jeudi 16 avril 2009

Arrestation sans mandat effectuée sur place par une personne autorisée à cet effet par l’occupant des lieux

R. c. Asante‑Mensah, 2003 CSC 38

Lien vers la décision

Résumé des faits

Le présent pourvoi résulte d’un épisode au cours duquel un inspecteur de l’aéroport s’est approché de l’appelant, l’a touché à l’épaule et l’a informé qu’il était en état d’arrestation pour entrée sans autorisation et qu’il serait détenu jusqu’à l’arrivée de la police. L’appelant a tenté de gagner son véhicule pour s’enfuir, mais l’inspecteur lui a barré la route. Pendant l’affrontement, l’appelant s’est enfui après avoir ouvert la portière de sa voiture en la poussant sur l’inspecteur pour le forcer à reculer.

Analyse

L’« arrestation »(...) doit donc être considérée comme un état continu, créé par des mots accompagnés d’un toucher physique ou d’une soumission et se terminant au moment où la garde de la personne arrêtée est confiée à la police, lequel état peut être maintenu, si nécessaire, au moyen d’une force ne dépassant pas ce qui est raisonnable compte tenu de toutes les circonstances.

On donne à l’occupant les moyens (force raisonnable) de s’acquitter de son obligation (de confier à la police la garde de la personne arrêtée) de manière à réaliser l’objet de l’arrestation (mettre fin à l’entrée sans autorisation et livrer l’intrus à la police pour qu’il soit traité selon la loi).

Refuser à l’occupant le droit d’employer quelque force que ce soit aurait pour effet de l’exposer à une action en responsabilité civile pour avoir tenté de confier à la police la garde de la personne arrêtée. Lorsqu’une arrestation légale donne lieu à une bousculade délibérée, il faut se demander qui de la personne qui effectue l’arrestation ou de la personne arrêtée doit être considérée comme fautive. On ne saurait considérer que le législateur a voulu imposer à l’occupant une obligation de confier à la police la garde de la personne arrêtée, et permettre, du même coup, que la responsabilité civile et criminelle de l’occupant soit engagée lorsqu’il emploie la force raisonnable nécessaire pour s’acquitter de cette obligation.

Un occupant a donc le droit d’employer une force raisonnable pour établir l’état d’arrestation et le maintenir. Le policier qui se voit confier la garde de l’intrus est réputé avoir procédé à son arrestation. Dès lors, il n’appartient plus à l’occupant de décider s’il y a lieu de maintenir l’état d’arrestation ou si des mesures moindres suffisent.

L’efficacité du pouvoir d’arrestation dépend de la capacité d’employer la force étant donné que cette capacité est souvent la condition préalable nécessaire pour obtenir la soumission de la personne arrêtée.

La « force raisonnable » se rapporte non seulement à la force nécessaire pour effectuer l’arrestation, mais également à la question de savoir si l’arrestation par la force constituait, au départ, une ligne de conduite raisonnable compte tenu de toutes les circonstances.

Pour décider si un comportement est justifié en droit criminel, il faut tenir compte d’une gamme de facteurs allant au‑delà de la simple force physique requise pour retenir une personne arrêtée.

Un lot de facteurs doivent être pris en considération [. . .], notamment le devoir dont il s’acquitte, la mesure dans laquelle il est nécessaire de porter atteinte à la liberté individuelle afin d’accomplir ce devoir, l’importance que présente l’exécution de ce devoir pour l’intérêt public, la liberté à laquelle on porte atteinte ainsi que la nature et l’étendue de l’atteinte

La latitude laissée aux policiers qui ont l’obligation d’agir et qui doivent souvent réagir à des situations difficiles et urgentes n’est pas nécessairement laissée à l’occupant qui n’a aucune obligation d’agir et qui amorce un affrontement avec un intrus.

L’arrestation était une ligne de conduite raisonnable à la lumière des faits de la présente affaire. Toutes les autres tentatives d’obtenir la soumission de l’appelant avaient échoué. Compte tenu des faits de la présente affaire, la force employée par l’inspecteur ne dépassait pas ce qui était raisonnable.

Extraits de l'arrêt

71                              Plusieurs entrées sans autorisation ont peu d’importance.  Il est préférable de les traiter sans recourir à l’arrestation.  Le ministère du Procureur général de l’Ontario a reconnu ce principe dans son document de 1987 intitulé À qui cette terre?op. cit., p. 15 :


 

Une arrestation constitue une atteinte grave à la liberté d’une autre personne et elle ne devrait être tentée que si les autres solutions ne donnent aucun résultat.  De plus, une tentative d’arrestation peut entraîner une confrontation plus grave que l’infraction initiale, et elle devrait être faite avec précaution.  Le recours à une force excessive ou l’usage abusif du pouvoir d’arrestation peut exposer l’occupant, ou son représentant désigné, à des poursuites criminelles et à la responsabilité civile.

