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dimanche 4 août 2024

Principes sentenciels quant au trafic de stupéfiants dans une prison commis dans un contexte d'abus de confiance

R. c. Jean-Charles, 2024 QCCQ 3478

Lien vers la décision

A)   Trafic de stupéfiants dans une prison

[41]      L’infraction de possession de cannabis en vue de le distribuer ou de le vendre est d’une gravité objective élevée, puisqu’elle est passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 14 ans[5].

[42]      Faire entrer des stupéfiants dans une prison est un crime dont la gravité objective et subjective est une évidence et attire généralement une peine plus sévère afin d’envoyer un message clair de dissuasion.  Le crime est manifestement plus grave lorsque son auteure est un agent correctionnel dont le travail consiste à maintenir le bon ordre et de sauvegarder l’institution contre le désordre.[6]

[43]      Le fait qu’un accusé soit sans antécédents judiciaires n’aura pas un grand poids étant donné que pour être agent correctionnel, l’individu ne doit pas avoir de casier judiciaire. Après tout, les agents des services correctionnels ne sont pas des personnes embauchées avec un casier judiciaire. Comme l'explique le Juge  Skilnick dans  Fleming[7]:

[27] […] A Corrections Officer who commits a criminal offence rarely gets a second opportunity to do so on the job and as a consequence it is the breach of that trust that is imposed and is instilled in that person that makes this such a tragic offence.

[44]      Dans la détermination de la peine pour trafic de stupéfiants à l'intérieur d'une prison, la jurisprudence établit des distinctions selon le statut de la personne ayant introduit la drogue en prison. La Cour d’appel dans l’arrêt Gauthier[8], reprend la classification faite dans R. c. David[9] qui classe en quatre catégories les accusés selon leur responsabilité morale :

1. Law enforcement officials, including guards, and police officers. This group are the most trusted, are subject to the least security, and have the most opportunity to be in direct contact with the inmates;

2. Visitors with trusted status but are not law enforcement officers. E.g., legal counsel to inmates. This group is subject to scrutiny, such as the offender in the R. v.Calder case, but while they have a greater degree of access to the inmate they are visiting, they do not have the same access as a law enforcement officer would.

3. Intermittent sentence servers: This group are put under great pressure by other inmates to attempt to bring in contraband. They are not trusted and are subject to a high level of security checks;

4. General Visitors: they also are not trusted and are subject to security including searches of the person and belongings, video surveillance and are often separated from direct contact with the inmate by a barrier.[10]

[45]      Lorsque l’infraction est commise par un agent correctionnel dans l’exercice de ses fonctions, la peine sera alors plus élevée en raison de l’abus de confiance ainsi perpétré. Comme l’explique le juge Daoust dans R. c. Corneau[11] :

[67]      Comme le dit la juge France Charbonneau dans l'affaire Agnant précitée, le Tribunal considère qu'une personne qui occupe un poste de confiance doit être plus sévèrement punie qu'une autre personne qui ne jouit pas des mêmes privilèges quand les crimes sont commis pendant l'exercice des fonctions.

[68]      Dans l'affaire English, le juge Patrick Healy souligne que la gravité de l'offense en semblable matière est d'autant plus sérieuse puisqu'il y a abus de confiance par un officier de justice dont le devoir est de préserver le maintien de l'ordre et le respect des lois en prison.

[Références omises]

[46]      Dans la même veine, le juge Allen dans R. v. Domke[12],  explique qu’une personne qui occupe un poste de confiance et qui trafique de la drogue dans une prison doit être plus sévèrement punie qu'une autre personne qui ne jouit pas des mêmes privilèges :

[53]     The jurisprudence supports the view that correctional officers are in position of trust in relation to those in custody. A guard who breaches that trust by bringing drugs into a prison can expect to be dealt within a more severe manner that other individuals who bring drugs into a prison. »

[47]      D’ailleurs, la Cour d’appel dans Gauthier, précité, a substitué une peine de deux ans d’emprisonnement à la peine de quatre ans ordonnés en première instance, car l’accusé était un bénévole dans le cadre de réunions de cocaïnomanes anonymes et non un agent correctionnel. La Cour a conclu que le juge a erronément mis sur un pied d’égalité la responsabilité morale d’un agent correctionnel et celle d’un bénévole comme l’appelant[13].

