samedi 9 décembre 2023

L’usage d’une chose saisie n’est pas limité à une poursuite criminelle découlant de l’enquête policière à l’occasion de laquelle la chose en question a été saisie

Malo c. Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2023 QCCS 3256

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[35]        En résumé, l’art. 490 du Code criminel comporte diverses dispositions qui prévoient que les choses saisies, qui ont été remises à un juge de paix ou qui ont fait l’objet d’un rapport à un juge de paix en application de l’art. 489.1, doivent être remises à leur propriétaire légitime à moins que leur détention ne soit nécessaire pour une enquête policière ou pour une éventuelle procédure judiciaire : par. 490 (1). La détention est d’une durée limitée – la période initiale de détention ne doit pas excéder 3 mois – mais peut faire l’objet d’ordonnances de prolongation compte tenu de la nature de l’enquête: par. 490 (2). Au-delà d’une période d’une année, le critère devient plus onéreux. Dès lors, la prolongation doit être justifiée compte tenu de la nature « complexe » de l’enquête : par. 490 (3); Brabant c. R., 2022 QCCS 3747. Cependant, si des procédures judiciaires sont engagées au cours desquelles les choses saisies peuvent être requises, la détention est continuée jusqu’au terme des procédures ou selon ce que décide le tribunal ayant juridiction : al. 490 (2) b), 490 (3) b); Canada (Attorney General). v. Taylor, 2011 NLCA 72, par. 47-48. Lorsque l’accusé est cité à procès, les choses saisies sont envoyées au greffier du tribunal devant lequel le procès se tiendra pour servir de preuve ou pour être autrement traitées selon la loi : par. 490 (4). Si aucune procédure n’est engagée à l’expiration des périodes de prolongation, les choses sont remises à leur propriétaire légitime ou sont confisquées en cas d’illégalité de la possession : 490 (5) (6) (7) et (9). Exceptionnellement, si le maintien de la détention cause un préjudice sérieux, les choses peuvent être remises à leur propriétaire légitime avant l’expiration du délai de détention : 490 (8). Mais, d’autre part, la détention peut encore être prolongée après l’expiration du délai si les intérêts de la justice le justifient : par. 490 (9.1).

[36]        Ainsi, l’art. 490 concerne la gestion des biens saisis eu égard à leur utilité pour les fins d’une enquête policière ou d’une procédure judiciaire. Cet article ne confère aucun pouvoir de sanctionner autrement les abus de l’État, cela bien qu’il soit peut-être possible d’y joindre une demande en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés (R. c. Raponi2004 CSC 50, par. 29-30R. c. Quesnel2016 QCCS 6803, par. 22).

IV

[39]        La détention des copies des documents électroniques de M. Malo doit être maintenue en application de l’art. 490 du Code criminel.

[40]        Les copies des documents électroniques sont requises pour le procès de M. Malo dans l’affaire Quête au sens de l’al. 490 (3) b) du Code criminel. En effet, certains documents pourraient servir de preuve à charge et pourraient être autrement utiles pour établir l’authenticité, l’intégrité, ou la chaine de possession de la preuve. Les données informatiques pourraient aussi être pertinentes lors d’un éventuel débat sur la légalité des fouilles et des saisies. La notion de nécessité pour une procédure judiciaire est largement interprétée : R. c. Church of Scientology of Toronto1991 CanLII 11721, pp. 328-331.

[41]        Ainsi, en ce qui concerne l’affaire Quête, les copies des documents électroniques sont maintenant sous le contrôle du tribunal qui présidera le procès dans cette affaire, en vertu du par. 490 (4) du Code criminel. Aucune autre ordonnance de prolongation n’est nécessaire à cet égard (Canada (Attorney General). v. Taylor2011 NLCA 72, par. 47-48).

[42]        M. Malo objecte que la détention par l’État des copies de ses documents n’est plus autorisée en vertu de l’art. 490 du Code criminel, puisque l’enquête dans le dossier Pacte qui a donné lieu aux saisies est terminée et qu’aucune accusation n’a été portée dans cette affaire. Selon lui, la détention n’était permise que pour l’enquête initiale. L’idée centrale de son argumentation est que les diverses enquêtes policières doivent être séparées de manières étanches.

