit cause d’une injustice à son égard parce que « [l]a juge de première instance a donc entendu les faits relatés par les deux plaignantes et il est vraisemblable que cela ait contaminé son esprit et ait influé sur la condamnation de l’appelant » est dénuée de fondement.
[14] D’abord : dans le cas d’un procès devant juge seul où il annonce une preuve de faits similaires, que cette preuve soit jugée admissible ou non à l’issue de la preuve présentée par le Ministère public, le juge doit tout entendre, de toute manière, que les chefs d’accusation soient séparés ou qu’ils soient réunis aux fins de procès.
[15] Ensuite : la juge connaît et rappelle son rôle et ses obligations dans l’hypothèse où, aux fins de rendre jugement, elle doit écarter une preuve entendue jugée inadmissible, faisant siens notamment, à ce sujet, les propos suivants de l’un de ses collègues : « [L]e juge du procès se voit souvent soumettre des éléments de preuve inadmissibles. Le fait d’en avoir pris connaissance ne compromet nullement son impartialité. Au final, il en fera abstraction s’il décide de les écarter. »
[16] Enfin : la juge a conclu que la preuve de faits similaires était inadmissible et l’analyse à laquelle elle se livre, dans chaque cas, dans son jugement final ne permet pas de soutenir une prétention de contamination.
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