[48]      La Cour d’appel de Terre-Neuve-et-Labrador a énoncé que dans des dossiers similaires où l’accusé est un agent correctionnel, la fourchette des peines allait de deux ans et demi à cinq ans[14]. La peine suggérée par le ministère public (en l’espèce) semble donc clémente.


B)   Abus de confiance

[49]      L'infraction d'abus de confiance par un fonctionnaire public est énoncée à l'article 122 du Code criminel. S'il est poursuivi par voie de mise en accusation, comme dans la présente affaire, la peine maximale est de cinq ans d'emprisonnement.

[50]      Pour évaluer la gravité de l'abus de confiance du public par un délinquant, il est important d'examiner la façon dont la situation de confiance a contribué de façon importante à faciliter le crime et non simplement offrir une occasion qui aurait facilement pu être offerte à d'autres personnes. En l'espèce, l'accusée a abusé de sa position de confiance pour se rendre librement à la prison afin d'y faire de la contrebande.

[51]      Dans R. v. Moore[15], la Cour a cité un extrait d'un rapport préparé par la « British Columbia Corrections Branch, Adult Custody Division », où on décrit les privilèges spéciaux d'un agent correctionnel et la facilité avec laquelle il/elle peut faire du trafic de contrebande sans être détecté :

Correctional Officers as peace officers are responsible for the protection of the community, safe custody and security of inmates and satisfying the intent of sentence.  They are empowered and entrusted with authority over others and have access to confidential security intelligence and client information[16].

When on-duty Correctional Officers traffic in drugs, detection and interdiction is difficult and the trafficking activity prolonged.  A Correctional Officer is knowledgeable of security protocols, facility routine, operational vulnerabilities, and intelligence information, and has the capacity to defeat security measures.  The apprehension of a Correctional Officer who is engaged in drug trafficking while on duty is usually the outcome of an inmate informant, an investigation that discloses the trafficking activity, or chance encounter[17].

[52]      Dans l'affaire Rv.Taylor, 2012 SKQB 292, le juge Scheibel décrit la manière dont la position de confiance et d'autorité d'un agent correctionnel facilite considérablement la perpétration ou la dissimulation d'une infraction.

[27]      Having regard to the principles enunciated, it is of particular importance to take into account that the accused was a guard at the Correctional Centre and as such he was not only allowed free access to the prison, but free access to the inmates. Guards were not searched when they commenced their work; they had their own secure locker and they were trusted to act in a manner fitting their occupation.

[Soulignements ajoutés]

[53]      En l’espèce, l’agente correctionnelle, a profité de sa connaissance des politiques de la prison et de son accès privilégié aux détenus pour distribuer des stupéfiants et d’autres effets interdits à l'intérieur de la prison. Sa culpabilité morale est élevée.

[54]      Un autre facteur dans l'évaluation de la gravité de l'infraction est la confiance que le public accorde aux titulaires de certains postes. Notre société exige le respect de la prison et de ses règles. Le public accorde une grande confiance aux agents correctionnels. Ils s'attendent à ce que les agents ne participent pas avec les détenus à des stratagèmes visant à violer la loi. L’activité criminelle menée par un agent chargé de l'application de la loi diminuera son respect aux yeux de la communauté.  

[55]      Un agent correctionnel qui introduit de la contrebande abuse non seulement de la confiance de son employeur, de ses collègues, de la communauté dans son ensemble et, par extension, du système judiciaire dont il fait partie.

