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jeudi 20 mars 2025

L’auto-incrimination : le principe général à l’origine de la règle des confessions et du droit de garder le silence

R. c. Singh, 2007 CSC 48

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21                              Même si, autrefois, la règle des confessions s’attachait davantage à la fiabilité des confessions qu’à la protection contre l’auto‑incrimination, ce n’est plus le cas depuis l’entrée en vigueur de la Charte.  La règle des confessions et le droit constitutionnel de garder le silence sont des manifestations du principe interdisant l’auto‑incrimination.  Ce dernier principe est une notion générale que le juge en chef Lamer a décrite utilement comme étant un « principe directeur général de droit criminel », dont il est possible de tirer un certain nombre de règles : R. c. Jones, 1994 CanLII 85 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 229, p. 249.  De même, le juge Iacobucci a décrit le principe interdisant l’auto‑incrimination dans l’arrêt R. c. White, 1999 CanLII 689 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 417 :

 

Il ressort clairement de la jurisprudence de notre Cour que le principe interdisant l’auto‑incrimination est un principe prépondérant dans notre système de justice criminelle, duquel émanent un certain nombre de règles issues de la common law et de la Charte, comme la règle des confessions et le droit de garder le silence, parmi tant d’autres.  Ce principe peut aussi être la source de nouvelles règles en temps opportun.  Dans la Charte, le principe interdisant l’auto‑incrimination se retrouve dans plusieurs protections procédurales plus précises, comme, par exemple, le droit à l’avocat selon l’al. 10b), le droit à la non‑contraignabilité selon l’al. 11c) et le droit à l’immunité contre l’utilisation de la preuve selon l’art. 13.  La Charte prévoit également une protection résiduelle de ce principe par son art. 7.  [Je souligne; par. 44.]

 

22                              Monsieur Singh reconnaît que ses déclarations ont été obtenues d’une manière conforme à la règle des confessions en common law  — autrement dit, qu’elles étaient volontaires.  L’élément qu’il invoque pour demander leur exclusion de la preuve est plutôt la protection résiduelle dont le droit de garder le silence bénéficie en vertu des art. 7 et 24 de la Charte, dont voici le texte :

 

7.  Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

 

24. (1)  Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

 

(2)  Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s’il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

 

Il est clair que le droit à la liberté que l’art. 7 de la Charte garantit à M. Singh entre en jeu en raison de la possibilité que ses déclarations incriminantes soient admises en preuve lors de son procès pour meurtre au deuxième degré.

 

23                              Puisque l’existence du caractère volontaire est reconnue, la portée de la règle des confessions en common law et son application aux faits de la présente affaire ne sont pas, à proprement parler, en cause dans le présent pourvoi.  Une question est toutefois soulevée au sujet de l’interaction entre la règle des confessions et le droit de garder le silence garanti par la Charte.  Plus précisément, M. Singh soutient que la Cour d’appel a commis une erreur de droit en affirmant, au par. 19, que [traduction] « [d]ans le contexte d’un interrogatoire d’enquête mené par une personne qui est de toute évidence en situation d’autorité, il se peut que l’interprétation large de la règle des confessions dans l’arrêt Oickle laisse peu de place additionnelle à l’art. 7, mais un critère d’admissibilité à deux volets n’a aucune utilité particulière. »  Il devient donc nécessaire d’examiner les divers éléments de la règle des confessions pour en déterminer le lien avec le droit de garder le silence.

 24                              Comme nous le verrons, il existe un recoupement important entre l’examen du caractère volontaire et l’examen d’une allégation d’atteinte au droit de garder le silence effectué en vertu de l’art. 7 de la Charte.  Cela n’a rien d’étonnant.  Premièrement, le droit de garder le silence n’est pas un concept qui s’est formé avec l’avènement de la Charte.  Il existait déjà depuis longtemps avant la Charte et était compris dans la règle des confessions reconnue en common law.  Deuxièmement, la reconnaissance par notre Cour, dans l’arrêt Hebert, de la protection résiduelle accordée par l’art. 7 de la Charte au droit de garder le silence avant le procès reposait en grande partie sur la règle des confessions et la portée de la protection qu’elle offre au droit d’un individu de choisir de parler ou non aux autorités.  Troisièmement, la reformulation large de la règle des confessions par notre Cour dans l’arrêt Oickle était, par ailleurs, largement fondée sur un examen des principes de la Charte, y compris le droit de garder le silence défini dans l’arrêt Hebert.

