R. c. Dyment, 1988 CanLII 10 (C.S.C.)
Résumé des faits
Un médecin qui traitait l'appelant à l'hôpital après un accident de la circulation a recueilli, à des fins médicales sans le consentement de l'appelant ou sans qu'il en ait connaissance, une éprouvette de sang qui coulait. Peu de temps après, l'appelant a expliqué qu'il avait pris de la bière et des médicaments. Après avoir prélevé l'échantillon de sang, le médecin a parlé à l'agent de police qui s'était occupé de l'accident et, à la fin de leur conversation, lui a remis l'échantillon. Aucune constatation de l'agent n'indiquait que l'appelant aurait bu; il n'a pas demandé à l'appelant de fournir un échantillon de sang ni au médecin d'en prélever et il n'avait pas de mandat de perquisition.
Analyse
Une fouille ne sera pas abusive si elle est autorisée par la loi, si la loi elle‑même n'a rien d'abusif et si la fouille n'a pas été effectuée d'une manière abusive. La prise de possession de l'éprouvette contenant du sang par la police, compte tenu du fait que le médecin l'avait en sa possession, avec l'obligation de respecter le droit à la vie privée du patient, constitue une saisie au sens de l'art. 8 de la Charte. Cette saisie était illégale parce qu'elle a été effectuée sans mandat, elle n'était pas appuyée de preuve établissant sa légalité ni justifiée par l'urgence ni par une autre raison. Il n'est donc pas nécessaire de poursuivre l'analyse pour répondre à la question de savoir si la fouille était abusive
En prenant possession de l'échantillon, l'agent a porté atteinte au droit qu'avait l'intimé à ce qu'il demeure confidentiel et a ainsi procédé à une saisie au sens de l'art. 8. Les termes "fouilles, perquisitions ou saisies" doivent être lus de façon disjonctive.
L'article 8 ne vise pas uniquement à protéger la propriété, mais aussi les intérêts en matière de vie privée des particuliers contre les fouilles, les perquisitions et les saisies. La distinction entre une saisie et la simple réunion d'éléments de preuve se situe au point où il devient raisonnable de dire que l'individu n'a plus d'intérêt intime relativement à l'objet qui serait saisi. L'utilisation du corps d'une personne, sans son consentement, en vue d'obtenir des renseignements à son sujet, constitue une atteinte à une sphère de la vie privée essentielle au maintien de sa dignité humaine. Le médecin, dont la seule justification pour recueillir l'échantillon sanguin était qu'il devait servir à des fins médicales, n'avait aucunement le droit de le prélever à une autre fin ni de le donner à un étranger pour des fins autres que médicales, à moins que la loi ne l'exige, et toute loi de ce genre serait assujettie à un examen en regard de la Charte. La protection qu'accorde la Charte va jusqu'à interdire à un agent de police ou un mandataire de l'État de prendre une substance aussi personnelle que le sang à un médecin qui la détient avec l'obligation de respecter la dignité et la vie privée de cette personne.
La saisie en l'espèce était abusive. L'atteinte au droit à la vie privée n'était pas minimale en l'espèce. L'utilisation du sang d'une personne ou d'autres substances corporelles confiées à des tiers à des fins médicales à d'autres fins porte gravement atteinte à l'autonomie personnelle de l'individu. En l'espèce, la saisie viole tous les aspects de la vie privée ‑‑ spaciaux, physiques et informationnels. Bien que la nécessité d'appliquer de la loi soit importante et salutaire, il y a danger lorsque cet objectif est poursuivi avec trop de zèle. Compte tenu du danger que représente pour la vie privée individuelle la libre circulation de renseignements provenant des hôpitaux et des autres, la remise à la police d'un échantillon sanguin par le médecin qui l'a obtenu à des fins médicales ne peut être considérée que comme abusive en l'absence d'une nécessité et irrésistible pressante.
La violation de la Charte est très grave: une violation de l'intégrité physique de la personne humaine est beaucoup plus grave que celle de son bureau ou même de son domicile. La vie privée ne s'entend pas qu'au sens physique. La dignité de l'être humain est tout aussi gravement atteinte par l'utilisation de substances corporelles, recueillies par des tiers à des fins médicales, d'une manière qui ne respecte pas cette limite. La confiance que le public doit avoir dans l'administration des services médicaux serait mise à rude épreuve si l'on devait autoriser la circulation libre et informelle de renseignements, et particulièrement de substances corporelles, des hôpitaux vers la police. Il existe une procédure établie et bien connue pour obtenir ce genre de preuve lorsque l'agent a des motifs raisonnables et probables de croire qu'un crime a été commis.
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