R. c. Viau, 2022 QCCS 1636
[43] L’accusée a également reconnu que le Tribunal détenait le pouvoir discrétionnaire de déterminer le moment opportun pour entendre la requête[32].
[44] L’arrêt R. c. La, 1997 CanLII 309 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 680, traite spécifiquement de la question du moment opportun pour trancher une requête en arrêt des procédures dont un tribunal est saisi. Le moment opportun varie en fonction des circonstances propres d’une affaire, et le juge du procès a le pouvoir discrétionnaire de statuer sur la requête avant, pendant ou après le procès; qui plus est, « il est généralement préférable de surseoir à statuer sur la demande. Ainsi, le juge sera en mesure d'évaluer l'ampleur du préjudice et de déterminer si les mesures prises pour réduire celui-ci au minimum se sont avérées fructueuses »[33]. Pareil report permet d’éviter l’usage de conjecture afin d’évaluer la portée de l’atteinte[34].
[45] Même en prenant pour acquis que l’arrêt La englobe uniquement les situations où les faits allégués au soutien de la requête ne visent que l’équité du procès, les principes généraux de gestion entourant les demandes constitutionnelles, tels qu’exposés dans R. c. DeSousa, 1992 CanLII 80 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 944, s’appliquent à toutes demandes de nature constitutionnelle. Le juge d’instance a un pouvoir discrétionnaire large.
[46] Dans DeSousa, l’accusé conteste la constitutionnalité de la disposition créant l’infraction pour laquelle il est accusé. La juge d’instance traite de la question avant la tenue du procès. Elle sera finalement d'avis que la disposition enfreint l’article 7 de la Charte, déclare qu’elle est inopérante et ordonne l’annulation de l’acte d’accusation; le procès ne sera pas tenu. La Cour d’appel accueille l’appel et annule l’ordonnance annulant l’acte d’accusation; la Cour suprême confirme.
[47] L’une des questions à trancher en appel est celle du moment dans l’instance où une telle question devrait être tranchée. La Cour rappelle l’existence du pouvoir discrétionnaire du juge d’instance de « réserver sa décision sur une demande » jusqu’à la fin de l’instance (p. 954). Ce pouvoir fait entrer en jeu deux principes : (1) « les instances pénales ne doivent pas être fragmentées par des procédures interlocutoires qui deviennent des instances distinctes » (p. 954); (2) en cas de contestations constitutionnelles, il faut tendre à « dissuader les tribunaux de trancher les questions constitutionnelles dépourvues de fondement factuel » (p. 954). Jumelés, ces principes incitent les tribunaux à trancher les demandes à la fin des débats (p. 954) : voici la règle de principe. S’il veut s’en écarter, le juge d’instance doit avoir une bonne raison (i.e. : la motiver).
[48] La Cour fournit ensuite deux exemples d’exception, lorsque les intérêts de la justice militent pour une décision immédiate :
Ex. 1 : le tribunal saisit viole lui-même la Charte – la cour mentionne R. c. Rahey, 1987 CanLII 52 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 588 et les ajournements répétés du juge d’instance, à sa demande;
Ex. 2 : la présence d’une atteinte « importante et continue » à la Charte - R. c. Gamble, 1988 CanLII 15 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 595, modifications législatives et interprétations subséquentes des dispositions impliquées, influant sur le droit d’un délinquant à l’admissibilité à la libération conditionnelle;[35]
[49] Sur ce dernier cas de figure, la Cour suprême apporte les précisions suivantes :
Une attaque, fondée sur la Charte, contre la loi en vertu de laquelle l'accusé a été inculpé, qui semble bien fondée et qui ne dépend pas de faits devant être prouvés au cours du procès pourrait être visée par cette exception à la règle générale. […] À plus forte raison si l'on s'attend à ce que le procès soit très long.[36]
[Soulignements du Tribunal.]
[50] La Cour suprême est d’avis que, dans ce cas, la contestation constitutionnelle n’était pas sans fondement, peu importe l’issue finale. La preuve au procès n’aurait pas été utile pour résoudre la question constitutionnelle, « étant donné la nature des arguments de l'appelant » (p. 955). La juge d’instance n’a pas commis d’erreur (p. 955).
[51] Dans R. v. Salisbury[37], la juge d’instance est saisie d’une requête en arrêt des procédures suivant une violation à l’art. 9 de la Charte. La requête est accueillie. En appel, le juge casse le jugement et renvoie l’affaire pour adjudication sur le fond; la cour d’appel confirme. L’un des arguments soulevés en appel était le timing de la décision de la juge d’instance. La Cour d’appel fournit alors ces précisions :
It is necessary for the Court to simply clarify there is no set procedure for the determination of Charter violations and relevant remedies. The appropriate procedure and process will depend on the particular circumstances of the case taking into account all of the relevant factors. There will be situations where a Charter breach needs to be dealt with immediately and in other situations redress can wait until matters are adjudicated at trial. There are no hard and fast rules, nor would it be possible to set such rules. The determination of the appropriate procedure is within the discretion of the trial judge and, assuming the discretion is properly exercised, deference will be accorded.[38]
[Soulignements du Tribunal.]
[53] Dans un cas dont les allégations d’inconduite sont en partie similaires à celles formulées en l’espèce, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu que la requête devait être entendue après la preuve de la poursuivante au procès. Les remèdes demandés étaient les mêmes qu’en l’espèce (arrêt des procédures ou, subsidiairement l’exclusion de la preuve du témoin visé par les allégations). La juge a tout de même statué que l’interrogatoire en chef et contre-interrogatoire du témoin au fond, ainsi que la preuve de la poursuivante corroborant ses dires, lui étaient essentiels pour déterminer l’existence de l’abus allégué[40].
[54] Pour conclure, le Tribunal a exercé sa discrétion à l’intérieur des paramètres établis par la jurisprudence.
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