 25                              Je considère donc que la remarque de la Cour d’appel sur l’interaction entre la règle des confessions et le droit de garder le silence garanti par l’art. 7 constitue une reconnaissance de ce recoupement important.  En fait, comme je vais l’expliquer, dans le cas où le détenu qui subit un interrogatoire policier sait qu’il s’adresse à une personne en situation d’autorité, les deux critères applicables pour déterminer si le droit du suspect de garder le silence a été respecté sont fonctionnellement équivalents.  (La symétrie entre la règle des confessions et les droits connexes garantis par la Charte en ce qui a trait à la capacité mentale requise a déjà été reconnue dans l’arrêt R. c. Whittle1994 CanLII 55 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 914, où la Cour a conclu que le critère de l’état d’esprit conscient en common law répond parfaitement à l’exigence de la capacité mentale requise pour renoncer efficacement au droit à l’assistance d’un avocat et pour faire activement un choix relativement au droit de garder le silence.)  Par conséquent, dans le contexte de l’interrogatoire d’un détenu par une personne qui est de toute évidence en situation d’autorité, la Cour d’appel a eu raison de mettre en doute l’utilité d’un [traduction] « critère d’admissibilité à deux volets ».  En outre, du fait qu’il incombe au ministère public d’établir le caractère volontaire hors de tout doute raisonnable et que l’exclusion est automatique si ce critère n’est pas respecté, la common law offre une plus grande protection à l’accusé et il est inutile de procéder à un examen distinct fondé sur l’art. 7.  Cependant, comme je vais l’expliquer, la protection résiduelle accordée au droit de garder le silence par l’art. 7 de la Charte aura une utilité supplémentaire pour l’accusé dans d’autres contextes.

 26                              Je vais maintenant examiner la nature et la portée de la règle des confessions, plus particulièrement du point de vue de ses traits communs avec le droit de garder le silence.

3.2  La règle des confessions


27                              Comme nous l’avons vu, bien qu’il soit désormais constitutionnalisé, le droit de garder le silence est de beaucoup antérieur à la Charte.  Ce droit, en tant que principe de common law, a récemment été confirmé par notre Cour dans l’arrêt R. c. Turcotte, [2005] 2 R.C.S. 519, 2005 CSC 50.  De manière générale, le droit de garder le silence reconnu en common law traduit simplement le principe général voulant que, en l’absence de contrainte légale ou d’une autre forme de contrainte juridique, nul ne soit tenu de fournir des renseignements à la police ou de répondre à ses questions.  S’exprimant au nom de notre Cour, la juge Abella a repris, au par. 41, la définition de ce droit donnée par le juge Lamer dans l’arrêt Rothman c. La Reine1981 CanLII 23 (CSC), [1981] 1 R.C.S. 640 :

 

Au Canada, le droit d’un suspect de ne rien dire à la police [. . .] n’est que l’exercice, de sa part, du droit général dont jouit toute personne de ce pays de faire ce qui lui plaît, de dire ce qui lui plaît ou de choisir de ne pas dire certaines choses à moins que la loi ne l’y oblige.  C’est parce qu’aucune loi ne dit qu’un suspect, sauf dans certaines circonstances, doit dire quelque chose à la police que nous disons qu’il a le droit de garder le silence; c’est une façon positive d’expliquer que la loi ne l’oblige pas à agir autrement.  [Notes omises; p. 683.]

 

28                              Ce que la common law reconnaît, c’est le droit d’un individu de garder le silence.  Toutefois, cela ne signifie pas que quelqu’un a le droit de ne pas se faire adresser la parole par les autorités de l’État.  On ne saurait douter de l’importance que l’interrogatoire revêt dans le travail d’enquête des policiers.  On comprendra aisément qu’il serait difficile pour la police d’enquêter sur un crime sans poser de questions aux personnes qui, selon elle, sont susceptibles de lui fournir des renseignements utiles.  La personne soupçonnée d’avoir commis le crime à l’origine de l’enquête ne fait pas exception.  Du reste, s’il a effectivement commis le crime, le suspect est vraisemblablement la personne ayant le plus de renseignements à fournir au sujet de l’épisode en question.  La common law reconnaît donc aussi l’importance de l’interrogatoire policier dans les enquêtes criminelles.

 

29                              Il est évident que les renseignements obtenus auprès d’un suspect ne sont utiles pour élucider un crime que s’ils peuvent être invoqués pour en établir la véracité — d’où la première raison d’être de la règle des confessions, la préoccupation relative à la fiabilité des confessions.  La règle des confessions en common law découle en grande partie du problème des fausses confessions.  Comme on l’a souligné dans l’arrêt Oickle, « [l]’histoire des interrogatoires policiers n’est pas exempte d’épisodes plutôt répugnants » (par. 34).  Les paramètres de la règle sont largement conçus pour contrer les risques découlant des techniques d’interrogatoire irrégulières qui produisent généralement de fausses confessions : voir l’arrêt Oickle, par. 32‑46.  De plus, la confession représente, à l’égard de l’accusé, un élément de preuve très redoutable qui peut, à lui seul, fonder une déclaration de culpabilité.  L’un des principaux soucis du système de justice criminelle est d’éviter qu’une personne innocente soit déclarée coupable.  Puisqu’il est reconnu que les confessions involontaires risquent davantage de ne pas être fiables, la règle des confessions prévoit que, pour qu’une déclaration obtenue auprès d’un accusé par une personne en situation d’autorité puisse être admise en preuve, il faut préalablement en établir le caractère volontaire hors de tout doute raisonnable, de manière à éviter les erreurs judiciaires.