[43]        Pourtant, le texte de l’art. 490 du Code criminel n’appuie pas une telle approche restrictive; au contraire, l’usage d’une chose saisie n’est pas limité à une poursuite criminelle découlant de l’enquête policière à l’occasion de laquelle la chose en question a été saisie. Notamment, les al. 490 (2) b) et 490 (3) b) indiquent que la détention est continuée si « des procédures ont été engagées au cours desquelles la chose détenue peut être requise ». L‘expression « des procédures » a une portée générale qui n’est pas restreinte à une accusation liée à l’enquête policière initiale. La logique et la pratique confirment cette interprétation. Il est souvent impossible de prévoir exactement quelle sera la nature exacte d’une chose saisie ou encore quelle sera son utilité précise. L’art. 490 n’a certainement pas pour effet d’imposer d’emblée des restrictions à cet égard.

[46]        Encore ici, la détention n’a pas à être obligatoirement liée à l’enquête policière pour laquelle la saisie est survenue. Le par. 490 (1) traite de la détention « nécessaire aux fins d’une enquête, d’une enquête préliminaire, d’un procès ou de toute autre procédure ». L’expression « une enquête » a une portée générale qui n’est pas limitée à l’enquête policière d’origine.

[47]        Ensuite, il y a lieu de maintenir l’ordonnance de garde sous scellés des copies miroirs des données saisies et des outils informatiques produits jusqu’au terme des procédures dans le dossier Quête ou jusqu’à ce que le tribunal dans cette affaire en décide autrement, selon les al. 490 (2) b) et 490 (3) b) et le par. 490 (4) du Code criminel.

[49]        Bien entendu, la mise sous scellés n’a pas pour effet d’interdire l’utilisation légale des documents utiles qui ont été, par ailleurs, rendus accessibles aux autorités dans le cadre de la procédure de type Lavallée.

Le critère justifiant une détention pour une durée totale qui dépasse un an à compter de la saisie : art. 490(3) C.cr.

Directeur des poursuites criminelles et pénales c. J.A., 2023 QCCQ 632

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[59]        L’article 490 C.cr. prévoit un régime pour la gestion des choses saisies et détenues par les représentants de l’État.

[60]        L’objectif fondamental du régime vise à ce que les choses saisies soient remises à leur propriétaire légitime le plus rapidement possible, à moins qu’elles ne soient nécessaires aux fins d’une enquête, d’une enquête préliminaire, d’un procès ou de toute autre procédure.

[61]        Le régime fixe la période maximale durant laquelle les biens peuvent être saisis, ainsi que la possibilité que diverses prolongations soient accordées.

[62]        De toute évidence, les prolongations ne peuvent être illimitées; la détention prolongée est plutôt assujettie à la surveillance des tribunaux. Le législateur a établi un système de contrôles judiciaires visant à garantir un équilibre entre les droits des saisis et l’importance de mener à terme les enquêtes criminelles méticuleuses et exhaustives[25]. En ce sens, une prolongation des délais de détention ne sera jamais automatique. C’est la raison pour laquelle le requérant doit s’adresser à un tribunal. Précisons que même pour une prolongation au-delà des trois premiers mois après la saisie, l’art. 490(2) C.cr. requiert que la nécessité de la détention pour l’enquête soit démontrée.

[63]        Évidemment, lorsque des procédures judiciaires sont engagées au cours desquelles les items saisis peuvent être requis, des prolongations ne seront plus nécessaires[26]. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Les sept intimés n’ont toujours pas été inculpés.

[64]        Pour une prolongation de détention dont la durée totale dépasserait un an à compter de la saisie, l’art. 490(3)(a) du Code criminel prévoit que le juge doit conclure que la nature complexe de l’enquête justifie la prolongation. Le fardeau incombe au requérant[27]. Le critère est manifestement plus exigeant que celui qui s’applique aux prolongations antérieures en vertu de l’art. 490(2), qui elles, sont moins longues, sont justifiées par « la nature de l’enquête » et peuvent être octroyées par un juge de paix. Pour sa part, l’art. 490(3) exige que la demande soit présentée devant un juge.