[31]      In this case the victim is society in general and other co-workers at the Correctional Centre in particular. It is also worthy of note that the accused was being paid to bring drugs to inmates at the same time as he was being paid his wages by the public he was hired to serve. All of which necessitates special consideration when sentencing the accused for breach of trust contrary to s. 122 of the Criminal Code.

[57]      Le public s'attend également à ce que les agents correctionnels fassent plus que maintenir l'ordre. Il s’attend plus particulièrement à ce qu’ils ne s’adonnent pas à l'intérieur des murs de la prison aux activités illicites pour lesquelles de nombreux détenus sont punisLa toxicomanie est à l'origine de bon nombre des infractions pour lesquelles des personnes sont condamnées et envoyées dans des établissements dans l'espoir qu'une réadaptation structurée les aidera à améliorer leur vie[18]. Comme l'a expliqué le juge Duncan dans l'affaire R. v. David[19] :

[34]      Prisoners who are trying to cope with drug addictions or with the anti-social aspects of their previous drug use should be in a drug free environment when in prison. The availability of drugs inside counteracts that objective. Ultimately society pays for failed rehabilitation and for the negative consequences on correctional staff.

[58]      Dans l'affaire Moore[20], le rapport déposé par le Service correctionnel de la Colombie-Britannique souligne que la réadaptation des détenus dépend de la diligence des agents correctionnels pour empêcher la libre circulation des drogues dans l'établissement. Ils sont censés servir de modèles pour encadrer les détenus afin qu'ils soient encouragés à modifier leur comportement et ainsi réduire la récidive. À ce sujet, les passages pertinents du rapport sont reproduits au paragraphe 27 dans Moore :

Correctional Officers assist in the delivery of a number of programs in custody centres including, for example, substance abuse management.

Correctional Officers are the most important element in the approach to eliminating drugs in the custodial setting. Correctional Officers are expected to apply due diligence in observing, detecting and reporting drug use and trafficking related to Correctional centres.

The role of a Correctional Officer requires direct contact and engagement with inmates for security and the delivery of programs and services.  The direct supervision of inmates requires Correctional Officers to embody a high level of personal integrity and professionalism. Correctional Officers are expected to mentor inmates and model community values that will encourage individuals to change their behaviour and thereby reduce re-offending.

[Soulignements ajoutés]

[59]      L’accusée dans la présente affaire a manqué à ses devoirs d'empêcher la distribution de drogues dans la prison, compromettant ainsi le rétablissement des prisonniers dont la toxicomanie est la source de leur criminalité. En fin de compte, elle a utilisé sa position de confiance pour cibler des victimes vulnérables.

[60]      Enfin, la gravité relative de l'abus de confiance d'un fonctionnaire doit prendre en considération le danger que son manquement au devoir fait courir au public. Dans les locaux étroits d'un établissement de détention, le trafic et la consommation de drogues sont propices à l'augmentation de la violence. Cette violence peut être dirigée soit contre d'autres détenus ou contre le personnel.

[61]      Le rapport de la British Columbia Corrections Branch déposée dans l’affaire Moore, précité, souligne un certain nombre de méfaits liés à la présence de drogues dans les établissements y compris l'alimentation d'une économie souterraine qui contribue à la violence en milieu institutionnel et compromet les programmes de traitement de la toxicomanie.

The risk associated to drug trafficking and possession is aggravated in the institutional setting due to an inmate's subculture value system known as the "Con Code."  The Con Code encourages violence as a legitimate means of resolving disputes and drug trafficking and possession contribute to physical assaults in custody centres. Correctional Officers and inmates are exposed to the risks associated with institutional drug trafficking.  Physical assaults occur against inmates who possess drugs when inmates have failed to deliver or make payment of drug debts and when inmates battle for control of institutional drug trafficking[21].