 30                              Il va sans dire que les confessions involontaires ne sont pas toutes fausses.  Bien que la règle des confessions s’attache avant tout à la question de la fiabilité, il est bien établi que le caractère volontaire est une notion plus large.  Comme notre Cour l’a affirmé dans l’arrêt Oickle (par. 70) : « Wigmore est peut‑être celui qui a le mieux résumé la question lorsqu’il a dit que le caractère volontaire était [traduction] “la formulation synthétique d’un faisceau de valeurs” : Wigmore on Evidence (Chadbourn rev. 1970), vol. 3, § 826, à la p. 351. »  Au nombre de ces valeurs figurent le respect de la liberté de choix de l’individu, la nécessité que les policiers respectent la loi quand ils l’appliquent et l’équité globale du système de justice criminelle : voir l’arrêt Oickle, par. 69‑70, où l’on cite l’arrêt Blackburn c. Alabama, 361 U.S. 199 (1960), p. 207.


31                              Par conséquent, la notion du caractère volontaire est générale et englobe depuis longtemps le principe de common law voulant que nul ne soit tenu de donner des renseignements à la police ou de répondre à ses questions.  Cet aspect de la règle du caractère volontaire ressort de la mise en garde policière que reçoivent habituellement les suspects et de l’importance accordée (même avant l’avènement de la Charte) à l’existence d’une mise en garde en tant que facteur à considérer pour déterminer le caractère volontaire d’une déclaration faite par une personne arrêtée ou détenue : voir les arrêts Boudreau c. The King1949 CanLII 26 (SCC), [1949] R.C.S. 262; R. c. Fitton1956 CanLII 28 (SCC), [1956] R.C.S. 958; R. c. Esposito (1985), 1985 CanLII 118 (ON CA), 24 C.C.C. (3d) 88 (C.A. Ont.).  La mise en garde policière faite à une personne accusée d’une infraction revêt souvent la forme suivante : [traduction] « Vous êtes accusé[e] de [. . .]  Souhaitez‑vous déclarer quelque chose en réponse à cette accusation?  Vous n’êtes pas obligé(e) de dire quoi que ce soit, mais tout ce que vous direz pourra servir de preuve. »  La mise en garde policière informe donc clairement le suspect de son droit de garder le silence.  Dès 1949, dans l’arrêt Boudreau, notre Cour en a souligné l’importance en tant que facteur à considérer pour trancher la question du caractère volontaire :

 

[traduction]  Il s’agit essentiellement de savoir si la confession d’un accusé produite en preuve est volontaire.  La simple existence d’une mise en garde ne fait pas nécessairement pencher la balance en faveur de l’admissibilité, mais l’absence de mise en garde ne devrait pas non plus avoir pour effet d’obliger la cour à écarter une déclaration.  La cour doit examiner toutes les circonstances ayant entouré une déclaration et si, après cet examen, elle n’est pas convaincue du caractère volontaire de l’aveu qu’elle constitue, la déclaration sera rejetée.  L’existence ou l’absence d’une mise en garde est donc un facteur à considérer, qui, dans bien des cas, est important.  [Je souligne; p. 267.]

 

32                              Bien que la règle des confessions s’applique peu importe que le suspect soit détenu ou non, la common law reconnaissait, là encore bien avant l’avènement de la Charte, que la situation du suspect est très différente après sa mise en détention.  (Comme nous le verrons, la protection résiduelle accordée au droit de garder le silence par l’art. 7 de la Charte n’entre en jeu qu’après la mise en détention.)  Après la mise en détention, les autorités de l’État ont la situation en main et le détenu, qui ne peut pas simplement s’esquiver, se trouve dans une position plus vulnérable.  Le risque d’abus de pouvoir de la part des policiers est plus élevé.  Le seul fait d’être détenu peut avoir un effet important sur le suspect et l’amener à se sentir contraint de faire une déclaration.  L’importance de réaffirmer le droit de l’individu de choisir de parler ou non aux autorités après sa mise en détention se reflète dans la jurisprudence relative au moment où doit être faite la mise en garde policière.  Dans son ouvrage intitulé Admissibility of Statements (9e éd. (feuilles mobiles)), p. 2‑24.2 et 2‑24.3, René Marin propose à cet égard aux policiers un critère utile :

 

[traduction]  La mise en garde devrait être faite lorsqu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner que la personne interrogée a commis une infraction.  Pour déterminer selon un critère simple à quel moment il faut la faire, le policier peut se demander ce qu’il ferait si la personne tentait de quitter la salle d’interrogatoire ou de lui fausser compagnie pendant une communication ou un échange.  Si la réponse est qu’il procéderait à l’arrestation (ou à la mise en détention) de cette personne, il y a alors lieu de faire la mise en garde.

