lundi 10 août 2009

La règle du précédent ou stare decisis

Allard c. R., 2008 QCCS 1362 (CanLII)

[19] Selon les auteurs Henri Brun et Guy Tremblay, «[l]e stare decisis signifie d'abord et avant tout que les cours canadiennes appelées à juger dans une matière de common law sont liées par les décisions de la Cour suprême et par les décisions des autres cours habiles à entendre un appel de leurs décisions. La hiérarchie des tribunaux, coiffée par la Cour suprême, est rigoureusement respectée.

[20] Dans les causes qui relèvent de la common law, la jurisprudence est l'outil primordial d'interprétation. Par conséquent, la règle du stare decisis est généralement respectée. Deux conceptions de la règle du stare decisis s'affrontent. La première qui est plus traditionnelle, est à l'effet que les tribunaux sont liés par leurs décisions antérieures ainsi que par celles des instances supérieures. En vertu de cette position, toute autre considération doit être exclue.

[21] Une autre conception plus contemporaine de la règle du stare decisis a été amorcée par l'arrêt Lefebvre et semble être suivie dans la plupart des pays de common law et en Angleterre. Celle-ci est à l'effet que bien qu'une cour soit liée par une décision antérieure, le tribunal peut tenir compte d'autres facteurs ou reconsidérer l'ensemble de la décision. La règle du stare decisis ne doit pas être appliquée de façon trop rigide mais bien de manière à faire évoluer le droit.

[22] En ce qui a trait aux décisions rendues dans une autre province, une cour n'est pas liée par une décision rendue par une cour d'une autre province d'une hiérarchie parallèle à la sienne. Le juge en chef Laskin a écrit alors qu'il était à la Cour suprême qu'une « cour d'appel provinciale n'est pas obligée, ni en droit ni en pratique, de suivre une décision de la cour d'appel d'une autre province, sauf si elle est persuadée qu'elle doit le faire d'après sa valeur intrinsèque ou pour d'autres raisons indépendantes.» Les décisions des Cours d'appel des autres provinces n'ont donc pas d'autorité contraignante au Québec.

[23] Par ailleurs, cette remarque s'applique aussi pour les tribunaux de première instance. Par contre, il est loisible pour une cour de s'inspirer de décisions rendues par une cour d'une autre province qui peuvent avoir une autorité persuasive. En effet, il arrive fréquemment que nos tribunaux citent et appliquent des décisions extra-provinciales.

[24] La règle du stare decisis varie en fonction du domaine du droit concerné. Dans la décision Ville de Longueuil c. Paiva, notre collègue Madame la juge Barrette-Joncas, expose les principes suivants relatifs à la règle du stare decisis en matière de droit criminel :

« Le très honorable Lamer (alors qu'il n'était pas encore juge en chef du Canada), a préparé en 1980 un texte sur le stare decisis à l'intention des juges de nomination provinciale nouvellement entrés en fonction. Il y émettait les propositions suivantes relativement à l'application de cette théorie en droit criminel :

1) Les tribunaux canadiens ne sont pas liés par les décisions anglaises, sauf par les décisions qui ont été rendues par le Conseil privé et la Chambre des Lords avant l'abolition des appels au Conseil privé, dans la mesure où la Cour suprême du Canada ne s'en est pas écartée.

2) Les décisions de la Cour suprême du Canada lient toutes les cours, quel que soit leur niveau.

3) Un juge d'une cour provinciale doit suivre une décision émanant de la Cour d'appel de sa province, même s'il est en désaccord avec cette décision et même s'il est convaincu que la Cour suprême la modifierait : R. c. Mankow (1959), 124 C.C.C. 337 (C.A. Alta); R. c. Derriksan, 20 C.C.C. (2d) 157, 52 D.L.R. (3d) 744 (C.S.C.-B.); R. c. Betesh (1975), 30 C.C.C. (2d) 233.

4) Lorsque la Cour d'appel d'une province a tranché une question dans un sens, que d'autres Cours d'appel ont rendu des décisions à l'effet contraire et que la Cour suprême ne s'est pas prononcée sur cette question, un juge devrait adopter l'orientation de sa propre Cour d'appel.

5) Une Cour d'appel n'est pas tenue de suivre un arrêt d'une Cour d'appel d'une autre province, sauf si elle estime qu'elle devrait le faire pour des raisons qui tiennent au fond de l'affaire ou pour tout autre motif valable. Un tribunal de première instance n'est pas tenu de se conformer à la décision d'une Cour d'appel d'une autre province sur une question que n'a pas tranchée sa propre Cour d'appel. L'arrêt de cette autre Cour d'appel n'en conserve pas moins une autorité morale considérable.

6) Les propositions 3, 4 et 5 s'appliquent aux décisions émanant de la Cour supérieure lorsqu'elle exerce ses pouvoirs d'appel ou de surveillance. Un juge d'une cour provinciale doit s'y conformer, à moins que la Cour d'appel les ait cassées ou modifiées.

Toutefois, si deux juges de la Cour supérieure ont rendu des jugements contradictoires, le juge d'une cour provinciale peut choisir celui avec lequel il est d'accord. En revanche, si c'est la Cour d'appel qui a rendu deux décisions contradictoires, il convient de suivre la plus récente des deux.

7) Un juge de première instance n'est pas lié par la décision d'un autre juge siégeant en première instance dans une province différente ni par celle d'un juge oeuvrant au sein d'une cour de même niveau dans sa propre province.

8) Lorsqu'un tribunal doit suivre une décision, il n'est lié que par la partie essentielle de cette décision, i.e. par le principe juridique qu'elle énonce. »

[26] Par conséquent, en application des principes sur la règle du stare decisis en matière criminelle, la Cour supérieure du Québec ne sera pas tenue de se conformer à la décision d'une Cour d'appel d'une autre province sur une question que n'a pas tranchée sa propre Cour d'appel. La Cour suprême du Canada ne s'est jamais prononcée quant à l'application à donner à cet arrêt.

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