[62]      Dans l'affaire Fleming, la déclaration de la victime fournie par le sous-directeur de l'établissement de Kent décrivait les dangers du trafic et de la consommation de drogues dans une prison comme suit :

The introduction of drugs into a penitentiary cannot only result in death by drug overdose but can significantly increase the danger to other inmates and Corrections staff. The presence of illicit drugs in prison is often the cause of violence towards officers and other persons. 

Illicit drugs are a commodity used by inmates to influence power and control over others within the prison population.  They are used to buy favours from others including contracted violence towards other persons.  Both staff and inmates can be and have been the victims of serious assaults and inmates have been killed over issues stemming from illicit drugs[22]

[63]      Dans l'affaire R. v. Bell2005 ONCJ 438, le juge Harris se réfère à une pièce (déclaration écrite) dans laquelle un directeur de prison décrit le rôle que la contrebande, en particulier les drogues et les armes, joue dans la promotion de la violence au sein de l'institution :

In Exhibit 1 on sentencing, the security manager of the Toronto Jail, Jim Aspiotis, describes the harm caused by the introduction of weapons and narcotics into the jail. He graphically details the dangers presented by razorblades including stabbings and/or slashings for the purpose of “branding” other inmates, and to intimidate, extort and exercise control.  In addition, the ingestion of narcotics can make inmates “violent, uncooperative and/or unpredictable” creating risk for everyone with whom they came into contact.  He estimates that the “black market” price of narcotics in the Don Jail is at least ten (10) times the price on the street and in fact, the value of the drugs found in Mr. Bell’s locker was stated during the trial to be worth more than $15,000.00 according to trial evidence.  While these values seem somewhat inflated, I do accept that drug prices in custody would tend to be considerably higher because of the risks involved.

[64]      La distribution et la consommation de drogue dans une institution facilitent les luttes de pouvoir entre les détenus. Elle peut conduire par exemple à des bagarres pour savoir qui contrôle la distribution. Le trafic de drogue pourrait également conduire à l'extorsion et à des moyens coercitifs pour recouvrer l’argent des détenus-toxicomanes qui sont en retard dans leurs paiements.

[65]      Dans l'affaire English, le juge Healy (lorsqu'il était membre de cette Cour) a noté que dans un environnement carcéral, la violence et le trafic de drogue sont des problèmes persistants.

[8]        Prisons are unique public institutions. They are communities that are populated by persons who have been removed from society and kept in isolation. In their own way they are gated communities that society creates and maintains for its protection.  As a general rule the residents do not go there voluntarily, and they are not pleased to be there.  They resent constraints that deny the pleasures of liberty. Some are tempted or determined to overcome those constraints.  As a result, there is instability in prisons.  There is crime there, as there is in open society.  Violence and drug trafficking are persistent problems.  They are often related problems, and they jeopardise the administration of these institutions. It would be difficult to exaggerate the scope or depth of harm caused within prisons by the traffic and consumption of drugs. The importation of drugs into a prison by anyone is a serious crime.  Importation by a guard is worse.

[66]      En l'espèce, il convient de noter que la contrebande comprenait non seulement de la drogue, mais aussi cinq lames. Et même en admettant qu'une lame puisse servir de moyen de défense pour un détenu vulnérable, elle ne peut en réalité servir qu'à deux fins : intimider les autres en les menaçant de subir des blessures physiques ou pire encore en leur infligeant des lésions corporelles.

[67]      La principale responsabilité d'un agent correctionnel est de maintenir l'ordre et la sécurité dans nos prisons. En acceptant des pots-de-vin et en faisant passer en contrebande des drogues et des lames, l’accusée a mis en danger à la fois les personnes détenues qu’elle était chargée de protéger et ses collègues de travail.