 

33                              Il s’agit là d’un conseil judicieux.  Même si le suspect n’est pas officiellement en état d’arrestation et qu’il n’est manifestement pas détenu, la mise en garde policière est indiquée dans les circonstances décrites par Marin.  Il va sans dire que, depuis l’avènement de la Charte, le droit à l’assistance d’un avocat garanti par l’art. 10 entre en jeu dès l’arrestation ou la mise en détention.  Il s’agit à la fois du droit de consulter un avocat et de celui d’être informé de ce droit.  Il vise à garantir que les personnes soumises au pouvoir coercitif de l’État connaissent leur droit de recourir à l’assistance d’un avocat et aient la possibilité de l’exercer, de manière à pouvoir faire un choix éclairé quant à savoir si elles participeront ou non à l’enquête dont elles sont l’objet.  Par conséquent, si le détenu a exercé le droit à l’assistance d’un avocat que lui garantit l’art. 10, il aura vraisemblablement été informé de son droit de garder le silence, et l’importance globale de la mise en garde peut se trouver quelque peu réduite.  Toutefois, si le suspect n’a pas consulté un avocat, la mise en garde policière devient d’autant plus importante en tant que facteur à considérer pour répondre à la question du caractère volontaire qui se pose en dernière analyse.

34                              Il ressort de ce qui précède que, lorsque la Charte est entrée en vigueur en 1982, le droit de garder le silence, en tant que facette du principe interdisant l’auto‑incrimination, faisait déjà vraiment partie de la règle des confessions reconnue en common law.  Toute incertitude qui pouvait subsister quant à savoir si la règle des confessions englobait le droit de garder le silence a été clairement dissipée par notre Cour dans l’arrêt Hebert.  Celle‑ci a reconnu que le droit de garder le silence faisait partie des « préceptes fondamentaux de notre système juridique » et avait en conséquence été constitutionnalisé en vertu de l’art. 7 (p. 162‑163).  Pour définir la portée du droit de garder le silence garanti par la Charte, la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) s’est fondée dans une large mesure sur des règles de common law connexes, dont la règle des confessions.  En examinant la portée de la règle des confessions reconnue en common law, elle a expliqué (p. 166-167) que deux thèmes constants ressortaient de la jurisprudence relative aux confessions.  Le premier concernait l’usage du libre arbitre dans le choix de parler à la police ou de garder le silence, et le second, l’assurance que la réception de la déclaration contestée ne créerait pas une iniquité ou ne serait pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.  Ensuite, elle a expliqué comment cette notion plus large de la règle fait partie de note conception fondamentale de l’équité procédurale et comment elle reflète le point de vue selon lequel la raison d’être de la règle des confessions « va au‑delà de l’exclusion des déclarations non dignes de foi pour s’étendre aux questions de savoir si la réception de la déclaration sera inéquitable ou susceptible de déconsidérer l’administration de la justice » (p. 167).  Après avoir fait cet historique de la règle des confessions, la juge McLachlin s’est demandé si cette notion plus large du caractère volontaire « devrait prévaloir après l’adoption de la Charte » (p. 173), pour conclure qu’elle le devrait.

 35                              Dix ans plus tard, dans l’arrêt Oickle, notre Cour a mentionné expressément l’analyse de l’arrêt Hebert et a adopté cette interprétation large moderne de la règle des confessions qui, faut‑il le noter en l’espèce, inclut nettement le droit de la personne détenue de faire un choix utile quant à savoir si elle parlera ou non aux autorités de l’État : voir par. 24‑26.  Le juge Iacobucci a alors examiné les divers éléments de la règle des confessions contemporaine, en soulignant bien entendu que « [l]’application de la règle est, par nécessité, contextuelle » et qu’il faut tenir compte de « tous les facteurs pertinents » (par. 47).  Il a ensuite décrit les conditions les plus courantes qui vicient le caractère volontaire des confessions en utilisant les rubriques bien connues que sont a) les menaces ou promesses, b) l’oppression et c) l’état d’esprit conscient.  Conformément à l’interprétation large moderne de la règle des confessions, il a aussi ajouté un dernier facteur à considérer pour déterminer si une confession est volontaire ou non — le recours par la police à des ruses qui « choquer[aient] la collectivité », dans le but d’obtenir une confession (par. 66).  Le juge a expliqué que, « [c]ontrairement aux théories qui ont fait l’objet des trois dernières rubriques, cette théorie établit une analyse distincte.  Bien qu’elle soit elle aussi liée au caractère volontaire, elle vise plus précisément à préserver l’intégrité du système de justice pénale » (par. 65).  Il convient enfin de signaler qu’en résumant les paramètres de la règle des confessions le juge Iacobucci a décrit expressément le droit de garder le silence comme étant une facette pertinente de la règle :

 

La théorie de l’oppression et celle des encouragements s’attachent principalement à la fiabilité.  Cependant, comme le démontrent la théorie de l’état d’esprit conscient et les motifs concordants du juge Lamer dans Rothman, précité, la règle des confessions vise également à protéger une conception plus large du caractère volontaire [traduction] « qui met l’accent sur la protection des droits de l’accusé et l’équité du processus pénal » : J. Sopinka, S. N. Lederman et A. W. Bryant, The Law of Evidence in Canada (2e éd. 1999), à la p. 339.  Le caractère volontaire est la pierre d’assise de la règle des confessions.  Qu’il ait été question de menaces ou de promesses, de l’absence d’un état d’esprit conscient ou encore de ruses policières qui privent injustement l’accusé de son droit de garder le silence, la jurisprudence de notre Cour a invariablement protégé l’accusé contre l’admission en preuve d’une confession non volontaire.  Si la confession est involontaire pour l’une ou l’autre de ces raisons, elle est inadmissible.  [Je souligne; par. 69.]

