Lehoux c. R., 2023 QCCA 789
[55] La réponse du juge est non seulement confuse, mais elle est clairement erronée. L’admission par un témoin de l’existence d’une possibilité, sans autre preuve pour l’enraciner, ne constitue pas un élément de preuve. Confuse, car le juge fait une distinction entre la preuve d’un fait et la preuve d’une possibilité, la dernière étant une preuve « plus vague », mais, doit-on comprendre, néanmoins une preuve plus vague à considérer.
[56] Selon un principe de base du droit de la preuve, la règle de la pertinence, un élément de preuve est pertinent « lorsque, selon la logique et l’expérience humaine, elle tend jusqu’à un certain point à rendre la proposition qu’elle appuie plus vraisemblable qu’elle ne le paraîtrait sans elle »[19]. Or, appliquant cette définition, tout témoin qui affirme, sans plus, qu’une chose est possible ne rend pas la preuve d’un fait plus vraisemblable à moins qu’il n’existe d’autres éléments de preuve sur lesquels se fonder.
[57] Mais il y a plus.
[58] L’arrêt Simpson[20] de la Cour suprême apporte une réponse complète à la problématique soulevée dans le présent dossier. Le juge Moldaver y précise que l’admission d’une possibilité dans une réponse en contre-interrogatoire n’établit pas qu’un événement est bel et bien survenu :
[36] Durant le contre‑interrogatoire, à au moins deux occasions, la juge du procès est intervenue et a demandé à Jean‑Marc Arcand s’il était « possible » que son père ait conclu un accord verbal avec les intimés relativement à l’espace commercial. La juge du procès a en outre demandé s’il était « possible » que Marius Arcand ait donné les clés des locaux en question aux intimés durant l’été 2010. Jean‑Marc Arcand a reconnu qu’il était possible qu’un accord ait été conclu par son père et que les clés aient été remises aux intimés. Cependant, à aucun moment durant son témoignage, n’a‑t‑il admis que ces événements étaient bel et bien survenus. Il était tout simplement incapable de nier les suggestions qui lui étaient faites, puisqu’il n’était pas au courant des interactions entre son père et les intimés, M. Simpson et Mme Farrell.
[37] La juge du procès s’est fondée sur les réponses de Jean‑Marc Arcand pour conclure à l’existence d’une preuve d’apparence de droit. Soit dit en tout respect, ce faisant, elle a commis une erreur. Comme le ministère public l’a fait remarquer à bon droit, une affirmation faite à un témoin durant son contre‑interrogatoire ne constitue pas une preuve de celle‑ci, à moins que le témoin ne la tienne pour véridique : voir R. c. Skedden, 2013 ONCA 49, par. 12; R. c. Zebedee (2006), 2006 CanLII 22099 (ON CA), 81 O.R. (3d) 583 (C.A.), par. 114; R. c. M.B.M., 2002 MBCA 154, 170 Man. R. (2d) 131, par. 25‑27. Cette règle s’applique même lorsque l’affirmation a été suggérée par le juge du procès.
[38] L’incapacité de Jean‑Marc Arcand de nier les suggestions qui lui étaient faites ne nous éclaire en rien quant à la véracité ou non de ces suggestions. Prises isolément, ses réponses se limitent à faire savoir qu’il ne connaissait pas personnellement les interactions précises, le cas échéant, que pouvait avoir eues son père avec les intimés. La juge du procès n’était donc pas autorisée à se fonder sur ces réponses comme preuve de quelque chose de plus — par exemple, du fait que les intimés pourraient avoir conclu un accord avec Marius Arcand. Ainsi, le témoignage de son fils Jean‑Marc ne peut être utilisé pour évaluer si la défense d’apparence de droit alléguée franchit le seuil de la vraisemblance. Soit dit en tout respect, la juge du procès a commis une erreur de droit en concluant autrement[21].
[Les soulignements sont ajoutés]
[59] De ces passages ressortent les principes suivants : 1) la suggestion de l’avocat en contre-interrogatoire ne fait partie de la preuve que si elle est adoptée par le témoin[22] et 2) l’admission d’une possibilité n’est pas une preuve.
[60] Généralement, la réponse d’un témoin qui admet une possibilité qui lui est proposée en contre-interrogatoire se distingue de celle qui adopte le fait proposé[23]. Dans le contexte de la présente affaire, c’est la réponse que devait donner le juge du procès en précisant qu’une possibilité ne tient pas lieu de preuve.
[61] De plus, la réponse du juge ne traite pas de la possibilité où la réponse d’un témoin à la question posée était « je ne sais pas » ou « je ne m’en souviens pas », ce qui s’avérait très important en l’espèce.
[62] Finalement, j’estime que le juge a refusé à tort de redonner ses directives initiales. Voici comment il s’exprime :
Parce que c’est pas parce qu’on répète pas une directive que les, les jurys l’ont oubliée là. Je l’ai dit dans mes directives préliminaires. Je l’ai dit dans mes directives finales. Et je pense que j’ai même insisté là-dessus. Alors, je pense que il faut pas y aller pièce par pièce, mais regarder ça dans l’ensemble des directives que j’ai données. Je pense que le jury aussi va faire ça à l’effet que il y avait une question précise. On a répondu à la question précise, mais ils savent pertinemment que les directives en général je les ai données dans leur LOG. Alors, vous avez vu d’ailleurs pendant que les gens prenaient des notes là. Alors je pense qu’il faut, qu’il faut leur faire confiance.
[63] Or, pour donner une réponse complète, le juge devait aussi réitérer la directive qu’il avait déjà donnée concernant les questions posées par les avocats et les réponses fournies par le témoin.
[64] Le refus du juge de répéter ses directives antérieures au jury s’explique difficilement. Manifestement, cela contredit le principe énoncé il y a presque 30 ans par la Cour suprême dans l’arrêt S.(W.D.) selon lequel : «[m]ême si l'exposé original traitait de la question, il faut le répéter pour l'essentiel même que cela semble constituer une redite »[24].
[65] Dans son ouvrage consacré aux directives au jury, le juge Watt défend la même approche :
There is no precise formula for a trial judge to follow in composing a response to a question from the jury. The answer must be correct and comprehensive. Even it the issue raised by the question was covered in the main charge, it need be repeated, in its essentials, however repetitious this seems to be[25].
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