vendredi 17 avril 2009

Violation du droit à l'avocat / droit à un interprète

R. c. Kwitkowski 2009 QCCQ 1221

[6] L'accusé a le fardeau d'établir sur prépondérance de probabilité la violation de l'article 10 b) de la Charte et une simple spéculation permettant de croire à une violation ne permet pas d'établir une telle violation. (R. v. Black, 1989 CanLII 75 (C.S.C.), [1989] 2 RCS 138)

[7] Ainsi que le dit la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Bridges, 1990 CanLII 123 (C.S.C.), [1990] 1 RCS 190 en page 206" one of the main functions of [duty] counsel at this early stage of detention is to confirm the existence of the right to remain silent and to advise the detainee about how to exercise that right". L'accusé a donc une occasion importante de comprendre comment exercer son droit d'avocat et comment se comporter (paragraphe 25 à 31).

[8] La Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Latimer, 1997 CanLII 405 (C.S.C.), [1997] 1 R.C.S. 217 a rappelé que dans les communications entre les policiers et justiciables, ce qui est déterminant, c'est «la substance de ce qu'on peut raisonnablement supposer que le détenu a compris plutôt que le formalisme des mots exacts utilisés». Dans l'arrêt R. c. Evans, 1991 CanLII 98 (C.S.C.), [1991] 1 R.C.S. 869, la Cour suprême du Canada qualifiait d'exigence substantive en loi, l'obligation policière de compléter ces démarches additionnelles afin de s'assurer auprès du justiciable concerné que ce qui doit être expliqué, est compris.

[9] Deux devoirs incombent selon la jurisprudence aux agents de la paix : un premier devoir d'information des droits et mise en garde à l'accusé («informational duty») et un second devoir positif de mise en œuvre («implementional duties») des conditions permettant d'exercer les droits reconnus par la loi. (R. c. Dubois, 1990 CanLII 3298 (QC C.A.), [1990] R.J.Q. 681).

[11] Le second devoir positif de mise en œuvre par la force policière des droits conférés ("implementational" duties) incombe aux agents de la paix. Pour qu'un accusé connaisse la nature et l'étendue de ses droits alors que l'aisance linguistique est manifestement ou apparemment en cause et qu'apparaît le scepticisme d'un accusé quant à sa capacité de pouvoir communiquer efficacement avec un avocat dans l'une des deux langues officielles du Canada, les agents de la paix ont cette obligation de mettre en œuvre ces moyens qui permettent à un accusé de communiquer efficacement avec un avocat pour qu'il comprenne bien la nature et l'étendue de ses droits.

[12] Selon la Cour d'appel du Québec dans l'arrêt R. c. A (S), [1999] 29 CCC (3d), p. 548, une renonciation à ce droit à un avocat ne saurait être valide lorsque l'accusé ne maîtrise pas la langue dans laquelle on s'adresse à lui. Comme l'exige l'arrêt Bartle, 1994 CanLII 64 (C.S.C.), [1994] 3 R.C.S. 173 de la Cour suprême du Canada, la renonciation doit être explicite et donnée en pleine connaissance de cause.

[13] Il existe donc une différence entre une connaissance approximative ou substantielle de la langue et une connaissance totale de celle-ci. Aussi, lorsqu'un justiciable paraît manifestement peu rompu à la langue officielle dans laquelle l'informe un agent de la paix ou qu'il invoque son inconfort dans cette langue, le Ministère public a le fardeau d'établir qu'il y a eu renonciation claire et éclairée (R. c. Bartle, paragraphes 191-192). Cette même renonciation en présence d'un interprète aussi en théorie est insuffisante si les droits de l'accusé ne lui sont pas communiqués adéquatement.

[14] Il est particulièrement pertinent de citer les propos du Juge Sheppard dans la cause de la Reine c. Hiroshi Ikuta, reflex, [2000] O.J. No. 2764, 38 C.R. (5th) 123 Ontario Court of Justice qui aura rappelé les exigences particulières de compréhension de la langue juridique et particulièrement en matière de facultés affaiblies. Ainsi, aux paragraphes 13 et suivants, le juge Sheppard s'exprime ainsi: «The distinctive language of court proceedings is often too complex even for persons whose English and French linguistic skills are functional in every day life. Persons without a working knowledge in English or French are particularly likely to feel vulnerable to an authority system they see as incomprehensible… »

[18] Aussi, lorsque des préoccupations de compréhension de la langue de consultation sont au coeur des circonstances révélées par une preuve, les devoirs d'information par les agents de la paix devraient recevoir une interprétation rigoureuse. Le défaut de communiquer la disponibilité des services de consultations juridiques concurremment avec ces services afférents et indispensables d'interprète qui existent pour ceux qui ne maîtrisent pas une des langues officielles ou qui manifestent à cet égard la crainte de ne pouvoir efficacement prendre conseil auprès d'un avocat compromet la validité d'une renonciation [(Regina v. Lim (No. 3) reflex, (1990), 1 C.R.R. (2d) 148 (Ont. C.A.) défaut de fournir les services d'un interprète dans le cas d'une difficulté évidente à parler l'une des langues officielles].