 

36                              En ce qui concerne la question du caractère volontaire, comme dans tout examen distinct effectué en vertu de l’art. 7 au sujet d’une allégation de violation du droit de garder le silence, l’accent est mis sur le comportement de la police et sur l’incidence qu’il a eu sur la capacité du suspect d’user de son libre arbitre.  Le critère est de nature objective.  Cependant, les caractéristiques individuelles de l’accusé constituent, de toute évidence, des facteurs pertinents pour appliquer ce critère objectif.

 37                              Pour se prononcer sur le caractère volontaire, au sens où on l’entend de nos jours, le tribunal doit donc examiner si l’accusé a été privé de son droit de garder le silence.  La définition du droit de garder le silence est conforme aux principes constitutionnels.  Par conséquent, une conclusion à l’existence du caractère volontaire sera déterminante quant à la question relative à l’art. 7.  Autrement dit, si le ministère public établit le caractère volontaire hors de tout doute raisonnable, il sera alors impossible de conclure à une violation du droit de garder le silence garanti par la Charte en ce qui concerne la même déclaration.  L’inverse est également vrai.  Dans le cas où un accusé peut prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu violation de son droit de garder le silence, le ministère public ne sera pas en mesure de satisfaire au critère du caractère volontaire.  Cependant, il importe de saisir la portée que doit avoir le droit constitutionnalisé de garder le silence, question sur laquelle je reviendrai dans un instant.  Comme je vais l’expliquer, la véritable question que soulève M. Singh concerne la portée du droit de garder le silence maintenant constitutionnalisé en vertu de l’art. 7 de la Charte.  Toutefois, il est préalablement nécessaire d’en dire plus sur la corrélation entre la règle des confessions et la protection résiduelle offerte par l’art. 7 de la Charte.

 38                              On s’est beaucoup préoccupé, en l’espèce, du recoupement entre la règle des confessions et l’art. 7 de la Charte.  Cependant, M. Singh a tort de soutenir qu’une approche qui donne plein effet à la règle moderne des confessions vide en quelque sorte de tout son sens de droit de garder le silence que lui garantit la Charte.  Premièrement, il n’y a rien d’inusité dans le fait que les règles de common law évoluent dans le sens de la Charte.  La règle des confessions en common law ne fait pas exception.  Deuxièmement, l’interprétation large retenue dans l’arrêt Oickle n’écarte pas la protection du droit de M. Singh de garder le silence, mais au contraire elle la renforce.  Comme nous l’avons vu, la règle de common law oblige le ministère public à établir le caractère volontaire hors de tout doute raisonnable.  La seule existence d’un doute quant à savoir si le détenu a usé de son libre arbitre en faisant la déclaration est suffisante pour justifier une réparation.  De plus, contrairement aux réparations fondées sur la Charte qui, en vertu du par. 24(2), sont assujetties au pouvoir discrétionnaire du tribunal, la violation de la règle des confessions justifie dans tous les cas l’exclusion de la déclaration en cause.  Dans l’arrêt Oickle, le juge Iacobucci a souligné la protection plus large offerte par la règle des confessions lorsqu’il a expliqué pourquoi il rejetait l’idée qu’il y avait lieu de considérer que la Charte subsume les règles de common law.  Il convient de rappeler les propos qu’il a tenus à cet égard :

 

Une interprétation possible est que la Charte subsume ces règles.

 

Cependant, je ne crois pas que cette interprétation soit fondée, et ce pour plusieurs raisons.  Premièrement, la règle des confessions a une portée plus grande que les droits garantis par la Charte.  Par exemple, les garanties prévues par l’art. 10 ne s’appliquent qu’« en cas d’arrestation ou de détention ».  Par comparaison, la règle des confessions s’applique chaque fois qu’une personne en situation d’autorité interroge un suspect.  Deuxièmement, le fardeau de la preuve et la norme de preuve ne sont pas les mêmes pour l’application de la Charte que pour la règle des confessions.  Dans le cas de la Charte, il incombe à l’accusé d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu atteinte à des droits constitutionnels, alors que dans le cas de la règle des confessions, il incombe à la poursuite d’établir, hors de tout doute raisonnable, que l’aveu était volontaire.  Enfin, les réparations diffèrent dans l’un et l’autre cas.  En vertu du par. 24(2) de la Charte, le tribunal peut écarter des éléments de preuve obtenus en violation des dispositions de la Charte, mais seulement si leur utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice : voir R. c. Stillman1997 CanLII 384 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 607, R. c. Collins1987 CanLII 84 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 265, et la jurisprudence connexe.  À l’opposé, la violation de la règle des confessions commande dans tous les cas l’exclusion des éléments de preuve.