[65]        La notion de « complexité » doit être interprétée selon le sens ordinaire du mot[28]. Elle doit aussi être compatible avec l’objet du régime et la logique interne de la Partie XV du Code. Une enquête complexe en sera généralement une qui est composée de nombreux volets, éléments ou patterns, de sorte qu’elle sera difficile à comprendre. Ses parties, ses détails et les notions en jeu nécessiteront une étude attentive et un examen soigné pour bien les cerner[29].

[66]        En soi, l’envergure d’une enquête ou le nombre de documents saisis ne rendra pas de facto une affaire complexe[30].

[67]        L’arrêt de principe le plus fréquemment cité sur ce sujet est C.R.A. v. Okoroafor, dans lequel la Cour supérieure de l’Ontario a énuméré (de façon non exhaustive) plusieurs facteurs que le Tribunal peut considérer en déterminant si l’enquête est suffisamment « complexe » pour justifier une détention prolongée dépassant un an :

1.         Le nombre d’organismes d’enquête, de corps policiers ou d’agences gouvernementales impliqués;

2.         L’implication d’un gouvernement étranger;

3.         Le fait que l’enquête nécessite l’assistance d’avocats, de juricomptables, de techniciens en informatique et/ou d’autres professionnels pour déchiffrer ou accéder à des documents.

Notamment, le fait que les fichiers saisis soient encryptés constitue un facteur « hautement pertinent »[31];

4.         Le fait que l’enquête nécessite la coopération de corps de police non reliés au requérant et le cas échéant, le fait que ces corps de police ne soient pas canadiens;

5.         Le fait que des témoins doivent être interrogés à l’étranger;

6.         La longueur de la période délictuelle enquêtée et l’étendue du territoire géographique couvert par l’enquête;

7.         Le caractère mélangeant ou trompeur de la trace documentaire;

8.         Le fait que les infractions alléguées auraient été commises dans plus d’une juridiction, par plus d’un suspect;

9.         La nécessité d’avoir recours à la comptabilité compliquée, longue ou coûteuse;

10.      Le fait qu’il s’agisse d’un « dossier papier » impliquant un vaste réseau;

11.      Le fait que la requérante n’ait aucun contrôle sur la rapidité ou la diligence des tiers à qui elle a adressé des demandes de collaboration;

12.      Le fait que des documents doivent être traduits;

13.      La préparation de transcriptions de communications interceptées[32].

[68]        Évidemment, ces critères ne doivent pas être appliqués de façon mécanique[33].

[69]        En évaluant la complexité de l’enquête, le Tribunal doit examiner quelles démarches restent à accomplir, combien de temps elles requerront selon l’estimation du requérant, ainsi que la question de savoir si elles auraient raisonnablement dû être déjà complétées[34]. La police ne pourra invoquer la « complexité » d’une enquête pour pallier un manque de diligence ou de ressources policières adéquates[35].

[70]        Il est clair que l’art. 490 C.cr. n’a pas pour objet d’imposer une limite temporelle aux enquêtes criminelles[36].

[71]        Au même chapitre, dans l’arrêt R. c. Jordan, la Cour suprême n’a aucunement établi un échéancier fixe ou un délai de prescription pour les enquêtes policières. Au contraire, selon l’état actuel du droit, les délais pré-inculpatoires sont toujours exclus des calculs relatifs à l’art. 11(b) de la Charte.