[19] C'est donc une composante essentielle de la garantie juridique du droit à l'avocat qu'un accusé puisse faire une décision éclairée, donc une décision bien informée pour que toute renonciation soit opposable en droit à l'accusé. Néanmoins, il y a des limites à l'application de ce principe qui doit se fonder sur une base factuelle.

[33] La communication par l'accusé de son appréhension et sa résignation à ne pas consulter en conséquence un avocat francophone obligeait alors le policier à communiquer à l'accusé son droit à un interprète pour les fins de sa consultation. Il s'agit là d'un droit fondamental dont l'accusé devait être avisé dans les circonstances en l'espèce.

[35] Il est bien vrai que l'officier aurait pu communiquer ce droit de bénéficier des services d'un interprète et offrir que l'accusé essaie dans un premier temps de vérifier s'il pouvait établir une communication efficace avec un avocat francophone tout en le prévenant clairement que ce droit à un interprète pourrait être réclamé en tout temps. Toutefois, cela devient purement de la conjecture dans ce contexte où l'accusé apparemment avait des habiletés langagières relatives en français, qu'il dénonçait sa faiblesse en français et qu'apparaissait tout au long de l'intervention policière ses difficultés à comprendre et parler le français au-delà du fait qu'il aura pu aussi faire comprendre sa situation personnelle particulière et sa très grande anxiété suite à son arrestation.

[36] L'accusé instruit de ses droits de prendre conseil auprès d'un avocat a refusé d'en consulter un. Mais, un simple refus éclairé et exprimé avec clarté ne permet pas de débat sur la charte. Pourtant, l'accusé avait bien stipulé qu'il refusait les services d'un «avocat français», donc d'un avocat qui lui donnerait une consultation en langue française. Le tribunal y comprend que l'accusé exprimait sincèrement la pensée que d'avoir un avocat qui s'exprimerait en français, ne lui serait d'aucune utilité. Cela n'empêche pas de penser que l'accusé se pensait dans une situation décourageante mais ce facteur est sans pertinence quant à ce débat.

[41] Une renonciation apparente aussi particularisée que celle de l'accusé ne pouvait être raisonnablement considérée comme une renonciation sans équivoque et bien éclairée. Il y avait en l'instance une preuve au contraire d'une renonciation claire qui aurait pu devenir claire si l'accusé avait aussi refusé les services d'un interprète tout comme ceux d'un avocat. Spéculer qu'il aurait refusé les services d'un interprète demeure inapproprié et non conforme à la réalité.

[42] Même un justiciable rompu aux droits que seraient les siens, aurait néanmoins droit aux mêmes informations et mise en œuvre des pleins droits d'un accusé si peu habile dans la seule langue officielle qu'il parle au pays. Le niveau de compréhension du français par l'accusé bien illustré par les nombreux témoignages entendus commandait que soit offert à l'accusé les services d'un interprète pour qu'il communique efficacement avec son avocat. Ce n'est pas qu'il ne voulait pas simplement un avocat. Il ne voulait pas d'un «avocat français».

[44] Ainsi, une renonciation à l'exercice de cette garantie juridique sera suffisante et respectueuse des droits constitutionnels d'un justiciable lorsqu'il aura connaissance des moyens qui sont et doivent être mis à sa disposition pour faire une décision éclairée, pour qu'une renonciation lui soit opposable (Regina v. Parks (1988), 33 C.C.R. 1 (Ont. H.C.), juge Watt).

[46] Pourtant, il s'agit d'un droit sacro-saint que celui de mettre à la disposition d'un accusé les services de conseils juridiques et d'interprète qui rendent utile l'exercice de ce droit fondamental, notamment en ces matières complexes pour un citoyen que sont les accusations de facultés affaiblies et d'alcoolémie supérieure au taux prescrit par la loi. Une obligation de retarder de soumettre l'accusé au test d'alcoolémie s'imposait tant que les moyens de consulter un avocat avec l'aide d'un interprète n'avaient pas été offerts et, dans l'affirmative, exercé et les tests d'alcoolémie d'autant retardés (R. v. Prosper, 1994 CanLII 65 (S.C.C.), [1994] 3 S.C.R. 236).

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