 

Ces différences illustrent bien le fait que la Charte n’englobe pas exhaustivement tous les droits.  Au contraire, elle représente le strict minimum que le droit doit respecter.  Le corollaire nécessaire de cette affirmation est que le droit peut établir, soit au moyen de dispositions législatives ou de règles de common law, d’autres garanties que celles prévues par la Charte.  La règle des confessions de la common law constitue un tel principe, et il serait erroné de le confondre avec les garanties offertes par la Charte.  Bien qu’il puisse certes être approprié, comme l’a fait notre Cour dans Hebert, précité, d’interpréter un ensemble de droits au regard de l’autre, il serait erroné de présumer que l’un de ces ensembles subsume entièrement l’autre. [Je souligne; par. 29‑31.]

 39                              Des précisions s’imposent ici sur la mise en garde du juge selon laquelle « il serait erroné de présumer que l’un de ces ensembles subsume entièrement l’autre ».  Pour les raisons déjà exposées, la règle des confessions subsume effectivement le droit constitutionnel de garder le silence dans le cas où une personne qui est de toute évidence en situation d’autorité interroge une personne détenue, du fait qu’en pareil cas les deux critères sont fonctionnellement équivalents.  Toutefois, cela ne signifie pas que la protection résiduelle dont le droit de garder le silence bénéficie en vertu de l’art. 7 de la Charte ne peut pas compléter la common law.  Les professeurs Paciocco et Stuesser expliquent succinctement cette corrélation entre la règle de la common law et l’art. 7 :

 

[traduction]  L’article 7 de la Charte peut compléter la common law.  Il est reconnu, par exemple, que la règle du caractère volontaire a été constitutionnalisée à titre de principe de justice fondamentale.  Ce fait a cependant peu d’importance pratique.  En ce qui concerne les déclarations elles‑mêmes, l’accusé fera mieux d’invoquer la règle de common law qui oblige le ministère public à établir le caractère volontaire et qui prescrit l’exclusion automatique de la déclaration.  S’il invoque le principe établi dans la Charte, l’accusé a le fardeau d’établir l’existence d’une violation selon la prépondérance des probabilités et si le ministère public peut démontrer que l’accusé aurait parlé en l’absence de la violation, la déclaration pourrait toujours être admissible.

 

Même si, dans la plupart des cas, la common law offrira par conséquent une meilleure protection, il arrivera cependant que l’article 7  aura une utilité supplémentaire pour l’accusé.  Comme nous l’avons vu, il y a violation de l’article 7 si l’accusé est contre‑interrogé sur les raisons pour lesquelles il n’a pas fait de déclaration à la police.  En outre, comme nous le verrons plus loin, l’article 7 protège le droit de garder le silence et, bien que cela prête à controverse [à noter que c’est ce point litigieux qui est réglé dans le présent pourvoi], il se peut qu’une violation de ce droit constitutionnel entraîne l’exclusion de déclarations par ailleurs admissibles; l’article 7 va indéniablement plus loin que la règle du caractère volontaire dans le cas des « déclarations faites par des personnes détenues », en écartant de nombreuses déclarations qui respecteraient par ailleurs la règle du caractère volontaire.  De même, dans les cas de « contrainte légale », des déclarations faites conformément à une obligation légale de parler peuvent être écartées en dépit du fait qu’elles auraient été admissibles en common law.  L’article 7 favorise aussi l’exclusion d’éléments de preuve dérivée qui auraient été admis en common law.  Dans l’arrêt R. c. Oickle, le juge Iacobucci a prévenu, au sujet des régimes de la common law et de la Charte, qu’« il serait erroné de présumer que l’un de ces ensembles subsume entièrement l’autre. »  [Renvois omis.]

 

(The Law of Evidence (4e éd. 2005), p. 304‑305)

40                              Comme le soulignent les professeurs Paciocco et Stuesser, la protection résiduelle dont le droit de garder le silence bénéficie en vertu de l’art. 7 a été reconnue dans un certain nombre de circonstances.  Il se peut que l’on juge que l’art. 7 a un rôle à jouer dans d’autres contextes non mentionnés dans l’extrait précité.  Le cas des « déclarations faites par des personnes détenues », en tant qu’exemple où l’art. 7 va plus loin que la règle du caractère volontaire, est le plus pertinent dans le présent pourvoi.  Les auteurs font ici allusion au principe de l’arrêt Hebert suivant lequel, comme ils l’expliquent, [traduction] « il y a atteinte au droit d’une personne détenue de garder le silence lorsqu’un agent double de l’État (soit un policier, soit un informateur recruté par la police) obtient de façon active une déclaration de l’accusé » (p. 307).  Voilà un exemple où l’art. 7 offre une protection plus grande que la règle des confessions du fait que cette dernière n’entre pas en jeu dans des circonstances comme celles de l’affaire Hebert.  La règle des confessions ne s’applique qu’à l’égard des déclarations faites à une personne en situation d’autorité.  L’agent double, dont l’accusé ignore qu’il agit à titre d’autorité de l’État, ne fait pas partie de cette catégorie.  Il est bien établi que le critère applicable pour déterminer qui est une « personne en situation d’autorité » n’est pas fondé sur des catégories; il est plutôt de nature contextuelle.  Il dépend dans une large mesure de la perception raisonnable de l’accusé.  Ce critère a été réitéré dernièrement dans l’arrêt R. c. Grandinetti, [2005] 1 R.C.S. 27, 2005 CSC 5 : « Il faut se demander si, compte tenu de sa perception [raisonnable] du pouvoir de son interlocuteur d’influencer la poursuite, l’accusé croyait qu’il subirait un préjudice s’il refusait de faire une déclaration ou qu’il bénéficierait d’un traitement favorable s’il parlait » (par. 38).  Cette approche est fondée sur l’attachement traditionnel de la règle à la fiabilité des confessions, le raisonnement étant qu’il existe un risque plus élevé qu’un accusé soit incité à faire une fausse confession à une personne perçue comme ayant le pouvoir d’influencer le déroulement de l’enquête ou de l’instance. 