Comment apprécier la complexité d'une enquête sous 490(3) Ccr

Brabant c. R., 2022 QCCS 3747 

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[24]        En vertu du para. 490 (3), le juge devait décider, premièrement, si la détention des choses saisies était toujours nécessaire pour les fins de l’enquête policière en cours ou pour des procédures judiciaires à venir et, deuxièmement, si la prolongation était justifiée compte tenu de la complexité de l’enquête. La nécessité de la détention est un prérequis à toute décision prise en vertu du régime de l’art. 490. La complexité doit être véritablement liée à l’enquête, et non à un manque de diligence ou de ressource policière. L’examen doit porter sur l’ampleur et les difficultés du travail accompli et celui qui reste à faire pour élucider le crime et recueillir la preuve. Divers facteurs et leurs impacts sur la durée de l’enquête doivent être considérés, incluant notamment : le nombre d’infractions potentielles, le degré de sophistication des activités criminelles en cause, le nombre de suspects visés, le nombre de témoins à rencontrer, le recours à des techniques d’enquête spéciales, la présence d’une preuve documentaire ou numérique volumineuse, le besoin d’analyser plusieurs éléments de preuve compliqués, la nécessité de recourir à l’assistance de ressources externes (comme d’autres corps de police, des juristes ou des experts), les obstacles logistiques hors du contrôle de la police et de l’État, le nombre d’enquêteurs impliqués et l’allocation de moyens suffisants (Canada Revenue Agency c. Nathaniel Okoroafor, 2010 ONSC 2477, 18-22; Re Moyer (1994) 1994 CanLII 7551 (ON SC)95 CCC (3d) 174 (CSO); Nader Hasan, Mabel Lai, David Schermbrucker et Randy Schwartz, dans leur volume Search and Seizure, Emond Publishing, 2021, pp. 552-554).

samedi 2 décembre 2023

Comment traiter la destruction d'un élément de preuve par un tiers

Simard c. R., 2015 QCCA 1266

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[57]        Les parties s’entendent quant au caractère exceptionnel de la réparation de l’arrêt des procédures. Il n’existe, en effet, que de rares cas – on les qualifie souvent de « cas les plus manifestes »[9] – dans lesquels un abus de procédure justifie ce remède. Les parties ne contestent pas que la révision en appel d’un jugement en cette matière doit être marquée par la déférence : seules une erreur de droit, une erreur manifeste et déterminante ou une erreur menant à une injustice peuvent justifier l’intervention de la Cour. Comme le rappelle mon collègue le juge Doyon dans l’arrêt Tshiamala[10], cette déférence est de mise parce que la décision d’accorder ou non un remède en vertu de l’article 24(1) de la Charte est avant tout discrétionnaire.

[58]        Les parties ne contestent pas, non plus, que le cas de figure qui nous intéresse ici est ce que la Cour suprême qualifie dans l’arrêt Babos[11] de « catégorie principale » des abus de procédures : ceux où la conduite de l’État compromet l’équité du procès de l’accusé. Dans cette affaire, le juge Moldaver expose ainsi, pour les juges majoritaires, le premier volet du test applicable à l’égard d’une demande d’arrêt des procédures : « Il doit y avoir une atteinte au droit de l'accusé à un procès équitable ou à l'intégrité du système de justice qui "sera révélé[e], perpétué[e] ou aggravé[e] par le déroulement du procès ou par son issue" (Regan, par. 54) »[12].

[59]        En appel, l’appelant réitère que la perte des documents est imputable au ministère public et qu’elle le prive de son droit à une défense pleine et entière. Outre les arrêts Stinchcombe et Egger, il s’appuie sur les arrêts Rochon[13] et Dixon[14] en affirmant que le ministère public a l’obligation de conserver la preuve et de la divulguer à la défense de manière diligente; son défaut peut donner lieu à une violation de l’article 7 de la Charte. Pour justifier le remède d’arrêt des procédures en l’espèce, il fait état de son propre fardeau pour établir la violation de ses droits constitutionnels selon les règles applicables aux situations de non-divulgation et de non-conservation de preuve par la poursuite : il lui suffirait d’établir, par prépondérance de preuve, une possibilité raisonnable que les éléments perdus ou détruits auraient été utiles pour sa défense.

[60]        Ce faisant, je suis d’avis que l’appelant propose le mauvais cadre d’analyse pour déterminer s’il y a eu violation de ses droits constitutionnels.