[68]      L'accusée a également fait passer en contrebande des téléphones portables dans la prison. Certes, lesdits items ne représentent pas le même danger que les drogues et les armes. Cependant, grâce à l'utilisation d'un téléphone portable, un détenu peut continuer à diriger ses opérations criminelles ou lui donner l'occasion d'intimider des témoins ou d'entraver le cours de la justice.

mercredi 24 juillet 2024

Les confidences d'un accusé aux intervenants faites dans un cadre thérapeutique en milieu hospitalier sont habituellement privilégiées

R. c. N.S., 2024 QCCA 876

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[9]         La seule question qui subsiste est de savoir si le juge a erré dans son analyse du quatrième critère du test de Wigmore, qui consiste à se demander si l’intérêt public de protéger les communications faites dans un contexte hospitalier l’emporte sur celui de favoriser la recherche de la vérité dans le cadre d’un procès criminel. Plus précisément, la Cour doit déterminer si le juge a indûment limité son analyse en ce qui concerne l’intérêt public dans la recherche de la vérité en affirmant que, même si les aveux étaient exclus, il existait d’autres éléments de preuve permettant la tenue du procès criminel.

[27]      La confidentialité est en effet « essentielle à la continuité et à l’efficacité des rapports thérapeutiques entre un psychiatre et le patient qui le consulte pour des problèmes psychiatriques »[21]. De plus, la santé mentale « représente un intérêt public d’une grande importance »[22], je dirais même d’une importance cruciale. En l’espèce, le fait de ne pas protéger la confidentialité des communications entre une patiente et l’équipe traitante en psychiatrie risquerait d’avoir un effet dissuasif sur la capacité d’autres personnes souffrant de conditions similaires d’obtenir les traitements nécessaires et sur celle des psychiatres et de l’équipe hospitalière de fournir ces traitements[23].

[28]      Il existe également des considérations importantes liées à la protection de la vie privée des patients, découlant tant des valeurs pertinentes qui sous-tendent la Charte canadienne des droits et libertés[24], que de celles qui sont directement applicables selon la Charte des droits et libertés de la personne[25], laquelle garantit le droit à la vie privée[26]. À cela s’ajoutent les multiples dispositions législatives garantissant aux patients la confidentialité dans le cadre de relations médicales ou thérapeutiques avec le personnel hospitalier ou de l’obtention de services de santé et de services sociaux[27].

[29]      Le juge considère que les confidences de l’intimée aux intervenants ont été faites dans un cadre thérapeutique en milieu hospitalier[28] et qu’il existe un important intérêt public à la protection des communications entre la patiente et ces intervenants. La candeur des communications de la patiente avec les intervenants hospitaliers était essentielle, selon la preuve, pour établir le plan de traitement de l’intimée, mais également pour juger de sa dangerosité pour elle-même (rappelons qu’elle avait précédemment été évaluée pour des pensées suicidaires et qu’elle a fait des verbalisations suicidaires le soir de l’incendie) ou pour la victime et le public en général.

[30]      Dans l’arrêt Chatillon c. R.[29], notre Cour considérait justement la question de la production en preuve, dans le cadre d’un procès criminel, de verbalisations faites par l’accusé dans un contexte thérapeutique. Tant le juge Vauclair, pour la majorité, que le juge Mainville, dissident, faisaient mention de l’intérêt public visant à assurer la préservation du caractère confidentiel et privilégié des rapports entre un médecin et un patient ou entre un thérapeute et un patient dans le cadre d’une démarche thérapeutique entreprise de bonne foi[30]. Le juge Vauclair écrivait que, de ne pas reconnaître le privilège dans cette affaire découragerait les personnes aux prises avec des problématiques psychiatriques graves « de rechercher l’aide requise par leur état »[31]. Le juge Mainville s’exprimait dans le même sens en indiquant que « l’on peut douter de l’admissibilité, dans un procès criminel, d’aveux énoncés de façon confidentielle dans le cadre d’une démarche thérapeutique »[32]. Cependant, le juge Mainville a conclu que, dans ce cas précis, l’appelant avait consenti à la divulgation de ses aveux, notamment aux forces de l’ordre, et qu’il avait donc explicitement renoncé au caractère confidentiel de ceux-ci[33]. C’est ce que retient la Cour suprême, en accueillant l’appel[34].