41                              J’aborde maintenant la portée du droit de garder le silence garanti par l’art. 7 de la Charte.

 

3.3.  Le droit de garder le silence garanti par l’art. 7

 

42                              Comme nous l’avons vu, M. Singh soutient que le droit canadien offre une protection insuffisante durant les interrogatoires sous garde.  Selon lui, les policiers devraient être tenus d’informer le détenu de son droit de garder le silence et, en l’absence d’une renonciation signée, s’abstenir d’interroger le détenu qui affirme ne pas vouloir parler à la police.  Monsieur Singh demande en fait à la Cour d’imposer à la police l’obligation corrélative, comparable à l’al. 10b) de la Charte, de cesser l’interrogatoire du suspect qui invoque clairement le droit de garder le silence.  Il n’y a aucun doute qu’une règle aussi claire et précise aurait l’avantage d’être certaine.  Cependant, pour les motifs qui suivent, je ne puis retenir cette idée.

 43                              Non seulement l’approche préconisée par M. Singh ne tient‑elle pas compte des intérêts de l’État qui sont en jeu — point sur lequel je reviendrai plus loin —, mais encore elle déborde la protection accordée à la liberté de choix de l’individu tant par la common law que par la Charte.  Le droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit est expressément prévu par la Charte.  Aucune disposition analogue n’y figure en ce qui a trait au droit de garder le silence.  Le juge Hackett a très bien expliqué la raison de cette différence :

 

[traduction]  Même si le droit à l’assistance d’un avocat et celui de garder le silence ont la même importance, cela ne signifie pas qu’ils seront protégés de la manière indiquée dans la décision Guimond.  De par sa nature même, le droit de garder le silence s’exerce d’une façon différente du droit à l’assistance d’un avocat et, à cet égard, le droit de garder le silence et celui de recourir à l’assistance d’un avocat diffèrent.  L’exercice du droit de garder le silence dépend de la volonté de l’accusé qui est dans un état d’esprit conscient et qui est pleinement informé de ses droits, pourvu que le comportement des autorités ne le prive pas de sa capacité de choisir.  Par contre, l’exercice du droit à l’assistance d’un avocat ne dépend pas de la seule volonté de l’accusé qui est détenu.  Il doit en effet être facilité par la police.  Par conséquent, il est clair que la police ne peut pas continuer à interroger un accusé qui invoque son droit à l’assistance d’un avocat tant qu’elle ne l’a pas aidé à exercer ce droit.  L’obligation de « surseoir » dans le cas du droit à l’assistance d’un avocat n’est donc pas nécessaire dans le cas du droit de garder le silence, parce que le droit reconnaît le libre arbitre de l’accusé et sa capacité de changer d’avis quant à savoir s’il parlera ou non à la police.  Ce changement d’avis peut se produire soit pour des raisons personnelles, soit à la suite d’une persuasion policière qui ne viole pas les principes de justice fondamentale et n’empêche pas l’accusé de choisir.

 

(R. c. C.G.[2004] O.J. No. 229 (QL) (C.J.), par. 93)

 

44                              En common law, la protection offerte par la règle des confessions a toujours eu pour objet d’empêcher l’État d’abuser des pouvoirs supérieurs qu’il a sur un suspect détenu.  Toutefois, selon l’approche proposée par M. Singh, la recevabilité de toute déclaration obtenue après que le suspect a invoqué son droit de garder le silence serait mise en doute, et ce, indépendamment de la question de savoir s’il existe un lien causal entre le comportement de la police et la déclaration qui a été faite.

 45                              Qui plus est, la thèse de M. Singh ne tient pas compte de l’intérêt de l’État dans l’efficacité des enquêtes criminelles.  Dans l’arrêt Hebert, la Cour a souligné l’importance d’établir un juste équilibre entre le droit de l’individu de choisir de parler ou non aux autorités et l’intérêt qu’a la société à découvrir de la vérité dans le cadre des enquêtes criminelles.  Comme je l’ai déjà affirmé, le suspect peut être la source de renseignements la plus riche.  Bien que la détention donne incontestablement naissance à la nécessité d’assujettir les techniques d’interrogatoire de la police à des limites supplémentaires en raison de la vulnérabilité plus grande du détenu, le moment de la détention ne diminue aucunement la valeur du suspect à titre de source de renseignements importante.  Pourvu que les droits du détenu soient suffisamment protégés, y compris sa liberté de choisir de parler ou non, la société a intérêt à ce que la police essaie de mettre à profit cette source précieuse. Dans l’arrêt Hebert, la Cour a tenu les propos suivants au sujet de l’importance cruciale d’établir un juste équilibre entre les intérêts de l’individu et ceux de la société :