[61]        Tout document n’est pas soumis à l’obligation de divulgation ou de conservation de la preuve par la poursuite. Tenons pour acquis, aux fins de l’argumentation, que les feuilles de présence et les registres de mobilité en possession de la maison de transition constituaient une preuve pertinente, tout en notant que la juge est fort critique quant à la qualité de cette preuve[15]. Bien entendu, le ministère public a une obligation de divulguer une preuve pertinente, mais il n’a pas ce devoir à l’égard d’une preuve qui n’est ni en sa possession ni sous son contrôle[16]. C’est le cas ici.

[62]        Les documents réclamés par l’appelant ont été détruits par un tiers – la maison de transition – et non par le ministère public ou même les autorités policières. Malgré son affiliation avec le Service correctionnel du Canada, la Maison Prosper-Boulanger est un tiers, lorsque considérée sous l’angle de l’obligation de divulgation et de conservation de la preuve incombant au ministère public[17].

[63]        Ces documents n’ont jamais été en la possession des autorités policières. Au moment de leur destruction – à une date indéterminée entre le 16 mars 2009 et le 6 octobre 2009 – les policiers ne savaient même pas que l’appelant habitait dans la maison de transition à la date de la perpétration des infractions.

[64]        L’appelant fait économie de cette question dans son analyse de la Charte et des règles ayant trait à l’arrêt des procédures. Il a tort de fonder son analyse sur cette obligation de divulgation de la poursuite, car elle ne s’applique pas aux documents en question.

[65]        Certes, le droit à la communication de la preuve par le ministère public n’est pas le seul volet du droit de présenter une défense pleine et entière consacré par la Charte. Comme l’indique le juge Sopinka dans l’arrêt R. c. La[18], ce droit englobe une protection contre la perte des documents dans d’autres circonstances, y compris la destruction de documents par des tiers : « Ainsi », écrit-il, « il est possible, dans des circonstances exceptionnelles, que la perte d’un document soit à ce point préjudiciable au droit de présenter une défense pleine et entière qu’elle porte atteinte au droit de l’accusé à un procès équitable »[19]. Dans ces cas, l'accusé doit démontrer que la perte de l'élément de preuve lui cause « un préjudice concret à son droit à une défense pleine et entière »[20]. Il est possible, ainsi, que l’arrêt de procédures soit la réparation opportune, pourvu que les critères propres à cette réparation soient respectés.

[66]        C'est l'approche qui est mise de l'avant dans l'arrêt Kociuk[21] de la Cour d'appel du Manitoba, dont les motifs de la majorité ont été confirmés par la Cour suprême[22]. Cet arrêt porte sur des faits en partie semblables à notre dossier. M. Kociuk faisait face à une accusation de meurtre liée à un incident survenu vingt ans plus tôt et fondée sur une preuve d’ADN. Il demandait l’arrêt des procédures puisque certains documents, dont les registres de la maison de transition où il résidait à l’époque du crime, avaient été détruits dans l’intervalle par un tiers. Il invoquait une atteinte à son droit à une défense pleine et entière et soutenait que les documents manquants auraient pu l’aider à présenter une défense d’alibi. Le juge Chartier réfère ainsi à l’arrêt La, en résumant le cadre d'analyse applicable à l'égard de documents perdus ou détruits :

21 The law with respect to a lost evidence motion is uncontroversial. Not every loss of relevant evidence will necessarily infringe on an accused's right to make full answer and defence. As recognized by the Supreme Court of Canada in La, "owing to the frailties of human nature, evidence will occasionally be lost" (at para. 20). When evidence is lost or missing, the Crown has an obligation to explain that loss and satisfy the trial judge that it was not due to unacceptable negligence or an abuse of process. Where the Crown has satisfactorily explained the loss, the onus shifts to the accused who, in order to be successful, "must establish actual prejudice to his or her right to make full answer and defence" (at para. 25). Sopinka J., for the majority, also explained in La that the principal consideration, in relation to whether the explanation of the Crown is satisfactory, "is whether the Crown or the police (as the case may be) took reasonable steps in the circumstances to preserve the evidence" (at para. 21).