 

72                              Des personnes qui ont été arrêtées à tort, ou contre lesquelles une force déraisonnable a été employée, ont eu gain de cause tant dans des poursuites pour voies de fait que dans des actions civiles en dommages‑intérêts intentées contre l’auteur de leur arrestation.  Voir, par exemple, Chopra c. Eaton (T.) Co. (1999), 1999 ABQB 201 (CanLII), 240 A.R. 201 (B.R.), par. 147 (gardien de sécurité privé condamné à payer des dommages‑intérêts à un client pour lui avoir fait une prise de tête et mis les menottes inutilement); Briggs c. Laviolette (1994), 21 C.C.L.T. (2d) 105 (C.S.C.‑B.) (citoyen condamné à payer des dommages‑intérêts pour des lésions corporelles causées en frappant au visage et à coups de bâton une personne qu’il soupçonnait d’avoir cassé la glace de sa voiture); R. c. Freake (1990), 85 Nfld. & P.E.I.R. 25 (C. prov. T.‑N.) (propriétaire d’immeuble déclaré coupable de voies de fait pour avoir employé une force excessive contre un présumé intrus âgé de 11 ans).

 


73                              Une certaine latitude est laissée aux policiers qui ont l’obligation d’agir et qui doivent souvent réagir à des situations difficiles et urgentes : Cluett c. La Reine1985 CanLII 52 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 216, p. 222; R. c. Biron1975 CanLII 13 (CSC), [1976] 2 R.C.S. 56, p. 64 (le juge en chef Laskin, dissident); Besse c. Thom (1979), 1979 CanLII 2791 (BC SC), 96 D.L.R. (3d) 657 (C. cté C.‑B.), p. 667, infirmé pour d’autres motifs par (1979), 1979 CanLII 633 (BC CA), 107 D.L.R. (3d) 694 (C.A.C.‑B.); R. c. Bottrell (1981), 1981 CanLII 339 (BC CA), 60 C.C.C. (2d) 211 (C.A.C.‑B.), p. 218.  L’occupant qui n’a aucune obligation d’agir et qui amorce un affrontement avec un intrus ne bénéficie pas nécessairement de la même latitude.

 

74                              En outre, il se peut que, dans le contexte de la LESA, la « force raisonnable » se rapporte non seulement à la force nécessaire pour effectuer l’arrestation, mais également à la question de savoir si l’arrestation par la force constituait, au départ, une ligne de conduite raisonnable compte tenu de toutes les circonstances.  Je dis cela parce que, pour décider si [traduction] « un défendeur qui prétend avoir appliqué le droit criminel peut voir sa responsabilité civile engagée, il faut nécessairement tenir compte de ce que le droit criminel considère comme un comportement justifiable » (je souligne) : G. H. L. Fridman, The Law of Torts in Canada (1989), vol. 1, p. 70.

 

75                              Pour décider si un comportement est justifié en droit criminel, il faut tenir compte d’une gamme de facteurs allant au‑delà de la simple force physique requise pour retenir une personne arrêtée : voir, par exemple, R. c. Simpson (1993), 1993 CanLII 3379 (ON CA), 79 C.C.C. (3d) 482 (C.A. Ont.), où le juge Doherty a expliqué, à la p. 499, que le caractère justifié, au sens de l’art. 25 C. cr. (et, par extension, au sens de l’art. 146 de la Loi sur les infractions provinciales), dépend de ce qui suit :

 

[traduction]  . . . un lot de facteurs doivent être pris en considération [. . .], notamment le devoir dont il s’acquitte, la mesure dans laquelle il est nécessaire de porter atteinte à la liberté individuelle afin d’accomplir ce devoir, l’importance que présente l’exécution de ce devoir pour l’intérêt public, la liberté à laquelle on porte atteinte ainsi que la nature et l’étendue de l’atteinte.

 


76                              Cette remarque incidente, que notre Cour a approuvée et appliquée dans l’arrêt Godoy, précité, par. 18, me semble tout à fait compatible avec le conseil susmentionné que le ministère du Procureur général a donné, en 1987, dans son document intitulé À qui cette terre?op. cit., selon lequel une arrestation « ne devrait être tentée que si les autres solutions ne donnent aucun résultat » (p. 15).  Elle est également compatible avec le par. 495(2) C. cr. qui prévoit qu’un policier ne doit pas procéder à une arrestation (à moins d’avoir obtenu un mandat en ce sens) pour les infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire (et d’autres infractions moindres), à moins que ce ne soit nécessaire pour identifier la personne arrêtée, pour recueillir ou conserver une preuve de l’infraction ou une preuve y relative, pour empêcher que l’infraction se poursuive ou se répète ou qu’une autre infraction soit commise, ou pour assurer que la personne arrêtée sera présente au tribunal.  Je mentionne cet argument parce que, dans un cas s’y prêtant, il pourrait constituer une autre restriction — sur le plan de la responsabilité civile — à toute possibilité de recours abusif à l’art. 9.  Pour déterminer l’étendue de la justification dans le contexte d’une arrestation fondée sur la LESA, il faudra attendre un cas s’y prêtant, où un occupant poursuivi au civil, à la suite d’une arrestation fondée sur la LESA, sera appelé à démontrer que l’arrestation, ainsi que la force employée pour l’effectuer, était raisonnable compte tenu de toutes les circonstances.

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