 

Par l’intermédiaire de l’art. 7, la Charte tente de restreindre le pouvoir de l’État sur la personne détenue.  Elle tente donc d’établir un équilibre entre les intérêts de la personne détenue et ceux de l’État.  D’une part, l’art. 7 cherche à protéger la personne visée par le processus judiciaire contre l’emploi inéquitable des ressources supérieures de l’État.  D’autre part, il conserve à l’État son pouvoir de porter atteinte aux droits d’un individu à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne pourvu qu’il respecte les principes de justice fondamentale.  Cet équilibre est crucial.  Accorder une trop grande importance à l’un ou l’autre de ces objets est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice — dans le premier cas, parce que l’État a fait un usage irrégulier de son pouvoir supérieur contre l’individu et, dans le second parce que l’intérêt légitime de l’État dans l’application des lois a été contrecarré sans raison valable.  [Je souligne; p. 180.]

 

46                              L’arrêt Hebert a donc défini les paramètres du droit de garder le silence garanti par l’art. 7 de la Charte de manière à ce que cet équilibre soit atteint.  Certaines des limites établies par la Cour tenaient aux faits particuliers de l’affaire Hebert et sont donc applicables seulement lorsque le détenu est interrogé par un agent banalisé.  Il n’est pas nécessaire de les répéter ici.  Ce sont les deux premières limites qui s’appliquent en l’espèce.  Voici les extraits pertinents :

 

Premièrement, la règle n’interdit aucunement aux policiers d’interroger l’accusé en l’absence de l’avocat après que l’accusé a eu recours à ses services.  Il faut présumer que l’avocat aura avisé l’accusé de son droit de garder le silence.  Si les policiers n’interviennent pas comme agents banalisés et que l’accusé choisit volontairement de donner des renseignements, il n’y aura aucune violation de la Charte.  La persuasion policière qui ne prive pas le suspect de son droit de choisir ni de son état d’esprit conscient ne viole pas le droit de garder le silence.

 

Deuxièmement, la règle ne s’applique qu’après la mise en détention.  Les opérations secrètes qui ont lieu avant la détention ne soulèvent pas les mêmes considérations.  La jurisprudence relative au droit de garder le silence n’a jamais étendu à la période qui précède la détention la protection contre les artifices utilisés par les policiers.  La Charte n’étend pas non plus le droit à l’assistance d’un avocat aux enquêtes qui précèdent la détention.  Les deux situations sont très différentes.  Au cours d’une opération secrète qui précède la détention, la personne de qui l’on tente d’obtenir des renseignements n’est pas sous le contrôle de l’État.  Il n’y a aucune raison de la protéger du pouvoir supérieur de l’État.  Après la mise en détention, la situation est tout à fait différente; l’État prend le contrôle et a la responsabilité de garantir que les droits du détenu sont respectés.  [Je souligne; p. 184.]

 

47                              Monsieur Singh conteste plus particulièrement la latitude dont jouissent les policiers pour questionner le détenu, même après que celui‑ci a retenu les services d’un avocat et exprimé son choix de garder le silence.  Il soutient que les tribunaux ont interprété de façon erronée le passage souligné ci‑dessus comme permettant aux policiers de passer outre à la volonté explicite d’un détenu de garder le silence, et d’utiliser des « moyens de persuasion légitimes ».  À cet argument, je réponds deux choses.  Premièrement, le recours à des moyens de persuasion légitimes est effectivement permis par la règle actuelle — notre Cour l’a expressément approuvé dans l’arrêt Hebert.  Cette approche s’inscrit dans l’équilibre crucial qui doit être maintenu entre les intérêts de l’individu et ceux de la société.  Deuxièmement, dans son état actuel, le droit ne permet pas aux policiers de passer outre à la liberté du détenu de choisir de parler ou non, comme on le prétend.  Tant en vertu des règles de la common law que de celles de la Charte, il se peut bien que la persistance des policiers à poursuivre l’interrogatoire, malgré les affirmations répétées du détenu qu’il souhaitait garder le silence, permette de faire valoir sérieusement que toute déclaration obtenue par la suite ne résultait pas d’une libre volonté de parler aux autorités.  Comme nous le verrons, le juge du procès en l’espèce était très conscient du risque que la déclaration soit involontaire lorsqu’un policier adopte un tel comportement.

48                              Il est clair que l’argument de M. Singh relatif à sa demande fondée sur l’art. 7 repose sur une conception large du droit de garder le silence qui ne fait pas partie du droit canadien.  En toute déférence, mon collègue le juge Fish se trouve en fait à souscrire à cette conception large du droit de garder le silence lorsqu’il dit que la question à trancher dans le présent pourvoi est celle de savoir « si “non” veut dire “oui” lorsque le policier qui effectue un interrogatoire refuse d’accepter le “non” donné comme réponse par un détenu qui est entièrement sous son contrôle » (par. 55).

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