mercredi 9 mai 2018

Référer au témoignage d’une plaignante aux fins d’évaluation de la crédibilité d’un accusé n’est pas une erreur en soi

Takri c. R., 2015 QCCA 690 (CanLII)

Lien vers la décision

[27]      La juge est bien au fait des enseignements de l’arrêt R. c. W.D. comme le révèlent ses propos en cours de procès, notamment lors de ses échanges avec les avocats au moment des plaidoiries, et le contenu de son jugement du 12 octobre 2012.
[28]      Référer, le cas échéant, au témoignage d’une plaignante aux fins d’évaluation de la crédibilité d’un accusé n’est pas une erreur en soi, comme l’a écrit récemment la juge en chef de la Cour :
Il peut arriver, comme en l'espèce, qu'un jugement comporte des références au témoignage de la plaignante pour les fins d'évaluation de la crédibilité d'un accusé. Cela ne signifie pas que le juge choisit, parmi les deux versions soumises, celle qui lui paraît la plus probable, ce qui constituerait un déplacement et une transformation du fardeau de la preuve et une erreur de droit. En l'espèce, le juge ne faisait que replacer le témoignage de l'appelant dans le contexte de l'ensemble de la preuve, ce qu'il peut, et même, se doit de faire […].

[29]        D’ailleurs, comme le note la Cour d’appel de l’Ontario dans Hoohing, le faire peut s’avérer nécessaire puisqu’un élément de preuve ne doit pas être examiné en vase clos :
The evidence of any witness, including an accused, may be believable standing on its own, but when other evidence is given that is contradictory, or casts doubt on the accuracy or reliability of the witnesses’ evidence, that evidence may no longer be believable, or in the case of an accused, may no longer raise a reasonable doubt.
[30]      À la lecture du jugement et des transcriptions de l’audience, il est manifeste que la juge de première instance avait pleinement conscience du fardeau de preuve que devait rencontrer la poursuite en l’espèce et qu’elle l’a correctement appliqué. 
[31]      Il ne fait aucun doute que la juge avait l’obligation de motiver.
[32]      Pour se décharger de cette obligation, elle devait révéler aux parties touchées par sa décision pourquoi elle avait été rendue, rendre compte devant le public de l’exercice du pouvoir judiciaire et permettre un examen valable de sa décision en appel. Des motifs qui remplissent ces trois fonctions seront jugés suffisants.
[33]      Il n’est pas requis qu’un juge analyse chaque élément de preuve en détail ni qu’il s’exprime quant à chacun des éléments de contradictions soulevés, car ni l’exhaustivité ni la perfection ne constituent la grille d’analyse à utiliser pour juger de la suffisance des motifs communiqués.
[34]      Comme l’écrit la juge en chef McLachlin dans l’arrêt R.E.M. :
49. Bien qu’il soit utile que le juge tente d’expo­ser clairement les motifs qui l’ont amené à croire un témoin plutôt qu’un autre, en général ou sur un point en particulier, il demeure que cet exercice n’est pas nécessairement purement intellectuel et peut impli­quer des facteurs difficiles à énoncer. […] Bref, l’appréciation de la crédibilité est un exercice dif­ficile et délicat qui ne se prête  pas toujours à une énonciation complète et précise.
50. Ce qu’on entend par des motifs suffisants concernant la crédibilité peut se déduire de l’ar­rêt Dinardo, dans lequel la juge Charron a statué que les conclusions sur la crédibilité doivent être tirées au regard des autres éléments de preuve (par. 23). Il faut peut-être pour cela que la preuve contradictoire soit à tout le moins mentionnée. Cependant, comme l’arrêt Dinardo le dit claire­ment, ce qui compte, c’est qu’il ressorte des motifs que le juge a saisi l’essentiel de la question en litige. […]
51. [L]e niveau de détails requis pour expliquer les conclusions relatives à la crédibilité peut aussi varier selon la preuve versée au dossier et la dynamique du procès. Il se peut que les facteurs en faveur ou en défaveur de la crédibilité ressortent clairement du dossier. En pareil cas, les motifs du juge du procès ne peu­vent être jugés déficients simplement parce qu’il ne les a pas énumérés.
57. Les cours d’appel doivent se poser la question cruciale formulée dans l’arrêt Sheppard : les motifs du juge du procès, considérés dans le contexte de la preuve versée au dossier, des questions en litige telles qu’elles sont ressorties au procès et des obser­vations des avocats, privent-ils l’appelant du droit à un véritable examen en appel? Pour procéder à un véritable examen en appel, la cour doit pouvoir discerner le fondement de la déclaration de culpa­bilité. Les conclusions essentielles sur la crédi­bilité doivent avoir été tirées, et les questions de droit fondamentales doivent avoir été résolues. Si la cour d’appel arrive à la conclusion que, compte tenu de l’ensemble du dossier, le juge du procès n’a pas tranché sur le fond les questions essentiel­les en litige (comme ce fut le cas dans Sheppard et Dinardo), elle peut alors, mais seulement alors, conclure que la déficience des motifs constitue une erreur de droit.

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