[67]        Le juge Chartier applique ensuite ce cadre d'analyse à la disparition des registres par la maison de transition, en tant que tiers :

36 The halfway house where the accused was living at the time of the murder was operated in 1984 by the Salvation Army under the auspices of the Correctional Service of Canada. The Salvation Army is required to maintain its records for seven years. In the circumstances of this case, there was no reason for either the Salvation Army or the Correctional Service to have kept these records after the seven-year period. The police had not asked them to keep the records as the accused did not become a suspect in this murder until 2005. Furthermore, while the police have a duty to disclose to the Crown the fruits of their investigation, these records were not created by the police, nor were they in the control of the police or the Crown. Once again, I see no error in the trial judge's decision.

[…]

41 On the issue of any actual prejudice arising from the missing halfway house records and surveillance records (the missing records), the accused argues that he suffered prejudice because the missing records may have assisted him in his ability to present alibi evidence. It should be noted that an alibi was never advanced by the accused. He contends that those records were a potential source of information to refresh his memory as to where he was in May of 1984.

42 The trial judge found that there was no evidentiary basis to conclude that the missing records may have assisted the accused in establishing an alibi. He observed the following:

... the foundational evidence on this motion is without any sort of testimony from the accused or any indication as to how the lost items in question otherwise prejudice his ability to make an alibi or to claim alibi.

43 In the end, the trial judge found that the missing records may or may not have given the accused the information to advance an alibi. The evidentiary foundation was lacking and the nature of the accused's prejudice was conjectural at best. Once more, I have not been persuaded that the trial judge erred in finding that the accused had not met his onus of establishing actual prejudice or in refusing to grant the stay.

[Soulignements ajoutés]

[68]        Je retiens de La et Kociuk l’enseignement suivant : s’il est établi que la perte n’est pas le résultat d’une négligence inadmissible ou d’un abus de procédures, le fardeau revient à l’accusé qui doit démontrer l’existence d’un préjudice concret à son droit à une défense pleine et entière. Comme le juge Doyon l’a écrit récemment dans Cartier : « Il faut toutefois souligner la possibilité que, même en présence d’une explication raisonnable, la preuve perdue ou détruite soit si importante que le droit à une défense pleine et entière est violé, ce qui entraînerait un procès inéquitable et pourrait justifier un arrêt des procédures »[23]. Le juge Doyon ajoute, en s’appuyant sur les mêmes paragraphes de l’arrêt La cités plus haut, que « cela ne pourra toutefois se produire que dans des situations exceptionnelles ».

[69]        Dans les circonstances, il ne suffit pas, comme dans les cas de non-respect de l’obligation de divulgation en application de Stinchcombe, de démontrer une « possibilité raisonnable » que les documents perdus auraient été utiles au soutien de la défense de M. Simard pour conclure à une atteinte à son droit constitutionnel sous l’article 7 de la Charte. Avec égards, la juge se méprend, au paragraphe [48] de ses motifs, lorsqu’elle présente la question en litige ainsi : « [s]uivant R. c. Dixon, [1998 CanLII 805 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 244 au paragr. [22]], existe-t-il une possibilité raisonnable que les éléments de preuve manquants aient pu aider la défense? ». Ce critère ne s’appliquait pas ici. À la lumière de la jurisprudence concernant la perte de documents du fait d’un tiers, la juge aurait dû utiliser un critère plus exigeant, soit la démonstration par l'accusé d’un « préjudice concret à son droit à une défense pleine et entière »[24] .

[70]        Je m’empresse de dire que la méprise de la juge – somme toute favorable à M. Simard – s’avère néanmoins sans conséquence. Même en employant le critère « fort peu élevé »[25] de la « possibilité raisonnable » de l’utilité des documents manquants, la juge n’a pas conclu à une atteinte au droit de l’appelant à une défense pleine et entière. Pour les motifs qui suivent, je partage sa conclusion sur ce point.