[31]      En l’espèce toutefois, comme discuté précédemment, il n’y a eu ni consentement de l’intimée à la divulgation des communications par les intervenants hospitaliers, sauf pour des fins très restreintes n’ayant pas de réelle incidence ici, ni renonciation à leur confidentialité. De fait, le juge conclut que sans la garantie de confidentialité des communications échangées avec les intervenants hospitaliers, l’intimée n’aurait jamais parlé des événements pouvant l’incriminer.

[32]      Il est indéniable que les infractions criminelles en cause sont objectivement très graves. L’infraction d’incendie criminel constituant un danger pour la vie humaine est punissable de l’emprisonnement à perpétuité et celle d’incendie criminel causant des dommages matériels est punissable de 14 ans d’emprisonnement[35]. Il est aussi manifeste que les pertes et les conséquences subies par la victime ont été considérables. Il faut en outre considérer que, selon la position exprimée par le ministère public, la preuve des aveux était essentielle pour obtenir une condamnation dans le dossier de l’intimée.

[33]      Malgré cela, selon les faits particuliers de cette affaire, en faisant preuve de bon sens et de discernement[36], il m’apparaît que, comme le conclut le juge de première instance, dans l’intérêt public général, le maintien de la confidentialité des communications entre la patiente et le personnel hospitalier lors de son hospitalisation psychiatrique prime sur la recherche de la vérité dans le cadre du procès criminel en cause. J’ajouterais que ce constat prévaut même si, dans la présente affaire, la possibilité de tenir un procès criminel est fortement compromise.

[34]      Il était essentiel que l’intimée, qui a été admise à l’urgence psychiatrique dans un état de désorganisation comportementale, en faisant des verbalisations suicidaires et en présentant un important potentiel de dangerosité pour le public, puisse faire part des faits à la source de son hospitalisation et de son état d’esprit aux intervenants responsables de sa prise en charge avec toute la candeur nécessaire.

[35]      Ceci était impératif, non seulement pour qu’elle puisse obtenir des traitements médicaux appropriés, mais également pour que le potentiel de dangerosité qu’elle présente pour elle-même ou pour autrui, incluant la victime dans le présent dossier, puisse être évalué adéquatement et exhaustivement. Il n’existait pas ici de danger pressant à la vie ou à la sécurité d’autrui nécessitant une divulgation immédiate[37].

[36]      Comme énoncé précédemment, ne pas reconnaître le privilège au cas par cas dans la présente affaire pourrait décourager les personnes aux prises avec des problématiques psychiatriques graves de requérir l’aide médicale requise par leur état[38].

[37]      Il en va de la protection de la vie et de la santé de patients psychiatriques qui se présentent souvent dans les hôpitaux dans un état de grande vulnérabilité[39]. Il en va également de la protection du public en général, qui s’attend à ce que les personnes potentiellement instables ou dangereuses en raison de leur état psychiatrique soient traitées et, si requis, hébergées en établissement le temps qu’il faudra pour améliorer leur état et neutraliser leur potentiel de dangerosité.

L’actus reus & la mens rea de l'infraction de conduite dangereuse

R. c. Roy, 2012 CSC 26

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[33]                          Selon l’arrêt Beatty, l’actus reus de la conduite dangereuse est celui décrit à l’al. 249(1)a) du Code, c’est-à-dire conduire « d’une façon “dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances,  y compris la nature et l’état du lieu, l’utilisation qui en est faite ainsi que l’intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu” » (par. 43).

