samedi 9 décembre 2023

Le critère justifiant une détention pour une durée totale qui dépasse un an à compter de la saisie : art. 490(3) C.cr.

Directeur des poursuites criminelles et pénales c. J.A., 2023 QCCQ 632

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[59]        L’article 490 C.cr. prévoit un régime pour la gestion des choses saisies et détenues par les représentants de l’État.

[60]        L’objectif fondamental du régime vise à ce que les choses saisies soient remises à leur propriétaire légitime le plus rapidement possible, à moins qu’elles ne soient nécessaires aux fins d’une enquête, d’une enquête préliminaire, d’un procès ou de toute autre procédure.

[61]        Le régime fixe la période maximale durant laquelle les biens peuvent être saisis, ainsi que la possibilité que diverses prolongations soient accordées.

[62]        De toute évidence, les prolongations ne peuvent être illimitées; la détention prolongée est plutôt assujettie à la surveillance des tribunaux. Le législateur a établi un système de contrôles judiciaires visant à garantir un équilibre entre les droits des saisis et l’importance de mener à terme les enquêtes criminelles méticuleuses et exhaustives[25]. En ce sens, une prolongation des délais de détention ne sera jamais automatique. C’est la raison pour laquelle le requérant doit s’adresser à un tribunal. Précisons que même pour une prolongation au-delà des trois premiers mois après la saisie, l’art. 490(2) C.cr. requiert que la nécessité de la détention pour l’enquête soit démontrée.

[63]        Évidemment, lorsque des procédures judiciaires sont engagées au cours desquelles les items saisis peuvent être requis, des prolongations ne seront plus nécessaires[26]. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Les sept intimés n’ont toujours pas été inculpés.

[64]        Pour une prolongation de détention dont la durée totale dépasserait un an à compter de la saisie, l’art. 490(3)(a) du Code criminel prévoit que le juge doit conclure que la nature complexe de l’enquête justifie la prolongation. Le fardeau incombe au requérant[27]. Le critère est manifestement plus exigeant que celui qui s’applique aux prolongations antérieures en vertu de l’art. 490(2), qui elles, sont moins longues, sont justifiées par « la nature de l’enquête » et peuvent être octroyées par un juge de paix. Pour sa part, l’art. 490(3) exige que la demande soit présentée devant un juge.

[65]        La notion de « complexité » doit être interprétée selon le sens ordinaire du mot[28]. Elle doit aussi être compatible avec l’objet du régime et la logique interne de la Partie XV du Code. Une enquête complexe en sera généralement une qui est composée de nombreux volets, éléments ou patterns, de sorte qu’elle sera difficile à comprendre. Ses parties, ses détails et les notions en jeu nécessiteront une étude attentive et un examen soigné pour bien les cerner[29].

[66]        En soi, l’envergure d’une enquête ou le nombre de documents saisis ne rendra pas de facto une affaire complexe[30].

[67]        L’arrêt de principe le plus fréquemment cité sur ce sujet est C.R.A. v. Okoroafor, dans lequel la Cour supérieure de l’Ontario a énuméré (de façon non exhaustive) plusieurs facteurs que le Tribunal peut considérer en déterminant si l’enquête est suffisamment « complexe » pour justifier une détention prolongée dépassant un an :

1.         Le nombre d’organismes d’enquête, de corps policiers ou d’agences gouvernementales impliqués;

2.         L’implication d’un gouvernement étranger;

3.         Le fait que l’enquête nécessite l’assistance d’avocats, de juricomptables, de techniciens en informatique et/ou d’autres professionnels pour déchiffrer ou accéder à des documents.

Notamment, le fait que les fichiers saisis soient encryptés constitue un facteur « hautement pertinent »[31];

4.         Le fait que l’enquête nécessite la coopération de corps de police non reliés au requérant et le cas échéant, le fait que ces corps de police ne soient pas canadiens;

5.         Le fait que des témoins doivent être interrogés à l’étranger;

6.         La longueur de la période délictuelle enquêtée et l’étendue du territoire géographique couvert par l’enquête;

7.         Le caractère mélangeant ou trompeur de la trace documentaire;

8.         Le fait que les infractions alléguées auraient été commises dans plus d’une juridiction, par plus d’un suspect;

9.         La nécessité d’avoir recours à la comptabilité compliquée, longue ou coûteuse;

10.      Le fait qu’il s’agisse d’un « dossier papier » impliquant un vaste réseau;

11.      Le fait que la requérante n’ait aucun contrôle sur la rapidité ou la diligence des tiers à qui elle a adressé des demandes de collaboration;

12.      Le fait que des documents doivent être traduits;

13.      La préparation de transcriptions de communications interceptées[32].

[68]        Évidemment, ces critères ne doivent pas être appliqués de façon mécanique[33].

[69]        En évaluant la complexité de l’enquête, le Tribunal doit examiner quelles démarches restent à accomplir, combien de temps elles requerront selon l’estimation du requérant, ainsi que la question de savoir si elles auraient raisonnablement dû être déjà complétées[34]. La police ne pourra invoquer la « complexité » d’une enquête pour pallier un manque de diligence ou de ressources policières adéquates[35].

[70]        Il est clair que l’art. 490 C.cr. n’a pas pour objet d’imposer une limite temporelle aux enquêtes criminelles[36].

[71]        Au même chapitre, dans l’arrêt R. c. Jordan, la Cour suprême n’a aucunement établi un échéancier fixe ou un délai de prescription pour les enquêtes policières. Au contraire, selon l’état actuel du droit, les délais pré-inculpatoires sont toujours exclus des calculs relatifs à l’art. 11(b) de la Charte.

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