[34]                          Pour déterminer si l’actus reus a été établi, il faut déterminer si la façon de conduire était objectivement dangereuse pour le public dans les circonstances.  L’enquête doit être axée sur les risques créés par la façon de conduire de l’accusé, et non sur les conséquences, comme un accident dans lequel il aurait été impliqué.  Comme l’a déclaré la juge Charron au par. 46 de Beatty, « [l]e tribunal ne doit pas tirer de conclusion hâtive au sujet de la façon de conduire en se fondant sur la conséquence.  Il doit procéder à un examen sérieux de la façon de conduire » (je souligne).  Une façon de conduire peut à juste titre être qualifiée de dangereuse lorsqu’elle met en danger le public.  L’élément pertinent, c’est le risque de dommage ou de préjudice qu’engendre la façon de conduire, non les conséquences d’un accident ultérieur.  Dans cet examen portant sur la façon de conduire, il importe de se rappeler que la conduite est une activité fondamentalement dangereuse, mais elle n’en est pas moins une activité légale dotée d’une valeur sociale (Beatty, par. 31 et 34).  Les accidents résultant de la matérialisation des risques inhérents à la conduite d’un véhicule ne devraient habituellement pas entraîner des déclarations de culpabilité.

[35]                          En résumé, l’analyse relative à l’actus reus de l’infraction doit porter sur la façon de conduire le véhicule à moteur.  Le juge des faits ne doit pas simplement tirer de conclusions sur la façon dangereuse de conduire en se fondant sur les conséquences.  Il doit procéder à un examen sérieux de la façon de conduire.

         (4)     La mens rea

[36]                          L’analyse relative à la mens rea doit être centrée sur la question de savoir si la façon dangereuse de conduire résultait d’un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation (Beatty, par. 48).  Il est utile d’aborder le sujet en posant deux questions.  La première est de savoir si, compte tenu de tous les éléments de preuve pertinents, une personne raisonnable aurait prévu le risque et pris les mesures pour l’éviter si possible.  Le cas échéant, la deuxième question est de savoir si l’omission de l’accusé de prévoir le risque et de prendre les mesures pour l’éviter si possible constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation que l’accusé.

[37]                          La simple imprudence que même les conducteurs les plus prudents peuvent à l’occasion commettre n’est généralement pas criminelle.  Tel qu’indiqué précédemment, la juge Charron a formulé ainsi cette idée au nom des juges majoritaires dans l’arrêt Beatty : « [s]’il faut considérer comme une infraction criminelle chaque écart par rapport à la norme civile, quelle qu’en soit la gravité, on risque de ratisser trop large et de qualifier de criminelles des personnes qui en réalité ne sont pas moralement blâmables » (par. 34).  La Juge en chef a exprimé un point de vue semblable : « même les bons conducteurs ont à l’occasion des moments d’inattention qui peuvent, selon les circonstances, engager leur responsabilité civile ou donner lieu à une condamnation pour conduite imprudente.  Mais en général, ces moments d’inattention ne vont pas jusqu’à l’écart marqué requis pour justifier une déclaration de culpabilité pour conduite dangereuse » (par. 71).

[38]                          L’exigence minimale en matière de faute réside dans l’écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation — un critère objectif modifié.  L’application de ce critère objectif modifié signifie que, bien que la personne raisonnable soit placée dans la situation de l’accusé, la preuve des qualités personnelles de l’accusé (telles que son âge, son expérience et son niveau d’instruction) n’est pas pertinente, sauf si elles visent son incapacité d’apprécier ou d’éviter le risque (par. 40).  Certes, la preuve d’une mens rea subjective — c’est-à-dire, conduire délibérément de façon dangereuse — justifierait une déclaration de culpabilité pour conduite dangereuse, mais cette preuve n’est pas requise (la juge Charron, par. 47; voir aussi la juge en chef McLachlin, par. 74-75, et le juge Fish, par. 86).

Le dédommagement à la victime doit toujours être envisagé lors de la détermination de la peine

L'actus reus et la mens rea de l’infraction de possession en vue de trafic & l'appréciation des motifs raisonnables provenant de renseignements reçus d’informateurs

R. c. Rock, 2021 QCCA 878 Lien vers la décision [ 19 ]        L’infraction de trafic est large et vise non seulement la vente, mais aussi le...